...L'arrivée de la jeune fille, grâce à son attitude tout autant que ses paroles, qui dénotaient une certaine connaissance de qui était qui, causa moins d'étonnement qu'elle aurait pu, dans d'autres circonstances. La présence d'un dragon enragé et l'urgence de la situation jouaient sans doute également. Cela dit, les différents regards qui se posaient sur elle étaient soit méfiants, pour ceux qui avaient eu vent de ses actes lors de la prise de Treeof par la Trinité, soit porteurs d'un intérêt qui semblait un brin malsain, pour Endar et Alistair. Deux Sauveurs d'Aliaénon, donc deux menaces potentielles tant qu'elle n'en saurait pas plus sur eux...
L'elfe noir fit remarquer qu'ils auraient besoin d'un plan s'ils souhaitaient entrer dans Escar'Olth, leur destination, avant de préciser que lui, Sirat ou elle-même n'auraient probablement aucun mal à y pénétrer. Elle haussa un sourcil. Cette cité, elle ne la connaissait guère et ignorait à vrai dire pourquoi elle pourrait y être plus facilement acceptée qu'un autre, mais si c'était vrai, elle n'allait pas hésiter à en profiter. Après tout, ça signifiait surtout que ce n'était pas à elle de monter une stratégie pour passer à l'intérieur d'Escar'Olth.
Ce fut ensuite l'autre, Alistair, qui prit la parole, les enjoignant d'entrer dans la grotte pour se protéger du dragon noir, assurant qu'il fermerait la marche tout en posant un regard un brin pervers, crut-elle. Pourquoi l'observait-il ainsi ? Elle s'écarta prestement, s'approchant de l'entrée où avait déjà disparu Endar. Si l'elfe, tout comme elle, sauraient s'y déplacer sans encombre, elle doutait que ce soit le cas des autres aventuriers, pour autant, elle n'avait guère envie de jouer aux âmes charitables en les guidant par la main. Elle n'était pas leur maman...
Les conseils d'Arsok lui revinrent en mémoire. Oui, mieux valait profiter de leur compagnie comme d'une protection contre les dangers qui viendraient se placer sur sa route... Elle aperçut Xël qui hésitait à avancer plus avant, s'approcha de lui et désigna d'un geste du menton le chemin qui disparaissait dans l'obscurité.
« Je suppose que vous ne savez pas vous guider tout seul dans le noir, si ? »
Cela sonnait déjà plus gentil que ce qu'elle aurait voulu dire. Mais il n'en parut pas touché, plutôt suspicieux vu son regard assez éloquent. Il tâcha de prendre un air détaché pour avancer qu'il aurait su si c'était une maison, de nuit, mais que c'était une autre affaire dans une grotte sombre et, qui plus est, dans une région dangereuse. Sans poursuivre sa pensée, il eut une moue, comme pour accepter à demi-mot son offre.
Il n'osait donc pas demander explicitement ? Elle en fut un peu amusée, mais ne laissa rien paraître sur son visage. À toujours s'exprimer à mots voilés, on finit rarement par obtenir ce que l'on désire sien...
« Posez votre main sur mon épaule, proposa-t-elle en hochant de la tête. Je vais vous guider. »
Cette fois-ci, il lui adressa un plissement d'œil clairement méfiant, expliquant qu'elle donnerait des coups de couteau dans le dos. Elle fronça les sourcils. Nastya, Kiyo, ou Talia elle-même ? La première sans doute, avait dû répandre ce bruit un peu partout. C'était vrai, bien sûr, mais certains faits gagnaient à n'être pas trop répandus. Affaire de réputation. Enfin, autant le prendre à la légère : elle haussa des épaules et rétorqua :
« Oui. Mais là, je serai devant vous. »
Un détail notable, si elle le guidait. C'était plus difficile de donner des coups de dague dans le dos quand on était devant, non ? Continuant avec un air détaché, elle proposa :
« Si ça ne vous intéresse pas, je vous laisse là... pas de souci. »
Il rit, un brin surpris, puis posa sa main sur l'épaule de l'assassine, expliquant que ça irait, ajoutant sur le ton de la rigolade qu'il avait plus de ressource que Talia. Sur le ton de la rigolade, mais en espérant bien qu'elle l'entendrait... S'il savait. Tant qu'elle n'avait aucun intérêt à le tuer, il n'y avait aucune chance pour qu'elle risque sa vie afin d'ôter la sienne. Pour Talia, ç'avait été bien différent. Mais puisqu'il souhaitait jouer à ça, elle fronça à nouveau les sourcils et le pointa de sa dague – celle à trois lames, offerte par la Trinité, dont elle avait découvert les intéressants pouvoirs sur le gibier qu'elle avait eu l'occasion d'abattre en route.
« En revanche, pas de coups pas, et par coups bas, j'entends magie. Compris ? »
S'il y avait bien quelque chose qu'elle ne savait pas maîtriser et qu'elle préférait éviter au possible, c'était la magie. Oh, elle avait appris à la tolérer avec Arsok, mais... ce n'était pas encore ça. Histoire de le remettre à sa place, elle ajouta :
« Il paraît que vous faites jaillir des geysers, sinon... »
Il n'était pas le seul à avoir entendu des rumeurs. Surjouant l'indignation, il répondit que c'était dans son droit, dans l'objectif louable d'éteindre un incendie... non provoqué par lui, précisa-t-il rapidement. Elle aurait pu sourire, mais elle s'en retint. Ce type n'était pas son ami et elle ne souhaitait pas que quiconque ici le devinsse.
« Oui, mais la dernière fois, j'étais loin et hors de portée de votre magie. Si vous tentez ça ici, vous ne le verrez pas venir, le coup de dague. »
Elle pencha la tête sur le côté pour préciser à son tour :
« Comme Talia. »
Sous ses airs de comique et des paroles faussement amicales de sa part, elle n'ignorait pas qu'était en train de se créer un rapport de forces. Et elle ne voulait pas se laisser dominer. Cela semblait marcher car il devint plus sérieux pour expliquer qu'il n'utiliserait sa magie qu'en dernier recours et qu'il la préviendrait. Il tendit la main pour sceller ce petit pacte.
« Marché conclu, répondit-elle en lui serrant assez violemment la main. »
Puis, après lui avoir laissé le temps de la reposer sur son épaule, elle entama la marche dans la grotte. Il n'avait rien montré concernant sa main, préférant prendre sur lui : au moins, il avait un peu de classe et de dignité. Alors qu'ils avaient fini par se retrouver dans une obscurité complète, le mage décida de briser le silence à nouveau, demandant importunément comment ça se faisait qu'elle parvienne ainsi à voir dans les ténèbres normalement.
Elle inspira, s'apprêtant à répondre, mais s'arrêta aussitôt. Répondre quoi ? Qu'elle était née et avait vécu à Dahràm, ville de voleurs et de pirates aussi brutaux qu'impulsifs et où il fallait se débrouiller soi-même pour trouver à manger ? Une ville où, si on ne voyait pas clair dans les ombres, on se faisait violer à chaque coin de rue une fois la nuit tombée ? Elle avait laissé toute cette existence derrière elle, même si l'atmosphère de la ville, malgré toute la violence qu'elle y avait subie, gardait pour elle un certain attrait nostalgique. Et puis, tout compte fait, elle n'avait pas envie de parler de ça.
« Ça ne te regarde pas. C'est comme ça. »
Difficile aussi, d'expliquer que, un peu plus que par simple survie, cette faculté lui était venue à force de travailler pour le Gros Néral, un vendeur de faux tableaux et parrain de la pègre de la coquette cité portuaire. Il haussa vaguement des épaules, sans doute sans se rendre compte qu'elle percevait fort bien ce mouvement désinvolte puisqu'il avait sa main posée sur son épaule. Au fond, il était quand même un peu idiot, mais pas bien méchant.
Au fur et à mesure qu'ils avançaient, aux stalagmites se substituaient un décor autrement plus macabre : des cadavres difformes, étendus au sol, les accueillaient avec une odeur pestilentielle. Elle s'arrêta un moment pour observer l'ensemble d'une façon plus attentive et posée. La chose ne l'étonnait guère, mais lui faisait seulement prendre conscience qu'il serait effectivement nécessaire de se méfier : d'autant plus que tous ces corps étaient proprement impossible à identifier, déchiquetés par un virtuose du massacre. Mais puisqu'elle avait un sorcier à portée :
« Vous qui êtes mage... vous vous y connaissez en nécromo... nécromancie ? »
Satané mot. Il répondit qu'il savait de quoi il s'agissait mais guère plus, avant de s'enquérir de l'odeur, prétexte pour une nouvelle question à but humoristique qui fit grincer des dents à la jeune fille. Comme s'ils avaient le temps pour ce genre de gamineries, avec le danger qui pesait sur eux...
« Non. Y'a des cadavres par terre... Je te prierais de chuchoter, à présent. »
Si la formulation était polie, le ton était ferme et autoritaire. Elle ne souffrirait aucune objection : heureusement, il n'en eut aucune, la réponse de Yurlungur l'ayant raidi, sans qu'elle ne parvienne à déceler de trace de véritable peur chez lui – plutôt qu'il était à présent sur ses gardes, et il avait bien raison. Mais ces cadavres l'intriguaient et elle lui souffla :
« Attends un instant... »
Sans difficulté, elle se déroba à sa prise et s'écarta un peu, allant examiner les corps de plus près. Mais la première vision qu'elle en avait eue était correcte : ces choses étaient... difformes. Toutes les charognes semblaient provenir d'animaux et elle aperçut sur la plupart des poils, une sorte de fourrure... enfin, pas tous au même endroit. Même s'ils étaient nombreux, il était difficile, dans l'état actuel des choses, de déterminer à quoi ils ressemblaient avant d'avoir été affreusement mutilés : une entité puissante, mue par une volonté de pure destruction, avait simplement tenté de les priver de forme. Bref, c'était assez peu rassurant. Mais même ses yeux avaient leur limite et ils commençaient à fatiguer – de toute façon, elle ne distinguerait rien de plus. Retournant auprès de Xël, elle saisit sa main et la replaça avec une certaine douceur, occupée à élaborer des hypothèses sur ce qu'il avait pu se passer ici, tout en repartant de l'avant, sans un mot.
Mais le mage demanda naturellement des explications. Que dire ? Elle n'avait pas vu grand-chose et aurait bien du mal à lui expliquer... d'autant qu'avec l'obscurité, elle ne pouvait guère embrasser les formes dans leur ensemble et celles-ci, lorsqu'elle forçait trop, devenaient un brin mouvantes, surtout dans les lieux privés de toute lumière comme ici. Si seulement il y avait eu la luminosité des étoiles, ou le faible éclat de pierres luminescentes... Et puis, elle ne voulait pas l'affoler pour rien.
« Je ne suis pas sûre... Et puis, je n'ai pas les yeux d'un elfe noir non plus. »
Sans doute Endar avait-il pu en observer davantage : et encore, elle doutait qu'il ait pu acquérir plus d'informations qu'elle sur ce mystère qui se développait devant eux.
« Même si les ombres s'écartent sous mon regard, les formes restent floues et l'imagination est perverse... J'aurais peur de dire une bêtise. Lorsque ta vue veut pénétrer trop loin dans les ténèbres, il advient qu'en imaginant tu t'égares. Endar saurait mieux te répondre que moi, mais c'est pas très beau à voir. Un amas de corps déchiquetés, nous le groupe d'aventuriers, bref, tous les ingrédients pour un sacré combat. Bientôt ? »
Elle s'était tendue au fur et à mesure de la description qu'elle donnait. Ils n'avaient rien à faire là, mais dehors, avec le dragon, c'était peut-être pire... Xël répliqua qu'ils n'avaient probablement aucune raison d'être aussi inquiets, estimant que leur groupe était apte à affronter toute menace qui surgirait. Elle tombait des nues. Était-ce à nouveau... une blague ? Ici, à elle seule, profitant de l'obscurité, elle aurait pu tuer la moitié de ce groupe avant d'avoir à faire face à Endar et peut-être un ou deux autres un peu plus débrouillards dans le noir. Et elle n'était qu'une gosse.
« Qui sait se repérer efficacement dans le noir ici, à part moi et Endar ? Et peut-être l'un des deux tourtereaux, derrière, rajouta-t-elle en se rappelant qu'ils avaient demandé à fermer la marche. »
Elle secoua la tête.
« Ce n'est pas suffisant. À l'air libre, passe encore, mais là... Prudence, silence, patience, et d'autres qualités essentielles que nombre d'entre vous n'avez pas assez développées. »
Voilà qui devrait lui rabattre son caquet et lui faire comprendre cette notion essentielle apparemment inconnue d'humilité. Il n'en avait pas eu assez avec le dragon qu'elle l'avait vu affronter de loin, en s'approchant ? Sans le retour du saurien doré, il y serait resté. Et il se croyait encore invulnérable...
Cette réprimande lui arraché un soupir qu'elle crut percevoir agacé. Tout en reconnaissant être encore un peu un enfant lui-même, il semblait lui reprocher d'être devenue une adulte trop tôt, remarquant qu'elle avait bien changé depuis sa traversée du portail – et rappelant qu'elle lui était alors tombée dessus. (Ce ne serait pas arrivé si tu t'étais poussé au lieu d'encombrer le passage...) grogna-t-elle intérieurement, sans oser le dire... elle ne se souvenait que trop vaguement de cet épisode pour se souvenir de ce qu'il s'était réellement passé. Et puis, il y avait autre chose qui la gênait, une affirmation qu'il donnait alors qu'il n'avait discuté avec elle que cinq pauvres minutes.
« Une adulte trop tôt ? Je suis encore une enfant. »
Qu'est-ce qu'il en savait, lui ? Il n'était pas à sa place, elle qui s'était demandée pendant six longs mois si son refus d'offrir sa vie à Elisha'a avait été la bonne solution ou un simple enfantillage, puis pendant six longues semaines si Arsok l'avait envoyée là-bas pour se débarrasser d'elle ou s'il croyait vraiment en ses capacités. L'Ombre l'estimait, mais il l'estimait comme on s'amuse d'un enfant un peu en avance. Ce n'étaient pas réellement ses propres compétences qui impressionnaient l'Ombre, c'était plutôt le fait qu'elle n'était encore qu'une gosse ayant malgré tout réussi à les maîtriser... Si elle avait vécu pendant des siècles auparavant, comme Liniel, cela aurait beaucoup plus banal. Minée par ces réflexions intérieures qui se déroulaient à nouveau devant elle en un instant, elle répliqua, piquée, grommelant à moitié :
« Tant que les ombres me considéreront ainsi... Tant que je serai frêle parmi les ombres et fuyante devant la mort, je serai encore une enfant. »
Ça, c'était aussi pour Arsok, comme elle savait qu'il pouvait l'écouter s'il le souhaitait. Ces paroles étaient chargés d'une rancune aussi profonde qu'ambiguë car elle ne savait pas réellement contre qui la diriger. Contre Arsok, contre Dahràm, contre Xël qui avait posé cette question ; contre elle-même ou contre l'univers entier ? Elle n'avait plus envie de parler mais il continuait, précisant sa pensée : pour lui, elle parlait “comme une vieille”.
Cela produit comme un déchirement encore plus violent en elle. C'était tout ? Elle avait cru, à l'instant, qu'il disait cela afin de la complimenter, de la reconnaître plus forte et plus capable, pour le peu qu'il en savait, mais non. C'était une simple question de vocabulaire. Une simple question d'apparence, de cette façon qu'elle avait acquise de parler et qui n'était en rien représentative de la force réelle de la personne qui parlait. Comme pour l'agacer encore davantage, il répéta ses dernières paroles avec ironie, avant de conclure en avançant qu'elle n'avait plus l'innocence d'un enfant. Pas assez forte pour être une adulte, ni assez innocente pour rester une enfant, elle était dans cet entre-deux fatal qu'on appelle l'adolescence.
Elle soupira en signe de consentement. Non, elle n'avait aucune envie de parler.
« T'as eu plus de chance que moi, alors... D'abord, c'est pas ma faute, continua-t-elle avec un ton agacé. »
La colère et l'agacement chassaient aisément un chagrin naissant. Il ne poussa pas plus loin et ils continuèrent de marcher dans un silence réconfortant, tandis que Yurlungur oubliait ses soucis pour se concentrer sur quelque chose de plus urgent : éviter de tomber sur un monstre qui souhaiterait les tailler en morceaux. Puis, leur chemin s'éclaira alors qu'ils pénétraient dans une sorte de cavité naturelle, dont le plafond diffusait une lumière douce. Se dérobant à nouveau de la prise de Xël, elle observa les alentours avec attention sans trop s'écarter du mage. Plus loin en avant, il y avait une autre source de lumière, pulsante, autour d'une sorte d'autel creusé dans la grotte. Ça ne sentait pas bon par là.
Elle aperçut d'ailleurs Sirat, qui semblait concentré sur autre chose : comme elle s'y attendait, il était bel et bien là, accompagnant Sibelle. Derrière eux arrivait aussi Jorus avec... une torche. Elle fronça les sourcils. Il aurait pas pu prévenir plus tôt, celui-là ? Tant pis : elle en revint à sa phase d'observation.
Plus à gauche, le sol s'affaissait dans une sorte de précipice ou certains casse-cous essaieraient peut-être de descendre – pas elle. L'unique sortie potentielle qui finit par attirer son attention, c'était un boyau sombre, empli d'une obscurité tentatrice, et autour duquel étaient à nouveau amassés des corps tout aussi dénaturés que plus tôt. Le désignant à Xël, elle expliqua :
« Un peu comme ça, les cadavres... Pas beau, quoi. »
Mais le mage était agité et ignora son explication, cherchant visiblement autre chose, avant de révéler qu'il se sentait étrange et qu'en lui, sa magie devenait plus forte, brûlante. Avec un regard inquiet, la jeune assassine s'écarta vivement de lui d'un bon pas.
« Génial... »
Pour le mage, il y avait quelque chose dans cette salle qui devait déclencher ce phénomène. Sans doute incapable de se concentrer correctement avec cette sensation nouvelle, Yurlungur proposa :
« L'autel, peut-être ? »
C'est vrai qu'un autel comme ça, ça avait souvent à voir avec de la magie pas nette. Remarque, un mage, aussi. Puisqu'en général la magie ce n'était pas bien net. Et effectivement, Xël semblait d'avis que l'autel n'était pas bien net... Si même lui le disait.
« Peut-être vaudrait-il mieux que les mages restent en retrait... Si je vais voir, je ne risque pas de déclencher quoi que ce soit si je ne fais pas de magie, si ? »
À vrai dire, elle espérait qu'il l'en dissuade. Et heureusement, cette théorie ne le convainquait pas. Mais il ne rajoutait rien, ne proposait aucune alternative : si bien qu'après quelques instants, elle rétorqua :
« Dans tous les cas, on est coincés. S'engager dans le boyau sombre là-bas est suicidaire, sauf éventuellement pour moi ou Endar, et je ne crois pas que quiconque ait pris de corde pour descendre dans la crevasse là-bas. »
Il soupira, espérant qu'ils finiraient par trouver une solution, la remerciant pour son aide. Il semblait un peu... mou. Elle n'allait pas tomber du ciel, cette fameuse “solution”. Un peu agacée par autant de nonchalance, elle indiqua :
« Je vais aviser avec Endar pour le boyau. »
Puis, sans davantage d'explications, elle partit d'un pas décidé en direction de l'elfe noir : ce fut le moment que choisit l'humoran pour l'intercepter, la dévisageant avec un air surpris, avant de s'estimer heureux qu'elle soit là, lui offrant un sourire réellement amical. Elle hocha de la tête, souriant un peu – elle n'avait plus trop l'habitude, depuis six mois.
« Le plaisir est réciproque. »
Il l'était vraiment. L'humoran, même si elle ne le connaissait que peu, dégageait une certaine aura de force et elle savait qu'elle pourrait informellement compter sur lui depuis leur alliance simultanée à la Trinité. Mais ils n'avaient pas le temps de bavasser : son visage redevint sérieux et elle désigna le boyau :
« Je compte m'y rendre. Seul Endar est en mesure de m'accompagner, grâce à ses yeux... »
Elle faisait peu de cas du reste des aventuriers. L'humoran serra les poings en entendant le nom de l'elfe noir mais, bien qu'un peu surprise par cette réaction, elle poursuivit :
« Pour les autres, ce ne serait pas très malin. Il y a là-bas une bête qui vit dans les ténèbres, un monstre vorace qui les engloutira. Mais l'elfe et moi pouvons nous débrouiller dans son milieu. »
À vrai dire, elle était un peu excitée par la perspective d'entrer là-dedans. Elle riva son regard dans le sien :
« J'aurais une faveur à vous demander... Empêchez les autres de pénétrer à notre suite, ça ne ferait que nous gêner. »
Et puis, haussant les épaules :
« De toute façon, je ne pense pas qu'on aura à chercher bien loin avant de trouver un ennemi à abattre. Tenez-vous prêts, si jamais nous avions à battre en retraite : bref, restez loin du boyau et attendez-vous à tout. »
La chose était posée : elle attendait seulement un assentiment de sa part avant d'aller rejoindre Endar. Et son regard semblait clairement signifier qu'elle n'avait pas l'intention de revenir sur sa décision d'explorer le boyau. L'humoran se pencha vers elle pour lui glisser quelques mots sans que personne d'autre ne puisse les saisir. Il comptait sur elle et lui recommandait de se méfier d'Endar plus que de qu'ils trouveraient dans le boyau...
Et, sans prévenir, il lui déposa un baiser sur le front. Elle eut alors un bref mouvement de recul, étonnée. Étrange... Mais elle ne voulait pas avoir l'air d'être prise au dépourvu et elle se contenta d'hausser les épaules, un brin mécaniquement, comme si cela ne l'affectait pas, et se tourna vers le boyau, tout en repensant à ce qui venait d'être dit. Se méfier d'Endar... Évidemment, c'était un elfe noir. Elle aurait fait attention quoiqu'il arrive... Mais plus que de la bête ? C'était un peu fort, quand même. L'humoran était sans doute aveuglé par une rancune passée...
Mais alors qu'elle pensait à tout cela, l'elfe lui était passé à côté. Lui et Sirat étaient en pleine altercation et si Endar semblait parfaitement maître de lui-même, l'humoran l'était bien moins. Elle attendit patiemment qu'ils finissent leur petite joute verbale avant d'intercepter à son tour l'elfe.
« Le seul endroit où je peux me rendre utile, c'est là, chuchota-t-elle en désignant le boyau sombre. Nous ne sommes pas équipés pour descendre par l'autre chemin et je préfère laisser l'autel là-bas aux mages. »
Relevant son regard vers lui, elle proposa :
« Je peux me repérer dans l'obscurité mais les yeux d'un elfe noir seront toujours plus efficaces que les miens. Vous m'accompagnez ? »
Il réfléchit pendant un court instant avant de reconnaître l'utilité d'employer leurs capacités de cette façon qu'il jugeait pertinente. Bien. Il précisa qu'il souhaitait quoiqu'il en soit explorer le boyau lui aussi, et accepta implicitement sa compagnie. Enfin, tapotant son arc, il préconisa de rester groupés et d'avancer le plus silencieusement possible. Selon lui, ils tomberaient sur au mieux une, au pire plusieurs créatures dotées d'intelligence, sur un monstre qui n'existait pas il y a cinq ans ou encore sur une création de Vallel. Elle opina du chef, toujours aussi sérieuse.
« Très bien. En avant. »
(((3500 mots, en avant pour le boyau sombre avec Endar)))
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