Nos petites emplettes auprès de Frouillot terminées, Amaryllis m'enjoint à la suivre à travers le long couloir souterrain par lequel nous sommes arrivées. Sur le chemin, elle accepte de me laisser Syrah, à condition que je la ramène en un seul morceau. Elle aurait des projets pour elle, selon ses dires, mais cette mission pourrait être formatrice pour l'adolescente, peu expérimentée semble-t-il. Elle dégage une certaine impression de talent, mais c'est vrai qu'elle est jeune, elle n'a certainement jamais pris la vie d'une personne, ni peut-être même contribué à le faire. Ou bien peut-être dans des altercations de rues, mais certainement pas dans le cadre d'un assassinat. Surtout d'une personnalité si prestigieuse et bien gardée. Après tout, les assassins, surtout talentueux, ne vivent pas avec une tonne de gamins des rues dans une grange désaffectée.
La Gardienne de Nuit enchaîne son discours avec des réponses concernant les habitudes du Baron. Elle ne peut me donner d'information précise, malheureusement : il aime la chasse, mais n'a pas de rendez-vous précis, avec ses amis ou ses semblables, qui me permettrait de prévoir de manière certaine sa présence sans avoir à l'espionner avant cela ; il aime la fête, l'alcool et les femmes, mais ce sont là, encore, des activités qui se passent généralement de beaucoup de préméditation ; il possède une chambre au palais et un manoir au cœur de la ville, mais il préférerait, selon elle, la quiétude de sa maison de campagne, dans laquelle il est tranquille, et, évidemment, loin des yeux et oreilles indiscrets. Je grimace : ça n'arrange pas mes affaires. Il y a certainement un coup à jouer avec les donzelles et le vin, mais en ces périodes troubles j'ai peur qu'il délaisse ce genre de choses au profit de ses responsabilités et de sa potentielle arrivée au pouvoir. Enfin, ce sera à vérifier sur le moment. En tout cas les paroles d'Amaryllis m'auront au moins appris quelque chose : je n'aime pas cet homme.
Au terme de son discours, nous arrivons finalement dans le petit palais de mon hôtesse. Mais c'est dans les cuisines que nous allons, et non dans la salle où elle trônait fièrement quand je suis arrivée. Une femme s'affaire à cuisiner tandis que Syrah et Jaral, assis autour d'une large table en bois, ingurgitent le contenu de leur bol respectif. La cuisinière lève les yeux vers nous avant de hocher la tête en signe de salut, puis retourne à ses besognes.
Amaryllis se tourne immédiatement vers l'adolescente, lui intimant de suivre mes ordres, exceptés ceux ne rentrant pas dans leurs intérêts. Je retiens un sourire à ces mots. Elle ne me fait définitivement pas confiance. En même temps, quelle raison aurait-elle de m'en juger digne ? Et je ne peux pas tellement lui en vouloir, je me méfie d'elle autant qu'elle se méfie de moi, après tout. Et puis, une fois mon contrat terminé, je compte bien enquêter en bonne et due forme sur ces Mâchefers, n'excluant pas qu'ils soient à l'origine du drain que je suis venu, initialement, essayer de localiser. En somme, sa prudence est légitime et même très à propos. Mais je ne comptais pas me servir de Syrah contre eux de toute façon, alors je me contente de garder un visage impassible alors que la gamine hoche la tête et que la cuisinière apporte deux bols supplémentaires à table.
Mon estomac gargouille alors que je réalise que je n'ai presque rien avalé de la journée, et que celle-ci touche déjà à sa fin. Je m'installe sans demander mon reste pour goûter le bouillon de viande et de légumes devant moi. Un repas simple, mais qui, accompagné de pain, se révèle largement assez copieux pour moi, et meilleur que ce que j'ai l'habitude de cuisiner en forêt. Au milieu du repas, Amaryllis me demande si j'ai besoin d'autre chose, avant de donner la tâche à Syrah de me mener à ma chambre lorsque j'aurai terminé. J'aurais préféré dormir loin de cette planque... douteuse, mais je dois avouer que la perspective de retrouver mon chemin jusqu'au taudis dans lequel je suis installé en pleine nuit n'est pas très réjouissante. Je me contente donc de hocher la tête à sa dernière affirmation – et la mise en garde qui vient juste derrière, m'intimant à ne pas trop me balader dans cette maison sous peine de me faire agresser par ses habitants – avant de répondre à sa question.
« Si tu peux m'avoir une carte de la ville pour demain, je dis pas non. Sinon je devrais me contenter de suivre Syrah ; je ne doute pas que pour sa profession, elle doit avoir un sens aigu de l'orientation et une certaine connaissance de la cité, mais ce n'est pas forcément pour me plaire d'être dépendante d'elle. Et je n'ai ni le temps ni la capacité physique de faire des reconnaissances dans tous les quartiers miteux d'Illyria. »
Laissant la question en suspend, je termine rapidement mon repas avant de suivre l'adolescente à travers l'habitation. Elle me mène jusqu'à une chambre confortable mais dénuée de luxe inutile, parfaite pour moi. Avant de congédier la gamine, cependant, je préfère mettre les choses au clair concernant nos horaires de travail. Ce n'est pas le genre de boulot pour lequel on peut se permettre de se lever à midi.
« Demain debout à l'aube. Et ce sera comme ça tous les jours où tu seras avec moi, donc j'espère que c'est dans tes habitudes. »
Sitôt Syrah parti, j'effectue le petit rituel préconisé par l'alchimiste, retirant mon attelle pour masser ma jambe du contenu de l'une des fioles et avalant une gorgée au goût ignoble de la seconde. Le goût est aussi infecte que ce que l'on pourrait attendre de quoique ce soit sortant du laboratoire de ce porc. J'espère que ce sera efficace, au moins. Le traitement terminé, je me couche sans plus attendre, désireuse de me lever aux aurores le matin suivant.
Je dors d'un sommeil sans rêve, réparateur. Peut-être l'effet de la fiole, peut être d'un simple besoin de repos ; toujours est-il que le soleil commence tout juste à se lever lorsque j'ouvre les yeux. Il ne me faut que quelques minutes pour me préparer, comme à mon habitude. Evidemment, il me faut de nouveau ingurgiter le poison de l'alchimiste, en espérant que mon expression pour appeler cette saloperie ne soit pas prophétesse de la vraie nature de la chose. Cependant, une fois le traitement appliqué une seconde fois, et après avoir posé le pied à terre pour repartir en direction des cuisines, je sens une douleur bien amoindrie comparée à la veille. Je peux même me mouvoir presque sans boiter, et me rendre à une allure que j'avais jusqu'alors abandonnée jusqu'aux cuisines où m'attendent, à ma grande satisfaction, Syrah et Amaryllis. Cette dernière me demande ce que je veux faire, ce à quoi je réponds d'un hochement d'épaules.
« On va commencer par faire de la reconnaissance, essayer de trouver où il dort ces jours-ci, sur quoi il travaille, s'il a des habitudes particulières. Tu sais dans quel coin il est en ce moment ? Ah, et si tu as une carte, j'aimerais bien que tu m'indiques dessus tous les endroits où il pourrait être. »
Je me tourne ensuite vers Syrah.
« Tu peux tuer ? » lui demandé-je. « Si tu as le moindre doute, dis-le moi maintenant, je ne peux pas me permettre de t'envoyer dans des endroits où tu auras à trancher des gorges si tu n'es pas absolument certaine d'user de ta dague quand il le faudra. »
Si la gamine me dit non, alors je devrais me contenter d'elle en tant que messagère et espionne. Mais si elle me dit oui, alors ses missions d'espionnage pourront être un peu plus risquées.
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Merci à Dame Itsvara pour la signature