Le fronton de l’auberge était simple mais parfaitement en harmonie. Du bois et de la pierre, cela avait toujours son effet. Cette petite auberge avait l’air bien accueillante. La porte venait de s’ouvrir sur la femme en vert. L’enseigne, une chopine de bière me dit penser à mon ami Arak que je n’avais pas revu depuis notre petit accident de parcours avec le dragon et notre chute vertigineuse sur cet éperon rocheux.

La femme en vert. Il fallait vraiment que je sache qui elle était. Elle participait au voyage après tout. D’ailleurs, alors qu’elle entrait dans l’auberge, elle se retourna et me regarda dans les yeux. Je ne savais pas quoi penser de ce regard. Inquiétude ou surprise, je ne pouvais le dire.

Je la suivis peu de temps après. En ouvrant la porte, j’eus une vision qui était en harmonie avec ce que j’avais pu voir au dehors. Un bon feu de cheminée qui crépitait dans un âtre de taille moyenne dans une grande salle munie de 4 tables rondes. Le mobilier était quand même disparate, les chaises n’allaient pas avec les tables mais peu importe. J’avais juste besoin d’un remontant pour le moment.

Je comptais deux personnes dans cette grande pièce. D’abord sur ma droite, un petit homme bleu avec des lignes blanches sur la peau. Je ne connaissais pas cette race, peut-être une race locale. Après tout, nous venions d’atterrir sur une île inconnue, les locaux ne devaient pas venir souvent sur les continents du dessous. Torse nu, ses longues incisives lui arrivait quasiment au nombril. J’avais envie de rire devant ce spectacle lorsque je me rendis compte qu’il avait les yeux blancs. Était-il aveugle ? Je ne pouvais le dire pour le moment.

L’autre personne présente dans cette salle, à part la femme en vert, se trouvait derrière le bar. Il ressemblait à un troubadour avec toute cette peinture sur son visage. Il avait l’air chaleureux mais mieux valait y aller doucement. Sa coupe de cheveux donnait le sourire. Je me suis rapidement avancée vers lui.

- « Excusez-moi monsieur mais seriez-vous le tenancier de cette auberge ? J’aurais besoin d’un bon rafraîchissement et d’une chambre pour passer la nuit. »

Il n’avait pas l’air bien méchant avec ses vêtements de couleur mauve. J’espérais m’être adressée à la bonne personne. Je ne m’étais pas occupée de la femme en vert depuis mon arrivée. Si cela était nécessaire, je lui paierais un verre. Je suis sûre que l’alcool détendra tout le monde.

Jamais j’aurais cru le retrouver en face d’un tel spectacle. Mon interlocuteur s’était fendu d’un immense sourire et se positionna sur le bar pour nous déclamer des mots qui ressemblaient fort à des vers de poésies.

« Mille poltrons de potirons, mais qui ici voilà donc !? Je me nomme Mâk. Donald Mâk, et de ce troquet je suis le tenancier. Chambres et rafraichissements sont mes spécialités, nourriture et repos mes vices non-cachés ! Que puis-je servir à ces dames, Jus de luron, liqueur d’œil de Globule ? Alcool de patate ou vin de pommes sauteuses ? Et pour les clients compliqués et zozos, c’est la bière qui ici coule à flots ! »

Effectivement, cela sentait la longue réflexion pour arriver à un tel résultat ! Il avait du passer des heures à préparer son petit monologue. Il gesticulait beaucoup comme pour garder l’équilibre. Mais ce qui m’impressionna le plus dans ce petit numéro était la présence de deux petits couteaux à sa ceinture, ce qui n’augurait rien de bon. Un tenancier voleur ? Il était bien trop guilleret et avenant pour ça.

J’avais sentiment un léger mouvement derrière moi. Un regard par-dessus mon épaule m’indiqua que la femme en vert avait écouté attentivement ce que j’avais dit ainsi que la litanie de notre tenancier. Un geste de ma part suffirait peut être à la faire parler.

- « Bien, alors servez-moi deux bières bien fraîches. Une pour moi et une pour la femme qui est à mes côtés. Notre voyage a été long et bien chaotique. Je vous prends également une chambre pour la nuit. »

Pendant que je cherchais ma bourse dans mon sac, une question me tarauda l’esprit. Ma curiosité me tuerait un jour mais il le fallait.

- « Veuillez m’excuser mais j’aurais une question. Pouvez-vous me donner le nom de l’île sur laquelle nous nous trouvons et la raison de la présence des dragons ? Tout cela m’intrigue beaucoup. »

Je croisais très fort les doigts pour que les dragons ne soient pas une invention de mon esprit fatigué ou le résultat de quelques rêveries dues à ma chute de l’aynore. Il était bien connu que les tenanciers savaient toujours sur tout ce qui se passait dans une ville. Les premières sources d’informations par excellence, autant utiliser celui que j’avais sous la main à bon escient.

Il prit aussitôt ma commande alors que la femme à mes côtés restait stoïque. Je ne la comprenais décidément pas.

« Aylaïsis ! Deux chopines pour ces belles dames ! De la bière, de la bière ! »

Alors qu’il parlait, j’avais entendu la porte de l’auberge s’ouvrir. En me retournant, j’eus l’heureuse surprise de voir Josh arriver. Il me regarda et avança vers nous. Reprenant le fil de la conversation avec le tenancier, je me retournais pour voir ce dernier derrière le comptoir. Il se tourna vers moi et me tendit un petit objet.

« Une clé une pour une dame une ! La coquette chambrette est la première du couloir. Passez la porte et trouvez-là, sinon revenez ici, et Donald vous l’indiquera. »

Je pus déceler un léger mouvement de visage trahissant une expression plus sérieuse mais je n’en étais pas sûre. Je pris la clé qu’il me tendit pour la faire tourner entre mes doigts dans l’espoir d’un début de réponse.

« Cela fait deux questions, pardi ! Deux questions et non une pour une dame une ! Tout se vend et tout s’achète. Un sur le nez pour une réponse, et pour les deux, un sur chaque joue. Un tarif clair, pour de bons amis, puisque les bons comptes les font ! »

L’art et la manière de me faire tourner en bourrique. J’avais posé de question en demandant une. Il jouait sur les mots et cela commençait à me taper sur le système. Ma tête était déjà suffisamment douloureuse comme cela. Pas besoin de lui rajouter les discours abracabrantesque d’un tenancier qui devait fumer des herbes venues d’un autre monde.

Il mima un bisou des lèvres me faisant ainsi comprendre que c’était le prix à payer pour des informations. Cela me dégouta mais je ravalai ma bile.

« Quel intérêt d’un nom ? On y est et on ne doit pas s’y rendre, et donc ne pas l’indiquer. Il ne sert à rien de la nommer. Les dragons, les dragons, maîtres des cieux et non de l’île. Fiki en sait plus : il est sage et fou, et la folie fait sa sagesse ! »

A ce moment-là, Josh arriva et commanda aussi une bière. Il venait à mon secours, enfin de l’aide pour manipuler de tenancier. Cependant ces dernières paroles me revinrent en tête. Fiki était la personne à consulter pour avoir des informations sur le lieu étrange ou nous nous trouvions, c’était l’homme aux yeux blancs derrière nous. Les yeux blancs à force de lire des parchemins ? Un mystère de plus à éclairer.

« Et une bière une pour un homme un !! Sisialya ! »

Il venait de nommer la personne dans la cuisine à l’envers. Quel drôle de personnage ! Il faisait peur et rire en même temps. Je n’avais jamais croisé de personne aussi lunatique. Je vois ma voisine se décomposer devant le triste spectacle devant ses yeux. Elle ne devait pas être habituée à être traitée de cette manière. Et bien ma chère, tout cela allait devoir changer.

"Aenaria ? Vous et votre ami n'avait rien ? Quel rude atterrissage ! "

Josh sauva la situation. Nos bières se faisaient longues, discuter avec lui ferait passer le temps. Il avait une sale tête lui aussi, un buisson avait certainement amorti sa chute de toute évidence, un épineux.

- « J’ai eu le droit à une belle bosse sur la tête, qui tourne encore quelque peu mais maintenant cela va un peu mieux. Pour mon « amie » comme vous dites, je ne sais pas. Elle n’a pas dit un seule mot depuis que nous sommes ici. »

L’atterrissage l’avait peut-être secouée ? Comment pourrais-je le savoir, elle n’avait prononcé aucun mot depuis que nous étions dans l’auberge. Elle n’avait qu’écouté la conversation que j’ai pu avoir avec le tenancier. Il faudrait interroger Fiki dans le coin plus tard pour en savoir plus sur notre situation et si elle était désespérée ou pas.

J’attendis la réponse de Josh ainsi que ma bière, devrais-je dire nos bières ?

"Savez-vous où nous sommes ? Je n'ai pas entendu toute votre conversation, mais il faudra aller parlé à ce "Fiki" un peu après. Peut-être pourra-t-il nous en apprendre un peu plus. Le tavernier ne semble pas enclin à nous dévoiler quoi que ce soit..."

Je voulus lui répondre mais il choisit d’adresser la parole à la femme à côté de moi. Je commençais à en avoir marre de ne pas connaître son identité.

"Mademoiselle, vous allez bien ?! Vous n'avez pas dit mot depuis que je suis là. Vous vous êtes fait mal pendant la chute libre ?"

Encore une remarque censée venant cette fois de la part de Josh. Elle devait être muette pour ne piper mot depuis tout à l’heure ! Puis alors que mes yeux sautaient du tenancier à ma voisine et à Josh, je remarquai la mine déçue de Donald. Il le voulait son bisou. Quel petit prétentieux orgueilleux et imbu de sa personne ! Il me prenait pour qui ? Puis une voix sortit de nulle part me réveilla de ma petite léthargie mentale momentanée.

« Je vous signale qu’il est impoli de parler de quelqu’un à la troisième personne lorqu’il participe à la conversation. De plus, je me porte parfaitement bien, moi. Je n’ai aucun coup à la tête, et je ne ressemble pas à un porc-épic ambulant. Ceci dit, je vous remercie pour la bière que vous m’offrez, mademoiselle. Je crois que nous ne nous sommes guère encore présentés. Je me nomme Tihanna Garow, femme de Kendra Kâr. Et cet endroit me semble étrange et… dépourvu de sens. »

Elle venait de me parler, ou plutôt de nous parler. Miracle, elle vit ! Tihanna Garow, femme de Kendra Kâr, cela voulait tout dire et rien dire. Elle aurait mieux fait de nous donner sa profession parce qu’à part s’occuper de sa petite personne, je ne vois pas trop ce qu’elle pouvait faire. Je m’apprêtais à ouvrir la bouche lorsqu’une voix lointaine m’arrêta dans mon élan.

« Voili voilà, les bières sont là ! »

Je fus surprise de l’origine de la voix. Une aldryade se présenta devant nous pour nous apporter nos bières et le tout sur un plateau fait d’eau. Un petit moment de pure beauté dans un monde de brut. La peau verte, les cheveux gris et un escargot en guise de chapeau, elle me sortit un petit sourire. Elle arriva à notre niveau et dépose les trois chopines de bières bien fraîches. J’eus une petite pensée pour notre ami Arak. Normalement, nous aurions du boire cette première ensemble sur l’aynore mais le sort en avait décidé autrement. L’aldryade fit disparaître son plateau dans un « splash » qui nous éclaboussa Josh et moi.

« Oups oups oups, désolée ! Je sais comment le créer, mais plus comment l’arrêter. Santé ! »

Elle s’installa à côté de Donald qui boudait toujours dans son coin. J’avais d’autre chat à fouetter pour le moment.

- « Merci pour ces bières mademoiselle. Santé ! »

Je pris la mienne en main et poussez les deux autres vers leurs destinataires. Je bus une gorgée et le liquide froid eut un effet immédiat d’apaisement sur moi. Ce liquide m’avait quelque peu manqué. Bon maintenant il fallait revenir aux choses sérieuses.

- « Désolée de vous avoir manqué de respect Madame Garow. Nous pouvons vous appelez Tihanna ? Cela sera plus simple pour la suite de la conversation. Je m’appelle Aenaria Imfilem et voici Josh. Josh et moi avons déjà eu l’occasion de nous converser sur le pont de l’aynore. »

Je me suis alors remémorée notre conversation. Des souvenirs douloureux des deux côtés, autant ne pas revenir dessus avec Tihanna.

- « Pour reprendre votre idée Tihanna, je vous rassure, vous n’êtes pas la seule à trouver ce lieu insolite et pour utiliser vos termes « dépourvu de sens ». Apparemment, vous n’avez pas eu à souffrir de l’atterrissage contrairement à nous deux ! Enfin, rien de bien grave en tout cas. »

En regardant Josh à l’évocation de nos blessures, j’eux un léger sourire. Tihanna avait raison, il ressemblait à un porc-épic. Le pauvre, espérons que ça ne saigne pas de trop. Ma tête allait un peu mieux malgré le fait que je buvais de l’alcool.

Je ne faisais pas attention aux deux zigotos qui nous écoutaient attablés au bar. A vrai dire, je m’en fichais un peu.

- « Et Josh, vous avez entendu les seuls morceaux intéressant de la conversation. Effectivement, il faudrait qui nous parlions à Fiki qui se trouve juste derrière nous. Pour le moment, je n’en sais pas plus que vous sur l’endroit où nous sommes. »

Je fis un signe de la tête en direction de Fiki qui se trouvait dans le coin à une table. Il ne nous regardait pas, il avait le regard dans le vide.

- « Nous devrions peut-être aller à sa table si nous voulons en apprendre plus vu que notre ami Donald ici présent ne souhaite qu’une chose que je lui fasse la bise sur ses deux petites joues ! Désolé l’ami mais je suis fiancée et heureuse de l’être. »

Je pris ma bière en main et me suis dirigée vers la table de Fiki.