J'espère que c'est bien, j'étais complètement stressé, et je joue beaucoup la-dessus
ça, en plus de ma calligraphie pourrie... 
EDIT: dédicace quête 19
Citation:
La conscience de n'être jamais qu'un voyageur vous lave les yeux...
Philippe Jaccottet
Quelques ombres, vite brûlées par l'horizon enflammée.
Quelques secondes, puis le cercle solaire s'élève en mille traits de feu dans le ciel azuré.
La mer repue lèche avec douceur digues et plages d'un port escarpé de sa marée montante. La brise sur les vagues plissées savoure avec bonheur le bois salé d'un galion endormi; les entrailles de son pont s'abreuvent de rhum et d'eau pure.
Son odyssée l'appelle d'un chant envoutant, irrésistible poème.
Et son âme, sa douce âme dansante s'éveille, déploie brigandines, focs et génois. La voici qui lève l'ancre du royaume des hommes, et s'envole sur la trace d'oubliées.
La voyageuse quête les ombres passées...Le vent claque et soupire dans les filets de toile blanche; et comme si plein de bienveillance il soufflait d'aise espérant, il permet à l'étrave de fendre la vague. L'eau cassée crépite en douce rebellée, et le navire s'y fond, âme indépendante oubliée des terres lointaines.
Et l'âme sait : elle boit dans la mer les échos du passés, d'yeux fermés. Elle les nommes – frères et sœurs, par les abysses avalés.
L'âme du navire est une voyageuse éperdue dans sa solitude, nourrie d'espoirs libres et capricieux. Elle sait se faire de son pire ennemi son meilleur allié, et du vent d'ouragans apaisés s'élever en marcheuse rythmée.
La voyageuse quête les ombres passées...L'inspiration s'éveille : l'âme silencieuse pousse son cri de guerre.
Voyez le ciel qui la domine : il brûle d'un zénith immortel. Et voyez: au loin, une coque brandissant des voiles de suie aux pavions anthracites – l'ennemi pilleur de paix, le guerrier sans patrie.
Mais l'âme voyageuse sourit et ricane : dans ses entrailles le feu couve, il se nomme combat et expansion. Le navire aussi à son inspiration, et l'objet de sa gloire : des canons noirs, qui arrachent tout bois enchevêtrés, crachent la mort et la puissance.
Le chant de la mer est traître, et l'âme s'en nourrit – elle décide de créer, de maudire. Le poème des abysses le lui chochotte : la volonté, c'est la guerre et l'expansion, le voyage des limites.
Feu. Cent bouches mugissent et crachent leur sphères de plomb. Le bois craque, les vergues ploies. Puis la mort tombe, et l'étrave se brise. La voyageuse a créer : une nouvelle ombre pour la mer, résonance oubliée du passé.
Elle souffle : je suis la garante de la paix. Je suis la guerre pour la paix – la paix dans la guerre.
La voyageuse quête les ombres passées...Les semaines s'écoulent loin des côtes. Seul l'éperon brise le manichéen du ciel et de la mer, azurs éternellement répétés.
Calmes et caprices, l'âme du galion les subit du vent endurci en maître absolu du temps. Il devient le grand horloger, gardien de l'intensité: de ses immondes araignées aux pattes de velours il tisse dans les voiles blessures et déchirures, que le sel empêche de refermer.
La voyageuse le sait : son exploration conquérante à un prix: son intégrité. Elle fait le grand sacrifice, jouant jusqu'à son équilibre dans son ambition téméraire.
Elle veux fixer les yeux du monde pour l'éternité, les blanchir de l'éclatante innocence de ses voiles et du bois sombre qu'est son pont.
L'âme veut créer pour l'éternité, au risque de s'oublier. Et le temps autour d'elle brûle de la défier.
La voyageuse quête les ombres passées...Puis l'univers s'enflamme d'éclairs et de pluie, l'eau pure s'écoule en tourment incessant. L'instant grandit, le temps y veille : l'ouragan couve, puis s'éveille.
D'allié rebellé il devient ennemi, démon des abysses qu'il déchaîne.
L'innocence blanche sur le pont sombre est amenée: les voiles sont pliées. Le bois craque et les vagues rugissent en tremblant d'une peur cent fois répétée et oubliée. La mer est un désert, et dans le désert toute vie est intruse : les vagues s'y dressent en obstacle vivace qu'il faut constamment vaincre.
L'âme voyageuse de déchire dans la tourmente des éléments en folies, mille contrastes la prennent d'assaut. L'univers manichéen n'est plus : les bleus se mélangent, l'azure se pare d'un crêpe de gris vengeur, l'écume domine de nouvelles montagnes à l'éphémère vie qui se fracassent sur la coque en râles redoublés.
L'âme voyageuse et sa volonté ici sont mal venus : l'éternelle puni le mortel d'avoir eu ce qu'il ne peut avoir : le désir de l'éternité.
Le présent sur l'avenir s'échoue.
La voyageuse quête les ombres passées...Une île déserte, gardienne de récifs massifs : les coraux d'ors pourpres et d'émeraudes l'entourent, méandres enchevêtrés où crustacés et poissons éclatants tournoient en bal de nature harmonieuse.
Mais la voici violée : une nouvelle épave s'y fracasse, ses lignes fines déchirées.
A l'horizon le soleil s'élève, pour une fois de plus s'agenouiller à contempler les ombres disparaître.
Le navire est mort, et rejoint la poussière de sa genèse dans les abysses des ombres. Une tombe de plus s'y élève, fantôme d'une conscience envolée.
La volonté est déchue, les canons ne cracheront jamais plus leur panache.
L'âme du galion est décédée, ses yeux lavés, ombres du passé...
Sur le sable doucement léché, une planche gravée vient s'échouer et pourrir.
En fines lettres dorées, un nom :
La Voyageuse...