II-1 Discussion entre camarades d'infortunesMaintenant que je ne suis plus fatigué après une longue marche, une semi-elfe sur le dos, je peux enfin observer l’intérieur de la ville sous un ciel ensoleillé. Les structures des bâtiments sont bien différentes à ceux d’Omyre. Ici les maisons sont très espacées et construites suivant le même schéma : des toits foncés et des murs beiges ornés de grandes baies vitrées. J’aperçois aussi des formes différentes, une maison possède une structure en triangle et une autre en demi-lune. Ces différences marquent l’individualité des résidents tout en restant dans un thème commun, rendant le tout harmonieux. Autre point que me surprend : la végétation qui est au sein même des murs de la ville. A Omyre, les règlementations ont depuis longtemps laissé place à une véritable anarchie où chacun construit sur son voisin, ou le tue pour s’approprier ses biens et où le moindre brin d’herbe est piétiné sans espoir de s’épanouir.
Sur le chemin je suis relativement choqué de voir des femmes qui lavent du linge, ou nettoient les sols ! Les tâches ménagères sont-elles une marque honorifique ici ? Je traverse les rues sous le regard méprisant des habitants, qu’ils soient jeunes ou vieux et je sens que tous voudraient me voir écorcher. Chose que je comprends au vu des traitements que subissent les prisonniers humains à Omyre. Là encore, je perçois dans le mode de vie des habitants une certaine forme de discipline militaire, tant dans l’attitude que dans les vêtements propres et bien ajustés. C’est probablement à cela et aux gardes que je dois d’être encore en vie. Bien escorté, on m’emmène jusqu’à un grand bâtiment surveillé par deux soldats. Comme les hommes qui m’escortent, ils possèdent aussi une armure complète rouge, des casques cherchant à faire peur et une lance dont l’extrémité en métal est soigneusement affutée. Est-ce là les fameux samouraïs dont j’ai entendus parler ?
J’ai rarement vu une bâtisse aussi imposante, sauf pour les lointains logements des plus hauts gradés de l’armée d’Omyre. Les lieux sont richement décorés, avec des tapisseries rouges le long des murs et on retrouve aussi de la végétation à l’intérieur. Les grandes baies vitrées laissent entrer un flot de lumière dans ces lieux donnant un effet chaleureux. Mes guides en armures me poussent sans ménagement aux travers des couloirs jusqu’à une vaste pièce. Je traverse une allée, avec à gauche et à droite des bancs vides, probablement pour des occasions publiques. On m’arrête à une estrade au centre d’un long bureau en arc de cercle. Plusieurs hommes et femmes semblent disposés sur des chaises attitrées puisque certaines sont vides. Le mur derrière eux possède la même forme arrondie que leur bureau avec de nouveau, de grandes baies vitrées. Les lieux, bien que moins décorés, possèdent eux aussi leurs tapisseries et végétations intérieures. Tout autour, d’autres soldats sont disposés pour assurer la sécurité de la pièce, prêt à agir. J’entends dans mon dos les portes se refermer, permettant à l’entrevue de commencer.
"Veuillez décliner votre identité". Fait l’homme assit au milieu de la table.
Je compte deux hommes, deux femmes et ce qui doit être un elfe blanc. Ils sont richement vêtus avec des coloris les distinguant très clairement pour les habitants : à gauche l’elfe porte un vêtement d’un blanc pur, à droite une femme en toge jaune avec un maintien presque militaire, l’homme qui me fait directement face porte lui un habit simple brodé de vert, sur la partie de droite se trouve une autre femme avec un kimono violet et le dernier homme au bout du bureau porte quant à lui un uniforme marron. Tous sont bruns, hormis l’elfe et ses cheveux dorés. Ce dernier les a soyeux et lisse. Les hommes eux, ont une tresse parfaite et les femmes un chignon se terminant en boule. Je les regarde tous un par un en comprenant que mon sort allait certainement se jouer ici. Je ravale ma salive et me présente à l’homme qui me fait face, habillé en vert.
"« Ca » être ëala nyenyë. Etre celui qui pleure langue shaakt.""Est-ce là votre nom que l’on vous a donné à la naissance ?" Me répond pour le moment mon unique interlocuteur.
"« Ca » être nom pour maîtresse Omyre, pas nom pour naissance. « Ca » être Nhaundar Zaknafein.""Bien Monsieur Zaknafein. Maintenant nous savons que vous êtes originaire d’Omyre." A ce moment-là je me dis que j’aurais mieux fait de me taire.
"Voici le rapport que nos hommes nous ont remis à votre arrivée." Me dit-il en prenant un document dans ses mains.
"Les paysans à l’est de la cité sont rapidement arrivés à notre rencontre, pour signaler qu’un shaakt était présent et portait sur son dos un autre individu. Une troupe de cavalier a donc été envoyé et l’individu sur son dos était Sylve, une semi-elfe en charge de la surveillance de la forêt d’Yronie. Touchée à de nombreuses reprises, nous avons envoyé la femme voir un guérisseur et le shaakt en détention. Son langage était basic, mais ses propos relate l’attaque un traqueur obscur. Ses vêtements reflètent une appartenance à la catégorie des esclaves."Il s’arrête pour marquer la fin du rapport.
"Il n’est pas rare que des esclaves viennent jusqu’à nous. En règle générale nous sommes bienveillants avec eux, mais vous êtes le premier shaakt esclave que nous voyons. Rien que votre appartenance à cette race odieuse mériterait que nous vous exécutions sur-le-champ. "A ce moment, je sais mes jours comptés. Au mieux, je mènerai une vie de dur labeur ici pour avoir porté secours à l’un des leurs, mais je ne me fais pas de fausses idées à ce sujet.
"Hors il se trouve qu’une personne plaide en votre faveur. Continu-t-il.
Faites-là entrer !"Derrière moi, les portes se rouvrent un instant pour laisser passer la semi-elfe que j’ai secouru. Ses longs cheveux blonds sont maintenus en tresse le long de son dos. Sans arme ni équipement de combat, je parviens à voir qu’elle n’a pas encore complètement récupéré de l’attaque du traqueur obscur en voyant quelques bandages. Son maintien cependant, est droit et son regard est porté loin devant en parfait petit soldat.
"Etes-vous Sylve Feuilleargent ?" Demande pour la première fois la femme avec un habit jaune.
"Oui madame !" Lui répond la jeune femme sur un ton direct et ferme.
"Nous avons vu avec vous l’incident dont vous avez été victime. Est-ce bien le shaakt qui vous a secouru ?" Là encore la femme en jaune est sa seule interlocutrice. Cette femme doit probablement être en charge des affaires militaires.
"Oui madame !" Lui répond encore sans même me regarder.
La déclaration provoque quelques chuchotements de l’assemblée en face de moi. Les hommes et femmes se tournent pour discuter entre eux, tandis que l’elfe blanc ne cesse de me fixer du regard. De mon côté je regarde la semi-elfe, mais elle ne semble pas porter attention à moi. Je reste donc muet attendant que l’on me demande.
"Comme je l’ai déjà expliqué," reprend le premier interlocuteur,
"il n’est pas rare de secourir les esclaves qui nous parviennent. Hors, c’est un shaakt qui nous fait face aujourd’hui. La règle est claire à ce sujet et tout shaakt est un ennemi du peuple libre des hommes." Un léger raclement de gorge de l’elfe et l’homme en face de moi reprend.
"Et des elfes bien entendu. Cependant, ce shaakt a secouru l’un des nôtres et l’a portée jusqu’à nous, où elle a reçu les soins nécessaires. La question de cette réunion concerne donc le jugement que nous allons rendre à son sujet. Sera-t-il libre ou exécuté ?"Le premier à prendre la parole est l’elfe blanc dont le regard est dur.
"Je pense que nous devons prendre en compte la bravoure dont il a fait preuve et lui laisser la vie. Cependant, permettre à un shaakt de vivre tranquillement sur nos terres est impensable. Le village d’Ishikawa aurait certainement besoin d’un ancien esclave pour s’occuper des cultures. Une tâche honnête, le gîte le couvert jusqu’à la fin de ses jours sont une preuve évidente de notre clémence.""Mais vous n’y pensez pas !" Interpelle la semi-elfe qui reçoit les foudres de l’hinïon.
"On ne vous a pas demandé votre avis jeune femme. Veuillez rester à votre place et laisser le conseil décider !""Au contraire, son avis m’intéresse." Tranche l’homme en vert en face de moi.
"Veuillez me pardonner vénérable Singrel." S’excuse-t-
elle. "C’est peut-être un shaakt, mais il a subi plus de souffrance que bon nombre des esclaves que nous avons recueillis. Regardez le nombre de cicatrices qu’il porte.""Peux-tu te dévêtir je te prie ?" Me demande l’homme en vert accompagnant sa parole par un geste de la main.
Je m’exécute et dévoile la marque maudite sur mon torse, ainsi que la longue brulure sur mon bras droit. Puis je me tourne, dévoilant un grand nombre de cicatrices plus ou moins profondes. Je refais face à l’assemblée et ils semblent être choqués par ce qu’ils voient, hormis l’hinïon et sa tunique blanche.
"Un traitement ma foi très douloureux, je présume. Je pense que nous avons fait le tour de la question. Les avis étant partagés nous allons rendre notre décision à main levée."(Je dois dire quelque chose. La semi-elfe m’a dit que je pouvais être mon propre maître et ce que j’ai appris en prison peut jouer en ma faveur. C’est, je pense, le dernier moment pour parler.)
"Vous dire « ça » faire tâches dans cultures, pas travail, tâches. Surveiller par soldat et pas aimer des villageois. Oranan maître de « ça ». Pas être différent Omyre. « Ca » faire tâche, manger et dormir. « Ca » faible et pas aimer des autres. Ishikawa être comme Omyre. Dis-je en faisant face à l’elfe, puis cherche du regard l’homme en vert qui semble être de mon côté. Vous dire Oranan terre hommes libre. « Ca » vouloir être maître de « ça ». « Ca » vouloir être libre. « Ca » entendre guerre autre-monde et guerriers shaakts aider Oranan. « Ca » aussi pouvoir aider Oranan comme guerriers shaakts. « Ca » pratiquer magie, mais magie faible." Je termine mon discours faiblement, car même si je ne sais pas d’où me vient le courage pour ma défense, elle tient sur ma pratique de la magie du feu dont je suis encore terrifié.
"Merci nous tâcherons de tenir compte de vos souhaits. Que ceux qui sont pour le travail à vie dans le village d’Ishikawa lèvent la main."A cela, l’elfe blanc et l’unique femme qui n’a pas pris la parole en habit violet exprime leur accord à ce verdict.
(Deux voies pour, il en reste donc trois. Vont-ils simplement me libérer ainsi ? En tout cas ça semble bien partie.)
"Que ceux qui sont pour la réhabilitation pure et simple lèvent la main."Cette fois-ci, la femme en jaune et le dernier homme en habit marron semblent d’accords avec cette décision. Contre toute attente, l’homme en vert ne vote pas à ma libération. Mon espoir d’être libre commence à s’envoler à nouveau.
"Je vois que la décision va donc encore me revenir." Reprend-il. L’homme réfléchit un instant et me fixe du regard.
"Notre peuple aime à se dire qu’il représente les hommes libres face à la barbarie des adeptes du chaos. Mais le terme homme désigne une valeur générale regroupant les liykors, les sinaris, les thorkins, les différentes races d’elfes et même les shaakts. Nhaundar Zaknafein, au vu du courage dont vous avez fait preuve, vous devrez œuvrer pour la protection d’Oranan. Vous êtes un magicien, mais votre formation n’est que sommaire. Vous allez donc devoir suivre un apprentissage magique et une fois en de meilleures dispositions, reviendrez à Oranan pour protéger notre cité au sein de notre milice qui surveillera vos agissements. Vous serez accompagné par Sylve Feuilleargent qui s’assurera que vous respecterez votre engagement. Le cas échéant elle devra vous exécuter, ou en informer le conseil le cas échéant. Nhaundar Zaknafein considérez-vous comme libre.""C’est un scandale, Derim ! On ne peut laisser un shaakt en liberté." Rugis l’elfe blanc.
"Le conseil à trancher vénérable Singrel. Si vous avez une objection, je suis sûr que nous pourrons en débattre d’ici trois à quatre mois.""Vous entendrez parler de moi !" Crie-t-il en quittant les lieux tout en me fixant avec haine.
"Sylve Feuilleargent, je crois savoir que cette marque particulière est assez douloureuse. Allez voir notre guérisseur s’il peut faire quelque chose à ce sujet. Je vais rédiger une note concernant la demande de formation de notre nouvelle recrue. Il me peine à le dire, mais notre faculté de magie a subi quelques changements de propriétaires. Vous devrez donc vous rendre à Kendra Kâr pour cela."Je vois la semi-elfe se courber en avant pour exprimer son accord. Pour une fois, on me clame comme étant libre. Je ne peux décemment pas quitter les lieux sans faire quelque chose. Je laisse mon piédestal et m’approche des membres du conseil restant qui s’inquiète de mon approche. Les gardes réagissent rapidement, mais avant de m’atteindre je me courbe en avant, les deux genoux à terre.
"« Ca » merci vous. « Ca » pas oublier quoi vous faire pour « ça ». « Ca » toujours fidèle pour Oranan."Malgré mon statut libre, les soldats ne me laissent pas la possibilité d’avancer davantage. Je quitte la pièce sous le sourire de Derim, l’homme en habit vert.
II-3 Un remède douloureux