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J’ai presque envie d’exploser de rire, alors que je leur parle, en les voyant m’écouter sans ciller. Ils ne m’interrompent pas, m’écoutant jusqu’au bout, même si je crois deviner, à quelques moments, une envie difficilement contrôlable de me répondre. Incrédules, surpris, je les vois plisser les yeux de la même manière, un trait de famille sans doute, à mes lourdes révélations pleines d’une franchise confiante et totale. Un coup de poker, oui, indéniablement.
Lorsque je finis de parler, cependant, aucun des deux ne semble se précipiter pour répondre. Méditatifs, réflexifs, ils jaugent mes paroles en les intégrant dans leur réalité, pour les faire leurs. S’il ne fait aucun doute que moi, j’aurais réagi promptement, avec instinct et tripes, je les découvre plus calculateurs et mesurés encore que je ne le pensais. La princesse, silencieuse toujours, se lève pour aller se poster face à une fenêtre de la pièce donnant sur la cité, où son regard se perd. Son frère, lui, est toujours à me scruter de ses yeux acérés, appuyé sans s’être assis sur le sofa.
Finalement, Insilbêth brise ce lourd silence et me libère d’un poids lorsque sa voix, calme comme à l’accoutumée, mesure le poids de mes paroles sans pour autant les accabler. Elle laisse transparaître un caractère un peu susceptible en affirmant ne pas apprécier qu’on se joue d’elle. C’est légitime, ma foi. D’autant qu’elle se montre dans le même temps compréhensive, puisqu’elle dit en comprendre les raisons sous-jacentes. Sans doute perdue entre toutes ces soi-disant vérités que je lui ai avouées, elle me demande cependant, reprenant son rôle soupçonneux, de me fournir les preuves de cette nouvelle version que j’avance. Là encore, c’est légitime, et je m’incline en lui répondant, tout en réfléchissant aux preuves que je vais bien pouvoir lui montrer comme signe de ma bonne volonté, et de la véracité de mes propos.
« Sachez, ma Dame, qu’outre ce rôle me protégeant, et protégeant les rapports diplomatiques entre les peuples de ce monde, tout ce que j’ai pu vous dire sur l’avenir d’Elysian est fondé. Et je comprends bien que vous me demandiez de prouver mes dires. »
Je farfouille tout d’abord ma bourse, d’où je tire deux pièces : un Yus, et un Lys, que je tends à la régente souveraine en m’approchant de sa position.
« Un yus, monnaie de mon monde d’origine, Yuimen. Et un Lys, prouvant que j’ai été en contact avec une ville d’Elysian qui a bien voulu réaliser un change. Et donc qui connaissait mon origine. »
C’est une bonne base, mais ça ne suffira sans doute pas. Je farfouille alors mon sac pour en sortir, cette fois, la copie de l’accord commercial régissant les liens entre Illyria et Ilmatar. Je la montre à la princesse, mais c’est à Hascan que je la tends, cette fois. Il y est certainement lié, d’après ce que j’ai pu comprendre de ses propres dires. En tant que marchand, il ne pourra qu’attester de sa véracité.
« Une copie de l’acte d’accord commercial entre Illyria et Ilmatar, confié par Aaria’Weïla en personne, unique détentrice d’une telle pièce hors d’Illyria. J’imagine que vous êtes les gardiens farouches de son jumeau. »
Et enfin, me rapprochant de nouveau de la princesse, je dévoile le tatouage gris clair dans le creux de mon poignet.
« Une marque laissée par le puissant esprit du vent qui protège la cité des Sylphes. Elle me confère, à l’envi, le pouvoir des Sylphes de fondre mes mouvements dans l’air. »
Et je l’active aussitôt pour acter mes propos en une élégante et exagérée révérence qui, fluide et rapide, rend mes mouvements moins nets, évasifs, tels ceux des élémentaires d’air. Je le désactive toutefois aussitôt, de crainte de ne gêner ce couple singulier de la royauté de cette grande cité. Je conclus ma démonstration :
« J’espère ces preuves suffisantes pour étayer mes propos, et ôter de votre esprit toute suspicion sur la véracité de mes dires et sur mes intentions. »
Mais je ne suis pas le seul, apparemment, à avoir fait de la rétention d’information. Sitôt ai-je fini qu’Hascan change de sujet, précisant que les nouvelles sombres dont je me fais le messager m’ont précédé. Curieux, je lève un sourcil scrutateur en me tournant vers lui. Insilbêth ne semblait en rien au courant de tout ceci. Peut-être est-ce pour cette raison qu’ils devaient se rencontrer : il a des informations à lui révéler. Muet comme une carpe, je le laisse parler ouvertement, prouvant sa confiance à mon égard, ou son incroyable stupidité. Au choix. Loin de concerner directement les signes précurseurs d’un nouveau Crépuscule des Dieux, mais la version revisitée sans divin qui se sacrifie pour sauver la planète, c’est de politique inter-cités qu’il s’agit. Il annonce à sa soeur, la mine grave, que la fille du Roi Guerrier de Sihle, un certain Azara Kahn, vient d’être promise à Valérian, Dauphin de Valmarin.
(Dauphin ? Ben mon colon.)
Alors donc, le jeune prince plein de volonté de satisfaire son paternel que j’ai croisé aux frontières des marches d’Illyria serait le successeur direct de son père, Roi de Valmarin. Il s’est bien retenu de nous le révéler, même si nous lui avons sauvé la mise. Un sauvetage plus que crucial, du coup, dont un quelconque mercenaire pourrait retirer un puissant avantage pécunier.
(Et toi pas, peut-être ?)
Oh si, je vais aussi en profiter. Indéniablement. Mais ce n’est pas l’argent qui m’intéresse. Le Roi de Valmarin saura sans doute se montrer reconnaissant d’avoir sorti des griffes de la mort son héritier. Une piste que seuls Hrist et moi sommes capables de suivre, très certainement. Je peine à masquer ma surprise, et pourtant je me refuse de leur révéler mes actes et ma rencontre avec le prince de Valmarin et sa petite troupe. Cela me mettrait dans une position probablement inconfortable. Pourtant, leurs mines contrariées et le regard empreint de panique de la sœur me donnent une autre voie de sortie. Je m’incruste dans leur entretien, puisqu’y ayant assisté avec leur volonté ?
« Une alliance ouverte entre ces deux cités serait-elle néfaste pour Illyria ? »
Puis, me rendant compte qu’Insilbêth pourrait elle-même faire un beau parti pour le prince Valérian, je questionne à nouveau :
« Aviez-vous vous-mêmes des plans d’union avec Valmarin ? »
Ça pourrait lui ressembler. Elle disait elle-même regretter n’être pas fille de Valmarin. Là est sa seule voie pour régner en tant que Reine sur une partie du monde. Une alliance forte entre les deux puissances économiques d’Illyria qui semble s’envoler. Même si l’on excepte les tensions entre Illyria et Sihle, ça pue, comme nouvelle. Indéniablement.
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