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Pressé de quitter la salle, j’avais omis un détail important. Je n’avais aucune idée où pouvait se trouver la chambre du conseiller, et les portes s’avéraient nombreuses dans ce long et sombre corridor. Mais ne baissant pas les bras pour si peu, et ne voulant pas perdre du temps, j’avais questionné, Egregor, Xël et la jolie dame. Cette dernière m’ignora totalement, signe de manque de goût. L’homme d’apparence peu soigné, coiffé du chapeau excentrique d’où sortaient quelques couettes de cheveux désordonnées, me répondit d’un air nonchalant que sa porte devait être gardée et qu’une affiche portant le terme Trouduc devrait l’annoncer. Soit qu’il n’avait pas pris ma demande au sérieux, soit qu’il ne portait pas le conseiller dans son cœur, soit un peu des deux.
Quoi qu’il en soit, ce fut Egregor le plus efficace. Il ne se perdit pas en mots et explications inutiles. Fidèle à lui-même, l’homme à la peau noire se mit en action. S’approchant de chaque porte, il y porta l’oreille. La plupart des chambres étaient envahies par les esserothiens et on y entendait que ronflements et chuchotements. Je compris vite le raisonnement d’Egregor et je le suivis le long du corridor, me fiant à son jugement. Il s’arrêta finalement devant l’une d’elles, en position centrale dans le couloir et l’ouvrit. Elle était vaste et un grand lit vide et défait trônait au milieu. Deux cadavres gisaient dans un bain de sang sur le sol. Je retins un hoquet de surprise.
(La chambre du gouverneur ! )
Bien que je savais que le gouverneur fut enlevé, je n’avais pas pensé un seul instant que du sang avait été versé. Et pourtant, cela s’avérait tout à fait logique. Il était naïf de croire que le gouverneur de Fan Ming ne possédait pas de gardes du corps. Et encore plus naïf de penser que ces hommes auraient laissé faire les brigands sans réagir. Ces hommes formés au combat et dévoués à leur maître avaient sacrifié leur vie pour celui-ci. Et inutilement en fait, puisque l’enlèvement ne put être évité. Des doutes s’insinuaient dans mon esprit. Ce pirate avait omis ce détail, et il en avait sûrement omis d’autres. S’était-il contenté d’enlever le jeune gouverneur ou avait-il attenté à la vie de la princesse. Mon cœur se mit à battre plus vite juste à cette pensée.
(Ce pirate est dépourvu de scrupules, qui sait jusqu’où il peut aller…. Mais son plan était de permettre à Honoka de prendre les rênes de Fan-Ming… elle est sûrement en sécurité dans sa chambre.)
Rassuré par mon raisonnement logique, je tournai mon regard vers Egregor qui avait déduit que ces crimes étaient forts récents, ils avaient été perpétrés au plus une heure avant. Je répondis à son interrogation pendant qu’il cherchait une autre chambre.
« Normalement non, ce n’est pas le fait des troupes d’Oaxaca, mais d’aventuriers qui ont agi ainsi afin que la princesse puisse prendre le pouvoir sur l’armée de Fan-Ming. »
Tout au bout du couloir en coin, Egregor ouvrit une seconde porte. La lumière qui passait entre deux pans de rideaux nous offrit suffisamment de clarté pour nous permettre de discerner deux formes dans un grand lit. Egregor avait vu juste, il s’agissait bien de la silhouette du conseiller torse nu qui offusqué, avec raison je dois l’avouer, d’une telle intrusion, se redressa nous demandant la raison de notre irruption dans sa chambre. Tout près de lui, une jolie dame, plutôt timide, tentait en vain de se dissimuler sous les draps.
Egregor me lança un regard interrogateur. Il avait fait sa part, c’était à mon tour de faire la mienne. Afin de ne pas mettre la jeune dame plus mal à l’aise qu’elle ne le fût, j’évitai de la regarder, même si je devais avouer que sa présence fut agréable à l’œil. Je me concentrai sur le faciès plutôt ordinaire du conseiller et lui apportai réponse à sa question.
« Deux gardes baignent dans leur sang dans la chambre du gouverneur. Il a été enlevé. Il est urgent d’agir, la situation ne fait que se rengréger. »
Voilà pour les faits véridiques, je devais à présent manipuler les mots, modifier légèrement la vérité afin d’obtenir gain de cause.
« Le jeune garçon a été emporté à Andel’Ys. Il y a un dragon mauve faisant partie des troupes de Oaxaca. Je crains pour la vie du gouverneur de Fan Ming. Il faudrait que vous y envoyiez des armées sans tarder ! … Je crois que votre vie pourrait être également en danger.»
Il n’y avait pas que du faux dans ce que je venais de débiter. A aucun moment, je n’avais mentionné que le dragon mauve était à Andel’Ys. J’avais parlé d’une voix qui se voulait convaincante, empruntant la voix d’un soldat sûr de lui, mais pressé par les événements. Je me sentais tout de même en confiance, si mes arguments ne suffisaient pas à le convaincre d’envoyer des troupes à Andel’ys, ceux d’Egregor, plus sanglant, pourraient y arriver.
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Dernière édition par Mathis le Mar 1 Déc 2015 03:13, édité 1 fois.
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