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Auparavant~
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Patient, j'attends une réaction de Dame Galélia, mais cette dernière semble prendre son temps pour accepter les paroles de réconfort offertes. Je dirige mon attention vers les frères Dongho, effectuant un court entretien avant de prendre et de faire part de leur décision. Ils sont du genre à agir et le font savoir. Doutant de leur utilité à Treeof, ils prennent le parti d'aller espionner les Carnivores. C'est une initiative que je ne peux qu'approuver, quand bien même les laisser aller en un terrain totalement inconnu ne m'enchante guère. En tous cas, le lien avec eux ne sera pas perdu car ils disposent aussi d'une des pierres de Dame Charis. J'espère seulement qu'ils seront prudents, car laisser ce lien tomber entre de mauvaises mains pourrait s'avérer dommageable.
Comme s'il avait deviné mon inquiétude pourtant masquée, Ser Celemar fait entendre des paroles assurées et rassurantes. Son frère et lui ne sont pas surnommés le Loup et le Renard de Tulorim sans raison. Quelque part, l'idée que ces surnoms ont un sens plus littéral qu'il n'y parait m'effleure l'esprit. Nous sommes en Aliaénon et je suis moi-même doté d'une autre forme. Cela ne me surprendrait pas vraiment. J'ai à peine le temps de souffler une parole de séparation que le duo s'enfonce dans les bois.
Le repas achevé, notre groupe renforcé des trois hybrides reprend la route. J'ai parfois du mal à ne pas chercher dans le paysage des éléments faisant écho à mes souvenirs. Toutefois, je suis maintenu attentif par la présence de ma faëra. Elle ne me laisse guère me perdre dans la contemplation et les souvenirs, m'exhortant à rester concentré. Je le sais et pourtant une partie de moi est subjuguée.
Finalement, le groupe décide de faire halte en soirée aux abords d'une bâtisse de pierre. Et pas n'importe laquelle. C'est là que j'ai passé un temps de repos en compagnie des hommes D'Omble lors de mon dernier séjour. Après m'être assuré que ma monture ne risquait pas de fuir, j'entre dans le bâtiment et suis frappé par la négligence de l'endroit. Non, pas que simple laisser-aller, une vraie scène résultant d'une rixe. Mobilier renversé, reprise des pierres par la végétation, poussière et absence d'une provision de bois pour les voyageurs suivants. La vision me désole et me rappelle durement que le lien entre les différentes cités est quasiment rompu.
Ser Gleipnir et Ser Dromi quittent les lieux, tout comme le silencieux Ser Algaries, en quête de bois pour les premiers et sans doute avec un but personnel en tête pour le second, pendant que l'hybride hibou demeure à l'intérieur. Je prends le parti de l'aider à rendre un aspect utilisable aux couchages. Pendant que je m'affaire, ma curiosité me pousse à ne pas laisser un silence pesant prendre place.
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Ser Loeding, puis-je vous poser une question ?"
Mon interlocuteur me donne son accord de façon plutôt polie. J'enchaîne donc.
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Vos compagnons ont évoqué les tensions entre Carnivores et Herbivores plus tôt. Votre aspect vous rapproche visiblement des rapaces. Puis-je savoir où vous vous situez dans ce conflit ?"
Ser Loeding prend le temps de m'éclairer. Végétariens et Carnivores ne sont que des noms de clan. S'il n'y a effectivement aucun végétarien parmi le groupe belliqueux, il existe comme lui des mangeurs de viande avec encore la tête sur les épaules, capables de reconnaître qui fait partie des leurs. Lui-même n'a aucune raison de s'attaquer aux siens, se satisfaisant de mulots et campagnols.
J'effectue un signe de tête entendu, content de savoir que certains ont gardé leur cœur vaillant et fidèle à leur peuple. Après avoir posé mes affaires, je jette un regard aux alentours, me rappelant des événements d'alors. Le souper avec ceux qui allaient devenir mes amis, la rencontre avec l'ourgle, la première manifestation des effets différents de ma magie.
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Il est bon de savoir que tout ce que j'ai appris des vôtres n'a pas totalement disparu. Cet endroit a aussi bien changé... Qu'en est-il de Treeof ? La cité est-elle prête si le conflit devait arriver en ses murs ?"
Ser Loeding acquiesce lorsque j'évoque l'endroit, puis il me répond. Jamais Treeof n'a été fortifiée car elle est cité comptant sur la protection de la forêt. Sans doute est-ce à la fois pour la camoufler à ses ennemis, empêcher l'avancée facile de troupes et neutraliser les combattants grâce aux archers camouflés. Mais vu l'état de l'abri, et si le Capitaine Diasgo a disparu, j'ai du mal à croire que des patrouilles aussi impressionnantes que celle que j'ai rencontré lors de ma première venue soient encore détachées en forêt. En tous cas, l'hybride me confirme ce que je pensais : Treeof n'est pas prête à faire face, en particulier à une guerre intestine, et quand bien même ses ressortissants savent se battre.
En mon for intérieur, j'espère que le meneur des Carnivores peut encore accepter d'écouter, que cette tension demeure inimitié et n'éclate pas en violence destructrice. Je me sens pressé d'arriver, de voir s'il m'est possible de faire quelque chose pour les Pâles. Moi qui les ai auparavant poussé à entrer en guerre, je vais peut-être devoir agir pour faire l'exact contraire.
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Puisse cette situation ne jamais se concrétiser, en ce cas. Je vous remercie, Ser Loeding."
Ses compagnons reviennent peu de temps après, utilisant le bois ramassé pour allumer un feu de cheminée. Ma ration du soir en main, je me demande si le grand loup sombre de Yuimen compte se joindre à nous. Je trouve étrange qu'il n'ait pas décidé d'accompagner les tuloriens. Il aurait sans doute eu moins de difficultés que l'un d'entre nous à infiltrer les rangs Carnivores. Toutefois, estimant qu'il doit avoir ses raisons et me préparant plus prosaïquement à la nuit à venir, je laisse ces interrogations de côté pour finir mon repas.
Une fois rassasié, je prends la parole, annonçant mes intentions.
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Je n'ai guère besoin de repos. Je me porte volontaire pour rester de garde lors des premières heures."
Détendu mais attentif, je patiente, laissant à l'un de mes compagnons de route la possibilité de se manifester. Toutefois, s'il me faut rester seul lors de mon tour de garde, qu'il en soit ainsi. Je n'aurai qu'à me montrer doublement prudent.
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