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Aucune salive inutile ne fut gaspillée, les deux femmes intelligentes approuvèrent mon stratagème et nous sortîmes dans le corridor. Si j’étais persuadé de la réussite de mon plan, je ne l’étais pas autant de l’efficacité des pouvoirs d’illusion de Glanaë. Ainsi, c’est avec un peu de nervosité que je franchis les premiers pas hors de la pièce, tentant du mieux que je pus d’adopter une attitude coincée de garde de Fan-Ming. Après quelques enjambées, je constatai que l’illusion fonctionnait à merveille, nous déambulions parmi les gardes comme si nous faisions partie des membres de leurs troupes. Aucun garde ne se détourna vers nous, ce qui n’aurait pas été le cas de gardes censés s’ils avaient aperçu les deux beautés qui m’accompagnaient.
Il fut facile de trouver le chemin de la prison puisqu’il suffisait de suivre nos « collègues » qui y emmenaient les derniers esserothiens. Chemin faisant, de façon subtile, j’observai le traitement que subissaient les habitants d’Esseroth et force me fut de constater qu’en aucun moment ceux-ci furent rudoyés. Nos pas nous conduisent à des cellules séparées situées sur le même étage du donjon. Tout en étant loin de la qualité des chambres qui leur étaient auparavant octroyées, elles s’avéraient néanmoins assez confortables et sûrement pas les pires. Et puis, la phrase du soldat que j’avais voulu attaquer me revint à l’esprit :
(Hum… « Monsieur ? Monsieur, vous faites erreur.. » ) Mais je la chassai aussitôt.
Une fois sur place, je réalisai que mon plan ne pouvait être exécuté tel qu’imaginé au départ. Les protestations de certains esserothiens obligeaient en quelque sorte la présence continue de gardiens en ces lieux, m’empêchant du coup de les libérer en toute impunité.
D’une cellule non loin de nous, nous parvint une voix que je connaissais sans pourtant pouvoir identifier. L’homme criait à l’injustice, clamant qu’il y avait eu erreur et qu’ils étaient nos alliés. Glanaë qui avait sans doute reconnu son compatriote bifurqua aussitôt dans sa direction, je la suivis tout en prenant la main de Loona afin qu’elle reste près de nous.
Et tout en regardant par la petite fenêtre grillagée de la lourde porte, j’aperçus Arthès, puis Egregor toujours inconscient.
(Arthès et Egregor, les deux hommes qui m’ont sauvé la vie.)
Je devais réfléchir vite et faire quelque chose pour les sortir de là.
(Les sortir de ces cages, oui, les sortir de ces cages au plus vite. )
Pendant que je répétais cette phrase et que je tentais de trouver un moyen de les sortir de là, un souvenir datant de mon enfance refit surface. Alors que je n’étais qu’un gamin, j’avais comme compagnon un mignon oisillon que j’appelai affectivement PiouPiou. Je pouvais passer des heures à l’observer dans sa cage et à l’écouter chanter d’agréables mélodies. Je me souvins que j’harcelais sans cesse ma mère afin qu’elle le libère, mais à chaque fois, elle refusait. Puis, un après-midi, alors que j’étais seul dans la pièce avec mon oisillon, pris de pitié pour ce petit prisonnier, je montai sur un petit tabouret et j’ouvris la porte de sa cage. Il s’envola aussitôt pour se poser sur le dossier d’une chaise et à ma grande joie se remettre à chanter. Mais ma joie fut de courte durée, car notre gros chat tigré l’avait observé lui aussi des jours durant à travers sa cage de bois. Et il saisit l’opportunité que je venais de lui offrir : d’un coup de pattes, il fit tomber l’oiseau par terre tout en le blessant, et de quelques bouchés, il en fit son déjeuner. Ma tristesse fut grande, mais je compris les sages paroles de ma mère. La cage avait pour unique but de protéger mon oisillon… de le protéger et non le brimer. Et cette phrase qui revint me hanter :
( Monsieur ? Monsieur, vous faites erreur !... )
Cette fois ma décision était prise.
Je m’approchai suffisamment proche d’Arthès pour pouvoir lui parler à voix basse sans attirer les soupçons des gardes. Attirant Glanaë et Loona à mes côtés afin qu’elles puissent elles aussi m'écouter.
Persuadé qu’il comprendrait le subterfuge, connaissant sans doute les talents de Glanaë, je me présentai à voix très basse :
« C’est moi Mathis ! Je suis accompagné de Glanaë qui crée cette illusion et de Loona. Je ne suis pas une happelourde, je suis venu ici pour vous délivrer. Mais vous devez suivre mes directives à la lettre, il s’en va de votre protection, de votre survie et de celle des autres esserothiens. »
Je m’arrêtai un moment, regardant furtivement autour de moi afin de m’assurer qu’aucun autre garde ne s’était approché, puis je poursuivis :
« Il y a trop de gardes ici pour que je déverrouille les serrures sans être repéré. Je vais donc avoir besoin de votre concours, je vais vous demander d’arrêter le temps comme vous l’aviez fait pour le dragon afin que je décadenasse toutes les portes. Je suis assez habile dans ce domaine et je vais tenter d’opérer le plus rapidement possible. »
Je marquai un court temps d’arrêt, craignant qu’il n’accepte pas la suite de mon plan.
« Vous, Esserothiens, représentez le salut d’Aliénon tout entier, c’est écrit dans la prophétie. Mais malheureusement, les troupes d’Oaxaca sont au fait de cet écrit et ils feront tout pour que la prophétie ne se réalise pas. Ils vont donc par tous les moyens tenter de vous tuer. Je n’aime pas vous voir ici prisonnier, mais il est important de vous garder vivant et vous protéger… N’ayez crainte, je vais vous libérer comme promis, mais vous imposer une condition. Je vais donc ouvrir toutes les portes, mais en maintenant le mécanisme verrouillé afin qu’elles se rebarrent dès qu’elles seront refermées. Je vais ouvrir tout ce qu’il me sera possible dans le temps que vous pourrez m’allouer. Ensuite, nous laisserons ces portes très légèrement entrouvertes afin que les gardes ne se doutent de rien et que vous puissiez sortir le moment venu. Cependant, s’il se présente un danger, la protection des gardes ne sera pas suffisante. Vous devrez donc refermer vous-mêmes les portes, vous enfermant ainsi à clé. Cette prison vous sauvera ainsi la vie. De notre côté, nous allons nous rendre à la salle d’entraînement, je veux discuter avec le maître d'armes afin qu’il nous propose un lieu plus adéquat pour vous et qu’il nous tienne au courant des derniers évènements. Donc, j’ai besoin de votre parole, si vous acceptez d’arrêter le temps, il vous faudra aussi respecter mon plan à la lettre. »
J’attendis alors sa décision ou ses commentaires, mon poignard en main, j’étais prêt à crocheter toutes les serrures dès que le temps s’arrêterait.
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