Sorakeen a écrit:
Un rai de lumière vient effleurer mon visage du bout de ses doigts familiers, m’obligeant à cligner des paupières pour recouvrer un semblant de vue dans toute son aura aveuglante.
Je relève la tête et jette un coup d’œil par-dessus mon épaule. Par le hublot, on peu distinguer un frêle rayon de soleil, posant timidement sa main irradiante sur la paroi glacée de la fenêtre. Les cristaux déposés sur les vitres ont déjà fondus, et à travers leur éclat, on peut dorénavant distinguer un semblant de civilisation, où la vie semble en habiter chaque recoin, à voir les cheminées des maisons, fumant et crachant une humeur grisâtre dans le ciel d’un bleu éclatant.
Je ne reconnais pas l’endroit. Il est fort peu probable que nous soyons déjà arrivés à bon port, dans les montagnes. Nous sommes nous posés en catastrophes ?
L’elfe, qui semble épuisé mais néanmoins se bat sans relâche afin d’aider ses congénères dans leur soins, s’en vint vers moi et me remercie brièvement pour l’aider que je leur ai apporté. Je le laisse examiner ma patiente, un pli soucieux fronçant mes fins sourcils dorés.
« Où sommes-nous ? ». lui demandai je en désignant du menton la ville à travers le hublot.
Il lève vers moi un regard où se mêle un soupçon d’incrédulité et une intense concentration que rien ne semble pouvoir ébranler. S’humectant les lèvres, il examine la plaie cautérisée, ses mèches argentées glissant de part et d’autres de son visage.
« Dans le citée blanche, à Kendra Kâr exactement ma chère. » Puis il se relève, satisfait du travail accomplit, ajoutant avec un haussement de sourcil investigateur, il semble hésiter quelque peu avant de poursuivre.
« Nous sommes encore loin de Mertar. »
Je le regarde sans comprendre.
« De Mertar? Ah oui ….».
Affublée d’une grimace comique, je me souviens alors de chacune des fois que l’ont ma martelé à la tête de cette destination, avec toujours cette même ambition de gangrener l’épidémie, ou de trouver des réponses sur ses mystères, je ne sais même plus. Avec une pointe d’agacement, je lui rétorque.
« Oui… bien sûr que oui. »». Un soupir m’échappe tandis que je me relève, laissant ma place au guérisseur.
« Je suis navrée, je dois vous laisser ».Sans mots dire, ni aucun signe d’excuse expliquant mon comportement assez étrange, je tourne les talons et m’enfuit à toutes jambes à travers les couloirs et escaliers, dominant avec difficulté la peur de rester de nouveau coincée à bord, prise dans cette toile de folie qui n’engendre que désespoir. Au diable les rêves, au diable cette quête impie et ses acolytes aveugles ! Seule la voie intérieur pourra me guérir de ce fléau, comme elle l’a toujours fait pour tout le mal de ce monde, si s’en est un.
Je prie de toute mon âme chantante de ne jamais recroiser la route de cette jeune femme affreuse, et pour laquelle tout semblant de compassion s’est entièrement envolé.
Avec soulagement, je traverse le pont sans me soucier le moins du monde des regards tournés vers moi.
Les ombres et les murs défilent devant moi, tandis que je mets le plus distance possible entre moi et l’engin volant. Serrant ma cape sur les flancs, pour ne pas me prendre dedans, je repense à tout, du commencement, jusqu’au futur incertain, vers lequel je m’approche à un rythme effréné. L’horreur qui nous ronge, dans nos lits, au moindre aguets, est-ce une ruse pour nous faire perdre la raison?
Une pensée m’échappe. Et si c’était trop tard ? Et c’était déjà au fond de nous ? Et si les dieux en étaient les auteurs, et nous en voulaient personnellement ? Je me remémore certains événements de mon existence, à une vitesse fulgurante, les faisaient défiler devant moi comme un film à l’agonie. Qu’ai-je fais pour mériter leur foudre. Depuis quand se soucient-ils de moi ? Après m’avoir abandonné, laissée pour morte par mes semblables, seraient-ils revenus se venger ? Hélas, je n’ai jamais senti leur main sur mon épaule, ni leur chaleur réconfortant mon cœur. Je n’ai puisé qu’un peu de bien-être dans la foi que j’accorde à la musique de tout être. La course purge mon crâne de toutes ces toiles qui s’étirent et me plongent dans l’abîme. Comme ces rêves, elle ma ramène à ce que je suis, et ne me laisse aucun échappatoire.
Je n’ai aucune attache à Kendra Kâr, mais ce détail importe peu, dans ma situation. Le principal avant toutes choses, étant de regagner la terre ferme, et ne plus faire partie de ce voyage forcé. Peut-être même que je parviendrais à retourner à Tulorim sans trop d’encombres. Peut-être même qu’une fois là-bas, je reverrais Izzio. Et je pourrais lui parler, oui, il m’écoutera et me dira quoi faire.
Non, il sera trop tard. Izzio sera déjà sur les routes avec toute sa carriole de marchandises, la pipe dans le bec son chapeau vert couvrant son crâne. Sur les routes démoniaques… Je frissonne rien qu’en y pensant.
Et peut-être d’ailleurs n’a-t-il jamais existé, ce bonhomme… à l’heure qu’il est, ne serais-je pas en train de rêver ? Quelle est l’illusion, qui sépare la réalité du rêve ?
Mes jambes s’emballent mon cœur manque un bon, leur peur fond sur moi et me dévore de l’intérieur. Devant mon impuissante, je m’effondre contre un mur, dans une ruelle au passage assez peu fréquent, le visage enfouit dans mes mains tremblantes où résonnent des sanglots incontrôlables.
Suite à Kendra Kâr.