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La chose se tourna vers lui en un mouvement lent et plein de menaces. Par Phaïtos qu'il était grand ! Ses yeux brillèrent d'une étrange lueur verte et Azra les fixa, décidé à montrer qu'il n'avait pas peur. Enfin, il fallait espérer que cette chose pouvait se laisser convaincre par les apparences...
Alors, il sentit quelque chose... une onde invisible qui approchait... C'était... oui, c'était comme lorsqu'un esprit était venu pour tenter de s'emparer de son corps, lors de la bataille de Fan'Ming ! Bon, c'était sans doute le seul moyen que cette chose ait de communiquer... Il le laissa entrer. De toute façon, il n'aurait sans doute pas pu le retenir. Et alors...
Ce fut un torrent, un raz-de-marée, un tsunami de puissance dévastatrice qui déferla en lui ! Une explosion de douleur qui le fit vaciller ! Paniqué, il tenta de repousser la vague. Cette chose allait l'anéantir ! Il recula d'un pas et sentit le sol qui menaçait de se dérober sous ses pieds. Au sommet de son aiguille de pierre, il lui était impossible de fuir !
Alors, il tenta de rassembler son esprit, d'invoquer sa magie en catastrophe pour repousser l'intrusion. C'était un processus plus automatique que conscient. Des années à être prêt à défendre sa vie à chaque instant avaient rodé le jeune homme jusqu'à le doter de réflexes hors du commun face au danger. Le plus surprenant fut de sentir la douleur refluer légèrement. Oui ! Ce colosse n'avait dû impliquer qu'une infime partie de son pouvoir... et il le repoussa tant bien que mal. La volonté de fer du fanatique, son instinct de survie, et peut-être aussi le fait que la créature venait juste d'émerger de son long sommeil, lui évitèrent d'avoir son esprit instantanément balayé.
Il n'était pas nécromancien pour rien. Les âmes, ça lui connaissait ! Paradoxalement, le fait que la sienne ne fut plus si intimement connecté à son corps lui donnait... une sorte de souplesse. Il tenait la tempête, comme un roseau tient là ou un chêne se brise. Mais pour combien de temps ? Ses yeux ne voyaient plus rien qu'un océan de lumière et de douleur. Il sentit à peine son genou qui fléchissait, menaçait de frapper le sol... pas question ! La présence spirituelle le dominait, voulait le submerger... elle frappait, refluait, revenait, frappait sous un autre angle, puis l'encerclait... il avait l'impression d'être dans un tourbillon hostile, et s'il ne repoussait pas ce maelstrom, il n'aurait aucune chance de survivre...
La voix d'Arek retentit alors :
(Tient bon ! Il faut détourner le combat ! Trouver le moyen d'entrer sur son propre champ de bataille ! Résiste ! Et guette une ouverture ! Il faut reprendre l'initiative et amener le combat sur le plan spirituel, comme tu faisais avec Chandakar !)
Facile à dire ! Azra ne voyait pas comment il pouvait prendre l'initiative face à une telle puissance ! Mais voilà qu'une autre présence se manifesta. Faible mais déterminée, une petite étincelle qui frappa de toutes ses forces l'esprit du titan... Rendrak ! Car oui, Azra était un nécromancien, il n'était donc jamais seul ! Il appela également les âmes de sa dague, contraintes à lui obéir, se précipitèrent à l'assaut. Cette fois-ci, le monstre vacilla et recula. Ce qu'il avait réussi à introduire dans l'esprit de la liche avait été rejeté !
Pendant un temps, il retrouva la vision du monde qui l'entourait. L'énergie agressive l'environnait encore de toutes parts, invisible, mais furieuse. Il avait remporté une bataille mais la guerre était loin d'être terminée.
Alors, Azra sentit Arek le guider vers la suite du combat. Déjà, le titan revenait à l'assaut, plus puissant et plus déterminé que jamais. Mais cette fois-ci, le nécromancien s'élança en esprit à sa rencontre. Et...
… le monde bascula dans les ténèbres. Pendant un instant déroutant, le jeune homme se demanda s'il était simplement mort. Puis, la lumière revint. Elle émanait du sol, un immense carré d'un blanc fantomatique avec une impressionnante dépression noire au milieu.
Alors, du ciel, descendit la main incommensurable du titan. Son mouvement était presque imperceptible, étrange, comme dans un rêve. Elle aurait dû écraser le nécromancien mais... non, elle se contenta de le pointer du doigt, et Azra sentit comme une ironie moqueuse dans son esprit. Alors, apparu quelque chose de gigantesque, un bolide qui traversa le ciel et roula avec fracas dans les ténèbres pour s'arrêter juste à côté, percutant sa plate-forme au point de le faire tomber à terre. Il formait maintenant une autre surface voisine, quoique imparfaitement jointive et dotée de six dépressions noires. C'est alors que le nécromancien réalisa qu'il s'agissait de la même chose que ce sur quoi il se tenait.
Un dé. Un colossale, écrasant, titanesque dé. Le titan avait fait un six. Azra n'avait fait qu'un un.
Mais la liche éclata de rire. Jouer selon les règles n'était pas son fort ! Alors, il s'élança et bondit sur l'autre dé.
« Maintenant c'est moi qui ai le six ! Je te laisse l'autre ! »
Une pensée légèrement décontenancée lui répondit, mais qui se reprit bien vite. Un sifflement terrible monta, et Azra se jeta au sol pour se cramponner face à la pluie de météores qui arrivait. Des chocs, un grondement insoutenable hurlèrent en un cataclysme dévastateur. Quand tout cessa, Azra se leva d'un pas hésitant, un peu secoué. Il avait beau savoir ne pas être physiquement présent dans ce monde étrange, il avait du mal à se convaincre que ses os soient restés soudés au milieu de ce déferlement de violence. Et quand il regarda autour de lui, il n'y avait qu'un océan de dés qui s'étendait à perte de vu.
Tous présentant un six.
Le nécromancien resta planté là, méditatif. Son regard se posait sur le dé d'où il venait, et qui affichait toujours un seul point. Puis, il leva les yeux vers l'immensité de ténèbres qu'il fallait bien appeler le ciel, faute de mieux.
« Tu admets donc avoir un « un » au milieu de tes « six » ? Très bien, alors c'est là que je frapperais ! »
Et il s'élança ! Son poing fendit l'air et percuta avec force le gigantesque dé, une force qui n'avait rien d'humaine mais qui était toute la force d'un esprit agile qui savait identifier un point faible plutôt que de se reposer sur la force brute. Le dé explosa. Azra bascula dans une chute sans fin au milieu de paillettes étincelantes...
… jusqu'à atterrir sur une nouvelle surface. Une étendue lisse et sans imperfection, mais qui n'était pas un dé. Sans qu'il puisse se l'expliquer, un sentiment de peur monta en lui. Des crissements et des couinements inquiétants commençaient à monter, tout autour de lui. Quel était donc cette nouvelle épreuve ? Il regardait partout, cherchant l'origine des sons abjectes qui l'assaillaient.
Alors, une vision de cauchemar apparut sous ses yeux. Une vision terriblement familière et qui avait longtemps hanté ses nuits : treize rats étaient assemblés sous ses yeux, liés par la queue, hurlant de haine.
Le Roi des rats !
« Tu vas souffrir, mortel ! Souffrir comme nous souffrons ! Souffrir comme tu nous as fait souffrir ! Le monde... le monde n'est que douleur ! Et tu vas le sentir ! »
D'autres rats, grands comme des chevaux, apparurent autour de lui et s'élancèrent à l'assaut du jeune homme. Celui-ci sentit ses poiles se hérisser et s'élança en courant. Il avait l'impression de n'être plus qu'un pauvre gamin fuyant ses vieilles phobies ! La plaine blanche s'étendait à perte de vue, et il n'y avait nulle part où se cacher. Où qu'il aille, ils le suivraient ! Saletés de rats ! Il commençait déjà à s'essouffler et à ce rythme là...
S'essouffler ? Il baissa les yeux vers ses bras, sur lesquels des poiles étaient effectivement hérissés. Ce n'était pas qu'une impression ! Il était réellement devenu le gamin qu'il était ! C'était bien le comble ! Comment pouvait-il avoir la moindre chance de vaincre sans ses pouvoirs si durement acquis ? Alors qu'il courait, il maudit le titan avec désespoir. Ce salaud avait bien trouvé comment le réduire à néant ! Lui, la liche immortelle, le vainqueur de grandes batailles, terreur de ses ennemis, qui avait plus de sang sur les mains que quiconque, avait tout perdu, jusqu'à redevenir un pauvre mendiant contraint à fuir en jalousant plus puissant que lui.
Il ne tiendrait plus longtemps. La fin approchait. L'un dans l'autre, il y avait des morts plus pathétiques que d'être vaincu par un dieu mais... la part de Chandakar en lui écumait de rage. Dieux ou mortel, il aurait voulu que personne ne puisse le surpasser.
(Et personne ne t'a jamais surpassé. Tu ES « toi », et personne, pas même un dieu, ne peut être meilleur que toi à ce jeu là.)
La voix d'Arek se fraya un chemin dans son esprit désespéré, et il s'arrêta de courir. Il était lui-même. Quelque part en marge de son esprit, mais bien lui-même. Et qui était-il ? Une liche avide de pouvoir ? Non, il était bien plus. Il l'avait oublié, mais Azra, le gamin des rues, ne fuyait pas parce qu'il était faible. Il fuyait intelligemment des ennemis trop fort, puis œuvrait à trouver leur faiblesse. Comme un avait fuit les brutes du marchand avant de se retourner contre elles par surprise, comme il avait dressé toutes les forces qu'il pouvait trouver contre le Roi des rats, sacrifiant sans pitié ses compagnons pour combattre. Azra n'était pas faible, c'était au contraire Lord Azraël qui n'était qu'une émanation tardive, ennuyeuse et prétentieuse, pure création des ambitions d'un gamin fourbe et déterminé. Un gamin qui, bien plus que ce tas d'os clinquant, était le véritable vainqueur de sa propre histoire.
Azra s'arrêta, puis se retourna vers les rats qui le poursuivaient.
« Tu veux me tuer, titan ? Soit. Mais es-tu prêt à faire face aux conséquences ? »
Les rats s'arrêtèrent, surpris. Il y eut un instant de flottement, puis estimant sans doute qu'il n'y avait là que bravade, ils lui sautèrent dessus. Azra ne fit rien pour les arrêter. Ils furent sur lui, leurs petites pattes dégoûtantes grattant, griffant son corps, leurs incisives féroces déchirant sa chair. La douleur affluait, mais la douleur, c'était aussi la vie. Et d'une certaine manière, il était content de pouvoir à nouveau sentir sa chair, même si c'était par ses déchirures. Chair, muscle, sang, les rats le dépossédaient de tout. Mais c'était sans importance. Il était lui-même, et c'était tout ce qui comptait. Et, alors que ses os commençaient à apparaître dénudés, ce qui restait de ses lèvres esquissa un sourire.
« Merci, puissant titan, de m'avoir rendu ce que dont tu prétendais m'avoir privé... »
Et il se dégagea. De nouveau tout en os, Lord Azraël se déploya, grandissant jusqu'à des hauteurs inouïes, rejetant les rats au loin. Ils tentèrent de grandir à leur tour pour continuer à s'opposer à lui, mais il était trop tard. Le titan avait voulu se jouer de ses peurs, mais une fois de plus, l'esprit vif du jeune homme avait déjoué ses pièges.
Au loin, d'autres rats apparaissaient, par légions. Ils fondaient à l'assaut avec fureur, mais le nécromancien fit un geste négligeant, clamant :
« À moi, âmes des morts ! »
Et à nouveau, Rendrak et les fantômes se manifestèrent. Son armée qui se faisait légion contre les légions ennemies... Les rats furent massacrés, balayés, tandis qu'Azra marchait vers le Roi des rats qui hurlait, écumait, tentant de trouver une issue. Il n'y en avait pas. Azra saisit encore une fois le nœud de queues... et tira un grand coup. Explosion de magie noire, déferlement de pouvoir. La liche s'éleva, grandit, transperçant le plafond invisible. Il hurla :
« Je suis Lord Azraël ! Héritier d'Azra ! Je n'ai jamais mis genou à terre devant qui que ce soit sans si ce n'est de ma propre volonté ! Sache que si je respecte ta divinité, titan, tu es ici chez moi ! »
L'univers explosa autour de lui. Il était au milieu des étoiles et des planètes, dieu immense et immortel... et il affrontait maintenant d'égal à égal la forme cyclopéenne de son adversaire. Il leva un poing furieux dans un mouvement impensable. Le titan fit de même. Chacun avait sa dague à la main. Le geste sembla durer une éternité. Deux astres traversaient les immensités cosmiques en un voyage qui, à travers les éons, portait la destinée d'une collision inévitable. Les âges passèrent, puis les ères... et les lames se heurtèrent. La verte vie de la nature contre la noirceur de la mort... Mais la mort gagne toujours sur son terrain. La dague verte se brisa et le titan explosa...
… Azra rouvrit les yeux. Il était toujours sur son aiguille de terre, debout devant le titan. Il n'était toujours qu'un petit mortel face à un dieu mais... il avait réussi à le repousser. Ses genoux étaient légèrement fléchis, son dos voûté, mais cela n'avait pas d'importance, car il le sentait...
À aucun moment de ce combat gargantuesque il n'avait posé genou à terre.
Alors, il se redressa et fixa le titan droit dans les yeux.
((( 2208 mots, demande de commentaire, parce que bon, quand-même, hein ! )))
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David le nerd
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