La boule de Yuimen était dans une poche de ma besace, j'en suis certaine, comment s'est-elle retrouvé à rouler au milieu des elfes dorés de l'entre deux ponts. Je soupçonne mon père, mais prends le partie de courir au milieu de cette foule pour la récupérer. Je lance un regard noir à mon père qui me sourit allègrement, avançant de ce pas sûr qui fait voler sa cape.
(Tu la rangeras quand on sera arrivé.)(Vous manigancez quoi vous deux?)(Rien avance...)(T'es certaine qu'il ne va rien m'arriver?)(Rien n'est moins certain avec toi...)"Voilà les vagabonds que nous attendions, chef!"Je me retourne rapidement à la recherche d'autres elfes gris que nous sur la passerelle qui descend maintenant vers le sol de ma patrie. Je suis de retour chez moi, à Tahelta après deux ans de pérégrination à travers le monde de Yuimen. Et déjà la nostalgie me vient en songeant à l'ermitage et à Kendra Kâr la blanche. Certes, aucun de ces deux lieux n'est aussi beau que la capitale des elfes gris, mais la diversité des couleurs, des races qui peuplent le second et la nature même du premier rendent Tahelta très grise, très moche en quelque sorte, mais surtout très triste. J'ai envie de retourner dans l'aynore et de voir avec le capitaine s’il ne pourrait pas me déposer plutôt à Kers qu'ici, mais la main de mon père sur mon épaule est assez claire pour que j'abandonne aussitôt cette idée.
"Avance comme si de rien n'était, et comportes-toi en vagabonde..." me murmure mon père à l'oreille.
Son ton est assez clair pour que je comprenne qu'il n'est absolument pas surpris par la situation, qu'il s'y attendait même et que, pire que tout, il avait déjà tout commandité.
(Rho, où vas-tu chercher des idées pareilles?)La pensée de ma faera ne fait que confirmer mon impression, les deux ont déjà tout prévu et j'ai plutôt intérêt à faire comme si j'étais au courant. Après tout, c'est Héramë qui connait les vagabonds et leurs moeurs, pas moi.
"Nous vous attendions!"Je m'efforce de camoufler au mieux sur mon visage la surprise de l'affirmation du sergent. Cheveux gris, visage gris et fin, un fils de l'aristocratie très certainement, les yeux bleus purs marque de noblesse, il est vêtu de l'uniforme des gardes de la cité : une fine cotte de maille de mythril bleu, un arc de lune et un long sabre au coté. Trois lunes ornent son casque. Son coéquipier, celui qui nous avait remarqué, est vêtu semblablement à part qu'une seule lune marque son casque, c'est donc un apprenti. Il a quant à lui des petits yeux d'un gris bleu qui semble disparaître dans l'ombre de son casque.
"Emmenez-nous à la chambre de Sor-Tini, nous n'avons plus de temps à perdre!""Vous avez mis longtemps après l'appel. Où étiez-vous?""Au fin fond des forêt de Lebher, là où sa Majesté nous a envoyé!"Je rêve, c'est impossible autrement. Mon père est entrain de nous faire passer pour deux vagabonds au service de la couronne. Cette infraction est punissable de mort s'ils s'en rendent compte. Pourquoi doit-on absolument aller sur Sor-Tini? Pourquoi ne pourrions-nous pas reprendre l'aynore et nous faire déposer à Kers ou à Xaoranh où nous aurions l'immunité? Pourquoi passer par Tahelta et surtout par ce foutu monde extérieur?
(Il semblerait que tu doives être ici pour y voir certaines choses. Alors arrête de penser autant, ça te donne un air de Shaak du désert!)Je ne suis que d'une oreille la discussion entre mon père et le sergent, celui-ci ne semble pas convaincu par ses explications et je commence à craindre sérieusement pour notre mission. En quête de soutien peut-être, je regarde au creux de la boule que je tiens toujours en moi, je crois y voir Yuimen durant une poussière de seconde me lancer un sourire rassurant. L'apparition me surprend, mais me redonne brusquement confiance dans le plan foireux en cours, il faut me mettre dans le rôle jusqu'au fond, sinon je risque ma vie et celle de mon père. Je m'efforce de ne penser qu'à ces deux vies-là et pas à toutes les autres si la prophétie s'avérait juste.
"Pourquoi n'avez-vous pas utilisé l'aynore qui a été affrété pour votre retour?"Sans laisser mon père répondre, je prends la parole d'un ton dégagé, comme blasé par l'interrogatoire du sergent.
"Nous avons pris le premier aynore disponible. Nous aurions préféré prendre air gris, mais à défaut de grive, on fait avec des merles. Maintenant, vous comptez continuer à nous interroger comme des vulgaires criminels ou vous comptez accomplir votre mission?""Nous avons pour mission de confirmer que vous êtes bien ce que vous prétendez être avant de vous emmener.""Faux. Jamais la Reine n'aurait confié à un sergent de la ville des indications pour reconnaître ses vagabonds. Nous portons les sphères et à moins que vous vouliez que j'appelle la Reine en personne pour confirmer, vous feriez mieux de nous amenez à la porte de Sor-Tini!"Les yeux du sergent deviennent fuyants, je sais qu'on vient de franchir la première vérification et espère de tout coeur qu'il n'y en aura pas d'autres. Après un demi-tour parfait, il nous mène à travers les rues de la cité tandis que nous récupérer nos chevaux : Harniän et Gris-acier, le cheval à la robe d'argent de mon père.
(((Vers L'avenue!)))