Lindeniel a écrit:
La bestiole hideuse continuait de tourner dans les airs pendant que Lindeniel poursuivait d’arborer son apparent désintérêt total pour ce saurien volant nuancé d’écailles brunâtres. Les Sindels présents sur le pont semblaient ne pas non plus se soucier du pseudo-dragon qui tournoyait près du vaisseau sans pour autant se préoccuper de celui-ci. Les bruits de ses ailes rachitiques et membraneuses frôlaient l’air avec un rythme lent et cadencé qui firent imaginer à l’elfe blanc les relents ignobles que cette créature hideuse devait projeter autour d’elle s’il s’en était approché. Il ne la regarda cependant pas plus, et vit même débarquer sur le pont l’orque avec qui il s’était ‘associé’ dans la chaleur moite et répugnante de la salle commune peuplée de doux crétins en armure de mailles prêts à en découdre avec tous les ennemis qui se présenteraient. Le monstre à la peau verte était accompagné d’un elfe gris, un membre d’équipage, qui le mena à l’homme mystérieux qui était sur l’aynore depuis Tulorim. L’orque exhiba alors ignoblement son ventre blessé à la blessure suppurante que Lindeniel lui avait infligée. Sans doute cet homme était-il guérisseur, lui qui avait l’air si sauvage et si sale. Enfin… sales ils l’étaient tous sur ce navire volant. Tous sauf Lindeniel !
Il lorgna avec dégoût le pus écœurant qui sortait de la plaie mal cicatrisée. Ah ça pour sûr, il devait amèrement regretter d’avoir osé lever la main sur l’elfe blanc… Il ne recommencerait certainement plus de sitôt, bien que Lindeniel eut un sérieux doute sur les capacités mentales de cette bête de combat rustre et sans cervelle. Il fit attention à ne pas adopter un regard trop dégouté ni méprisant pour la peau-verte, fidèle à sa futile promesse, mais n’essaya pas non plus d’adopter un air empli de pitié… Il ne connaissait pas ce mot, ni ce sentiment, et il ne comptait pas essayer de l’imiter, ça l’aurait entièrement décrédibilisé. Il savait mentir et jouer la comédie, certes, cacher ses sentiments et ses rancœurs, aussi, mais adopter un comportement diamétralement opposé à sa façon d’être, ça il se le refusait ! Depuis quand pouvait-on obliger un carnivore sanglant à ne manger que des feuilles de salade ?
Pour se redonner une contenance, il regarda l’archer robuste au teint halé, autant dire terreux, boueux, vomitif, avancer sur le pont, prêt à décocher une flèche au lézard géant. C’est alors qu’il se rendit compte que la bête avait plongé dans la forêt qu’elle guettait et était remontée avec un personnage curieux en travers des griffes. L’être prisonnier des puissantes serres de l’animal gigotait dans tous les sens. Il était vêtu de bleu, ses cheveux avaient une étrange et horrible couleur turquoise et il ressemblait de loin à un pantin désarticulé qu’on agitait sans la moindre précaution. Ridicule posture dans laquelle il était. Le regard blasé de l’elfe, même pas surpris de cette apparition entre les griffes de la créature, se reporta sur l’archer, le stupide archer, le débile à l’arc, le crétin fini qui voulait décocher une flèche à l’animal. Qu’espérait-il ? Sauver le personnage prisonnier ? Était-il bête au point de penser qu’à la hauteur où il était, si cet homme tombait, il se romprait misérablement les os sur le sol, se fracassant sur la forêt qu’il n’aurait sans doute pas voulu quitter de cette manière. Sans compter bien entendu la carcasse de l’animal qui lui tomberait immanquablement dessus, écrasant ses restes bouillonnants de sang impur dans une explosion gluante de vie gâchée. Cet archer était un débile profond…
Et bien sûr là dedans, on ne comptait même pas l’option selon laquelle l’homme robuste au teint halé manquerait sa cible, provoquant la colère de la bestiole qui se retournerait contre le vaisseau et mettrait toutes les vies présentes à bord en danger.
Mais l’elfe se désintéressa de ça aussi. Cet homme était stupide, et ce n’était pas son problème. Zewen était avec lui, après tout, présent dans son âme, assurant son destin. Dans sa poche, il tritura un instant la petite statuette de chat qui lui portait chance. La pierre noire polie frotta contre ses doigts gantés et il fut rassuré de cette présence dans sa poche. Intérieurement, il s’adressa à son dieu…
(Zewen, mon frère, faites que la bêtise de cet homme n’altère pas mon destin ! Prenez-lui la vie, frappez le de la marque du temps qui détruit les faibles. Faites flancher sa main et son esprit égaré. Prenez autant de vie que vous le voulez, je vous en fait don, mais préservez la mienne… Ainsi je pourrai vous rejoindre, mon frère, mon Dieu, et vous accompagner vers la destinée céleste qui est mienne.)
Il prit alors entre les doigts le premier objet qui lui tomba sous la main qui traînait sur le pont et le jeta vers l'archer, sans même vraiment essayer de le viser, négligemment, sans force. Geste inutile si ce n'était son symbolisme...