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Auparavant~
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Rassurée par mes paroles ou par le départ du lupin peut-être, la fascinante Talia rassemble ses pensées avant de m'en faire part. Elle est troublée. Triste, assurément. Le discours de l'homme-loup l'a sans doute secouée également. Je lui prête donc une oreille attentive, mon regard posé sur son visage clair. Elle doute après cette rencontre, envisageant la possibilité que les siens, les Végétariens donc, aient pu commettre une erreur en écartant ainsi les Carnivores. Je me sens quelque peu soulagé à ces mots, craignant jusque-là que la rivalité prenne le pas sur le bon sens. Mais fort heureusement, la jeune D'Omble est une femme non seulement belle et cultivée, mais aussi ouverte d'esprit et encline à questionner ses convictions. Toutefois, je sais qu'il s'agit là d'un exercice difficile, pénible, et qui n'apporte pas toujours son lot de réconfort. Bien au contraire. C'est pourquoi je me contente de la soutenir silencieusement.
Elle aussi a à coeur la protection des siens, ne sachant que penser quant à la fuite des Carnivores alors que sa propre soeur devait être présente pour défendre une partie de la population. Cela me surprend aussi, mais à moins d'avoir un entretien direct avec cette dernière, impossible de savoir ce qui a causé ce revirement. La voix de ma douce amie se fait plus distante à mes oreilles en pointe tandis qu'elle semble davantage... Contrariée ? Maussade, peut-être. Elle reporte la responsabilité de cette situation sur une nouvelle malédiction, émettant le souhait que les Pâles quittent les lieux pour s'installer ailleurs, comme l'ont fait les hommes-chevaux en direction du nord.
Ses pas la conduisent à moi et je ramène posément mon bras dans son dos tandis qu'elle se love contre moi. Je n'ai pas l'habitude des étreintes ou de ce genre de contacts et mon coeur démarrant rapidement me le rappelle honteusement. Peste soit de ma taille qui m'empêche de lui offrir tout le soutien dont elle a besoin. Je ressens la douceur de son plumage contre ma peau, son parfum aussi, sa présence enfin. Je suis attiré par cette femme, encore ému que celle-ci ressente quelque chose de semblable envers moi et suis désireux de le lui faire savoir. Mais un effort de volonté grâce à mon éducation ynorienne me fait m'abstenir, tout comme la conscience de ma maladresse avec la gent féminine. Et puis, le lieu ne s'y prête pas, quand bien même ma conviction se renforce lorsqu'elle m'apprend vouloir partir, avec moi. Parcourir Aliaénon à ses côtés, apprendre les mystères entourant son peuple, puis lui faire découvrir ma cité, mes amis et avoir l'honneur de voir mon foyer devenir le sien. Ce serait...
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Insensé. Irresponsabilité. Une illusion fomentée par les émotions. Vous vous égarez, mon Protégé.)
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N'ai-je point le droit de l'envisager, Okina ? Cet avenir.)
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Lointain, incertain. Trop d'éléments changeants. À conserver le nez levé vers la montagne enneigée...)
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Sur un modeste caillou du chemin le voyageur peut trébucher... Vous avez raison, y réfléchir maintenant est un peu prématuré. Mais s'il m'est possible renforcer ma détermination par cette possibilité...)
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Raisonnement erroné. Faiblesse du cœur, car vous êtes personnellement trop impliqué.)
Ma faera parle avec distance, donnant la leçon sans hausser le ton. J'ignore si sa façon de faire me contrarie ou m'impressionne. Je comprends ce qu'elle veut me dire, et en même temps, j'ai des réticences à accepter sa vérité.
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L'individu avant la communauté. Travers à éviter pour qui se targue de protéger. Il n'est point d'œillères plus efficaces que celles dont d'aucun choisit de se parer, mon Protégé. Son peuple n'est pas vôtre, mais... Cela, vous ne l'ignorez point. Hum... Claires sont vos pensées sur cet autre projet que vous envisagez. À cœur vaillant, rien d'impossible. )
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Je l'espère.)
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Vers la douleur cette voie va vous mener. Puisse votre conviction être assez forte pour l'endurer. Quelle que soit l'issue, toujours je serai à vos côtés... Prudence, mon Protégé.)
Le silence dans mon esprit tandis que ma faëra atténue sa présence dans mes pensées. Je sais qu'elle ne pense pas à mal, mais la sentir s'immiscer au cœur de mes réflexions et juger mes sentiments me met particulièrement mal à l'aise. Je serre lentement Talia contre moi, lissant son dos de manière rassurante.
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Nous le ferons, Talia. Nous partirons, tous les deux, mais je sais pertinemment que vous comme moi ne nous résoudrons pas à le faire dans ces conditions. Avec encore tant de questions..."
Je lève un peu le visage, cherche ses yeux des miens et combats au mieux la sensation de confort que je ressens en la tenant contre moi. Je ne me pardonnerai jamais de perdre mes moyens aussi aisément.
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J'ai encore une carte à jouer pour aider les Pâles. Je le ferai. Lorsque cela sera le cas, la situation évoluera, mais les détails sont encore trop flous pour le moment..."
Nouvelle pause. Je fronce légèrement les sourcils. Si la Reine comme le Lupin ont le même désir de réunification, alors il reste un espoir. Un rôle, que ma position privilégiée me permettra d'endosser. Résolu, mon étreinte se défait et je viens chercher la main griffue de ma compagne.
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Mais s'il est une chose que je peux vous affirmer, Talia... C'est d'être résolu à me tenir à vos côtés quand viendra l'heure de quitter la Forêt."
Nulle autre parole de ma part. Je la laisse prendre la mesure de mes intentions. Ensuite, nous devrons nous mettre en route. Informer Sa Majesté, planifier la rencontre, veiller à la sécurité des deux et ensuite... Leur faire part du plan qui se monte peu à peu dans un recoin de mon esprit. Les Pâles se réconcilieront lorsque l'abcès sera crevé. Cette stupide tension au sein d'un même peuple cessera !
Du moins, c'est ce que je souhaite ardemment. Si Gaïa pouvait agir en Aliaénon, je la prierais de m'assister, de me donner la force d'assumer ce plan jusqu'au bout.
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