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Certains scènes peuvent choquer le jeune lecteur !
Partie III : Sous les trois yeux de Phaïtos. Son bras gauche l’élançait de plus en plus.
Si le sang avait coagulé et s’il avait recouvert de mousse son bras maintenu par un bout de ses haillons déchirés afin d’éviter l’infection, la douleur, elle, ne le quittait pas.
Il ne dirigeait donc son loup qu’à une main, sa main libre tenant fermement la corde enroulant le cou de sa monture tandis que son autre main pendait le long de son corps. Il mena le loup au pas à travers la grande forêt d’épineux où se côtoyaient hêtres, sapins et chênes. Il se servait principalement du poids de son corps pour faire aller à droite ou à gauche l’animal, mais parfois des grognements et la direction de la corde étaient nécessaires pour l’envoyer là où il le désirait.
Cela faisait déjà deux jours depuis son combat qu’il chevauchait en route pour Hidirain, même s’il savait de par son expérience que le réel voyage ne commencerait qu’en sortant de cette maudite forêt et en parcourant les chemins escarpés dans les montagnes. Après avoir emprunté les passages sinueux, fallait-il encore qu’il puisse comprendre le sens des mots de son défunt père pour accéder à « la perle blanche ».
Il avait parcouru la moitié de la forêt sans faire trop de détours malgré les écarts de sa monture à travers les bois et les anciens chemins entravés par la chute d’arbres et de pierres. Le plus étrange résidait en l’absence de chants d’oiseaux, mais ce silence lui convenait bien pour l’instant, car il en avait déjà eu assez d’entendre les râles des mourants, les chants et les plaintes disharmonieux des bêtes sauvages et il ne se souvenait que trop bien du son que produisait le raclement des pattes des araignées contre la pierre quand de la chair fraîche était à leur disposition.
Pourtant ce silence n’augurait rien de bon, surtout que son fin odorat, heureusement pas aussi fin que celui d’un liykor en pleine chasse, avait déjà détecté les relents d’une charogne alors même que la carcasse se trouvait pendu à un chêne à plus de sept cents mètres de sa position. Il talonna sa monture jusqu’à l’endroit où le malheureux en lambeaux pendait, lamentablement soufflé par les bourrasques.
«
Voleurs, passez votre chemin ou mourrez , lut-il à haute voix l’inscription gravée sur le tronc de l’arbre.
Le prétendu voleur avait perdu ses yeux sans doute dévorés par quelques corbeaux tandis que sa peau était devenue du cuir à force d’avoir rôti au soleil. Il doutait fort que le défunt homme ait été exécuté par les shaakts, ce n’était guère leur manière de procéder et voler un elfe noir revenait à entrer tout nu dans une forteresse. Il fit s’arrêter le loup pour examiner un instant les blessures du voleur et au vu des plaies béantes sur toute la surface du corps et des pointes caractéristiques des fourches, il en conclut que les paysans l’avaient sûrement débusqué et mis à mort.
Un livre traitait de la hiérarchie humaine, il l’avait feuilleté tout jeune à Khonfas et il avait toujours été intrigué, car dans un monde régi par le sang, les hommes semblaient régis par l’or et l’argent. Par ailleurs, les strates sociales étaient plus complexes que celles des elfes, avec le roi, ses seigneurs, ses sujets et enfin au plus bas les plus pauvres des paysans. Si les elfes noirs étaient également alléchés par la présence d’or dans les mines, le sang et la chair restaient les principales monnaies d’échange, mais penser à son peuple n’allait pas l’aider dans cette aventure, son peuple ne pouvait pas survivre s’il ne commençait pas à évoluer vers autre chose que l’absolue quête de violence.
Il tira sur la corde et fit diriger sa monture près du chêne auquel il attacha l’animal qui essayait de se détacher, même s’il ne tentait plus tellement à partir depuis le combat. Il se débarrassa du cœur d’un animal qu’il avait chassé, le lançant dans la gueule béante du loup noir. De sa main droite couverte de sang du gibier, il escalada le chêne en prenant appui sur les nœuds, mais même ainsi son ascension était laborieuse et lorsqu’il eut enfin atteint la cime de l’arbre, il s’arrêta pour souffler avant de se pencher vers la branche qui soutenait le pendu. Il dénoua adroitement la corde de ses deux mains étant donné qu’il n’avait pas besoin d’utiliser beaucoup de force, puis, atterrit aussi souplement que possible sur la terre ferme, le corps à côté. De sa main valide, il traîna le corps, enroulant la corde autour de son poignet et le cacha dans un buisson.
«
Qu’importe le crime que tu as commis, ta mort a réglé ta dette, repose en paix à présent. »
Posant son bras droit sur sa poitrine, il lui rendit un ultime hommage. Selon Endar, la vie est une chose qui a un prix, un prix qui fluctue dans le temps en fonction de nos actes comme une denrée périssable à la simple différence que la vie était un corps certain, une chose qu’on ne peut librement remplacée par une autre.
S’éloignant du cadavre dont la putréfaction s’était arrêtée depuis déjà quelques jours, il se colla contre sa monture lascivement allongée sur le sol caillouteux et malgré le soleil encore flamboyant en cette fin de journée, il commença à méditer. La méditation était un des deux ponts qui reliaient les différentes races elfiques de ce monde. Durant sa méditation, il sentit qu’il était en train de traverser le voile ou ce que les humains appelaient simplement « rêver ».
Silencieux, il était dans une prairie à l’herbe d’un vert pomme. Quelques arbres étaient plantés, c’était principalement des poiriers et des pommiers. Soudain, un rire à glacer le sang retentit et une ombre envahit son monde, coupant le lien privilégié qu’il avait avec la terre pour n’en laisser qu’une terre froide et des arbustes morts. Il se releva précipitamment, manquant de chanceler alors qu’une secousse ébranla le sol.
«
Un elfe noir ne faisant qu’un avec la terre, amusant, commenta simplement l’ombre qui volait devant ses yeux.
«
Tu n’es pas Yuimen, tu ne suis aucunement son chemin, continua de chuchoter l’ombre mouvante.
Rejoins-moi et tu pourras tuer encore et encore !
Cette voix semblait le transpercer de toute part et il tenta d’échapper à son emprise en fermant les yeux s’ordonnant mentalement de se réveiller.
«
Comme si tu pouvais échapper à mon contrôle ! Ouvre les yeux !
Il ne sut jamais pourquoi il ouvrit les yeux, n’obéissant que rarement aux ordres mais ce qu’il vit lui retourna l’estomac.
«
Admire ton œuvre...La terre était criblée d’épieux qui, semblables à des piliers, semblaient s’élever jusqu’aux cieux et sur chacun de ces pieux se trouvaient plusieurs corps embrochés pêle-mêle. Un liquide vermillon envahissait le sol telle une marée. Du sang naquirent des êtres à l’origine informes jusqu’à former des elfes noirs, mais pas n’importe lesquels...
«
Les prêtresses ! D’un coup, elles lancèrent simultanément leurs sorts d’obscurité faisant surgir des ombres filant vers lui en slalomant entre les pieux. Il courut en faisant de même, cependant les ombres étant plus rapide que lui, elles le percutèrent de plein fouet, griffant son visage et mettant son torse en lambeaux sanguinolents. Il ne bougea plus, feignant la mort. Il entendait alors les pas lents d’une prêtresse qui s’approchait. Il attendit encore avant de se lever et enclencha son sort, les épieux traversant de part en part le corps de la prêtresse habillée d’une toge écarlate.
«
Prêtresse Zilvra. Plus que deux... Endar ricana, sentant son corps se tordre de joie de la voir de nouveau embrochée comme le vulgaire porc qu’elle était, malgré ses blessures.
Les deux autres prêtresses exécutèrent le même sort, mais il ne s’arrêta pas une seconde, faisant fi des ombres rampantes qui lui perforèrent le torse, laissant à nu son cœur qui battait sans relâche et les os de sa cage thoracique. Il incanta et les lances de pierre touchèrent la seconde prêtresse au visage coupé au couteau dont la robe violette au fond noir représentant la déesse se teintait de carmin.
«
Prêtresse Nedylene ! A ton tour prêtresse Inidil, je vais te faire regretter la mort de mon père ! rugit-il en fonçant vers elle, sa course néanmoins ralentie par le nombre impressionnant de pieux.
La colère faisait bouillir son sang et il avait si...soif ! Il n’arrivait pas à tarir sa soif de sang et l’adrénaline que leur mort lui procurait le revigorait. Il évita les attaques de deux ombres et utilisa de nouveau sa magie, ses épieux traversant l’ombre que la prêtresse commençait à matérialiser avant qu’elle ne s’arrête pour sauter en arrière évitant de justesse de partager le même sort que ses consœurs. Elle se camoufla par la suite dans l’ombre, évitant l’affrontement.
«
Allez montre-toi lâche ! Un tremblement de terre l’expédia contre ses épieux brandis vers les cieux, le sang des victimes s’écoulant le long de son corps, engloutissant presque son visage.
«
Tu n’es rien de plus qu’un meurtrier, tu n’es pas un héros. «
Maeli !Endar se releva tant bien que mal, glissant dans les flaques de liquide carmin. Lorsqu’à quatre pattes, il parvint à se lever tout en conservant son équilibre, le défunt mage de terre lui envoya une rafale de pics transperçant son corps et le faisant hurler de douleur, une douleur physique autant que mentale.
De nouveau, il utilisa sa magie non sans vomir du sang et ses épieux transpercèrent le sol, brisant les lances de pierre, les faisant tomber comme des dominos sur le champ de bataille. Dans le tumulte ambiant, il parvenait à sauter par-dessus les épieux ensanglantés tombés au sol et se précipita vers son ennemi qui, le voyant venir, fit surgir de terre des pieux.
D’instinct, Endar l’imita et de toute manière, c’était le seul sort qu’il connaissait. Les épées de pierre sortant du sol meuble s’entrechoquèrent violemment et se brisèrent les unes contre les autres. Il sprinta pour que son sort agisse dans la zone où le sort de Maeli ne pouvait le protéger de ses attaques magiques et l’atteint finalement, arrêtant la progression de ses épieux, figeant le pic à proximité de son œil droit. Son ancien ami était de nouveau mort, il ne restait plus que...
La prêtresse Inidil sortit de sa cachette, sa dague à l’aura ténébreuse dans sa main droite, prête à s’abattre, mais au même instant, une épée traversa le corps d’Endar et traversa également celui de la prêtresse qui lâcha son arme.
Le mage se retourna pour voir le mystérieux individu et ses paupières s’écartaient sous la surprise de voir un homme au visage sévère, aux cheveux d’un blanc délavé et au teint buriné tirant plus vers un vert olive que vers le mauve. Ses yeux mauves le fixaient et la colère semblait irradier de ses iris. Il tenait fermement le manche de l’épée de ses mains calleuses et était vêtu d’une armure en cuir des pieds jusqu’au cou.
«
Père, murmura-t-il, un flot de larme balayant le sang tâchant son visage.
Une grimace de dégoût déforma son visage.
«
Qu’ais-je donc fais à la déesse pour avoir un fils tel que toi, ta magie est un poison ! La prêtresse Inidil, son père et l’épée le transperçant tombèrent non en poussières mais en gouttelettes de sang sur le sol vermillon. Une autre forme surgit de cette mer rouge, ce n’était autre qu’une copie de lui-même qui l’observait avec un sourire carnassier, le sang formant comme une gangue autour de l’imitation.
«
Meurtrier ! accusa son double. Meurtrier ! Rejoins-moi...Il se réveilla en sursaut contre la fourrure douce du loup, happant une bouffée d’oxygène. De la sueur ruisselait sur son front et ses yeux balayèrent les bois anxieux avant d’entendre le croassement d’un corbeau à trois yeux. Il fixa la maudite créature.
«
Dis à ton maître que son offre ne m’intéresse pas ! Aussitôt dit, le corbeau le fixant de ses trois yeux rouges s’élança et vola vers le nord en croassant. Endar se mit debout péniblement et faisant quelques pas, il s’appuya contre un tronc et rejeta quelques filets de sang sortant de sa bouche pâteuse.