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Tout se déroule comme au ralenti, un moment suspendu dans le temps, sans qu’on puisse le changer. Alors que le coussin vole, maintenu fermement par mes doigts crispés, en direction de la tête de mon adversaire improvisée, je vois, hélas trop tard, l’étui de sa dague filer droit vers mon torse. Et à l’instant où le cuir glisse sur mon buste comme un étourdi sur une glace éternelle, sans la fendre ni la briser, mais s’étalant dessus avec félicité, le coussin de plumes d’oies percute le visage de la grise avec autant de délicatesse que la rencontre fortuite d’un scrotum et de fesses, lors d’un ébat sans tendresse entre un orque et sa maitresse.
(Ouais. Ça claque bien, quoi.)
Bucolique instant d’allégresse, je statue sur ma victoire avec une grande ivresse. Celle de l’amusement né de la flamme de vivre qui étreint mon âme et mon cœur non moins ivre. Bousculée et gênée, Hrist pivote sur elle-même comme une girouette face à des vents changeants. Déséquilibré, je trébuche de mon côté, avant de lui faire face à nouveau, remettant au passage une mèche rebelle de mes cheveux pas sages aux teintes pourtant belles. Vaine tentative de préserver les apparences qui ne sont plus, car quand je vois sa tronche à moitié tordue, cheveux hirsutes et yeux grands ouverts, il me vient une envie de rire, qu’heureusement je contrôle. Le moment est mal choisi, car aussitôt elle embraye sur les réponses à mes propos, préservant un sérieux qui m’impressionne par son incongruité. Il est vrai, cependant, que ces questions méritent des réponses, tout comme il est désormais hors de question de rompre le combat sans qu’il y ait reddition.
Ainsi, l’elfe blanc doit enlever la fille d’Hyst ou la séduire, afin de la dérober à son futur époux. Vaine tentative, comme je l’ai expliqué, mais qui selon Hrist suffira à nous permettre d’éloigner le vieux baron. Elle me demande une idée pour en venir à bout n’osant plus proposer cependant de l’assassiner, me sentant sans doute blasé par ses envies meurtrières. Pourtant, d’un air féroce digne d’un lion scarifié, frère d’un roi à qui on a tout retiré, le regard fixé avec une ferveur maligne sur ma cible, je m’exclame :
« Précisément. »
Ses commentaires suivants sont bien inutiles, une graine d’idée a percé mon cerveau, et fleurit dans mon esprit comme un beau jour de pluie. Nous serons acteurs et non arbitres, nous résoudrons à notre manière toutes les situations, et trouverons, finalement, qui se cache derrière tout ça. Féline, je la vois se remettre en position d’attaque, prête à embrayer de nouveau. Elle en redemande. Elle ne va pas être déçue. Elle annonce vouloir en informer la princesse et mettre en avant ses talents assassins. Une idée qui ne me plait guère, mais l’explication viendra, après qu’elle ait fini d’évoquer un plan pour partir assassiner la fille du roi de Sihle. Elle insiste, décidément. Mais quand elle évoque l’union des trois villes, je ne peux qu’opiner :
« Nous tenterons de les unir, oui. Mais si nous n’y parvenons pas, faisons en sorte que nos alliés soient au mieux épargnés. Ilmatar et Illyria doivent rester nos priorités. »
Ça, c’est pour la situation générale. Le détail, maintenant.
« Tu vas pouvoir faire preuve de tes talents, douce épouse. Mais sans en référer à la princesse, qui telle que je la connais cracherait sur ces promesses. Œuvrons comme nous l’avons prévu, dans l’ombre. Nous n’avons ni ordre ni contrainte. Une carte blanche pour des actes sombres. Ô combien d’actions, combien d’exploits célèbres sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres ? »
Et en précision :
« Leodos sera ta victime, mais nous ne serons pas les auteurs de ce crime. Camiran l’étourdi sera accusé d’un crime qu’il n’aura pas commis. Le poison tu useras, lors d’une réunion où nous serons tous là, les prétendants, toi et moi. Alors que je détournerai de tous l’attention, le poison sera versé dans le verre du baron. Les suspects seront les seuls présents dans la pièce, mais seul Camiran aura dans sa chambre des indices trop faiblement cachés, reste de poison ou lettre de confession… »
Et pour plus de détails :
« Un plan en trois actes, donc. Le premier, où tu attireras Camiran hors de sa chambre, jouant de tes charmes féminins pour lui faire miroiter, une bouteille à la main, ce qu’il ne pourra obtenir. Pendant ce temps, je m’introduirai dans sa chambrée pour y insérer les indices assurant sa culpabilité. Second acte : la réunion. Nous demanderons une réunion sous le couvert de notre projet économique. Ils ne sauront refuser, si Insilbêth les y invite. Tu sais ensuite ce qui se passera… Une fois Leodos mort, le troisième acte commencera : l’enquête. La régente est la juge en ces lieux. Découvrant les preuves accablant Camiran, et aveuglée par la foi en son frère, elle le condamnera et Hascan sera couronné Roi. »
Il sera alors temps de nous rendre à Valmarin, rencontrer ce prince pour lui faire entendre raison sur ces noces dangereuses dignes du roi des cons. Nul doute que le dauphin ne fait là que satisfaire les désirs de son père. Il a suffisamment de sagacité et de rébellion en lui pour se démarquer d’un souverain déclinant qui a perdu le pari d’une éducation trop libertaire alors qu’il a voulu un fils à son image. Et fier de ma démonstration, de l’exposition de mes idées, je conclus mes paroles alors qu’encore elle m’attaque, activant mon muutos pour me fondre dans les airs, esquivant son mouvement d’un pas de côté, tout en abattant une nouvelle fois le coussin sur le sommet de son crâne dans un mouvement vertical aussi fort que banal.
(Il ne va plus rien rester de cet oreiller…)
[HJ : Utilisation de la CC "Danse avec le vent" au niveau max.]
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