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Notre bucolique balade au sein des parfums enchanteurs des jardins suspendus se poursuit, non sans se parer d’une odeur macabre, celle du poison qui coulera de nos recherches jusque dans les veines du seigneur Leodos le Vieux, dit l’opportuniste. Alors que nous défilons dans les allées, et que Hrist se soustrait à mes mains baladeuses sans sembler oser commenter celles-ci, ni s’ouvrir à la caresse pour autant, bien que j’eusse préféré l’une de ces deux réactions à l’indifférence totale et à la fuite, les cieux se parent de l’orangé crépusculaire de la fin de journée.
(Ah ouais, tu aurais préféré qu’elle te retourne une énorme claque ?)
(Ou qu’elle m’agrippe la fesse en retour, d’une main ferme et désireuse.)
(Là, t’espère… Yuïa doit avoir béni le sang de ses veines. Et je ne dis pas ça pour sa spécialité dédiée à la beauté.)
(Sans doute est-ce dur. C’est ce qui rend la chose croustillante, le défi plaisant. Mais oui, une réaction vive, passionnée même dans la hargne, aurait été une bonne occasion d’entamer un jeu malsain tout à fait plaisant.)
(Note, c’est peut-être préférable qu’elle puisse se tenir. Au moins elle n’agira pas de manière effrontée et non-contrôlée dans des situations qui pourraient l’offusquer.)
Effectivement, c’est une chose notable. Un point positif à son choix de me fuir plutôt que de me confronter. Ayant noté mon inaptitude à la connaissance et à la récolte florale morbide, elle m’a assuré posément qu’elle ne voit aucun souci à ce que je ne m’y connaisse pas. Je l’accompagne donc dans les allées, suivant ses mouvements, m’attardant sur les mêmes corolles colorées et parfumées, évitant cependant de m’y pencher pour les toucher, de peur qu’elles soient particulièrement urticaires ou empoisonnées. Elle doit être de celles à admirer les fleurs non pour leur beauté, mais pour leur efficacité à faire passer un être de vie à trépas. Ça ne serait guère étonnant.
S’abaissant pour récolter quelques baies sombres et sans doute vénéneuses, elle s’enquiert du besoin à réaliser pour le soir-même son poison, afin de mettre en place la première partie du plan que j’ai décrite plus tôt, craignant que de simples baies disséminées dans ses appartements ne suffisent pas à inculper Camiran pour empoisonnement. Je fronce les sourcils, méditatif, alors qu’elle poursuit son explication. Il est vrai que l’utilisation du poison, d’une dose finale de celui-ci, comme elle l’indique peu après, serait plus inculpante que de simples ingrédients séparés. Et elle n’a pas tort, bien sûr. Elle évoque ensuite l’utilisation d’un autre poison, nommé le Médor Noir, qui serait extrêmement difficile à trouver, et rare. Elle quémande temps et ressources pour s’en procurer en ville, auprès d’une guilde d’assassins, contactée via la pègre locale. Peut-être un contact avec Pureté pourrait-il être effectué, si elle a réussi à intégrer les bas-fonds de la cité comme prévu initialement.
Elle clôture par un sourire satisfait, disant vouloir me masquer les effets du Médor noir, et m’assurant pouvoir mener Camiran ici lorsque je le lui demanderai, à l’ombre de regards indiscrets. Elle précise cependant que s’il se montre trop entreprenant, elle n’hésiterait pas à le balancer par-dessus bord. Je pince les lèvres à cette idée, levant un sourcil pour lui indiquer mon désaccord.
« Hmmm au contraire, si cet imbécile est suffisamment bête pour approcher une femme mariée, gifle-le, et au nom de ton honneur bafoué, je le défierai en duel, lorsqu’il sera accusé. Le noble art du duel doit exister, en ce monde, n’est-ce pas ? Ainsi nous aurions un coupable d’empoisonnement dont nous pourrions nous passer du jugement, et que personne ne regretterait. Deux morts dans les prétendants au trône en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. »
L’idée ne manquait pas de panache, mais Camiran devait vraiment être un imbécile fini, tel qu’il a été décrit, cependant, ou particulièrement ivre pour oser faire des avances à l’épouse d’un ambassadeur puissant. Je poursuis cependant :
« Ne sois donc pas si secrète. Je suis sûr que j’adorerais entendre les effets de ce poison. Effectivement, cela vaudrait-il peut-être le coup de retarder la première phase du plan le temps que tu trouves ton poison définitif, que je pourrai intégrer en faible dose dans sa chambrée une fois acquis. Penses-tu pouvoir œuvrer cette nuit à sa recherche ? Nous pourrions même enquêter ensemble, en ville, sous le couvert de la nuit, si tu me donnes des indications suffisamment précises. Et nous profiterions du dîner de ce soir pour ne faire que rencontrer ces deux cibles de nos conspirations de l’ombre… Coller un visage sur ceux qui bientôt n’en auront plus. »
Ça retarderait un peu le programme général et final, et risquerait d’augmenter les risques sur d’autres plans du monde, comme le drainage ou le mariage du prince de Valmarin avec la princesse de Sihle, puisque nous serions coincés ici, à Illyria, pendant tout ce temps, mais le jeu en vaut sans doute la chandelle. Et puis, il nous faut espérer parvenir, une fois le poison acquis, à une réalisation rapide des différentes parties du plan. Ça me semble une bonne chose, en vérité.
« Qu’en penses-tu ? Crois-tu qu’il est préférable que j’enquête, ici-même, sur les différents prétendants au trône, cette nuit, comme le Seigneur Leodos, Camiran, mais aussi le Grâve d’Hyst et éventuellement Hascan, ou que je t’accompagne dans un périple citadin ? »
Et je précise, au cas où :
« Même si je brille en société, j’ai également quelques efficaces aptitudes pour l’espionnage et les coups dans l’ombre. À l’inverse de l’herboristerie, les coups fourrés et les visites discrètes ne me sont pas inconnues. »
J’ai hésité un instant lui révéler ma visite nocturne du palais d’Ilmatar, lors de laquelle j’ai tant appris sur Aaria’Weïla, mais également sur son général, Jillian, ainsi que sur la plupart des ambassadeurs présents ce soir-là, comme la chercheuse en sorcellerie Yuralria ou encore l’ardent duo d’Ekhiis, le glorieux Malakbêl et sa sœur, la sulfureuse Marikani, et leurs armes attestant de leurs évidentes capacités guerrières. Je me contente d’attester mes propos d’un regard entendu, qui ne laisse pas l’ombre d’un doute sur la congruité de mes propos achalandés.
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