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 Sujet du message: Le Port royal de Luinwe
MessagePosté: Sam 1 Nov 2008 12:19 
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Le Port royal de Lúinwë


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Gigantesque port de la ville, gardé par deux énormes statues de héros d'autrefois. Jamais aucun pirate n'a osé l'attaquer. L'eau est claire et limpide. De magnifiques voiliers elfiques mouillent là, tels de grands oiseaux blancs nageant paisiblement dans le cours d'eau d'une rivière tranquille. Le port est divisé en trois parties: le port de guerre, le port de commerce et le port de pêche. Le port de guerre est toujours aussi grandiose bien que sa splendeur actuelle n'ait jamais eu de pareil avant. Le port de commerce, jadis minuscule, s'est considérablement agrandi. Le port de pêche, lui, est la propriété des elfes bleus qui vivent des denrées de la mer. On y exporte toutes sortes de choses, vers Kendra Kâr voire parfois jusqu'à Tahelta. De nombreuses auberges bordent les quais et c'est le lieu de prédilection des marins désœuvrés...

Faites vos RPS ici jusqu'à embarquement dans un bateau

Bateaux à la vente :

Pour plus de renseignement, se reporter à la règle spécifique sur les bateaux.

Bateau à vitesse standard (x1, 6km/h) : Gratuit (Yus non débités de la fiche mais l'achat sera à jouer en RP)
Bateau à vitesse avancée (x2, 12km/h) : 400yus
Bateau à vitesse rapide (x3, 18km/h) : 1000yus
(Il est toujours possible de faire améliorer son bateau par la suite en payant la différence !)

Un nouveau sujet sera ouvert dans la partie trajet et voyage, pour que puisse s'y faire les RPS à bord du bateau acheté. Pour que le GM puisse le faire, lorsque vous voulez faire l'achat, mettez dans la demande ceci complété (Ce sera ce qui apparaîtra dans le sujet) :
Citation:
Titre : Le nom du bateau et, entre parenthèses, à qui ou quelle guilde il appartient
Une image (Facultative)
Dans la présentation : Le type de bateau (Voilier, navire, galion,...) ainsi qu'une description : à quoi il ressemble, son capitaine, ses matelots et leur nombre approximatif.
Sa vitesse (Vitesse standard (x1) / avancée (x2) / rapide (x3) )

Les bateaux sont rachetés à 1/4 de leur prix.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

(((Si vous voulez être servi dans des temps raisonnables, n'oubliez pas de demander aux GM dans le SUJET DES INTERVENTIONS GMIQUES de s'occuper de valider vos achats en jouant le commerçant. Nous ne faisons pas le tour des boutiques... merci de votre compréhension )))

_________________
Chibi-Gm, à votre service !


La règle à lire pour bien débuter : c'est ICI !
Pour toutes questions: C'est ici !
Pour vos demandes d'interventions GMiques ponctuelles et jets de dés : Ici !
Pour vos demandes de corrections : C'est là !
Joueurs cherchant joueurs pour RP ensemble : Contactez vous ici !


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 Sujet du message: Re: Le Port royal de Luinwe
MessagePosté: Sam 28 Fév 2009 20:19 
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Inscription: Sam 28 Fév 2009 12:52
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Mettant le pied sur le quai en pierre qui bordait le port de Luinwe, Emaël prit une grande inspiration afin de profiter de l'air qui allait maintenant lui permettre de respirer sa nouvelle vie. Elle était impatiente de se plonger corps et âme dans cette population qui grouillait autours d'elle, s'élancer dans les rues étroite de cette ville, d'explorer les terrains alentours...bref, découvrir ce qu'elle avait manqué ces 100 dernières années, alors qu'elle vivait chez les humains. Car ce qui lui faisait le plus chaud au coeur, en plus de savoir qu'elle pourrait surement retrouver ses parents, persuadée qu'ils n'étaient pas mort, c'était de se retrouver parmi les siens. Partout autours d'elle n'était que constructions et personnages elfiques; chaque pierre, chaque bruit, chaque parole prononcée respirait et vivait sous l'influence elfe...l'influence de ceux qui l'ont vu naître.

Remerciant le capitaine humain qui avait eût la bonté de la prendre avec lui, elle quitta le ponton en lui laissant quelques pièces et se mit en marche, son arc visé sur son épaule gauche et sa cape flottant derrière elle. Tout l'étonnait ici. La vie était bien différente des villes humaines qu'elle avait pu croiser. Un premier exemple flagrant était que les personnes qu'elle croisait ne se retournaient pas pour la déshabiller du regard. Ici, elle était comme toutes les autres elfes qu'elle pouvait croiser, même si elles n'étaient pas nombreuses sur ces quais. Majoritairement se trouvaient des mâles, de nombreux elfes bien sûre, mais quelques humain aussi. Des marchands, des marins, des magiciens, des riches, des pauvres, toutes les castes étaient représentées.

Il lui fallu un petit moment avant d'arriver à l'extrémité des quais, avant d'arriver dans une zone du port où s'étalaient de nombreux marchands, vendant leurs marchandises au passants ou tentant de les faire embarquer sur les navires au départ. Emaël fut subjuguée par la profusion de biens qui s'offrait devant elle. Poissons grillés, pâtisseries, meubles, étoffes, animaux, armes, tout semblait être en si grande quantité qu'elle se demandait comme on pouvait tout écouler en une vie. Mais elle fût ramenée à la réalité lorsqu'elle sentit son ventre grogner. Elle se rappela qu'elle n'avait pas mangé depuis un petit boût de temps, ayant été malade lors de la traversée. Elle s'était contenté de quelques biscuits afin de ne plus se sentir mal à l'aise. Mais là, son estomac la rappelait à l'ordre, et elle s'approcha d'un stand de poissons grillés. Il était tenu par un jeune elfe, enfin par jeune elle lui donnait environ 200 ans, qui lui sourit amicalement en voyant arriver cette jeune elfe.

"Bien le bonjours ma dame, je vois que vous êtes intéressée par mes poissons. Je fais les meilleurs grillades du port, dites moi ce qui vous fait envie.."

Emaël resta un instant devant lui sans rien dire, à le regarder comme s'il venait d'un autre monde. En fait, c'est un peu comme il lui apparaissait....un étranger. ET c'est là que son passé refit surface; élevée par des humains, elle n'avait pas eu le loisir d'apprendre son langage natal. tout ce qu'elle en connaissait, c'était quelques bribes et bases apprises durant un voyage en compagnie d'un vieil elfe qui avait bien voulu daigner la prendre avec lui. Elle comprit cependant qu'il lui demandait ce qu'elle voulait.
Elle observa les poissons avec envie. Le fumet qui s'élevait des grillades était envoûtant et elle en salivait. Le choix était important et elle ne savait que choisir, mais son estomac la rapella une nouvelle fois à l'ordre et elle jeta son dévolu sur un gros poisson dont elle ne connaissait pas le nom, mais dont la chaire grillée l'avait achevée.

"Ahh excellent choix. Pêché ce matin à la main! Très bonne chaire tendre et goûteuse. Vous allez apprécier" dit le jeune elfe en lui tendant son poisson, enveloppé dans un paquet dont s'élevait les effluves et le fumet de son contenu.

Emaël prit le paquet, le paya et lança un "Merci beaucoup" accompagné d'un sourire avant de reprendre sa route vers la porte du port.
Une dizaine de minutes plus tard, elle était en vue des portes. Notant qu'elle avait toujours le poisson dans les mains, elle se dit qu'il valait mieux le manger maintenant avant d'arriver dans les rues surpeuplées. Elle se dirigea vers un banc de pierre qui bordait la route et s'y assit, ouvrant le sachet qui dégagea une odeur affreusement bonne. Elle mordit de bon cœur dans le poisson et laissa la saveur envahir sa bouche, la chair se désagréger sous ses dents, libérant les arômes des épices que le jeune pêcheur avait ajouté en les faisant griller. Elle se sentit fondre de plaisir tant ce poisson était suculant, et elle se jura de revenir tous les jours pour en demander un. Cependant, en apercevant des elfes habillés par une armure relativement remarquable et présentant des armes imposantes, qu'elle supposa comme la garde chargée de la sécurité, Emaël se dit qu'elle devait trouver un moyen de gagner de l'argent si elle ne voulait pas finir à mendier comme ce pauvre elf prestement dégagé de la rue par les deux gardes. Elle devait trouver un travail, temporaire, qui permettrait à sa bourse de respirer un peu. Et puis...il lui fallait trouver quelqu'un pour lui apprendre son langage natal. Elle ne voulait pas passer pour une étrangère à tous ceux qu'elle croiserait. Mais tout ça paraissait s'éloigner et fondre avec le poisson qu'elle prenait un plaisir immense à déguster, regardant la foule immense se presser aux portes donnant sur la ville.

(suite dans les rues)

_________________
Ma fiche de personnage: http://www.yuimen.net/univers/viewtopic.php?f=9&p=9485#p9485


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 Sujet du message: Re: Le Port royal de Luinwe
MessagePosté: Jeu 17 Sep 2009 17:00 
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Inscription: Sam 27 Juin 2009 09:09
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De la Plaine.



Aurëla commençait. L'Océan, dans la vaste baie qui protège les ports de Luinwë des vents et des grandes marées, était à l'image de la Plaine : calme, heureux, presque tiède. Les navires du port de commerce reposaient comme une colonie de morses, tanguant toujours au rythme inébranlable de la houle. Entre eux, un léger sillon, ou alors seulement quelques bulles : Rose nageait rapidement, plongeant sous les coques, frôlant les dérives, allant chercher au fond de l'eau un peu de sable qu'elle dispersait plus loin. Puis, elle remontait, filait un instant la tête hors de l'eau, rectifiant la direction de sa course et énervant les oiseaux en imitant leurs cris. Enfin, elle replongeait après avoir vidé ses poumons de toute trace d'air.
Bientôt, elle atteint sa destination première, une petit île qui émergeait à l'entrée du port. C'était un simple amas de pierre, couvert de sable, dont on avait fait le tour en dix minutes. Déjà lasse, Rose s'y reposa un instant, puis gagna le centre de l'îlot ; là, dans le roc, une myriade de mots gravés en divers alphabets. Détachant de sa ceinture le couteau qu'elle avait pris à la maison, elle écrivit parmi eux :


(« Mo-rë...fi-ri-ma* ». Cette pierre est admirablement douce et friable. Peut-être trop... un jour tout cela tombera en sable, ou sera érodé par les vents et les eaux. N'importe, si la pierre oublie, moi je n'oublierai pas.)


Puis, montée sur le plus haut rocher de l'îlot, elle plongea au fond des eaux et reprit sa course, laissant là le couteau. Elle filait, rapide, à quelques mètres sous la surface sereine. De petits poissons bleutés l'accompagnèrent un moment, puis la quittèrent. Ses longs cheveux, tendus par la vitesse et le poids de l'eau, ondulaient quelquefois lorsqu'elle changeait de courant. Ses vêtements étaient conçus assez lourds pour lui tenir et assez habilement formés pour ne pas la gêner. Il n'y avait plus guère de bateau, il n'était plus l'heure pour les pêcheurs de partir, et point encore celle de rentrer, les filets pleins de minces poissons qui ne nourriraient pas grand-monde ; la pêche à Luinwë se faisait, au fil des ans, de moins en moins fructueuse, pour des raisons inconnues. La navette qui allait à Tahelta une fois par semaine était partie au matin. Aussi, lorsqu'elle aperçut d'en bas la dérive d'une petite barque immobile, prit-elle bien soin de s'éloigner rapidement, mettant l'endurance de son souffle à rude épreuve. Émergeant derrière un récif, elle observa de loin la frêle embarcation qui attendait d'improbables voyageurs à transporter. Le vieux passeur, un elfe bleu qui la connaissait bien et qui la prendrait en chasse s'il la voyait dépasser sa barque, reposait en sage, les yeux mis-clos.

Se tourna vers le large. A quelque distance de là s'élevait le temple de la déesse marine. Imposant, éternel, intouchable. Les façades étaient magnifiquement sculptées, mais assez sobrement. Point les festives magnificences du temple de Gaïa, mais une beauté solennelle, presque sombre. La reine Moura était impérieuse. Rose admirait le temple, de loin, en nageant lentement vers lui. La surface de l'eau entre elle et cette terre interdite était accueillante, plate. Mais lorsqu'elle s'approcha, les profondeurs se firent enragées. Si elle eût continué plus loin, elle eût été engloutie par les eaux furieuses, déchaînées, sans que paraisse à la surface le moindre mouvement. Là était la protection de la déesse contre les intrus qui prétendaient atteindre le temple sans l'autorisation de la Reine à Cuilnen... ou de la déesse elle-même. Rose était la plus fervente, la plus languissante de ces intrus. Elle entrerait dans ce temple, un jour, avec ou sans droit signé. Il faudrait faire le voyage à Cuilnen ou braver de ses seules forces les fureurs de l'Océan animé par Moura.
Après s'être arrêtée à la dernière limite, à l'endroit où elle savait qu'elle ne pourrait plus lutter contre les courants qui attiraient les nageurs vers les profondeurs, Rose s'en retourna. Comme tous les jours.

Elle nageait doucement, se permettant la très lente nage des enfants sages, la brasse, se demandant ce qu'elle ferait ensuite. Sa lyre lui manquait, elle irait la chercher dans l'endroit secret où elle la cachait chaque fois qu'elle la laissait. Le maître ne l'aiderait pas aujourd'hui, elle avait fini par admettre qu'elle ne devait pas lui mander conseil ou aide hors des heures de cours après qu'il eût dû lu intimer froidement de le laisser en paix. Amaryliel sans doute jouerait avec elle, s'il ne recherchait pas la solitude.


(Il le fera, vu l'état dans lequel il était ce matin. Curieux vieillard, vraiment, et suspect. Le ciel était pourtant clair ce matin, d'où viennent ces gros nuages? Le temps s'assombrit, je ne l'avais pas du tout prévu. Une éclipse? Ce doit être ça, une éclipse de soleil. Mais ce n'est pas la bonne date... les dieux nous feraient-il une farce? Quels enfants, ces dieux, se prennent très au sérieux et exigent des tous les peuples la plus plate soumission, mais on doit bien s'amuser là-haut. Lequel d'entre eux s'est plu à nous faire venir la nuit bien avant son heure? Le même qui fait tourner le paysage autour de moi, sans doute. Les dieux sont... Ah... Malina, à moi... )


Le monde bascula. Rose se trouvait à présent dans un endroit sombre, à la lumière incohérente : tout était parfaitement noir, pas le moindre reflet ne venait soutenir son regard. Pas de mur, pas de sol, ni ciel ni plafond. Elle, pourtant, était éclairée comme en plein jour, comme si elle était elle-même luminescente dans les ténèbres. Aucun son, pas de vent, aucune sensation de température ne venait rassurer son équilibre incertain, ses pieds semblaient ne rencontrer aucun socle solide, et pourtant elle ne tombait pas. Elle regarda autour d'elle, inquiète. Une voix grave et profonde retentit soudain :


« Je suis si fragile qu'il suffit du souffle d'un murmure pour me tuer. Pourtant, je suis immortel et la plus grande force humaine ou divine ne peut m'empêcher de sans cesse ressusciter. Seul, je demeure après les plus meurtrières batailles. Qui suis-je? »

Un immense tête apparut ; une tête d'oiseau très coloré, comme on n'en voyait pas à Luinwë. C'était comme un masque, aucun mouvement ne venait rendre à cette physionomie animale une apparence de vie. Il parlait sans remuer. Rose, interdite, se tut, puis finit pas bredouiller :

« Je... Je ne sais pas... »


L'oiseau secoua la tête. On ne lui voyait pas de corps, seulement cette tête bien visible qui seule, avec la jeune elfe, perçait le vide absolu qui régnait là.


« Qui es-tu, sieur Oiseau? »

« J'ai donné tout ce qu'il faut pour que le curieux réponde à ses questions. »


« C'est vrai, mais ce sont des présentations trop peu claires. »

« Qui est le questionneur? »


« Je m'appelle Rose, j'ai quatre-vingt-neuf ans et mes parents étaient des elfes. L'un appartenait à l'eau, et l'autre était hinion »


« Faux ! »

L'enfant regarda le masque immobile.


« Est-il sûr d'être ce qu'il prétend? Le questionneur dit : je suis. Celui qui sait répond : non. »

Rose hurla. Une indicible douleur s'était tout à coup emparée de son poignet. Le cri résonna un moment, l'enfant ferma les yeux. Tout son corps était comme arraché à lui-même, exposé à un milieu agressif, acide. Elle suffoqua.

Lorsque Rose rouvrit les yeux, les choses étaient changées. Elle se trouvait sur une sorte de petite île de sable doré, parsemé de jolis coquillages qui prenaient toutes les nuances du vert. Ce changement de lieu étonna quelque peu la jeune elfe mais, lorsqu'elle leva les yeux, ses interrogations furent oubliées : le spectacle qui s'offrait à son regard était des plus éclatants. La Reine Thelhenwen, maîtresse et impératrice de tout l'Anorfain, se tenait devant elle, majestueuse, et la regardait sans mépris. Elle était magnifique, quoique Rose n'eût su dire exactement à quoi ressemblait son visage ni comment elle était vêtue. Elle était tout comme la statue de Moura qui se dresse à l'entrée de la demeure des Kenilwär, et comme elle semblait figée dans sa beauté, si distante que malgré qu'elle fût à quelque mètres de la jeune fille, elle restait inaccessible. Derrière elle s'élevait son temple, ou plutôt celui de la déesse marine, encore plus solennel, encore plus beau. Sur sa façade étaient sculptés des petits hippocampes. Ce château semblait un autre pays, accueillant peut-être, mais n'inspirait à la petite elfe bleu aucun désir d'y entrer.


(A d'autres cet honneur... Moi j'aurai bien le temps d'y entrer, plus tard.)


Elle reporta son attention sur la Reine, mais n'eut pas l'idée de s'incliner. La grande dame sembla s’animer quelque peu ; et sa voix était douce comme du miel.


« Tu t'appelles Rose, n'est-ce pas? »

« On le dit… »

« N’y touche pas. Ce n’est pas pour toi. »


La petite elfe baissa la tête vers l’endroit qu’indiquait la Reine. Le sable décidément était couleur d'or, différent de celui, fin et pâle, des petites plages qui entouraient Luinwë. A quelques pas d'elle, posé sur cette étrange plage, il y avait un jeu d'échec : tous les pions étaient placés, comme prêts à jouer. C'était un jeu fait à la main, les pièces étaient de petits cylindres de bois joliment peints ; Rose remarqua le Roi et la Reine blancs, d'adorables petites figures aux couleurs claires. Machinalement, elle compta les pièces : seize de chaque côté.

(Enenquë.**)


Puis elle se retourna. L'île était un îlot, et à ses pieds venaient mourir de petites vagues ; la mer s'étendait là et l'on voyait au loin, très loin, la côte. C'était une plaine sèche, brûlée, comme un désert désolé et meurtri encore par un soleil trop violent. Rose leva les yeux vers le ciel, et comprit mieux cette lande terrifiante : deux soleils se tenaient dans les cieux, côte à côte, deux astres identiques. D'ailleurs, l'elfe bleue commençait à en sentir la brûlure sur sa peau.


Lorsqu'elle Rose retourna, la Reine et le temple avaient disparu. Elle regarda autour d'elle, le sable s'était évaporé, la mer et le ciel n'étaient plus là. Devant elle apparurent deux êtres, ses ontari. Ils étaient étranges, c'étaient bien eux mais l'enfant savait qu'en réalité il s'agissait de ses parents, de ceux qui l'avaient engendrée. Immobiles, ces êtres lui souriaient. Ils étaient terrifiants. Un bruit attira l'attention de la jeune fille : sur la table à côté d'elle, un petit insecte noir venait de choir dans un verre plein d'eau. La petite mouche se débattait furieusement, glissait inlassablement sur les parois de son tombeau, et le drame était inéluctable. Elle finit par périr noyée ; Rose, horrifiée, frissonna. Les deux petits vieillards émirent une étrange rire, presqu'un ricanement, et l'elfe tourna les yeux vers eux : ils se transformaient lentement, dans une mutation lente mais sûre, ils devenaient plus petits, plus ronds, leur visage perdit tous les traits de l'âge ; et, bientôt, ils étaient véritablement devenus des enfants. Curieux enfants, au regard malveillant, et qui la fixaient toujours inexorablement avec cet atroce sourire.
Rose recula. Il avancèrent vers elle et, d'une voix enfantine, entonnèrent une comptine qu'elle connaissait : elle l'avait apprise avec Malina, et ils la chantaient tous deux, autrefois. Il s'agissait d'une vallée de glace dans laquelle rien ne bouge, et de statues qui ressemblent à des êtres. Mais cette fois, chanté par les deux enfants, elle était comme... psychédélique, entêtante, envoûtante. La petite elfe voulut fuir, et trouva derrière elle une étendue d'eau ; elle voulut s'y précipiter pour échapper à la chanson, mais ses membres ne bougeaient plus, et tandis qu'ils chantaient : « Habile qui distingue statues d'eau ou de chair », elle tentait en vain d'avancer vers l'onde.

Quand enfin la chanson fut terminée, l'enfant qui semblait avoir été son « père » se pencha et prit un sol un petit caillou ; il y avait là plusieurs rangées de galets disposées en lignes, et le petit garçon, quoique rien à présent ne le distinguât plus de son horrible compagne, en retirait régulièrement un. Il leva les yeux vers elle, puis dit d'une voix grinçante :


« De quelle race es-tu? »

« Je suis... une elfe... »
répondit Rose, étonnée de pouvoir encore parler.

« Ce n'est pas une race, cela. De quelle race es-tu? »


Elle sentit son poignet douloureux, et se rappela comme elle avait eu mal un moment auparavant. Elle parvint à bouger à nouveau et baissa les yeux vers ses mains : elles tremblaient curieusement, comme si elles battaient régulièrement. Elle ne vit pas le second enfant, celui qui n'avait pas parlé, s'approcher d'elle en silence. La créature la poussa violemment dans l'eau qui devint tout de suite profonde et visqueuse posa sa petite main sur la tête de Rose et la maintint sous la surface de l'eau. Cette dernière suffoqua, avala plusieurs gorgées d'eau, au comble de l'angoisse.

Puis, elle ne vit plus rien et ce fut le néant.



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La première chose qu’elle fit fut de prendre une grande inspiration subite comme si elle sortait de l’eau après y être resté trop longtemps. Essoufflée, affolée, elle se débattait contre la chose qui l’assaillait et l’empêchait de se relever, et qui aurait sûrement eu raison d’elle parce que cela résistait à ses coups les plus furieux, lorsqu’enfin l’enfant ouvrit les yeux. Plus rien ne bougeait, et son dur ennemi n’était rie, d'autre qu’un drap qu’on avait jeté sur elle, et contre lequel elle venait de mener un si terrible combat. Très lasse encore, mais l’esprit éveillé, elle se dégagea du drap blanc et fut tentée de regarder où elle était, mais fut aussitôt éblouie par le soleil froid et rude, qui brillait à son zénith.
Il fallut encore un temps à la jeune fille pour revenir vraiment à elle et calmer ses sens alarmés. Enfin, elle vit mieux, entendit mieux et son esprit s’employa à comprendre. Se leva doucement, encore incertaine, et regarda autour d’elle ; c’était l’eau, partout autour d’elle l’Océan s’étalait. Ses pieds reposaient sur un plancher parfaitement immobile, à la différence du véritable sol qui lui semblait tanguer sans cesse, ainsi sut-elle qu’elle était sur un navire ; du reste lui suffit-il de reprendre pleinement ses esprits pour voir que c’était une petite barque à voiles bleues, ancrée là. Au loin, elle voyait d’un côté le port de Luinwë, et de l’autre les cent petits îlots dont la multitude se perdait au large.


(Où suis-je? Quelle est cette barque, là immobile?… mais enfin qui m’a amenée là?)






*Mórë : noirceur, ténèbres. Fìrima : mortel.
**Enenquë : treize.

_________________


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Dernière édition par Rose le Mer 23 Sep 2009 13:31, édité 2 fois.

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 Sujet du message: ...Claire de ton brandon, lumière obscure.
MessagePosté: Mar 22 Sep 2009 17:24 
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Inscription: Sam 27 Juin 2009 15:20
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[Vers les rues...]

Arrivé sur place il vit, à sa grande stupéfaction, Velendiel accompagné d’un autre elfe courir vers une étroite ruelle. L’elfe qui avait dernièrement discuté avec Amaryliel se retourna et vit le jeune quart-de-sang-de-mêlé continuer sa marche assez mollement, en perpétuelle communication avec son esprit, il lui cria assez vivement :

« Amaryliel, Amaryliel, ici nous l’avons, viens ! Cours donc, il se dirige vers la ruelle qui se trouve à ma droite ! Prenons-le en embuscade, retrouve-nous à l’autre bout ! »


Amaryliel hocha la tête. Dans son for intérieur, l’action de courir était fort désagréable voire impossible pour lui ; il fit tout de même le faible effort de marcher un peu plus vite que d’habitude, mais vraiment très légèrement. Dans ses ‘grands pas’, il y arriva doucement, après avoir fait le tour d’un certain nombre de maisons aux couleurs chamarrées et fantasques des elfes bleus ; des maisons aux architectures des plus étranges et incroyablement dissemblables entre elles, juste comme preuves que ceux-là ont plus d’argent que les autres, personne ne peut leur en vouloir, si la ville se porte bien, c’est grâce à de nombreux marins elfes bleus qui sillonnent l’océan et commercent au nom de la reine. Pour en revenir à Amaryliel qui se trouvait de l’autre côté d’une petite et très éclairée ruelle, il vit dans un calme digne de lui son compagnon et surtout supérieur hiérarchique Velendiel – car il ne faut pas trop prendre Amaryliel pour un justicier, le double langage de son verbe ainsi que l’obéissance à l’ordre de Velendiel avaient pour dessein de ne pas perdre son poste au club et ne pas avoir de souci avec les autres elfes, le suivre avait semblé la meilleure solution quand il n’y eut plus rien à faire dans le club vide - et le compagnon qui le suivait pointa le sabre elfique à la figure du mage fuyard. Amaryliel arriva derrière lui et fit un peu comme les deux autres : c’est à dire de tirer son arme, mais contrairement aux deux autres il la pointa dans le dos du taurion.
Le plan d’Amaryliel semblait compromis. En effet, ils étaient deux à menacer le mage qui fit semblant de réfléchir ; trouver une solution était plus que nécessaire.


[De retour vers les rues...]

_________________
Valla-Meär Amaryliel Il Alamitz
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Dernière édition par Amaryliel le Mer 11 Nov 2009 20:15, édité 2 fois.

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 Sujet du message: Un ("Il est malaisé, pour une" blablabla)
MessagePosté: Mer 7 Oct 2009 16:17 
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À ce moment, un homme sortit de la minuscule cabine, unique abri de l’embarcation ; son visage n’était pas inconnu à la jeune elfe.

« Sualef ? »

C’était un souffle stupéfait, une exclamation étouffée, presque inaudible. Sualef, l’earion dont l’âge se perdait dans les mémoires des plus vieux elfes de tout l’Anorfain, serviteur personnel de Moura et gardien de son temple. Les légendes racontent que le chevalier Sualef, mage d’eau ayant atteint une puissance inégalée parmi les siens, avait choisi d’offrir sa vie à la déesse qu’il avait toujours vénérée, au moment où il avait senti qu’il fallait mourir. Moura l’avait accepté, il aurait tout fait pour continuer à être utile à la seule entité féminine qu’il ait jamais considérée ; véritable amoureux de la puissante et cruelle reine des abysses, il avait dû trouver l’apothéose de son existence dans l’accord qu’il avait passé avec elle, la vie éternelle sans aucun besoin et le droit d’accès au Temple de Luinwë, contre le travail de gardien perpétuel qui avait ordre de ne faire passer que les hommes détenteurs d’un laisser-passer de Moura ou de sa protégée la Reine de l’Anorfain. D’aucun murmurent également que le vieux Sualef avait, en échange d’un écho dans son esprit des entretiens divins, offert à Moura ses cinq sens, et qu’ainsi il ne pouvait plus rien percevoir comme un elfe. Tout passait par la déesse.

Cet homme légendaire et presque mythique se tenait là devant elle, assis dans sa barque comme il l’était depuis des centaines d’années, immobile et silencieux. Rose, le souffle coupé, le regardait craintivement ; mais le vieil elfe portait ses yeux blancs vers le large au-dessus d’elle, et son expression était si neutre qu’elle comprit que tout ce que l’on disait était vrai. Ces vieilles mains, qui avaient créé les plus puissants maléfices de son éléments, reposaient sur les rames sans les sentir ; l’odeur du sel, de l’eau en incessant mouvement, ne devait pas parvenir à atteindre l’odorat mort du puissant mage ; ses lèvres sèches n’avaient, depuis sa « mort », plus rien bu ni mangé, et le léger clapotement de l’eau glissait en vain dans ses oreilles condamnées au silence éternel.

Rose était assise à l’opposé de Sualef dans la barque. Bien qu’elle ait dû la faire dangereusement tanguer en se débattant contre le drap, il ne pouvait l’avoir senti, dépourvu de toute sensation tactile ; pourtant, il savait qu’elle était éveillée, car s’il ne pouvait rien percevoir par les moyens dont usent les vivants, il pouvait encore parler. Il n’en avait jamais eu besoin depuis qu’il avait offert son existence à la déesse, aussi cette voix était-elle éraillée, grinçante. Rose frissonna.


« Moura m’a dit… »

Il s’arrêta.

(Woa… la déesse s’adresse réellement à lui ?)

« Il y a une épreuve. »


La jeune fille attendit la suite, mais elle ne vint jamais. Plusieurs heures s’écoulèrent ainsi dans un silence serein – Sualef avait suffisamment parlé. Rose voyait au loin la côte, elle pouvait distinguer les différents ports, et même l’étendue verte de la grande plaine qui s’étendait à perte de vue, derrière la ville. En portant son regard vers les terres plus lointaines au Nord, elle apercevait le chemin qui menait aux grandes falaises. Autour d’eux, rien ne bougeait, le léger tangage de la barque semblait à ses deux passagers la plus parfaite immobilité. Lorsque le soir se mit à tomber sur l’océan, le vieil homme quitta sa léthargie, effleura les rames et la barque commença à avancer sans qu’il eût besoin de les manier.
Comme si une force inconnue lui en intimait l’ordre, la petite Rose ferma les yeux et, à mesure que l’embarcation avançait et que l’obscurité recouvrait le large et rendait la côte invisible au regard, elle tomba dans un état de douce somnolence. Un silence particulier régnait sur l’eau ; il était certain qu’une puissance surnaturelle les surveillait.

Bientôt, après un temps que Rose aurait été curieusement incapable de définir, la barque s’immobilisa. Elle ouvrit les yeux et découvrit un large îlot, bordé de hautes herbes et d’arbres aux branches rondes qui découpaient d’arabesques formes sur le ciel d’encre couvert de nuages laiteux ; Rose, voyant que Sualef laissait l’embarcation échouée là sans réagir, enjamba le bord du bateau et fit quelques pas sur la petite plage de galets. Lorsqu’elle se retourna, la barge était déjà loin, elle s’était dégagée sans un craquement et avançait à présent sans que le moindre sillon vienne offrir aux yeux de Rose l’indice de réalité dont elle aurait eu besoin. Elle s’assit là sur une large pierre et entoura ses genoux de ses bras.


(Je nageais… et puis je me suis retrouvée dans la barque de cet elfe qui m’aurait assommée sans hésitation s’il m’avait vue nager près de la limite du temple. Et à présent… me voilà sur cet îlot inconnu, trop loin de la côte pour qu’elle soit visible. Quelle étrange soirée… pourtant tout est si calme. J’ai interrogé les éléments, ils ne m’ont rien dit qui soit menaçant. L’eau est sereine, et quand j’ai même osé demander au vent, il était tiède et doux. Peut-être qu’en nageant tout droit vers la direction d’où la barque venait, je trouverai Luinwë ? On verra demain… dormons…)

Allongée sur le rocher couvert de mousse, Rose venait de laisser son esprit s’abandonner au sommeil lorsqu’elle sentit une main se poser sur son épaule. Après s’être vivement redressée, elle considéra la femme livide, à l’air anxieux, qui se penchait sur elle. Ses yeux creux et fuyants, son visage gris creusé de profondes marques que l’âge n’aurait pas dû lui donner si tôt, donnaient une impression de vieillissement prématuré qui faisait peine à voir. Un vilain foulard aux couleurs passées enserrait ses cheveux rares. Cette apparition fit signe à Rose de la suivre, et la mena jusqu’à ce qui paraissait le seul bâtiment de l’île, une sorte de monastère massif et triste, grossièrement construit. Plusieurs autres femmes les accueillirent dans la vaste pièce principale, vêtues avec les mêmes hardes triste que leur compagne, et marquées du même regard alangui et inerte. Rose tenta bien de leur parler, de savoir du moins quelle était la langue de cette île, le nom de ce peuple exclusivement féminin et celui du dieu qu’ils vénéraient, mais aucune d’entre elles ne dit mot ; toutes la regardaient tristement, haussaient les épaules et s’éloignaient. Après un court désordre pour savoir où on la ferait dormir, Rose fut menée à l’un des dortoirs, on lui présenta une paillasse disponible ; on lui donna une couverture de toile et chacune regagna son lit, dans un concert de soupirs à fendre le cœur. L’enfant n’y comprenait rien, peut-être ces dames si tristes ne la comprenaient pas, mais alors elle les aurait au moins entendu discuter entre elles ; mais non, pas un son, pas même un geste échangé. Elle attendit le matin, allongée sur sa paillasse, parmi les souffles endormis d’une dizaines de phantômes.


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Lorsque les premières lueurs vinrent éclairer froidement les parois de pierre du dortoir, elles se levèrent toutes. Comme prête pour une expédition, l’une d’elle – Rose n’aurait su dire si elle l’avait déjà vue tant elles se ressemblaient toutes – se présenta devant elle couverte d’un épais manteau, la prit doucement par le bras et l’entraîna au-dehors du temple.

L’île n’était pas grande, elles traversèrent pendant quelques minutes la végétation sauvage mais pauvre qui régnait sur tout l’espace que les bâtiments de l’étrange monastère n’occupaient pas. L’ayant menée jusqu’à une petite cabane de bois d’où sortait un mince filet de fumée grise, la jeune femme la quitta. Allant de surprise en surprise et ne s’étonnant plus de rien, l’elfe avança jusqu’à la masure, frappa à la porte close qui tarda à s’ouvrir. Lorsqu’enfin elle tourna sur ses gonds avec un grincement qui eût réveillé tous les animaux de l’île, Rose découvrit une jeune fille qui la dévisageait avec indifférence. Légèrement plus petite qu’elle, c’était une humaine à la peau hâlée, aux mêmes yeux creux et cernés que toutes les autres femmes qu’elle avait vues. Ses cheveux étaient laissés libres, contrairement au courtes chevelures des femmes du monastère qui les enserraient dans des foulards mal tissus ; ses lèvres sombres avaient un pli amer, et son regard était particulièrement appuyé.


« Bonjour.»

Ce simple mot après vingt-quatre heures de silence la troubla.

Les présentations furent vite faites, autour d’une petit feu brûlant dans le cube de pierre qui servait de cheminée, et sur lequel chauffait un doux liquide sucré que Rose ne connaissait pas. L’enfant s’appelait Julie.

« Regarde cette fresque au mur, Rose. On dirait de ma maison que c’est une simple cabane, n’est-ce pas? Je l’ai fait exprès. En fait elle est adossée à un gros mur de pierre qui faisait le tour de l’île autrefois, mais dont il ne reste que le fragment sur lequel s’adosse ma chaumière. Prend la bougie derrière toi et viens éclairer le mur, que je te raconte tout.

C’était il y a… ma foi, très longtemps, si longtemps que tout ce temps m’échappe, je ne peux pas l’imaginer. Vivait sur cette île un peuple heureux, nos ancêtres. C’était avant que les elfes n’envahissent la côte, il y avait aussi des humains. Comme ils avaient choisi de vivre à l’écart, dans une communauté fermée où personne ne les empêcherait de rendre hommage à Zewen, certains s’exilèrent sur ce petit bout de terre qui était à proximité de la côte, abrité des vents par une grande baie. Il y avaient là des hommes, des femmes et des enfants. Regarde cette image. C’est l’île, avec sa forêt, avec les hommes et les femmes heureux rendant à leur dieu un culte assidu et appliqué. Regarde la troisième image, maintenant. Les générations ont passé, les esprits se sont sans doute lassé de leur vie pieuse, je ne sais pas, je n’étais pas née. Tout ce que je sais, c’est qu’il est arrivé un moment où les habitants de cette île oublièrent peu à peu le culte qu’ils devaient à Zewen, et se choisirent plutôt les jeux, l’oisiveté. Ils étaient des écrivains, des poètes, des virtuoses des mots, la petite taille de l’île les avait amenés à développer plutôt leur esprit que leur corps. Vois celle-ci, cette figure c’est le dieu lui-même qui regarde notre île avec colère. Elle commence à s’effacer, comme les dernières, mais je n’ose pas les repeindre, j’ai peur de les déformer.
Donc Zewen se fâcha du manque de piété du peuple qui avait choisi de l’honorer. On le dit sage, je ne sais pas s’il l’est mais il a bien choisi son châtiment. Un jour que l’on profitait d’une grande cérémonie qui était normalement destinée au culte… regarde ici, approche un peu la bougie. La lumière n’entre pas ici, j’en ai besoin jusqu’à ce qu’il soit haut dans le ciel. Là, vois, les gens faisaient la fête ensemble, ces gens-là plus haut que les autres sont les poètes qui contaient leurs épopées. Alors, Zewen jeta un sort à l’île toute entière : les hommes et les femmes seraient condamnés à ne plus parler le même langage, à ne plus se comprendre. Il avait dû passer du temps à élaborer sa punition, parce qu’elle était parfaite. Ils continuaient bien à parler la même langue, mais avec un accent si différent qu’ils ne pouvaient plus rien comprendre. Et comme notre langue ne peut pas s’écrire, ils furent en effet condamnés à la séparation totale. Ils ont bien essayé bien les signes, les dessins, les gestes, les grimaces, les symboles… rien n’y fit, ils ne pouvaient pas communiquer du tout, ordre du dieu. C’est montré là, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, tous malheureux.
Pour terminer leur malheur, une terrible tempête brava les protections naturelles de la baie et une grande vague submergea l’île. La terre trembla, tout fut emporté, le temple fut détruit. Zewen décida aussi que l’île serait séparée de la côte, et la transporta ici, loin au large, jene sais même pas où exactement. Pas l’un d’entre nous, depuis ce temps, n’a quitté l’île, nous ignorons où nous nous trouvons. Alors, chacun de son côté, on reconstruisit, un bâtiment pour les femmes, un autre pour les homme. C’est la dernière image. La malédiction s’est transmise de génération en génération, et les deux peuples se sont de plus en plus séparés. Aujourd’hui, ils ne se voient presque plus, s’astreignent seulement à quelques activités communes et à perpétuer notre peuple sans aucune passion. Depuis quelques centaines d’années, si j’en crois mes archives, nos enfants naissent de plus en plus maigres, beaucoup meurent à la naissance, certains sont déformés… je ne sais pas quelle nouvelle malédiction nous touche, mais mon peuple a l’air de s’éteindre. »

(La consanguinité…)

Rose resta muette un moment, tournant cette tragique histoire qui semblait si insignifiante dans son esprit, contemplant encore les icônes de la fresque. Elle avait une multitude de questions, mais la première qu’elle posa fut la dernière qui lui vint à l'esprit :

« Mais, Julie… comment se fait-il que toi, tu puisses me parler et me comprendre ? Le sortilège ne fonctionne pas avec les étrangers ? »

La petite fille s’assombrit, se détourna du mur et revint se seoir auprès du feu. Le soleil éclairait à présent parfaitement l’île et commençait à donner à la chaumière une faible lumière pâle.


« Tu penses bien que si. Je ne sais pas qui t’a amenée ici, Rose étrangère, mais tu n’as pas dû pouvoir lui parler. L’ennui, vois-tu, est que notre langue a finit par s’éteindre à l’extérieur, les populations ont changé, nous sommes les seuls à connaître encore cet idiome ancestral. Alors, aucune des très rares étrangers qui sont parvenus jusqu'ici n'a put échanger la moindre chose avec nous. Mon cas... mon cas est particulier. Les habitants de l'île se sont accordés pour essayer de détourner la malédiction, pour engendrer des générations libérées de ce fardeau. Alors, certaines femmes ont donné leurs filles à leur père dès leur naissance, et ces enfants ont été élevés avec les enfants masculins. D'autres ont choisi de garder avec elles et d'élever parmi les femmes leur fils nouveau-né. Mais Zewen est plus malin que cela. Les enfants qui ont grandi et ont été éduqués parmi des gens du sexe opposé ont donc appris la langue de leur entourage, mais ils sont tous morts très jeunes. Pas un n'a supporté de ne pouvoir communiquer avec ses semblables, ils ont vite dépéris et toutes les tentatives furent des échecs. Imagine une jeune fille dans un monde rempli d'hommes, même bienveillants et désintéressés, ou un garçon entouré de femmes uniquement.

Puis, ils eurent l'idée. Pour éviter les cas de ces jeunes morts, ils choisirent d'essayer une éducation partagée, autant de temps chez les dames que chez les hommes... et ainsi sont nés les gens comme moi. ceux-là, par décret de Zewen que nous ne connaissions pas, ont acquis la possibilité de comprendre tout le monde, dans quelques langue que ce soit. Ainsi, pour toi, j'ai tout de suite connu ta langue sans l'avoir apprise, c'est inné. Et si tu peux me comprendre, ceux de l'île ne le peuvent pas. Il y a longtemps que plus personne ne parle, le silence s'est abattu sur les femmes comme sur les hommes, par... résignation. Il y eut peu d'enfants comme moi, mais c'est grâce à eux qu'a pu être constitué une sorte de mémoire écrite de l'île. Regarde ces piles de cahiers, dans le fond. Ce sont les registres de naissances, de morts, quelquefois des maladies, mais nous en avons eu très peu. Et il y a aussi un endroit où les gens comme moi on consigné tout ce qu'ils avaient appris des voyageurs qui accostaient l'île par on ne sait quel hasard. Aucun d'entre eux n'a reçu plus d'un visiteur, vous êtes si rares à nous trouver... Tu es sûrement la seule personne à qui il me sera donné de parler, Rose, tu sais. »


Le feu dans l’âtre n’était plus que braises. On entendait les bruissement, au-dehors, des oiseaux dans les feuillages épais, les pas prudent d’un animal qui s’aventurait à découvert près de la cabane, le doux écoulement d’une source qui coulait à travers l’îlot, camouflée par la mousse, et que les habitants traitaient depuis des millénaires pour obtenir de l’eau pure. Au loin, quelque part au-delà des hauts arbres, quelqu’un frappaient régulièrement un tronc d’arbre de sa hache.
Soudain, un chant s’éleva, qui semblait venir de l’île toute entière. Des voix d’hommes, de femmes ; d’enfants, peut-être, recouvertes par les sons plus puissants des aînés. C’était une triste litanie, douce et lancinante mais qui toutefois contenait un semblant de rythme, comme contenu. C’était comme un chant d’hommes et de femmes à qui tout espoir est refusé, mais qui mettent malgré tout dans leur chant cette terrible volonté implacable de parvenir à des jours plus heureux. Rose, surprise et saisie par ces voix réunies dans un même chant, se tourna vers Julie.


« Eh oui. Il ne leur reste que cela, une chanson. Aucun des deux clans n’en comprend un mot, mais chaque … oh. »

Elle s’était arrêtée d’un coup, comme frappée par la foudre.

« Tu es venue chercher la relique ? »


Avec une brusquerie et une rapidité fort surprenantes pour une jeune fille hâve et frêle comme elle l’était, l’humaine empoigna Rose et sortit de la masure en courant. Elle ne voulut point lâcher son bras, et courut ainsi à travers les feuillages, les branches basses et la mousse, traînant derrière elle la petite elfe stupéfaite. L’’île n’était pas grande, elles ne pourraient courir ainsi sans rencontrer la côté, à moins de tourner en rond parmi l’épaisse végétation ; en effet, elles arrivèrent enfin dans une très étroite clairière, qui formait un cercle de quelques mètres de diamètres seulement. En son centre trônait une sorte de petite bâtisse de pierre, pas plus grande qu’elles ; Julie s’arrêta soudainement, manquant de faire choir celle qu’elle entraînait.
C’était une sorte de nid fermé, composé d’une seule pièce de rocher dont le socle était finement sculpté, et qui supportait un coffre de bois sombre cerclé de larges tiges métalliques. Le fond du coffre disparaissait dans la pierre comme s’il y avait été ancré. Les deux enfants s’approchèrent lentement de cet autel naturel, l’une gagnée par la crainte et respect, et l’autre emprunte de curiosité. Julie se tourna vers l’Etrangère et lui parla tout bas, très vite, comme si elle lui confiait un secret dans la hâte de ne plus pouvoir le partager ; ses mots étaient saccadés.


« Voilà. Dans ce coffre, l’objet dont mon peuple a la garde… depuis toujours. C’est magique et très puissant, et il arriverait malheur à tous si quelqu’un l’ouvrait. J’ai vu… d’autres dessins, d’autres enfants comme moi. Certains peuvent vouloir dire que seul… un étranger peut prendre cela. Je te le donne, tu le ramèneras. Toi, Rose l’Etrangère, tu connaîtras peut-être le moyen de sauver mon peuple, avec cette chose. »

Elle prit sa main et la posa sur le coffre, grimaçant comme si elle s’attendait à une explosion.

« Alors, que sens-tu ? »


La pauvre Rose n’avait pas tout saisi.

« C’est… du bois, Julie. Juste du bois. Je ne comp… »

« Alors c’est que le danger vient après. Ou que tu n’a pas senti le choc magique. Ce… prend-le, prend-le coffre. Attends ! »

Elle s’éloigna jusqu’aux arbres.

« Prend le coffre, Rose ! »

Celle-ci réprima un sourire devant l’agitation de son extravagante hôte, et tenta de soulever le coffre ; il était placé de manière à ce que le socle de pierre ensserât son fond, ainsi ne put-elle le dégager de son piédestal rocheux qu’avec force patience et habileté. Pendant ce temps, une voix aiguë criait – sans que cela fût réellement nécessaire pour être entendue – des injonctions d’impatience, mille questions sur l’effet qu’était censé produire la réussite de l’elfe. Enfin, et sans que le bois fût trop altéré, elle parvint à le dégager et à le soulever. Cela était assez lourd, en vérité. Julie, cachée derrière un tronc d’arbre, arrivait au comble de l’égarement et de l’angoisse.

« Calme-toi, voyons ! Viens, approche donc. Mais… vois, j’ai le coffre. Tu peux t’approcher, Julie, je t’assure… mais si, c’est bien moi, ne sois pas sotte. Veux-tu venir ? »

Comme l’humaine, craintive, n’osait pas seulement se détacher de l’arbre qu’elle avait entouré de ses bras, Rose soupira et l’enjoignit d’une voix plus douce.

« J’ai des questions à te poser. Je suis l’Etrangère, j’ai besoin de toi pour comprendre. »

C’était le langage qu’il fallait employée. Lorsque Julie fut auprès de Rose – après un périple précautionneux et prudent pour traverser les quelques longs mètres qui les séparaient – elle commença à s’apaiser. Elle répondit aux questions de son invité d’un ton neutre sans lâcher des yeux le petit coffre.

« Que sais-tu de la magie ? »

« Je… la magie est quelque chose de très puissant et de très dangereux. C’est avec cela que Zewen a puni notre faute. Et c’est elle aussi qui maintient la punition depuis si longtemps que je ne peux l’imaginer. L’autel est magique, il ne faut pas l’ouvrir sur l’île… »

(Oh. La voilà bien loin d’une quelconque vérité. Elle a dû s’éduquer toute seule, sans que personne jamais ne lui dise même un mot… c’est déjà un miracle qu’elle ait su prendre soin d’elle-même. Cette demoiselle n’a eu, pour toute éducation… que quelques années de vie partagée également entre le monde des hommes et celui des femmes. Mais peut-être… que je me trompe aussi.)


« Je te dirai plus tard ce qu’est la magie en réalité. Dis-moi, les gens de ton peuple te parlent-ils ou te laissent-ils dans le silence ? »

La blonde humaine leva les yeux vers l’Etrangère.

« Le silence ? Mais… je suis le seul être féminin à qui tous les hommes et garçons de cette île puissent parler.
Les gens se parlent très peu entre eux, même quand ils le peuvent. Tu n’as pas dû voir beaucoup de discussions quand tu es arrivée, les femmes entres elles ne se décident à dire un mot que par absolue nécessité. C’est étrange, parce qu’elles pourraient communiquer vraiment, elles pourraient se répondre. Chez les hommes, c’est pareil. Il n’y a qu’une seule pièce du monastère dans laquelle on parle, c’est la salle de classe.
Vois-tu, nos enfants naissent en connaissant déjà l’histoire de leur peuple. Mais il faut leur apprendre d’autres choses, même si aujourd’hui ce n’est plus qu’un simulacre d’école. Auparavant, lorsque l’on pouvait se parler… les enfants ne quittaient pas l’école avant un âge avancé, et le titre de professeur était l’un des plus hauts.
Je sais pourquoi les hommes s’adressent à moi, mais pour les femmes, je ne comprends pas. Je ne peux répondre à personne. Peut-être que je connais mieux les choses qu’elles, ou que c’est parce que je ne vis pas avec elles. Sans mentir, Rose, chaque soir les gens de mon peuple viennent me voir, quelque soit leur âge. Je sais tout, tout ce qu’il se passe. Je sais quels couples seront formés pour faire naître des enfants, je sais qui est malade ou qui feint de l’être. Je connais les rares amours qui se nouent et se brisent trop vite, je connais tout de ceux qui vivent sur cette île… et aussi de tout ceux qui y ont vécu. Il y a un registre aussi pour cela, pour la vie des habitants, dans ma cabane. Un cahier pour les naissances, un autre pour les vies, un troisième pour les morts. Et celui pour les Etrangers. »

Elle avait dit tout cela sans tristesse, sans cet air de fatalité qu’aurait pris tout autre être sur le continent. Cela était parfaitement naturelle pour cette enfant de l’île. Un sentiment de considération admirative naquit dans l’esprit de Rose pour cette confidente unique de tout un peuple condamné au silence.

« Je vois… Et ce coffre, quelle est sa légende ? Qu’est-il censé faire ? Oh, non, calme-toi. »

« Ce… coffre, … je ne sais pas. Il est très puissant et très magique. Il ne faut pas l’ouvrir sur l’île parce qu’on serait tous anéantis, et la mémoire… celui qui ouvre doit pouvoir nous sauver. Non, pas celui, c’est ce qui est dedans qui est puissant, celui, enfin, c’est dangereux. »


Elle se remit à trembler, et le désir de fuite se ressentait fortement sur son visage et dans ses yeux baissés.


« Julie… »

Soudain, la blonde enfant se jeta sur Rose.


« Pars, pars maintenant. Tu as su arriver sur cette île, va-t’en avec le coffre. Tu l’ouvriras et tu reviendras sauver mon peuple, c’est écrit, c’est un Etranger qui doit le faire. »


Elle la poussa en arrière jusqu’aux arbres ; juste derrière, passés un rangée de lanurmes tombants, l’océan s’étendait et de minces vagues écumée d’embruns blancs venaient mourir sur une plage de quelque mètres seulement. Rose, sous peine de perdre l’équilibre et de crainte de la crise qui adviendrait si le coffre venait à choir, reculait. Lorsqu’elle eut de l’eau jusqu’aux genoux, elle s’arrêta pourtant et s’opposa à l’humaine égarée.

« Julie ! J’admire la force de ton esprit, mais tu te trompes. La magie n’est pas toujours dangereuse, il s’agit d’un force que les elfes, et même les humains, peuvent contrôler. La magie des dieux est de loin supérieure, c’est une essence divine et non une véritable magie. Ce coffre, quoiqu’il contienne, ne peut faire exploser l’île. Je le saurais, je l’aurais senti, crois-moi. Julie, cesse de me pousser… »

« Pars, Rose… reviens nous sauver, reviens me sauver, redonne la parole à mon peuple muet… je suis la bouche de trois cents êtres vivants, accorde leur demande… Rose, je t’en supplie, petite rose. Apprends la magie avec le coffre et reviens. Maintenant, va-t’en, va comme tu es arrivée… »


Elle lâcha l’elfe, recula vivement jusqu’à être sortie de l’eau, les larmes coulant nombreuses sur ses joues pâles. Désemparée, ayant de l’eau jusqu’à la taille et le coffre entre les mains, Rose resta ainsi un moment. Puis Julie se retourna, partit en courant et disparut bientôt derrière la ligne des arbres.
Alors, après avoir soigneusement attaché le coffre à son dos avec la longue ceinture qui serrait sa robe en guise de sangle, elle plongea.


(Il suffit de ne pas perdre la direction de l’île. Cette pauvre fille… est folle. Elle me croit sortie de nulle part, mais sans la barque de Sualef je suis perdue au milieu de l’océan… La côte ne devrait pas être si loin, en nageant régulièrement de devrais y parvenir avec d’être épuisée. Ce coffre pèse lourd… normalement, si je nage toujours tout droit dans la direction d’où nous venions en barque, je devrais rejoindre la côte. En somme tout ira bien si je ne perds pas de vue l’île avant d’en voir une autre, ou même un morceau de rocher. Sinon rien ne pourra plus m’empêcher de dévier ma trajectoire. Et le coffre… plus tard.)


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Il est malaisé, même pour la descendante d’une famille dont les membres inconnus avaient probablement, pour beaucoup, les mains palmées, de nager sans savoir où l’on va, le ventre creux depuis deux jours et le corps alourdi par un coffre clos d’une dizaine de kilogrammes ; c’est ce que Rose éprouva durant le long trajet qui devait… qui aurait dû la ramener tout droit à Luinwë. Se mettant à rude épreuve pour nager le plus longtemps possible quelques mètres au-dessous la surface de l’eau, elle remontait régulièrement pour voir où était l’île. Bientôt, à cause d’un léger brouillard qui régnait au-dessus de la surface de l’onde, elle ne put plus guère la distinguer. Alors, n’ayant aucun autre objet immobile en vue, elle plongea à nouveau, tentant de fixer au mieux dans son esprit l’emplacement de l’île et la direction dont elle devait à tout prix ne pas dévier. Le brouillard se faisait de plus en plus épais, et de concert les eaux étaient de plus en plus troubles. Les profondeurs avalaient le fond de l’océan dans leurs ténèbres opaques. Le temps était jouait les excentriques, la douce température et un léger vent tiède ne s’accordaient pas avec l’agitation du flot et la ténacité du brouillard. Un temps étrange, incohérent. Les hautes vagues, qui pourtant ne semblaient pas se préparer à devenir les rouleaux de la tempête, rendait la nage en surface difficile et surtout beaucoup plus longue ; ainsi Rose nageait-elle en apnée tant qu’elle le pouvait, bien qu’elle se retrouvât parfois à manquer d’air en-dessous d’une vague qui rendait la surface deux fois plus longue à atteindre.

Elle avait quitté l’île depuis deux heures ; ses forces commençaient à faiblir, lorsqu’elle aperçut une pointe de récif qui émergeait entre deux submersions.


(En haute mer, les récifs sont plutôt profonds, et seuls quelques rares sommets culminant bien au-dessus des autres peuvent émerger. Ainsi, je peux espérer ne pas me heurter à un autre rocher… si j’ai tort, le choc risque d’être douloureux. En plus… je ne sais pas quelle créature peut nager dans ces eaux troubles, mais j’ai tout intérêt à ne pas perdre la moindre goutte de sang, ou c’en sera probablement fini de moi. Ah, Sualef, comment jugeais-tu que je puisse revenir de la folie dans laquelle tu m’as menée malgré moi ?)

Elle parvint, emportée par une longue poussée du flot, à atteindre le récif et à s’y accrocher ; elle délia la ceinture qui maintenait le lourd coffre sur son dos et la renoua autour de la pierre. Le sable soulevé des profondeurs et les bulles formées par la houle obstruaient la vue en bas, aussi ne pouvait-on apercevoir d’autres éventuels rochers, le plus grand danger dans cette situation, avec les bêtes aquatiques en quête de nourriture … et une trop longue errance dans ce paysage dangereux qui avait déjà des airs de désespoir.
Pourtant ce pic était une bénédiction, et la petite elfe en profita : il était possible qu’elle n’eût plus l’occasion de se reposer sur quelque objet fixe avant longtemps. Ainsi resta-t-elle là un moment, luttant contre les différents courants qui tentaient de l’emporter. L’agitation des deux éléments maîtres, celui de l’océan et celui des vents puissants, l’empêchaient de tomber dans la léthargie que pouvait provoquer la lassitude, l’inquiétude et l’extrême fraîcheur de l’eau.

Soudain, quelque chose la saisit à la cheville. Ce pouvait être une algue qui aurait été arrachée à son rocher et se serait venue appliquer contre sa peau, un caillou soulevé des fonds marins qui l’aurait heurtée. Engourdie par le froid, elle ne put le dire exactement. Mais cela ne la lâchait pas, c’était solide, l'enserrait avec force. En un instant, toutes les possibilités traversèrent l’esprit de Rose.


(Une sirène… les sirènes s’intéressent plus aux bateaux, et rarement aux êtres féminins, mais si elles sont en colère, je suis déjà morte…Un crocodile ? Non, il n’a rien à faire en mer, et puis il m’aurait déjà croqué la jambe. Un… un hippocampe ? Mais avec quoi me tiendrait-il ainsi ? Un brachyu n’aurait pas une telle force. Dieux, qu’est-ce que c….)

L'enfant fut brusquement tirée vers le bas avec une puissance qui n'admettait aucune tentative de lutte ; elle parvint pourtant à s’accrocher à la roche le temps de prendre un grande inspiration, avant d'être engloutie.

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Dernière édition par Rose le Jeu 5 Aoû 2010 12:39, édité 2 fois.

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 Sujet du message: Re: Le Port royal de Luinwe
MessagePosté: Mer 7 Oct 2009 16:22 
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En-dessous de la surface, la tempête avait transformé les eaux claires en un véritable chaos de remous et de bulles qui ne permettait pas de distinguer quoi que ce fût, même à des yeux habitués. Rose était attirée vers le bas, lentement mais inexorablement. Elle pourrait tenir en apnée complète pendant cinq ou dix minutes, selon les efforts physiques qu’elle aurait à produire. Enfin, d’un violent coup de pied, elle parvint à se libérer de l’emprise de la chose inconnue qui voulait la noyer.

Les eaux de la surface charriaient des algues, du sable, des milliers de petites bulles d’air nées d’un trop vigoureux mélange des deux éléments. Il semblait que l’union des puissances Moura et de Rana produise ces cascades de boules transparentes qui filaient à toute vitesse à la fantaisie des courants les plus aléatoires. Ainsi, on n’y voyait rien, l’on était aveuglé par cet incessant mouvement qui paraissait vivant, mais seulement animé par la fureur des flots. Lorsqu’elle eut sombré quelques mètres plus bas, Rose put enfin distinguer quelque chose. Le vent et les vagues n’agitaient de la sorte que les premiers mètres, le poids de l’eau rendant les profondeurs bien plus calmes. C’est grâce à cela que l’elfe put contempler son assaillant.

Il était énorme. Pas tant qu’elle ne l’aurait pu craindre mais il mesurait, si l’on comptait les pinces, près de deux fois la taille de sa victime. Sa cuirasse bleue tacheté d’amas de mousse aurait résisté aux assauts d’une solide épée ; et cela la regardait de ses deux yeux ronds, placés latéralement de son grand corps plat, d’un regard fixe et … prédateur. Il flottait sans effort à quelques mètres d’elle, ses petites pattes laissées inertes. Ce n’était pas un brachyu, non, il ne s’agissait pas de cette créature enfantée par une malédiction et assez peu dangereux pour un Earion quelque peu habile. Ou plutôt, c’était une créature quelque peu semblable au brachyu, mais… trois fois plus massive. C'était une sorte de... de crabe démesuré.


(Comment Moura peut-elle faire naître de pareils monstres…)

L’attaque ne tarda pas. Animant ses petites pattes et faisant claquer ses deux pinces meurtrières d’un mouvement systématique et terrifiant, l'animal avança, créant autour de lui un remous de bulles et de sable, vers Rose. Cette dernière, pétrifiée devant cette apparition, ne put que se projeter violemment en arrière lorsqu’il tenta de l’attraper… ou de la scinder en deux d’un rapide coup de pince. Il l’effleura, et l’elfe put remarquer que la pince elle-même n’était qu’un peu plus petite qu’elle, et beaucoup plus large. Les deux lames tranchantes vinrent s’entrechoquer devant ses yeux, et c’est alors seulement qu’elle prit conscience de l’extrême péril devant lequel elle se trouvait.

L'enfant commençait à manquer d’air. Elle était capable, bien sûr, de retenir sa respiration quelques secondes de plus qu’un humain ou qu’un elfe terrien, mais guère plus de deux ou trois minutes. D’un vif mouvement, elle remonta en flèche vers la surface, prenant garde à chaque instant que le monstre ne tente pas une seconde attaque ; replongea aussitôt après avoir repris de l’air. Son adversaire ne l’attendit pas, et dès qu’elle fut à nouveau à sa hauteur il fondit sur elle, se servant alternativement de ses deux pinces pour la pourfendre, ou du moins pour l’atteindre. Les coups étaient assez peu précis, et sur terre Rose eût été bien plus rapide ; mais chacun avait une force destructrice telle que le premier coup reçu serait probablement meurtrier, ou enlèverait tout espoir d’échapper et de remonter à l’air libre.

Instinctivement, elle choisit la fuite. Combattre ce monstre était inutile, il fallait qu'il renonce à la poursuivre pour qu'elle eût quelque chance de survivre. Subitement, elle se projeta en arrière, tournant le dos au crustacé, et nagea aussi vite qu'elle le put. Surprise de ne percevoir aucun courant de l'eau qui eût pu lui indiquer qu'elle était poursuivie, elle continua pourtant sans se retourner, la moindre seconde perdue pouvant être fatale. Il semblait vraiment qu'il eût renoncé.
Mais les choses étaient très loin d'être ainsi. Soudain, alors qu'elle exhortait ses bras à tirer encore et ses jambes à continuer de battre sans faiblesse, elle perçut une ombre en-dessous d'elle, vers les profondeurs ; cela remontait rapidement vers elle et elle ne dut qu'au hasard des courants sa survie : le crabe, projeté vers elle depuis les ténèbres abyssales les pinces en avant, ne l'évita que de très peu. Elle fut heurtée par la carapace et roula parmi les eaux déchaînées de la surface. Nullement blessée mais encore sous le choc de la surprise, Rose en profita pour respirer.

Puis, replongea. Il était dangereux de rester en surface, aveugle de tout ce qui se passait en bas et cible idéale des bonds du monstre. Il était là, baignant à l'endroit où les courants devenaient moins violents et l'onde plus claire, il l'attendait, il ne la laisserait pas lui échapper. Ne voulant pas le lâcher des yeux une seconde fois, la petite fille s'élança sur le dos, déployant tant qu'elle le pouvait les membranes palmées de ses pieds et de ses mains, battant des jambes avec une force que seuls peuvent donner deux terribles fléaux, contraires mais trop souvent complices, et mortels dans leur sombre union : l'espoir et la désespérance. Le crabe ne comprit pas immédiatement le sens de ce geste et mit un instant avant de mettre en mouvement les six ridicules pattes qui le soutenaient lorsqu'il marchait sur un sol dur. Il la suivait sans sembler la voir tant ses yeux étaient loin l'un de l'autre, accompagnant sa nage de maladroits mouvements de ses deux immenses pinces qui s'agitaient en gestes confus et désordonnés. Cette vision fut pour Rose comme un rayon de soleil tombant sur le visage du capitaine désespéré après plusieurs semaines de tempête et d'errance.


(Il ne sait pas nager !)

En effet, la vitesse du crabe était bien moindre que celle de l'elfe. Il pataugeait comme un monstrueux enfant, mais n'avançait guère.

(Je suis bien plus rapide que lui mais il m'a déjà rattrapée une fois... comment cela se fait-il, le voilà qui flotte lamentablement alors qu'il a dû user d'une vitesse foudroyante il y a un instant pour me rattraper...)

A cet instant, la créature commença à couler. Lentement d'abord, puis de plus en plus vite, il sombrait sans paraître songer encore à Rose. Méfiante et anxieuse d'avoir perdu le contact visuel avec son ennemi, elle doubla de vitesse, sondant cette fois les abysses du regard, ouvrant grand les yeux malgré le sel et le flot qui agressait ses pupilles. Alors, elle le vit. Sombre forme mouvante, le crabe fonçait vers elle. Peu disposée à risquer deux fois un tel heurt, elle dévia brusquement de sa trajectoire et évita ainsi sans peine pinces et carapace. Atteinte par le fort courant que le mouvement du crabe avait engendré, elle alla encore roula quelques mètres plus loin.

(Il ne sait pas nager mais il y pallie bien... donc à chaque fois que je suis trop loin pour qu'il puisse m'atteindre à la nage, il se laisse couler jusqu'au fond, court sur le sol jusqu'à mon niveau et se projette vers le haut, espérant m'avoir directement d'un coup de pince... C'est un stratagème intelligent, mais je suppose que cela lui vient de l'instinct de son espèce et non de sa propre réflexion. Il n'aurait pas atteint une telle taille s'il n'avait pas su se nourrir. Est-ce qu'il a vraiment un peuple qui lui ressemble? Je n'ai jamais entendu parler d'un crabe comme cela...
Cela me donne à chaque fois quelques secondes, une minute, il suffit de le fuir et d'éviter ses coups lorsqu'il remonte. Mais je ne vais pas tenir ce rythme très longtemps... Je ne peux pas lutter, je peux fuir mais il ne me laissera jamais partir, cette chose me poursuivra jusqu'à ce que je devienne pour lui un bon repas inespéré. Si seulement je savais vers où aller, je pourrais espérer... mais j'ai perdu la direction que je devais suivre, à cause de cet imbécile. Le temps qu'il me laisse chaque fois qu'il plonge ne me sert à rien...)


Elle avait atterri dans un banc de petits poissons nacrés ; n'ayant même jamais vu un elfe, ils ne s'inquiétèrent pas de sa présence et s'écartèrent seulement pour la laisser flotter parmi eux. L'un d'eux, encore plus petit que les autres, vint se placer devant son visage, comme pour jouer, et ouvrit la bouche de telle sorte que l'on eût dit qu'il lui souriait.

(Un poisson blanc qui rit... La fatigue me fait songer n'importe quoi.)

La petite créature, comme pour accentuer encore l'impression de rire, émit une multitude de petites bulles qui le cachèrent presque entièrement à la vue de Rose. Celle-ci le regarda avec plus d'attention, soudain figée. Une idée vague, très vague, faisait son chemin dans son esprit. Le temps pressait mais elle ne parvenait pas à la saisir réellement. Il manquait un lien, un seul lien logique à établir, et le crabe nageait vers elle. Se permettant d'être distraite, elle ne fuit que lorsqu'elle fut à portée de pince. Elle avançait à bien plus faible vitesse, prenant soin de rester à quelques mètres seulement du monstre ; ainsi, elle demeurait sans effort en sécurité et il ne plongerait peut-être pas encore.

(Ce poisson qui riait... mais quel rapport avec la situation? Tu n'es pas un poisson, pauvre folle, sinon ce serait si simple... Je serais même trop petite pour que le crabe me voie de ses deux yeux en même temps. D'ailleurs... s'il m'attrapait, je voudrais bien savoir comment il ferait pour me manger avec sa toute petite bouche invisible. Olà, plus vite ou je finirai... en purée d'elfe.)

Elle se retourna ; elle était allée trop vite : l'énorme brachyu plongeait à nouveau, se laissa tomber de tout son poids et disparut bientôt dans la nuit de l'abîme. Et cette fois-ci il commençait à faire trop sombre pour qu'elle pût le voir à l'avance. Ainsi nageait-elle au hasard, changeant souvent de direction, scrutant les grands fonds. Là, tout était calme, silencieux, l'onde était parfaitement immobile. Il y avait, de là à la surface, une dizaine de mètres, et la tempête ne se devinait qu'à la blancheur de l'écume que l'on voyait là-haut.

(Les bulles... les ontari m'ont parlé de cela un jour... les bulles, mais bien sûr...)

Elle se souvint. Ce jour-là – Rose devait avoir trente-six ans – sa mère lui avait parlé des elfes bleus qui se destinaient à la magie, et avait inventé pour elle d'hypothétiques pouvoirs liés à l'élément aquatiques. Elle apprit plus tard que certains étaient réellement possibles, et supposa que les autres n'étaient que fantaisie. En cet instant l'un des prétendus pouvoirs magiques des earions lui revenait à l'esprit, comme l'un des plus improbables, et qui déjà, à l'époque, l'avait fait sourire.

« Certains mages sont même capables de créer de vraies bulles, ils y placent leur tête et respirent ainsi comme à l'air libre » avait-elle dit en souriant. Rose avait rit, puis avait demandé d'autres histoires de sorts des mages de son peuple.





(Des bulles pour respirer sous l'eau... comme ce petit poisson. Et si c'était possible... Si ce sort-là ne faisait pas partie des inventions? Il suffit d'essayer pour le savoir.)

C'est alors qu'elle vit l'ombre du crabe ; il était déjà tout proche, et cette fois-ci l'enfant ne put l'éviter. Par bonheur, la trajectoire du monstrueux animal n’était pas très précise, ainsi ne put-il la toucher avec ses deux lames qui claquèrent dans le vide avec le même craquement lugubre. Ce fut l'occasion pour Rose de découvrir une seconde paire de pinces, plus petites et dissimulées par les premières, qui lui servaient probablement à manger et à attraper les coquillages ; ce fut par la pince gauche qu'elle fut saisie. Elle poussa un cri de douleur en sentant le tranchant écorcher son poignet, et encore eut-elle la chance d’être en partie protégée par le bracelet de métal solide qu’elle portait ; ce cri ne produisit que des bulles d'air qui remontèrent vers le ciel rejoindre l'air pur. Dès qu'il l'eût attrapée, il se laissa retomber vers le fond en chute libre, entraînant sa proie ; étourdie par le choc de l'eau qui formait, avec la vitesse, une forte résistance, la jeune fille ne put pas même tenter de se dégager.

Ils touchèrent le fond bien plus vite qu'elle ne l'eût imaginé ; les fonds de sable devaient être encore bien loin en-dessous d'eux, à plusieurs kilomètres, mais une longue plaine de pierre d'étendait à seulement cent mètres de la surface. Le crabe ne perdit pas de temps et, se trouvant déjà en de bonnes conditions pour se nourrir, approcha de sa bouche la main de sa triste victime. Elle fut vaguement surprise de la taille de cette bouche, qui eût englouti facilement son bras entier. Son esprit commençait à s'embrumer, l'air qu'elle avait laissé dépensé en criant lui faisait défaut ; et même sans cette perte, elle ne tiendrait plus que quelques secondes en apnée complète avant de perdre connaissance. Désespérée, luttant contre l'apathie et l'endormissement qui la gagnaient, elle souffla ce qui lui restait d'oxygène dans les poumons et fit un effort intense pour le retenir, concentra toute sa faible magie dans sa main gauche restée libre de l'emprise du prédateur ; la bulle formée flotta un instant, immobile, dans le creux de sa main, puis éclata. Tout espoir était vain à présent, le plateau de roc noir était désert à perte de vue, et la surface si lointaine que les yeux embués de la jeune mage ne la distinguait plus que comme un ciel infini d'un blanc laiteux. Lorsqu'elle sentit le contact des dents du crabe contre ses doigts, elle devint si sombre et éperdue qu'elle eut une ultime réaction, presque indépendante de son esprit conscient, une réaction instinctive et probablement vaine : ses dernières forces, conférée par une volonté de vivre incapable de comprendre que la vie prenait fin dans l'instant, se concentrèrent dans son corps et produisirent un dégagement d'acide qui contamina les eaux autour d'eux ; la liqueur acide émanée de la main prisonnière se dispersa dans la bouche du crabe, qui fit un mouvement convulsif vers le haut et la lâcha subitement, souffrant de l'extrême douleur que causait le poison au contact de sa bouche et allant jusqu'à détruire son système digestif. Lancée vers le haut par ce geste de rejet, l'enfant commença à remonter lentement, demi-inconsciente. Elle ne put qu'esquisser quelques vagues contorsions qui la poussèrent vers le haut et lui permirent de regagner la surface, soulevée par l'heureux hasard des courants des profondeurs.






Moura indulgente fit émerger son corps inerte, un instant de plus et il eût été trop tard. Les vêtements gonflés par l'eau, elle eût semblé un curieux nénuphar bleu flottant passivement au milieu de l'Océan.
Rose inspira subitement et se mit à tousser, crachant l'eau qui menaçait d'aller noyer ses poumons. La tempête présentait une accalmie, mais cela ne durerait guère, et tantôt le tonnerre et les rouleaux reprendraient de concert leur furieuse course avec plus de force encore. Impossible de dire l'heure qu'il pouvait être, les menaçantes ténèbres d'un minuit éperdu dans l'infini d'une névrose sans espoir couvraient les cieux et faisaient même oublier l'existence d'un piteux soleil. Levée jusqu'au milieu des brumeux nuages par une haute vague, Rose vit un instant une large vallée d'eau, le liquide semblait vouloir, dans sa folie, renverser tous les rôles, imiter le bol et y jeter l'être vivant. A la puissante lueur d'un éclair, elle aperçut au loin un objet qui flottait, point sombre abandonné à l'infinité sombre.

Il n'était pas temps de s'en soucier. Un crabe, surtout titanesque, ne se laissait pas troubler par la houle et mieux valait le trouver avant qu'il ne la trouvât lui-même. Après s'être défaite, non sans grands regrets, du bracelet salvateur déformé et fissuré par la pince du monstre, elle emprisonna dans ses poumons autant d'air qu'ils en pouvaient contenir sans se transformer en bouée qui la maintiendraient au danger de la surface.




Les courants ne l'avaient pas portée bien loin de l'endroit où elle avait émergé, ou peut-être l'y avaient-ils ramenée ; ainsi, lorsqu'elle plongea à une dizaine de mètres de profondeur, put-elle voir à quelque distance d'elle son tenace adversaire, toujours ancré au roc de la vaste plate-forme, se débattre furieusement en de drôles de contorsions qui l'auraient rendu presque comique. Il devait chercher à se défaire du poison que sa proie lui avait envoyé droit dans l'estomac ; mais bien que l'eau salée calmassent rapidement la douleur et l'infection, il était probable qu'il n'en sortirait pas indemne. Elle pouvait s'enfuir à présent, si elle avait de la chance il la perdrait de vue et ne saurait plus la retrouver. Il suffirait de nager en surface et le plus horizontalement que l'orage le permettrait, ainsi son corps serait dérobé à son regard amorphe par l'agitation qui régnait là-haut. Elle allait gagner la surface pour ne plus la quitter, quand un point brillant attira son regard, là-bas à quelques pas de la bête ; cela reflétait les rayons des éclairs les plus lumineux qui traversaient toute cette eau, puis mouraient dans ce miroir, de fugaces reflets d'acier qui semblaient provenir du métal lui-même. Un morceau de poulie ou de tôle d'un navire sombré au fond du gouffre, ou le râteau d'un enfant emporté par la marée et provisoirement déposé là, sans doute, en attendant qu'un autre courant ne l'emporte plus loin. Rose allait se détourner de cette chose lorsque la foudre déchira le ciel, accompagnée d'un grondement que le densité de l'eau ne parvenait plus à couvrir. Alors, l'espace d'un instant, les profondeurs furent illuminées et elle put distinguer l'objet. Elle fut pétrifiée par cette vision.


(Non! Le coffre! Il a dû se détacher du récif et sombrer immédiatement, puis être déplacé par les quelques flots assez puissants pour courir à ce niveau... mais pourquoi là, pourquoi justement à côté du brachyu? Déesse, tu veux vraiment ma mort, je crois. Julie... mais je ne suis pas seulement capable de me défaire de cet imbécile de crustacé. Eh bien, le capitaine coulera donc avec le navire... tout petit navire clos, dont il ignorera toujours le contenu... aha, je vais sauver le coffre ou m'abîmer avec lui.)

Le délire bien plus que la raison motivèrent cette étrange décision. Au lieu de fuir au plus vite comme elle l'aurait probablement dû, Rose resta en vue du crabe.
Il ne l'avait pas encore remarquée. Tout en surveillant attentivement le plaintif malade, Rose s'attela sans attendre au travail ; créant une bulle de taille moyenne, elle y concentra à nouveau toutes les forces de son esprit, sans vraiment savoir comment s'y prendre, et comme criant en elle-même : reste, reste donc ! Mais cela fila immédiatement vers la surface, comme toutes ses semblables le faisaient.


(J'y suis parvenue tout à l'heure, la bulle est restée un instant dans ma main sans éclater et sans remonter. C'est bien la preuve que c'est possible...)

Fit une seconde tentative. Cette fois-ci elle se concentra sur les mots qu'elle prononçait en esprit et qu'elle faisait porteurs de la force dirigée vers la bulle d'air ; elle les choisit forts et impérieux, mais cela n'eut aucun effet. Elle essaya la douceur, la dialectique complexe, la poésie, la rhétorique de conviction, rien n'y faisait, rien n'y fit. Sans trop réfléchir au peu de sens que revêtait cette idée, elle tenta même les prétendues formules magiques des contes ou chansons pour enfants ; inutiles, bien entendu.
Cependant elle n'eut plus assez d'air. La dépense progressive du gaz contenu dans ses poumons l'avait rendue moins flottante, et elle était lentement descendue de plusieurs mètres. Le crabe continuait, là-bas, à se débattre contre l'eau, soulevant des nuages de sable noir mêlé d'éclats de coquillages. Après avoir tranquillement respiré à l'air libre, le visage fouetté par la grêle qui s'était mise à agresser vainement les flots, elle replongea.

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Dernière édition par Rose le Jeu 5 Aoû 2010 12:12, édité 6 fois.

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 Sujet du message: Re: Le Port royal de Luinwe
MessagePosté: Mer 7 Oct 2009 16:24 
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Le meilleur endroit était, sans aucun doute, cette zone d'agitation qui formait au-dessus de l'océan un épais toit, où se chamaillaient vivement l'eau et l'air. Là, elle avait quelque chance de n'être point vue du crabe, et il y avait assez de bulles pour qu'elle n'aie pas besoin de les créer elle-même, avec l'air de ses poumons ; et elle commença l'entraînement. Il s'agissait tout d'abord de choisir une des multiples cloques d'oxygène qui dansaient autour d'elle, de la toucher à l'instant précis où elle passait au niveau de sa main tendue et de la garder dans le creux de sa paume. Tout d'abord l'impatience monta en elle, le mouvement était trop rapide pour qu'elle pût intercepter une bulle précise. Ses nerfs commençaient à ne plus supporter l'étrange situation de danger volontaire, d'autant que l'issue du combat à venir dépendait de ses résultats présents ; elle n'aurait de chance que si elle était capable de rester plusieurs minutes sous l'eau, autrement elle périrait d'un coup de pince ou, pire encore, croquée par le monstre. Et, dans une sorte d'obstination aveugle et ayant oublié la possibilité de fuite, il lui fallait absolument vaincre.

Redevant maîtresse d'elle-même, Rose fit un effort pour se calmer. Fixant attentivement les incessantes vagues qui l'effleuraient en soulevant ses cheveux, elle parvint à "saisir" non pas une bulle unique mais un petit groupe qui, très vite fusionné en une seule boule d'air, était suffisamment grande pour être manipulée et lourde pour être entraînée moins prestement que les autres.



Ayant renoncé au pouvoir des formules, des supplications à l’élément, des impérieuses injonctions à l’onde qui se riait d’elle, l’enfant vida son esprit, éloignant toute préoccupation, et se concentra sur cet unique objet : la bulle. Sans se servir de quelconques paroles pour soutenir son énergie, elle envoya directement toute la force mentale dont elle capable sur la sphère qui s’agitait convulsivement. La bulle changeait de forme, tantôt ronde tantôt ovoïde, mais… elle ne s’en allait pas, elle n’était pas, comme ses multiples sœurs, entraînée par les courants. Comme attachée par le plus fin et délicat des liens, elle adhérait à la paume de l’elfe, rebelle et indifférente au flot de ses compagnes. Cela dura quelques instants, quelques infimes instants, avant que l’enfant épuisée ne la lâchât pour remonter prendre de l’air. Lorsqu’elle émergea, elle poussa un cri qui tenait à la fois du sanglot et du gémissement, dont le son se perdit immédiatement dans le vacarme de l’ouragan. Elle s’allongea sur l’eau, le visage offert à la violence de la tourmente. A côté d’elle, elle entendu un petit bruit sec : la bulle qu’elle était parvenue à immobiliser était remontée lentement, comme si elle eût été plus lourde que sa créatrice, et jetait d’éclater en arrivant à la surface.
Rien ne ressemble moins à de la joie et le contentement que provoque parfois la réussite d’une œuvre inespérée, que l’état dans lequel se trouvait la jeune elfe. Elle ne songea à rien, encore toute entière consacrée au succès de son sort qui lui permettrait de vaincre le brachyu, ou du moins de l’éloigner, et de récupérer le précieux coffret. Encore une fois, une énième fois, sans jamais se lasser, elle replongea, s’assurant toujours que le monstre était préoccupé d’autre chose que de sa poursuite.


(De toute façon, mon pauvre ami, si un jour ton ventre accepte de recevoir à nouveau quelque chose qui te nourrisse, ce ne sera pas aujourd’hui, et ce ne sera pas des proies de mon envergure. Mais de là à te le faire comprendre…)

La maîtrise des bulles progressait, trop lentement. Peu à peu, l’enfant parvint à immobiliser plus rapidement la cloque d’air, ce qui lui permit de les conserver une minute, deux, dix, dans sa main, jusqu’à ce que son souffle ne tînt plus. Elle ne le remarqua point, mais cet exercice améliora également la capacité de son corps à tenir en apnée sans priver les membres et le cerveau de l’oxygène minimal qu’ils demandaient. Après des dizaines de tentatives, permises par le temps qui lui donnait l’intoxication grave de son bourreau, elle fut capable de déplacer la bulle : ayant intercepté de sa main un petit groupe de sphère d’air, elle en assurait l’adhésion et la faisait se déplacer. Tout d’abord ce ne fut que sur le bras ; ne perdant pas de vue l’usage vital qu’elle ferait de cette acquisition nouvelle, l’enfant approcha lentement la main de sa bouche, mais au contact de sa peau cela éclata.




L’Océan, hors de lui, avait abattu toutes les barrières de calme et de retenue qu’il s’impose souvent, la tempête battait son plein, bien plus âpre et emportée que durant les grains ordinaires ; c’était un véritable cataclysme. Les oiseaux marins que l’on aurait pu apercevoir quelques temps auparavant, perdus et plein d’angoisse, survoler nerveusement l’onde difforme à la recherche d’une terre de salut, luttant contre leurs propres courants qui semblaient soumis à ceux de l’eau, l’on ne distinguait à présent aucune forme vivante, les créatures aquatiques étaient cachées en profondeurs et les ailés avaient trouvé refuge, ou la mort dans l’éclair ou la vague emprisonnante. Une petite forme, absolument invisible tant elle était dérisoire dans l’immensité, flottait passivement, reposant son corps et préparant son esprit.


(Comment ferai-je ? Je ne sais pas, l’ennui est là. Si je parviens à l’éloigner, cela voudra dire qu’il est capable de marcher, et en ce cas il pourra revenir vers moi à une vitesse folle. Pourtant, il faut bien prendre le coffre. J’ai réussi à… grâce aux bulles, je peux voir très distinctement, sans craindre les courants de sel même les plus violents. Je peux tenir sous l’eau un quart d’heure, je viens de le faire, il faudra seulement prendre garde à ne pas m’essouffler. Dix minutes d’apnée, puis je pourrai expirer et inspirer l’oxygène de la bulle. Ensuite, soit je trouve à nouveau assez d’air pour constituer une seconde bulle, soit je devrai remonter. Ainsi, je suis… en théorie capable d’affronter la bestiole. Mais cela ne suffit pas, si seulement cela suffisait ! Il est en-dessous de moi, s’il n’a pas bougé depuis que je l’ai vu, trop atteint sûrement pour bondir à nouveau. Et s’il n’est pas capable de se battre, s’il ne veut pas se défendre ? Alors je ne pourrai pas l’attirer au loin. Tout d’abord, il faut… essayer, le réveiller, le provoquer. Pfff, comme j’aimerais être chez moi…)

Après un profond soupir, l’enfant des mers créa trois bulles de bonnes envergure, après mille essai elle était assurée que cela n’éclaterait point. Elle avait vérifié, s’était mêlée aux courants de surface, était descendue fort profond, mais la magie était assez puissante, le sort assez stable pour que ni le mouvement ni la pression ne les fissent rompre. Elle plaça deux bulles sur les yeux, la plus grande resta dans sa main. Un petit corps d’enfant se laissa plonger, loin de l’air rassurant, s’enfonça jusqu’à la plate-forme de pierre noire. Atterrissant à bonne distance du brachyu, Rose s’en approcha doucement. Le mouvement large de ses pinces était dangereux, bien que ce ne fussent point des gestes d’attaque mais de douleur. Marchant autour de lui, les poumons vides de tout air qui l’eût allégée et tirée vers le haut, elle essayait d’attirer son attention.

(Réagis, grosse bête, enfin… Le mouvement de ses pinces, je ne peux pas le prévoir, je finirai par être cognée si je ne prends garde. Et un coup de ces matraques vivantes aurait un effet des plus… des plus… Ah, il ne veut pas me voir.)

Elle ne pouvait s’approcher davantage. Les yeux fixés sur les pinces, suivant leur danse d’apocalypse, la brune jeune fille tournait autour du monstre, valsait devant ses yeux, agitait l’eau de ses mains aux palmes largement dépliées ; c’était un drôle de spectacle, que cette elfe aux poumons comprimés, dont la peau était rendue plus pâle par les mauvaises conditions physiques et l’eau froide, tant que l’on pouvait voir les vaisseaux sanguins courir lentement dans ses veinules bleutées ; aux longs cheveux épars qui se dressaient paresseusement, ondulants et denses, au gré des courants ascendants ; aux grands yeux éperdument ouverts auxquels ne devait pas échapper le coup de pince qui, s’il n’était évité, serait fatal ; dont la lourde robe pesait sur ses bras mobiles un poids certain, et dont la jupe s’agitait de même, entravant ou permettant ses mouvements. Tout à coup, une ombre passa sur cette danseuse de vie liquide.

(Ah ! Mais qu’est-ce que c’est ?)

Elle se baissa, juste à temps pour ne pas recevoir sur la tête la masse qui lui tombait dessus. Le crabe n’avait pourtant pas pu avancer jusque là sa pince, d’ailleurs il était devant elle à quelque distance et faisait fi de sa présence. La roche sous ses pieds tressaillit légèrement. Près de Rose, une sorte de planche de roc noir gisait.

(Cela a manqué de m’assommer, ce n’aurait pas été drôle… Si je dois me battre aussi contre les objets en dérive qui tombent très exactement à l’endroit où je suis, je ne m’en sors plus !)

Elle rumina un instant ces réflexions furieuses, puis se calma.

(Cette fraction de roche a dû se détacher d’un récif à cause des vagues ou de l’éclair. Quel étrange mouvement des eaux fait que tout ce qui y dérive se retrouve très précisément ici ? Le crabe est tombé là, le coffre de même, et moi aussi… Mais cela pourrait être utile, finalement.)


La roche ne fut pas difficile à soulever, son poids allégé par le milieu aqueux aux valeurs renversées. Forte de cette arme inespérée, l’enfant avança vers le monstre, le visage animé d’une expression de triomphe et de menace qui était plus attendrissant que dissuasif. Et les passes commencèrent.
Rose attaquait sans trêve, enchaînant les coups de roche sans s’accorder un instant de répit. Si les pinces étaient sans conteste plus puissantes et rapides, l’épée improvisée était en revanche plus précise et plus fine. Le monstre était d’une agilité remarquable, et aucun des coups de la jeune enfant des eaux n’atteignit seulement la carapace du crustacé. L’agressive jeune fille s’arrêta soudain, à portée des pinces, et observa son adversaire avec surprise ; bien qu’elle se tînt si près qu’en un coup il la pouvait couper en deux, le brachyu n’attaquait pas. Ses armes continuaient à s’agiter vaguement au-dessus de lui.


« Mais… Tu te défends seulement, lâche, tu n’attaques pas ! Tu as encore trop de douleur pour me faire périr ? Tu crois que cela va t’attirer ma compassion et que je vais abandonner, misérable ! Mais tu ne m’as pas laissée tout à l’heure, sais-tu que tu aurais pu me faire grand mal si tes pinces m’avaient touchée, quand tu remontais soudainement des profondeurs sans que je puisse te voir ? C’est toi qui m’as attaquée, je ne te laisserai pas en paix, je veux mon coffre et tu vas me le donner, par Moura ! Je n’ai pas de pitié pour un crabe bête comme toi. Tu vas finir pas bouger, oui ?»

Le fixant d’un air de défi, Rose brandit à nouveau sa massue improvisée au-dessus du crabe. Elle suspendit son geste un instant, se mordant les lèvres, ne pouvant se résoudre à frapper. En vérité elle ne pouvait lui faire grand mal, mais ces yeux pleins d’une piteuse expression, globuleux et humides, qui la fixaient sans agressivité, semblait-il, la firent hésiter. Puis, se reprenant et vêtant à nouveau son cœur de l’énergie qui l’animait, elle recommença à assener des coups furieux sur les grosses pinces qui paraient chaque offensive.

« Si tu yeux sont humides, espèce de traître, c’est que tu es dans l’eau, voilà ! Tu croyais m’avoir, n’est-ce pas, mais je sais bien qu’un crabe a nécessairement les yeux humides, tu ne peux pas pleurer. Si tu as mal, ce n’est pas dans ton âme, c’est dans ton corps, et qu’est-ce que cette douleur-là ? Quel poids a-t-elle, dis-moi ? Sais-tu seulement, monstre bleu, ce que c’est que de souffrir dans son cœur ? Moi non, mais toutes les créatures le savent, réserve donc ce regard-là aux gens qui crèveront ton cœur et frapperont ton âme et moi, n’essaie pas de me faire pitié, parce que tu sais très bien que… que ça marche… »

Elle cessa à nouveau, lasse. L’animal ne bougeait pas, les attaques de l’elfe étaient inutiles, aucune ne l’atteignait. Expirant soudain les parcelles d’air que ses poumons contenaient encore, elle apposa sur sa bouche et son nez la bulle qu’elle avait conservé sur le dos de sa main, et inspira lentement, comme l’on respire une fleur de corail, l’air qu’elle contenait. Elle ne teindrait plus longtemps, tantôt il faudrait remonter.
Elle se mit à contourner la bête, comme l’on sonde un adversaire du regard ; elle fit une fois le tour de l’animal sans que celui-ci ne bougeât mais lorsqu’elle revint devant lui, il commença à suivre son mouvement. Les gestes de ses petites pattes étaient saccadés, visiblement douloureux, mais il tournait sur lui-même, lentement, de sorte qu’il lui faisait toujours face. Les deux combattants ne se quittaient plus des yeux.


« Beau progrès, monsieur le brachyu géant. Mais pour un moment encore, tu ne peux pas courir. Ce n’est pas juste, si l’on y songe. Toi, de petit comme ma main palmée tu es devenu presque aussi haut que moi, et bien plus large. Si la nature était juste, j’aurais dû grandir moi aussi, et devenir si haute que tu tiendrais à nouveau dans ma main ! »

Ce disant, elle tendit vers lui sa paume ouverte ; elle ne le voyait pas à travers, ses palmes tendues liant ses doigts jusqu’à la deuxième phalange. Le crustacé suivit le geste et porta également son regard vers cette main ouverte devant lui ; lorsqu’il la regarda à nouveau, elle crut voir dans ses prunelles globuleuses une lueur d’ironie.

« Je sais bien, que dans les faits tu es trop grand pour entrer dans ma main. Je ne voulais pas dire… oh, et puis tant pis. Tu n’as pas une pensée assez évoluée pour être ironique, grosse bête, c’est moi qui te suppose des pensées que tu ne peux avoir. »

(Moura, as-tu voulu cela ? Moi, petite elfe, contre cet énorme crabe ? c’est bien, s’il le faut, mais tu verras, déesse, que je serai vainqueur. Je me demande… comment une telle créature est-elle possible ? Je ne crois pas que la nature produise de telles évolutions, d’un petit animal à un colosse comme celui-ci. Cela prendrait un temps considérable, plusieurs vies, pour que l’évolution s’accomplisse… Mais si cela existait depuis tant de temps, nous le connaîtrions, je ne comprends pas. Le vieux grand-père qui habite dans la première masure du port de pêche, qui connaît la mer comme lui-même, il l’aurait dit s’il avait découvert des animaux de cette sorte. Si c’était normal, tout le monde le saurait, les jeunes gens de mon espèce nagent bien plus profond que cela en partant sur leurs bateaux à voiles, alors comment ?)

L’elfe considérait le monstre, songeuse, l’arme vers le sol. La bête esquissa un brusque geste de la pince vers elle, et l’enfant n’eut que le temps de se jeter en arrière pour l’éviter ; se relevant au plus vite, elle eut un haut-le-cœur mêlé de peur, de surprise et de colère. Ce sursaut créa autour d’elle une soudaine nimbe magique du flux qui gravitait incessamment en elle, réaction de défense qui n’était pas nouvelle. L’eau emporta les rayonnements dans le sens du courant, vers le brachyu qui baissa lentement la tête. Une lumière bleutée sembla lors se dégager de lui, l’enveloppa d’un véritable halo lumineux, qui le nimba un instant pour s’éteindre peu à peu. L’animal releva la tête, inconscient de ce qui venait de lui arriver, sous les yeux ébahis de l’enfant.

(Quoi ! Il est sensible à la magie ! Je n’ai pas rêvé, il a réagi, et s’il était capable de lancer des sorts ? Non, il l’aurait sans doute déjà fait, mais… Tu n’es pas le résultat d’une lente évolution, monsieur Brachyu, non, tu es une invention elfique… Quelqu’un, quelque part, s’est donc amusé à transformer certaines espèces, modifier leurs caractérixiques, carac… je ne savais pas que la magie pouvait faire cela.)

Elle le considéra avec une ténacité redoublée. Elle savait à présent qu’elle ne pourrait en aucun cas se permettre le recours à la magie. Elle n’y avait pas compté, mais il lui faudrait s’empêcher à tout prix l’acide. Et les décharges de flux indépendants de sa volonté, également. Le risque que le monstre ne gagnât en puissance en se servant de ses propres fluides était trop grand.
Lorsque Rose se remit à tourner autour de son ennemi, elle fut foudroyée de constater qu’il se mouvait à présent avec une grande aisance ; les quelques rayons d'énergie que le courant lui avait portés avaient eu sur lui un remarquable effet de soin.
Ce fut lui cette fois qui attaqua le premier ; il leva haut l’une de ses pinces comme en avertissement, et une pluie de coups s’abattit sur l’enfant. Elle les paraît tant bien que mal de son arme trop faible, se dérobant bien souvent juste à temps pour n’être point assommée. Tandis qu’elle reculait lentement, le crustacé avançait vers elle, menaçant.

Elle ne pourrait pas soutenir un combat au sol ; le courant qu’elle attendait advint enfin, un léger mouvement des lourdes eaux dont elle se servit pour s’élever de quelques mètres, quittant la plate-forme de roche sombre qui était le meilleur terrain pour son adversaire. Ayant lâché l'épée de granit elle le surplombait ainsi, juste assez haute pour ne craindre plus la menace des pinces meurtrières. Levant ses armes vers elle, l’animal trébucha sur le coffre, dont il s’était auparavant quelque peu éloigné, et qui roula sous sa carapace. Rose crut défaillir.
Le temps passait ainsi, sans qu’aucun des combattants ne voulût se résoudre à approcher son rival. La guerrière bleue eut une vague idée, qu’elle exécuta tantôt sans y réfléchir deux fois : se servant du courant descendant qui répondait logiquement à celui qu’elle avait utilisé pour s’élever, elle fonça vers le crabe, tête première, en employant toute la force de propulsion des palmes de ses pieds pour gagner en vitesse. Au moment où elle passait au-dessus du brachyu, elle accéléra brusquement le battement de ses palmes tandis que le courant attendu accompagnait son mouvement, passant ainsi d’extrême justesse entre les deux pinces qui claquèrent derrière elle. L’elfe atterrit sur la plate carapace légèrement arrondie et s’y cramponna tant qu’elle put.
La danse commença. Le brachyu, furieux, s’agitait en tous sens. Il commença à se soulever du sol par les mouvements désordonnés de ses pinces, si larges qu’elles lui servait pour l’occasion de nageoires ou d’ailes. Malgré qu’il se débattît violemment, l’enfant ne lâcha point prise jusqu’à ce que, tout d’un coup, probablement sans le vouloir, l’animal basculât en arrière et tombât lourdement sur le dos ; sa cavalière n’eut que le temps de se projeter vers le haut pour n’être pas écrasée. Elle contempla le pauvre crustacé qui, incapable de se rétablir, agitait vainement ses petites pattes en frappant ses pinces contre le sol.


(Aha ! Il s’est retourné ! Les brachyus… « normaux » ne savent pas de remettre d’aplomb. Et toi, titan, le sais-tu ? Je parie que non. Bon, j’ai de la chance. Voyons le coffre…)

Tournant autour du monstre d’assez loin pour ne pas craindre un brusque retournement, elle chercha l’objet des yeux. Puis, le voyant, elle se retourna vers le crabe et darda sur lui un regard furieux.

(Tu es dessus ! Tu es arrivé à tomber très exactement sur le coffre, brute ! Enfin, pas dessus, heureusement, mais juste à côté… Déesse, pourquoi t’acharner, cela tient de la cruauté pure…)

Une étrange opacité envahit les eaux. Ils l’avaient tous deux remarquée, assombrissant l’horizon, loin vers le levant ; par l’inexplicable et mystérieuse logique instable des courants, ce curieux nuage obscur était arrivé jusqu’à eux, les enveloppant d’une brume grise agitée par l’élément. Dès que l’enfant perdit le brachyu des yeux, elle se hâta de s’éloigner de la place où il se tenait avant d’être happé par le brouillard. L’atmosphère était plus angoissante que jamais, comment savoir s’il y aurait du danger, et d’où il viendrait ? L’on pouvait espérer que le crabe ne saurait pas se retourner, mais c’était un mutant et il pouvait avoir acquis n’importe quelle faculté ; et puis les vagues pouvaient lui donner une heureuse impulsion dont il saurait se servir. Malgré tout, ce n’était pas le brachyu que l’elfe craignait le plus en cet instant.
La menace ne tarda pas à se confirmer. Sans que rien ne l’annonçât, quelque chose s’abattit sur l’aquatique et la frappa au ventre. C’était aussi fin et preste d’un fouet. Rose regarda partout autour d’elle, prête à se défendre, mais les eaux alentours était à nouveau calmes ; ce qui l’avait atteinte avait déjà disparu. Le temps passait, de lointains mouvements se faisaient sentir, mais rien n’arrivait et la noire encre qui couvrait la vue ne se dissipait pas.
Ce fut à la seconde attaque que Rose comprit. Elle reçut les mêmes éclairs, rapides et douloureux, l’un au bras et l’autre dans le dos. Alors que, de douleur, elle tombait à genoux, elle vit passer devant ses yeux un visage qui la fixa, de grands yeux verts écarquillés et ronds. Cela s’évanouit aussitôt.


(Ah… Mon dos… Cette tête, je la connais, ce sont ces serpents que les aînés chevauchent quelquefois… Des serpents d’océan ? C’est vrai qu’ils voyagent en groupe, en bancs… je suis donc sur leur trajectoire ? Ceux-là sont sauvages, rien de commun avec les bêtes dont nous nous sommes faits des amis fidèles et que nous soignons en retour, mais… ils ne devraient pas être agressifs. Ce n’est pas la période de reproduction, ils voyagent simplement… Alors ils ne me veulent pas de mal sans doute, ils nagent seulement dans ces eaux et quand je suis sur leur passage, ces bestioles ne daignent pas s’écarter un peu pour m’éviter. Je n’ai… plus d’air. La seule chance… être assez rapide.)

Se relevant douloureusement, elle ouvrit grands ses yeux malgré l’eau sombre qui commençait à percer les bulles qui protégeaient ses pupilles, à l’affût. Il n’y eut encore pas longtemps à attendre, et tantôt elle perçut un mouvement sur sa gauche. Se jetant en avant, elle ferma les poings ; la secousse fut violente.

L’elfe montait. À une vitesse folle, que très peu d’animaux connaissent et dont les elfes sont parfaitement incapables, elle s’élevait vers la surface. Une seule de ses mains avait saisi le long corps du serpent ; la pression interdisait toute tentative d’élever vers lui l’autre bras. La bête ondulait convulsivement, tentant de larguer son fardeau qui tenait bon. Soudain, l’univers entier changea autour de Rose, et elle ressentit à nouveau cette terrible sensation d’arrachement qu’elle avait vécu dans son rêve, avant de s’éveiller sur la barque de Sualef. Ouvrant les yeux, elle vit le ciel, strié d’éclairs, les lourds nuages déversant leur abondante pluie sur le monde, et en-deça d’elle les eaux déchaînées. Le serpent l’avait lancée en l’air pour se débarrasser d’elle, et pour la première fois, la petite Rose volait. Hurlant de peur, elle amerrit tantôt. Les sanglots la suffoquaient, autant de la douleur des coups de fouet que de la frayeur qu’elle venait d’avoir.
Elle s’allongea sur l’onde et détendit tous ses muscles, pleurant à chaudes larmes. La fatigue devenait insoutenable. Dans les instants où le tonnerre se taisait, où l’éclair faisait silence, l’on eût pu entendre les amères lamentations d’une jeune fille perdue au milieu des eaux.

Gémissant encore, l’aquatique reforma lentement ses bulles. Cela prit bien plus de temps que lorsqu’elle était encore capable de concentrer sa force, mais elle n’était pas pressée. Une à une, elle cueillit les petites cloques d’air, du bout du doigt. Attentive malgré tout, elle repérait les plus denses, et formait en les accumulant de plus grosses bulles qu’elle devait tout d’abord renforcer tant qu’elle le pouvait. Pour cela, elle concentrait sur la fine surface de la sphère une énergie particulière qui englobait et renforçait la fragile bulle ; elle n’aurait su expliquer rationnellement comment cela fonctionnait, et elle n’y songeait par ailleurs pas un instant. Mais ses rotondes œuvres, malgré ses soins, ne tenaient pas toujours l’affront de la violence des courants et de la pluie, et beaucoup éclataient. Voyant cela, Rose lâcha toutes celles qui restaient intactes, pleura encore un instant puis se remit à la tâche. Cette fois elle inventa, en plus de la protection par la force, de couvrir les sphères d’oxygènes, une fois assemblée suffisamment grandes, d’une très fine couche d’acide. L’acide, elle savait le produire, c’était venu tout seul depuis qu’elle était toute enfant. L’elfe se demandait même, tout en s’activant à la tâche, à quel moment elle avait découvert ce pouvoir.[/b]


[color=#8000FF](Sans doute que je l’ai depuis toujours, je ne me souviens pas quand c’est apparu. Est-ce que ceux qui m’ont donné vie l’avaient remarqué, déjà ? Je ne sais pas. Peut-être bien. Je demanderai aux ontari. Eux, ils doivent le savoir.)


Il fallut mêler ce fluide d’un peu d’eau, travailler son poids et sa densité. Le doux acide ainsi créé, subtilement dosé, était tout aussi léger que l’eau, mais bien plus résistant ; de plus il avait naturellement tendance à adhérer à lui-même, ce qui le rendait difficile à éclater et à disperser. Cette substance-là fit une efficace protection pour l’air précieux, et tantôt quatre bulles de bonne taille furent faites et protégées. Deux sur les yeux, deux autre pour pouvoir respirer, après avoir tristement soupiré l’enfant replongea.



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Les nuées d’obscurité se dissipaient peu à peu. Sans y voir encore bien clair, Rose descendit jusqu’à la plate-forme. N’apercevant pas le brachyu, elle le chercha prudemment ; les serpents continuaient leurs danses vives, mais ils étaient à présent si peu nombreux qu’il était aisé de comprendre que c’étaient là les derniers, les retardataires, l’arrière-garde, et que le gros du banc était déjà loin. Quand elle parvint à esquiver l’un d’eux en se jetant au sol au moment opportun, Rose sentit l’énergie et la volonté croître à nouveau en elle. L’objectif se raviva dans son esprit : le coffre. Elle partit donc à sa recherche, l’esprit circonspect quoiqu’encore assez confus.
L’encre, soulevée par la force progressive des courants, finit par se dissiper complètement, allant embrumer d’autres abysses. La plate-forme, peu à peu, redevint visible ; L’elfe aperçut au loin le vieux brachyu immobile, l’abdomen posé sur la pierre, qui lui tournait le dos. Il semblait dormir, ou du moins se reposer.


(Pfff, je m’en doutais… Ces maudits serpents l’ont frappé lui aussi, et le malin en a profité pour se rétablir sur ses petites pattes ridicules.)


De là on n’apercevait pas le coffre ; il devait être trop bas pour être repéré de loin, et les dernières nuées d’ombre traînaient paresseusement sur le sol de la plate-forme. La bête avait dû être déplacée d’une bonne distance, car à présent s’élevait derrière eux un haut amas de roches grises aux angles arrondis par des siècles de roulis, qu’elle n’avait pas remarqué auparavant. Trébuchant sur une anfractuosité de la roche, Rose tomba lourdement – lourdement par rapport au poids de son corps sous des dizaines de mètres d’eau – sur les genoux ; le choc se répandit sur la plate-forme et ne pas manqua pas d’être ressentie par les délicates petites jambes dérisoires du crustacé qui, visiblement bien remis de ses mésaventures préalables, se tourna vers elle d’un air menaçant. Ses deux yeux vitreux et ronds lui lançaient des éclairs terribles de neutralité. Ils se dévisagèrent, si l’on peut dire, de longs instants, adversaires farouches dont aucun n’avait vraiment envie d’être le premier à attaquer.

L’ouragan était fort loin au-dessus, et pas un bruit n’atteignait cet endroit isolé et désert. L’elfe commençait à se laisser engourdir par les vagues du sommeil, depuis combien de temps ne s’était-elle plus abandonnée à la liberté de l’inconscience ? Le monstre se déplaçait d’un côté et de l’autre sans cesse, cet hypnotisant va-et-vient ne laissait pas de doute quant à ses intentions : tantôt, il chargerait.
La proie était là, devant lui, et en cet instant elle titubait de lassitude et d’étourdissement ; ce serait aisé et deux tentatives ne seraient pas nécessaires. Le colossal brachyu heurta chacune de ses pattes sur la surface pierreuse, le regard fixe et déjà repu ; puis, sans attendre davantage, il chargea. Rose avait bien prévu qu’une attaque directe était imminente, et si elle n’avait guère eu besoin de feindre pour montrer sa fatigue, elle avait tenté par son air absent de l’y encourager. Il s’agissait à présent d’être la plus rapide, de ne bouger qu’au moment exact où la pince brandie s’élèverait au-dessus d’elle, et trouver un espace, aussi infime soit-il, pour s’échapper. Ainsi fut-il : lorsque le monstre fondit sur elle, une patte en avant pour la refermer sur sa victime, Rose rassembla ses forces, fléchit les genoux et bondit vers le haut, battant frénétiquement des pieds aux palmes déployées. C’était pourtant déjà trop tard : au lieu de s’échapper au nez du titan, l’elfe vit soudain au-dessus d’elle la massive pince s’abattre sur sa tête. Fermant les yeux, elle accéléra encore le mouvement de ses pieds, tant et si bien que lorsqu’elle osa, un instant après, regarder à nouveau, elle put sentir la main de fer claquer en dessous d’elle. Son cœur cessa de battre pendant quelques longs instants.
Il est prévisible, pour un esprit capable de concevoir les effets des causes, d’imaginer ce qui se passa ensuite : entraîné par son élan, le brachyu ne sut s’arrêter et alla, plate boule d’un sinistre jeu de quilles, bouler dans le tas de pierres qui s’élevait derrière sa proie manquée. La montagne s’effondra sur lui, les rochers roulèrent de tous côtés. Rose fut enveloppée dans le nuage de poussière que cela provoqua et, tout en remontant doucement vers les eaux agitées, fouilla ce brouillard aquatique d’un regard anxieux ; lorsque la vue redevint claire, elle découvrit son féroce adversaire sauf, sinon sain, et définitivement vaincu : parmi la forêt de pierres hérissées qui s’était formée à l’entour, il était immobilisé par l’un de ces rocs sphériques qui était tombé sur sa carapace, précisément entre la courbure du dos et les deux pinces levées qui le maintenaient ainsi, au risque que le poids ne roule vers la tête, mettant fin à sa vie. Peut-être finirait-il par se dégager, favoriser d’un quelconque miracle comme l’on en voit quelquefois au cœur des éléments, mais pour Rose il n’était plus une menace. L’enfant soupira ce qui lui restait d’air avant d’user de celui que gardait la bulle dans sa paume, versa quelques larmes de lassitude – et, qui sait ? peut-être de sympathie – en s’éloignant à reculons, le regard toujours fixé sur son ancien ennemi. Se rappelant encore le coffret, elle nagea jusqu’à lui et le prit dans ses bras, les gestes las et le regard éteint comme si le feu du combat avait été la condition de son courage. Puis, son précieux fardeau contre elle, elle s’éloigna.

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Dernière édition par Rose le Jeu 5 Aoû 2010 12:28, édité 11 fois.

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 Sujet du message: Quatre
MessagePosté: Ven 16 Oct 2009 17:16 
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Auprès du brachyu condamné affluèrent soudain une kyrielle d’ombres virevoltantes. Rose distingua parmi elles les longilignes serpents de Moura, tandis que d’autres vagues silhouettes rappelaient les gravures de certains représentants de la légendaire race des Hégets. Les vagues ectoplasmes des gardiens des morts aquatiques ondulaient, fantasmes divins, entre les eaux du réel et les courants de l’au-delà. Un majestueux annedoti se joignit à cet étrange cortège, la frôla sans faire cas de sa présence et la dépassa, elle soudain misérable et dérisoire au milieu des êtres titanesques et millénaires de l’éternité marine. L’elfe, immobile et fascinée, observait l’extraordinaire parade dont le cercle mouvant se concentrait autour du brachyu, petit point faible et déjà vaincu au milieu de la tourmente des maîtres de l’Océan. L’Océan, qui un instant auparavant semblait inhabité, se peuplait soudain, sans raison apparente, de ses plus grands seigneurs. Une percée se fit soudain parmi les créatures, toutes s’écartaient respectueusement, semblait-il, et suivaient du regard l’eau qui s’écoulait dans cet espace libre. Rose ne voyait là justement que de l’eau, mais le sentiment de puissance qui s’empara d’elle lui fit soupçonner autre chose.

(Est-ce que… est-ce qu’un élémentaire serait présent ici ?)

Le cercle se referma. Tirant vers le haut le coffret de Julie sans quitter des yeux le mystérieux rassemblement, l’enfant s’éloigna lentement, jusqu’à ce que la scène ne fût plus pour elle qu’un point sombre dont la vision s’estompait dans le flou des courants. Elle croisa des animaux moins farouches et qu’elle avait l’habitude de côtoyer dans le port de Luinwë, fut brusquement enveloppée dans un vaste banc de poissons de toutes les teintes imaginables ; il semblait que la mer se dépeuplât de sa faune pour la réunir en un même lieu. L’eau avait un éclat particulier, comme lors de ces événements qui marquent la mémoire, comme lorsque la nature assiste à la création de l’un de ses mythes les plus universels. Les vivants venaient saluer la naissance d’un nouveau géant de l’imaginaire yuiménien : l’animal titanesque qui supportait et supporterait à jamais à la force de ses membres un pierre, un monde, une métaphore.






L’onde se fit plus dense et plus sombre à mesure que l’enfant remontait vers la surface. La tempête était toujours vive au-dehors, les éclairs tranchaient l’espace de lames blanches. Tout en nageant la jeune fille réfléchissait à tout ce que qui venait de lui être donné de voir, quand elle fut tirée de ses rêveries par un curieux écho : l’on eût dit des cris, des appels de Parlants. Se dirigeant vers leur origine jusqu’à émerger, elle put bientôt assister à l’effrayant spectacle d’un navire elfique en perdition, bien loin sans doute des routes de commerce, et dont le grand mât déjà s’effondrait sur la poupe dans un vacarme de sinistres craquements. Des passagers et des marins, beaucoup étaient déjà dans l’eau, certains s’accrochaient encore vainement à la balustrade de la proue qui serait immergée la dernière, mais immergée tout de même tantôt ; tous criaient à l’aide de leurs dieux respectifs. Il y avait là beaucoup d’humains, seul l’équipage devait venir de Luinwë, et parmi ceux-là Rose ne vit que des hinions. Inquiète, impuissante devant cette grosse masse de bois creux dont l’arrière-pont était déjà englouti et qui sombrait rapidement, devant ces dizaines d’êtres terrestres dont pas un, sans doute, ne saurait survivre à un séjour dans les profondeurs, l’elfe resta un instant désemparée. Ces hommes, malgré leur situation peu encourageante, se débattaient comme des damnés, ce qui était étrange pour des marins dont ce n’était probablement pas le premier naufrage. Une barque flottait parmi eux, viable et libre, mais pas un ne songeait à la gagner. Soupçonnant un danger bien plus grand que la perte d’un navire en pleine dans le tumulte, Rose reforma précipitamment trois bulles acidifiées et plongea ; parmi les débris qui sombraient à l’entour, elle perçut de rapides mouvements.


(Des sirènes ! Voilà ce qui les effraie, les sirènes sont là et elles n’en laisseront pas échapper un seul, fou celui qui oserait se moquer d’elles en prétendant se protéger dans le canot, ils le savent tous… Ils invoquent leurs dieux une dernière fois avant d’être engloutis, les pauvres…)

Rose ouvrit grand les yeux et scruta les environs ; après tout elle aussi était elfe, et son corps se terminait par deux jambes et non par une queue, les sirènes s’en prendraient sûrement à elle autant qu’aux marins terrestres. Mais elles ne semblaient pas se soucier d’elle, tournoyaient autour des naufragés en cercles infernaux. Se retournant, elle eut la stupeur de se retrouver face à face avec l’une d’elles, qui la dévisagea d’un air mauvais et hargneux, fouettant des nageoires de sa queue les jambes de la jeune fille. Puis, après un instant d’hésitation, elle éclata d’un rire moqueur, la poussa en arrière en reprit sa nage rapide et imprévisible. Elle affirmait par là le mépris de toutes pour ses origines semi-terrestres, et nul doute qui si elles n’avaient eu autre chose à faire, elles l’auraient accablée de méchants tours comme l’on tyrannise le membre imparfait et boiteux de l’espèce. Par ce rire et par ce geste, la sirène indiquait qu’au nom de toutes, elle acceptait Rose comme suffisamment aquatique pour n’être pas confondue avec leurs cibles, les marins du navire.
Puis, ce fut l’attaque. Le cercle des furies se dispersa soudain et chacune fondit sur la proie qu’elle avait choisie pour l’attirer vers les profondeurs. Le tour des autres viendrait ensuite, les côtes étaient si lointaines que ceux qui seraient choisis les derniers n’avaient guère de chance de profiter de ce répit pour trouver une protection. Tout près de Rose, une sirène passa, hilare et ondulante, savourant d’avance la jouissance de la victoire sur la victime qu’elle avait élue, et qu’elle tirait derrière elle vers l’obscurité des abysses. Le marin, un elfe blanc d’âge déjà mûr et à l’air stupéfait et désespéré, aperçut la jeune fille et tendit la main vers elle ; ou était-ce vers les lueurs déjà estompées de la surface qu’il lançait un dernier appel ? Rose plongea à sa suite et, malgré la vitesse de la sirène, parvint à les atteindre. Elle saisit le poignet du marin et, ouvrant ses palmes, s’arqua contre la force descendante de l’envoûteuse. La lutte dura un instant, pendant lesquels l’enfant déploya toutes ses forces ; puis une seconde sirène fondit sur elle et la tira par l’autre bras, tandis qu’une troisième fouettait de sa queue la main du marin, qui lâcha prise. Rose fut éloignée de force et, avant d’être envoyée rouler dans le tumulte des premiers mètres d’eau, elle aperçut encore le regard terrible que lui lançait l’homme tiré vers sa mort.
Des rires diaboliques retentirent de toutes parts dans l’océan, et tantôt une dizaine de ces créatures malveillantes l’encercla. Tandis que l’une la maintenait sous l’eau, une autre empoignait ses cheveux et tirait avec force, une autre encore la saisissait au cou de ses deux mains visqueuses comme pour l’étrangler, et une quatrième fit éclater en riant les bulles qui protégeaient ses yeux et sa bouche ; aveugle et à bout de souffle, l’elfe dut encore se défendre contre celle qui tentait de s’emparer du coffre, et elle tint bon. Les sirènes lasses de ce jeu dont elles allaient pouvoir se divertir tout leur content avec les hommes qui les attendait en bas, dans leurs antres mortelles, elles administrèrent à Rose une volée de coups de queue et l’envoyèrent au loin comme un enfant puni. La mort dans l’âme, les plaies des serpents réveillées par les coups de ces femelles furieuses qui parlaient d’une même voix et frappaient d’un même geste, elle regagna péniblement la surface.

Lorsque l’enfant emplit ses poumons d’air, les déploya enfin comme des ailes intérieures, des élytres viscérales d’une autre sorte, l’équivalent splanchnique des voilures plumeuses des oiseaux et des lyriques essors la pensée symbolique qui s’envolent vers des sphères supérieures, les deux outres à air se gonflèrent de vie. Le monde cessa de tourner et d’être confus, la tempête battante accorda un moment de répit. Rose était soulevée par les vagues à des hauteurs folles, mais la houle faisait pour elle le dos rond et la ramenait sans violence au creux de ses berceaux incurvés. Au loin, la foudre s’abattit sur l’onde dans un sinistre craquement, relayé par l’élément aquatique qui mêlait aux siennes les déferlements électriques du ciel fâché.
La jeune elfe flottait passivement, scrutant avec inquiétude les rouleaux qui, moins pacifiques que ceux qui lui servaient de balançoire, pourraient l’envelopper tout entière.






Il ne fut plus longtemps avant que la tempête se calmât tout à fait. Le jour avait été mangé par le sombre ouragan, à présent la nuit étendait son obscurité naturelle et bienveillante sur le monde. Un grand vent d’est soufflait encore, mais l’onde sereine et plate avait repris son léger mouvement monotone. Quelquefois une vague blanche faisait échouer son écume sur les vagues voisines, signalant dans les profondeurs un récif plus haut que les autres.
A cet endroit, la mer était couverte çà et là de diverses choses : roches arrachées aux coraux, un oiseau foudroyé par l’éclair, et les milles éléments du navire défait par la fureur de la déesse.
Notre petite Rose n’en pouvait plus. Epuisée, sans force, pouvant à peine convaincre ses membres de nager encore, elle était alourdie par l’eau qui avait, malgré elle, pris possession de son organisme ; les bulles n’avaient pas suffi, elle avait avalé trop d’eau, salée et pesante. Ayant faiblement nagé jusqu’à une planche de bois qui flottait au loin, elle y posa le coffre, s’y hissa elle-même, s’étendit sur le ventre.


(Le vent d’est me poussera jusqu’à Luinwë, s’il ne change pas. Je vais rester ici un instant, pour me reposer, et si je vois que le vent tourne ou que la planche dérive, je nagerai. Juste… un instant.)

Elle s’assoupit aussitôt.



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Il fallut la secousse du heurt pour que l’enfant acceptât de revenir laborieusement à la réalité. Après un lourd sommeil que rien n’eût troublé, elle avait plongé dans un état de semi-conscience, plus proche du coma que de l’éveil, parcouru en tous sens d’images fantasmatiques trop fugaces pour former un rêve. Cela avait duré tout le jour précédent, le soleil s’était levé à son insu, puis avait eu le temps d’emmener derrière l’horizon le cycle de sa lumière, ainsi l’elfe passa-t-elle une nuit et un jour sans s’en apercevoir. Lorsque la planche vint cogner l’obstacle, il lui fallut encore un long moment pour parvenir à s’arracher d’une léthargie trop pratique, qui ne laissait aucune interrogation, aucun souvenirs ni souci, ni même une vague trace de projet, forcer les hautes barrières du sommeil.
Quand enfin, après avoir longtemps lutté, elle s’anima et ouvrit les yeux, elle put constater à travers une épais voile de nébuleux brouillard que s’élevait devant elle une basse muraille de pierres plates sur lesquelles croissait la mousse. Se relevant davantage jusqu’à s’appuyer sur ses coudes, magistrale victoire sur ce corps qui voulait ne plus jamais bouger, elle reconnut le port de Luinwë qui s’étendait devant elle. La nuit était à nouveau tombée sur l’Anorfain. Le vent, les courants, l’avaient portée à bon port malgré sa vigilance défaillante. Sauvée, surprise, confusément heureuse de s’en être enfin sortie, Rose d’une voix éraillée par trop de froid et de sel s’écria :


« Alors çà ! Ouahah ! »

Cette brusque animation la fit tomber à la renverse. Se débattant furieusement contre l’onde tranquille de ce paisible soir aux douces températures, elle parvint à poser ses deux mains sur le quai, à quelques centimètres au-dessus d’elle. Incapable de lever le coffre jusqu’au sol, elle l’attacha négligemment à une ancienne amarre rouillée, entourée de sa ceinture comme elle l’avait fait une première fois sur le récif. Après s’être elle-même hissée sur la douce pierre blanche, seulement soutenue par les vestiges de volonté qui lui restaient, elle resta allongée à terre, le souffle court, les membres tremblant de trop d’efforts. Elle eût voulu périr là, et ne plus rien savoir. A cette heure, elle eût pu espérer que les pêcheurs journaliers seraient tous rentrés chez eux, les bateaux dégréés et les poissons salés ou cuits. Pourtant, un claquement de pas fit résonner les dalles au bout de place ; des sabots cloutés ou quelques souliers garnis de métal, et cela s’approchait d’elle à un rythme régulier, lent et traînant. L’elfe entendait cette percussion de si loin, perdue dans son esprit aux périlleuses frontières de l’inconscience, qu’elle l’entendait sans s’en rendre compte. C’est dans cet état qu’elle perçut vaguement la vieille voix basse qui se penchait sur elle :

« On a un poisson échoué ! »

Comprenant confusément le sens de ces mots, elle craint un instant qu’on ne la rejetât à l’eau, comme on le ferait d’un véritable poisson. Mais il n’en fut rien, l’elfe fut soulevée par les épaules et mise debout ; ses jambes ayant perdu l’habitude de ce poids, elle chancela. Mais on la tenait bien. La vue trouble, incapable de saisir le sens des paroles qu’on ne cessait de déverser dans son esprit embrumé, l’enfant se laissa conduire. Arrivée devant une des petites maisons de pêcheur qui bordent le port, elle refusa pourtant de continuer, consciente malgré tout qu’elle pourrait peut-être regretter d’être entrée chez des inconnus. On la laissa alors choir un petit banc devant la maison, où elle se tint assise adossée au mur couvert de lierre.

La chaude lumière de l’âtre de la maison qui tombait sur son visage et l’accoutumance progressive à l’univers du solide et de l’immobile firent revenir Rose à elle. Elle distinguait à présent le port et quelques chancelantes lueurs venant des barques que l’on achevait de décharger, ainsi qu’une forte odeur de cuisine à base de poisson et de nombreuses épices ; les mouvements brusques des éternuements qui lui provoquèrent ces insupportables émanations achevèrent de l’éveiller. En ce moment, une chétive vieille femme sortit de la maison à petits pas mesurés et posa une assiette de bois brûlant sur les genoux de la naufragée. Avec les mêmes lentes précautions, elle s’assit auprès d’elle sur le banc, le banc si bas qu’il semblait fait à sa mesure.


« Mange, jeune fille, mange donc. Je te garantis que cela te remettra d’aplomb. »


Et la vieille riait. Observant son étrange hôtesse, Rose s’exécuta et souleva la lourde cuiller qui baignait dans le potage. L’aïeule, malgré les traits creusés de son visage et ses cheveux blancs noués par un large ruban gris, avait le regard d’une enfant. Ses yeux bleus offraient à lire une bienveillance, une ouverture au monde que l’âge tue chez les jeunes êtres élevés par la nature. Elle regardait également vers le port, dans la douceur qu’offre encore l’Océan au début de l’automne, de ce regard à la fois rêveur et attentif qui, seul, permet de se consacrer entièrement à la contemplation d’un ciel aux couleurs fascinantes. Rose, détaillant les fleurs qu’ornaient par énormes bouquets les fenêtres de la masure, mit à sa bouche la cuiller remplie du breuvage odorant. Aussitôt arrachée à sa rêverie et à sa lassitude, elle devint subitement aussi rouge qu’une pomme rouge, des larmes de douleur lui vinrent aux yeux et elle ne put s’interdire de recracher l’imbuvable bouillon. La vieille dame se tourna paisiblement vers elle, rit doucement et lui reprit le bol qui commençait à brûler ses mains imbibées d’eau.

« Ah, tout le monde ne peut pas aimer ma cuisine… »

Tel fut son seul commentaire. Loin de s’offusquer de la réaction de son invitée, elle sembla ne s’en pas soucier et regagna l’intérieur de la maison à petits pas pressés ; puis revint tantôt avec une étoffe dans les bras.

« Tiens, mon enfant, vêts-toi, tu es trempée. Change-toi vite, ton lit sera prêt. Hihihi, je vais rallumer le feu aussi, et quel doux temps les dieux nous offrent ce soir, hihihi, que l’automne dure aussi clément encore quelques semaines, ce serait plaisant, hihi… »

Elle rentra à nouveau, marmonnant ses petites réjouissances en riant toujours. Rose prit l’étoffe qui se révéla être une lourde robe bleu sombre, couleur des profondeurs, aux reflets de nacre et de corail. Lorsqu’elle son hôtesse revint, elle se hâta vers elle.

« Madame,… »

L’aïeule éclata de son petit rire clochet.

« Pas de madame chez moi, mon enfant ! Entre donc, et va te coucher. »

« Mais… »

« Ah, pas de mais chez moi non plus! Tu t’es échoué, petit poisson, alors pas d’histoire, mon mari m’amène tous les petits poissons qui s’échouent et c’est moi qui les remets droit sur leurs nageoires, et souvent ils sont si pleins d’eau de mer qu’ils ne font pas tant que toi d’histoires ! Allons, suis-moi, petit poisson. »

Et elle lui tourna le dos. Rose, désemparée tant par la ténacité de cette vieille femme que par son surprenant langage, n’eut plus le courage de chercher les mots pour décliner une invitation aussi autoritaire, aussi s’enfuit-elle en silence. Bientôt, elle s’éloignait de la ville sur les sentiers de la plaine, où elle pourrait du moins éviter d’éventuelles rencontres.

(Cette vieille est trop vieille… son esprit divague. Qu’est-ce que… oh, j’ai gardé sa robe ! Tant pis, il est trop tard ce soir, je lui rendrai dès demain sans m’attarder. Il est vrai qu’il ne fait plus très chaud maintenant…)

Comme pour lui répondre, le vent l’enveloppa d’un souffle frais. Le vêtement se révéla bien plus confortable que sa propre robe, élimée par l’eau, déchirée en bas par un coup de pince du brachyu et par l’acharnement des sirènes. Elle avait laissé sa ceinture avec le coffre.

(Demain, il faudra aller le chercher. Je doute fort qu’une magie puissante soit enfermée dans cette caisse de vieux bois comme Julie et son peuple semblent le croire si fort, mais… il ne peut pas être vide, il est peu probable qu’il soit vide. Vu son poids, ce ne doit rien être de lourd, mais il suffirait de… ah, je ne sais pas.)

Elle avait atteint la forêt, ses pas la menaient naturellement vers la clairière. Elle ne l’atteint pourtant pas et s’assit au pied d’un arbre, légitimement lasse. On eût pu croire qu’une fois le soleil disparu à l’horizon et en cette nuit où les adeptes de Sithi fêtaient le cycle nouveau, l’obscurité fût totale ; mais de nombreuses petites bestioles ayant par centaines investi les fourrés illuminaient la terre de mille petits points de douce lumière. Le constant bruissement que produisait un autre genre d’insectes ressemblait, à l’écouter longuement, à une berceuse. Les cheveux encore humides épars sur ses épaules, protégée des vents frais par l’épaisse robe, la petite Rose s’assoupit.

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 Sujet du message: Re: Le Port royal de Luinwe
MessagePosté: Jeu 12 Aoû 2010 00:14 
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Je marchais tellement vite que je sentais des regards curieux se poser sur moi mais j’en avais que faire. Les premières réponses aux questions qui me torturaient depuis trois jours allaient m’être donné sous peu. Une impatiente et une excitation grandissaient en moi. Je sentais comme une boule dans mon ventre. Je bousculais plusieurs passant mais tout en m’excusant, je continuais de tracer mon chemin.

Je m’en voulais quand même d’avoir laissé ma mère en plan comme ça. La culpabilité était aussi bien présente. Je ne l’avais pas vu depuis si longtemps, comment pouvais-je faire ça ? La réponse était évidente : Amhalak. Il m’obsédait tellement que je n’étais pas capable de rester avec ma mère le temps d’une soirée. Je décidais qu’il fallait que je lui dise tout. Je ne pouvais pas la laisser plus longtemps dans l’ignorance, elle avait le droit de savoir.

Alors que je prenais cette résolution, j’arrivais dans le quartier qui se situait juste à côté du port de pêche. Je m’arrêtais et réunissait mes pensées avant de me rendre compte que je n’avais pas demandé à ma mère quelle était sa maison.

…reviens à Kendra Kâr et cherches ce symbole…

Je me souvins de cette phrase que m’avait dite Amhalak mais il avait clairement dit que je devais chercher ce symbole à Kendra Kâr et non à Lùinwë. Je fermais les yeux et entendis clairement sa douce voix dans ma tête.

… cherches ce symbole…

Je décidais de suivre mon instinct et de chercher le symbole des boucles d’oreilles. Je tournais en rond au milieu des maisons. J’avais l’air complètement perdue et les gens me regardaient bizarrement comme si ils avaient pitié de moi. J’avançais près du port et regardais la mer. C’était inutile de m’embêter maintenant, mieux valait que je retourne chez ma mère et que je lui demande où se trouvait la maison de cet ami.

Alors que j’allais partir, je le vis. Le symbole se trouvait sur la porte d’une des maisons qui faisait face au port. Une demeure modeste mais qui semblait accueillante. Je m’avançais et, le cœur battant, je frappais.

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 Sujet du message: Re: Le Port royal de Luinwe
MessagePosté: Jeu 12 Aoû 2010 10:09 
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La réponse ne tarde pas. Tu peux entendre des petits pas précipités derrière la porte, avant que celle-ci ne s’ouvre à la volée sur une petite fille elfe munie d’un grand sourire. En te voyant, elle hausse les sourcils de surprise, comme si elle s’attendait à voir quelqu’un d’autre arriver, et finit par se mettre en travers du seuil pour te questionner avec candeur :

« T’es quiii ? »

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 Sujet du message: Re: Le Port royal de Luinwe
MessagePosté: Jeu 12 Aoû 2010 13:15 
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À l’intérieur, je pouvais entendre très clairement des petits pas précipités comme si quelqu’un courait. L’homme avait peut être des choses à cacher. Si une quelconque personne l’avait prévenu de ma venue, il y avait peut être des secrets qu’il ne voulait pas que je vois. Quoi qu’il en soit la porte s’ouvrit à la volée et à ma grande stupeur l’homme que je m’attendais à voir n’apparut point. À sa place se tenait une petite fille qui dès qu’elle me vit sembla déçue. Avec gentillesse mais sans abandonner cette déception flagrante elle me demanda :

"T’es quiii ?"

Je fus touchée par cette petite elfe. Elle me faisait pensé à moi quand j’étais plus jeune. Des cheveux blonds et des yeux marron que me regardait avec curiosité. Tout comme moi lorsque j’étais jeune, elle devait souvent questionner ses parents sur tous les sujets possibles. Je pouvais distinguer chez elle un petit côté espiègle qui me fit sourire. Lorsque je lui souris elle me rendit mon sourire avec une malice qui ne pouvait que me toucher. Je jetais furtivement un regard derrière la fillette afin d’apercevoir deux ou trois détails sur l’intérieur de la maison. Je ne pouvais voir qu’un morceau de l’entrée qui était meublé sobrement et très mal éclairé. Je m’agenouillais pour me placer à sa hauteur.

"Bonjour. Je m’appelle Salymïa et je voudrais parler à ton père. Sais tu où il se trouve ? Tu me rendrais un grand service, tu serais très gentille."


=>Les habitations

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Dernière édition par Salymïa le Ven 13 Aoû 2010 12:19, édité 2 fois.

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 Sujet du message: Re: Le Port royal de Luinwe
MessagePosté: Jeu 12 Aoû 2010 22:21 
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Entrer dans une ville la nuit et le faire de jour son deux choses différentes. Sirat en avait conscience, il avait passé les portes de la grande cité portuaire elfique et se baladait au gré des ruelles. Celle-ci était pleine de monde, tous vacant à leurs occupations. Voyageurs, habitants, miliciens, commerçants et surtout marins parlaient, s'interpellaient ou riaient dans un vacarme digne de Kendra Kar. Il avait voyagé pendant plusieurs jours, en solitaire, sans but précis en tête à part l'idée de flâner. L'effervescence surpritSirat, mais il était heureux de clôturé son passage à Cuilnen. Lúinwë représentait la fin d'un chapitre, mais surtout l'ouverture d'un nouveau.

(Enfin une bonne bière)

Le sourire aux lèvres, il se dirigeait vers une taverne, quand l'embrun marin l'attira. C'est au port qu'il débarqua. Les deux colosses à son entrer, imposaient à l'horizon le respect qu'il devait au royaume d'Anorfain. Sirat siffla en les voyants. Le port était magnifique et bourré de monde. Les dockers débarquaient les marchandises, les Eàrions hurlaient pour vendre leur pèche, les commerçants marchandaient, tout cela sous l'oeil vigilant de l'armée. Les trois ports étaient gigantesques et chaque fourmi y travaillant, connaissait exactement son rôle.

Sirat passa prêt d'un muret ou une affichette semblait lutter pour ne pas se retrouver au sol. Ne tenant plus que par un clou, elle semblait avoir été lacéré, en tout cas l'iode et le vent ne lui avait pas réussi. C'est dans cet état, quel attira le regard curieux du Woran. Il souleva la feuille, déchiré de part et d'autres, on pouvait y lire :

Grand tirage au sort... heureux gagnant d'une croisière paradisiaque...

Le reste était bien trop illisible, il déchiffra cependant l'ultime fin.

Recevrons bientôt un courrier contenant un billet de la chance.

Sirat s'empara du prospectus. Tout en le lisant il prit place sur la terrasse d'une auberge. Il commanda, posa la feuille sur la table et bu les premières gorgées de la pinte qu'on lui avait ramené. Il resta là, profitant du soleil et de l'air du grand large qui caressait son visage. Il ne prêta pas plus d'importance au papier, il se contenta de s'en servir de sous-verre.

(je me demande ce qu'Azalée et Fenouil font)

zone d'embarcation

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Dernière édition par Sirat le Ven 13 Aoû 2010 04:14, édité 3 fois.

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 Sujet du message: Re: Le Port royal de Luinwe
MessagePosté: Jeu 12 Aoû 2010 22:52 
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Message d’Introduction à la Quête 21 : Sirat.


Alors que tu sirotes tranquillement ta bière, tu peux voir une petite fée mignonne sortir de nulle part, un petit bout de parchemin à la main, et se poser sur ta table, s’appuyant sur ta chope. Elle prend la parole aussitôt, d’un ton sympathique et enjoué.

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« Bonjour, Sirat. Vous avez été sélectionné pour participer à la grande Croisière organisée par la Compagnie Air Gris. Voici votre billet gagnant ! »

Elle te tend le petit parchemin qu’elle avait en main… puis disparait aussi vite qu’elle n’est apparue, non sans te saluer d’un signe de tête, et d’un sourire charmeur.


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 Sujet du message: Re: Le Port royal de Luinwe
MessagePosté: Ven 13 Aoû 2010 08:21 
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Semi-dirigé de Salymïa :


La petite fille te sourit de plus belle lorsque tu te présentes, et s’écrie :

« Oui oui, suivez-moi il est par là. »

La petite t’entraine dans l’habitation en sautillant, et te conduit jusqu’à une pièce de séjour assez confortable, bien qu’au style épuré et traditionnel. Un elfe est assis sur un siège en bois et feuilles de lierre, et lève les yeux vers vous lorsque vous pénétrez dans la pièce.

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Aussitôt qu’il te voit, une ombre passe dans son regard, et il annonce à sa fille :

« Laisse-nous, tu veux ? »

La petite s’en va, docile, trottinant vers ses occupations, et l’elfe reprend la parole.

« Qui êtes-vous ? Et que me voulez-vous ? »

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 Sujet du message: Re: Le Port royal de Luinwe
MessagePosté: Mar 14 Déc 2010 16:40 
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=>L'auberge des Limbes

C'était la première fois que Niniel voyait la mer. Elle en avait entendu parler par sa mère et les contes qu'elle avait lu mais jamais vu cette étendue d'eau salée. L'embrun de la mer l'enveloppa qu'alors elle n'était même pas encore arrivée. Une fois sur le port ses yeux pétillaient d'émerveillement et un large sourire éclaira son visage.

(C'est magnifique ! C'est si...beau !)

L'étendue bleue s'étendait à perte de vue, brillait sous les doux et quelques rayons du soleil. Elle s'approcha un peu plus du bord pour regarder son reflet dans l'eau salée. Elle se pencha encore, captivée par cette merveille. Un oiseau se posa devant elle, sur l'eau, en lui arrachant un cri de surprise. Il était blanc dans son ensemble, la pointe des ailes étaient noires. Les pattes jaunes, les pieds palmés, il avait un point rouge sur le haut de son bec jaune ainsi que des noirs et perçants. Elle écouta son cri avec fascination. C'était la première fois qu'elle en entendait un pareil. Aigu, clair, tintant aux oreilles presque comme une clochette.
Avec étonnement elle regardait le volatile se déplacer avec aisance et rejoindre les siens. Curieuse et excitée, elle se releva et marchait le long le long de la berge tout en observant autour d'elle. Les marins s'affairaient: les humains le plus souvent appartenant au port et les elfes bleus aux navires. Cette différence de couleur l'éblouissait. Des peaux blanches, noires comme du charbon, dorées comme le soleil et bleues s'emmêlaient entre les caisses, les filets, les cris, etc.
Elle déambulait entre chargements, pontons, humains, elfes,...Puis elle tournait quelque fois sur elle-même quand son attention était fixée quelques secondes de plus sur une chose qui lui semblait étrange ou merveilleuse. Elle ne fit pas attention où elle marchait, ce sentiment de nouveauté était tellement grisant ! Elle remarqua que peu de monde utilisait la magie. Niniel fut un peu déçue: ce ne serait pas près de la mer qu'elle arrivera à parfaire l'art de la lumière. Une caisse dans un filet passa au-dessus d'elle et l'adolescente se retourna, marchant en arrière pour regarder le chargement arriver au sol. Elle ne vit pas les piles de caisses et de cageots derrière elle ni la toute petite qui la fit trébucher. Battant des bras pour retrouver son équilibre, elle tomba parmi les caisses qui tombèrent avec la jeune elfe. Après la chute elle s'assit, un peu sonnée. Puis une voix se fit entendre, furieuse et lointaine. Comme la mer lorsqu'elle se soulève lors d'une tempête. Elle se releva, ses sens encore un peu désorientés et rechercha d'où venait la voix qui continuait de vociférer. Un elfe bleu, deux fois plus fort et presque deux fois plus haut que le barman de l'auberge, s'avançait à grand pas extrêmement en colère. Il portait une veste légère bleue marine, les manches retroussées et l'on pouvait voir les muscles de ses bras se contracter.
Tout d'abord un flot d'excuses sortit de sa bouche mais prise de peur et en voyant qu'il ne se calmait pas, Niniel n'attendit pas qu'il vienne jusqu'à elle. Elle refit le chemin qu'elle avait fait mais en contresens et surtout: en courant ! Des humains, certainement sur l'ordre de l'elfe marin, la poursuivaient. Elle ne se retourna qu'une fois: l'elfe bleu ne la suivait pas. Mais il fallait courir plus vite et essayer de les semer dans les rues...en se perdant elle-même.

(Niniel, tu es une incroyable imbécile aujourd'hui !!), pensa-t-elle avant de s'engager dans une rue où il y a plein -voire trop- de monde.

=>Les jardins du centre

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Niniel, Guérisseuse, Elfe blanc


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