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Quelques instants plus tard, on frappa à la porte de la chambre d'Honoka. Celle-ci s'était réveillée à la hâte pour répondre à l'appel de Tsukiko, accompagnée de sa suivante silencieuse. Elle avait reconnu, parmi les visages des soldats qui l'avaient appelé, celui d'Heartless, et avait gardé le silence, ne sachant si tout cela faisait partie d'une mascarade ou d'un plan en bonne et due forme.
Lorsqu'ils arrivèrent jusqu'à Tsukiko, entouré d'autres gardes de Fan-Ming, Honoka fut surprise, écœurée même, de le voir avec une courtisane partageant son lit. Sirius ne sut pas si c'était une pratique considérée comme indigne du conseiller... mais cette femme, elle lui disait quelque chose. Heartless ne sut dire si c'était parce qu'elles se ressemblaient toutes, mais il était certain d'avoir vu exactement la même femme dans la chambre du gamin. Si elle était bien la maîtresse de Tsukiko, il était peu appropriée qu'elle soit aussi l'accompagnatrice de l'enfant, non, ça ressemblait trop à une famille reconstituée pour être acceptable dans une société aussi coincée. Mais le doute persistait, à quoi servaient ces femmes muettes, et surtout, qui servaient-elles ?
Honoka s'apprêtait à poser la question, mais elle fut balayée par le conseiller qui s'exclama :
- C’est le cadet de nos soucis, pour l’instant. Nous verrons ça plus tard, si vous le voulez. Je viens d’apprendre que votre frère a été enlevé et mené à Andel’Ys, là où l’armée ennemie assiège la capitale voisine. Nos défenses, ici à Fan-Ming, sont également ébranlées. Un humoran se serait infiltré parmi les aventuriers et aurait fait s’effondrer en usant de magie toute une partie de notre muraille extérieure. Tel que le prévoit le Code de Fan-Ming, je prends donc avec regret la régence de la cité, et déclare l’état martial strict.
Il se tourna ensuite vers ses hommes, et ne sembla pas tiquer lorsqu'il aperçut Heartless. Il commença à donner des ordres, et à chaque pause qu'il faisait, des hommes en armure s'en allaient à pleines foulées remplir leur mission.
- Vous, allez prévenir les gradés aux portes de la ville. Répandez la nouvelle. Que toutes les troupes soient rapatriées en nos murs et que les compagnies se tiennent prêtes au combat. Que des tours de gardes soient organisés, et que les artisans soient réquisitionnés pour colmater la brèche du mur au plus vite. Arrêtez quiconque refuserait d’obéir. Vous, prévenez la garnison de mettre aux fers au plus vite ces étrangers Esserothéens en nos murs. Qu’ils se reposent dans nos geôles. Les laisser libres est un trop grand risque. A commencer par celle-ci.
Après avoir ordonné que l'on détienne les réfugiés, des gardes se hâtèrent pour retenir les deux personnes qui accompagnaient Mathis, un homme et une femme. La femme fut ballonnée, et l'homme, qui se débattait, fut assommé.
- Vous ne pouvez pas ! Ce sont des réfugiés. Ils peuvent nous aider ! protesta Honoka.
La princesse voulut aller libérer la jeune femme d'Esseroth, mais elle fut bousculée par les soldats qui ne répondaient qu'au conseiller, et lorsque Chihiro la silencieuse toucha ses armes pour intervenir, les soldats devant elle pointèrent leurs piques. Elle ne baissa ses dagues que lorsqu'Honoka lui intima de rester pacifique. Tsukiko n'en démordait pas, sa volonté était de fer, et il était déterminé à enfermer les étrangers présentant un danger potentiel. Puis, Tsukiko donna un ordre au dernier garde qui n'était autre qu'Heartless :
- Allez prévenir de ce pas les Vingt. Ils doivent activer le Bouclier. Le fluide est directement en danger. Désormais, plus rien ni personne n’entrera ou ne sortira de la cité sans mon accord préalable. Ces chevaux ailés ont bien aidé, mais il est temps de mettre un terme à cette folie !
Le pirate feignit de comprendre le moindre mot, mais ne partit pas de suite, car il avait d'autres choses à observer. Cette nouvelle tension l'inquiétait. Honoka s'avança encore une fois, désespérée :
- Et mon frère ! Il est encore en vie, nous devons le récupérer ! Vous n’avez pas le droit de prendre le pouvoir de la sorte. - Sa mort sera un regret absolu, mais nous ne pouvons nous y pencher. Je ne fais qu’appliquer la loi en prenant la régence en situation d’urgence. Demandez donc à vos aventuriers de vous aider à le retrouver. Ils ont failli à leur tâche, nous ne pouvons désormais plus compter que sur nous-mêmes. Princesse, si vous n’êtes pas avec moi, vous êtes contre Fan-Ming, et serez arrêtée dans l'heure.
Le conseiller à la poigne de fer avait parlé, et toute personne qui s'opposait à lui était désormais un ennemi de Fan-Ming. Il fit ensuite savoir aux aventuriers que c'était chacun pour soi : le blocus les concernait eux aussi, et leur aide n'était plus nécessaire pour défendre la cité car ils avaient prouvé leur inutilité.
Heartless comprit qu'il n'y avait maintenant plus aucun moyen de convaincre le conseiller de rallier Andel'Ys, et que Fan-Ming était devenue le dernier bastion d'Aliaénon. Le plan initial était ruiné sans espoir de retour, mais des restes de ce dernier surgirent de nouvelles priorités, de nouveaux plans, une nouvelle direction. En voyant cette scène, le borgne comprit que Fan-Ming allait tomber quoi qu'il arrive, et que s'attarder à la défendre n'était qu'une perte de temps. Tsukiko s'aliénait les réfugiés de la guerre comme les aventurier, en d'autres mots, il les libérait de son emprise et de celle de Fan-Ming.
Mais tout de même, quel était ce funeste pressentiment qui le tourmentait encore ? Ce fut à ce moment-là qu'Alistair se montra au conseiller.
- Monsieur, je ne suis pas certain qu'il soit judicieux d'enfermer les Essérothéens, selon la prophétie c'est eux qui nous sortiront du pétrin. Descendons donc de nos grands chevaux avant qu'ils ne fassent des ébalaçons.
Le jeune homme avançait d'un pas confiant vers Tsukiko, mettant ses mains bien en évidence... il se rapprochait de lui... Heartless comprit : Alistair, faute de mieux, avait décidé de s'en tenir au plan initial : la mort de Tsukiko !
Non, il ne fallait pas que Tsukiko meure maintenant, c'était la dernière chose à faire ! Heartless tenta de s'interposer sans éveiller davantage les soupçons. Il décida de jouer son rôle de protecteur en apostrophant l'assassin :
- Hé, vous là ! L'aventurier ! Laissez le gouverneur tranquille, j'ai une tâche à vous confier !
En disant cela, le pirate jeta des regards furtifs à Alistair comme à Honoka. Il fixait particulièrement Alistair, le poing volontairement écarté de son fourreau, pour lui faire comprendre qu'il y avait un changement de plan. Dans toute cette mascarade, il semblait que maintenant, le pirate savait quoi faire. Il ne restait plus qu'une solution, mais pour qu'elle soit valide, il fallait que Tsukiko reste en vie, non, en fonction même ! C'était d'ailleurs pour cela qu'il l'avait désigné comme "le gouverneur".
Néanmoins, Heartless n'était pas sûr qu'Alistair allait s'arrêter pour autant. Il se tint prêt à l'interrompre par la force et à bloquer son bras, mais il craignait que si Tsukiko venait à comprendre ce qui allait se passer dans son dos, la situation n'empire pour tous les aventuriers présents à Fan-Ming.
-> Tentative de bloquer le bras d'Alistair.
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