Je sens, tout au long de ma réflexion perturbée, le regard de Yuralria posé sur moi, ce qui n'est pas pour arranger mon trouble. Alors que je me retourne pour la regarder, m'interrogeant sur la nature de ce que j'éprouve pour elle, nos regards se rivent longuement l'un à l'autre, sans que nous ne prononcions un mot. Je donnerais cher pour connaître ses pensées à cet instant, et quelque chose me dit qu'il en est peut-être de même pour elle, mais les présences qui nous entourent rendent toute question à ce propos inenvisageable. Peut-être est-ce mieux ainsi, pour l'instant, nos regards se suffisent à eux-même, quoi qu'ils signifient, et étrangement cet échange silencieux m'apaise plutôt que de me déranger. Je finis par lui faire part de mon intention de l'attendre près du pont le lendemain, ce à quoi elle acquiesce d'un simple signe de tête comme si cela était la chose la plus naturelle qui soit. Je souhaite la bonne nuit aux autres personnes présentes, m'apprêtant à partir lorsque la jeune Ishtar pose soudain une main sur mon bras, à ma grande surprise. Ses paroles touchent leur cible comme une flèche tirée par un archer doué, et je la contemple une seconde en silence, les yeux imperceptiblement plissés tandis que mon coeur s'emballe légèrement dans ma poitrine.
(Oh, et puis tant pis pour les convenances...marre de m'entraver tout seul...)Je me penche vers elle, ma main droite venant repousser d'une caresse sa capuche pour me permettre de déposer un chaste et doux baiser sur sa joue avant de lui répondre d'un murmure:
"Il faudra bien plus que quelques sombres pensées pour me faire oublier l'éclat de tes yeux, Yuralria. Merci d'avoir été là, ce soir."Puis alors que je redresse, je rajoute d'un ton normal:
"Rien n'est jamais entièrement sombre, ni lumineux, mais de cette nuit c'est un souvenir étincelant que je garderai, sois-en sûre. Que ta nuit soit douce."Je lui souris avec tendresse et m'incline légèrement avant de me diriger d'un pas vif en direction de ce lac qui m'appelle de toute sa bienfaisante fraîcheur.
Après avoir retraversé la ville par le même chemin que nous avons emprunté pour y entrer, je parviens sur les berges boisées qui semblent plonger rapidement vers des profondeurs inconnues. Je respire avec délice l'air nocturne légèrement humide, si rare dans le désert, me demandant si les habitants des lieux réalisent la richesse que constitue la présence de toute cette eau. J'ai vu des êtres se livrer au meurtre pour quelques gorgées du précieux liquide, et d'autres mourir pour n'avoir su économiser leurs réserves, mais tout cela me semble appartenir à une autre vie, à un autre monde, ce qui est en y songeant l'exacte et littérale vérité. Je parcours les environs des yeux, avec un étrange sentiment d'irréalité: un autre monde...par Sithi! Ainsi les vieilles légendes de mon peuple pourraient bien être vraies. Il y a eu des Sindeldi sur cette terre, quelle tristesse qu'ils aient disparu, j'aurais été curieux de les rencontrer, étaient-ils différents de ceux que je connais? Croyaient-ils en Sithi, comme c'est la norme au Naora? Autant de questions qui resteront sans réponse, à moins que je ne rencontre quelqu'un ayant connu ce passé, et mon peuple. Parmi les elfes, peut-être, puisque nous avons appris qu'il en existait ici. A quoi ressembleront-ils? Aux pâles Hinïons? Aux Taurions sauvageons? Aux Earions palmés? Ou alors à ces damnés Shaakts?! J'espère que cette dernière hypothèse ne sera pas la bonne, parce que dans ce cas il risque bien d'y avoir un sérieux souci si je venais à les croiser...enfin, l'avenir le dira, pour l'heure c'est d'un bain dont j'ai besoin, pas de questions supplémentaires.
Je m'approche de l'eau cristalline, examinant soigneusement le sol afin de m'assurer que je ne m'apprête pas à me baigner juste à l'endroit où les probables prédateurs locaux viennent s'abreuver, mais à part quelques petites empreintes appartenant probablement à de menus animaux du genre écureuil ou lapin je ne repère rien d'inquiétant. Je retire donc mes vêtements et les lave rapidement avant de les étendre sur des branches basses, surpris quand même par la fraîcheur de l'eau. Puis je plonge, frissonnant au contact de l'onde glaciale, mais savourant la sensation bienfaisante que procure un bain après une longue et épuisante journée. Après avoir nagé vigoureusement pendant un moment pour détendre mes muscles noués par la tension accumulée lors des dernières heures, je me décrasse des pieds à la tête au moyen d'une poignée de sable prélevée sur une maigre plage, puis me sentant enfin propre je ressors de l'eau et me sèche sommairement avec quelques feuilles. Satisfait, je renfile mes vêtements et récupère mes quelques affaires avant de me mettre en quête d'un endroit où dormir.
Mes pas me mènent un peu plus profondément dans la forêt, en direction d'un groupe d'arbres qui me paraissent border une petite clairière moussue, ce qui ferait un matelas tout à fait acceptable, lorsque je distingue au sol des empreintes d'une taille tout à fait respectable. Je m'accroupis pour mieux les observer, laissant échapper un discret sifflement entre mes dents serrées. Dieux, voilà les traces d'un beau gros prédateur, si mes sens ne m'abusent pas. Un genre de félin probablement, bien que je ne parvienne pas à déterminer de quelle race il peut s'agir, n'étant pas familier des forêts et encore moins de la faune de ce monde inconnu. Ils auraient quand même pu me prévenir qu'il y avait des fauves dans le coin, les élémentaires! Surtout quand les bestioles en question sont de taille à rivaliser avec un dévoreur des sables! Je me relève, soudain beaucoup plus attentif aux bruits qui percent la nuit, et je réajuste mon poignard à ma ceinture, à tout hasard, m'assurant de pouvoir m'en saisir vivement en cas de nécessité. Je recule prudemment en direction du lac, ce n'est pas précisément le moment de risquer une blessure grave en affrontant un animal, nous avons bien autre chose à faire et peu de temps à disposition.
Un léger bruissement sur ma droite me fait dégainer mon arme d'un geste fluide, je me tourne vivement en direction du bruit mais sans rien distinguer de particulier. Sans doute une petite bestiole, mais en sachant qu'une grosse bête joliment griffue d'après les traces rôde dans le coin, il y a de quoi paranoïer la moindre...je poursuis ma retraite prudente, à l'affut du moindre signe suspect, par Meno j'aurais peut-être mieux fait de rester bien tranquillement au palais, tout comptes faits. La berge n'est plus qu'à une vingtaine de mètres, je me hâte dans cette direction, les yeux plissés pour mieux percer les ténèbres soudainement inquiétantes de la sylve. Une ombre massive bouge furtivement à la limite de mon champ de vision, je me tourne vivement, le coeur battant à tout rompre, mais une fois encore je ne vois rien. Foutu sous-bois, il y a assez de buissons pour me dissimuler une créature même de bonne taille, rien à voir avec mon désert natal! Pivotant lentement sur moi-même en reculant toujours le plus silencieusement possible, je frémis soudain en apercevant deux prunelles flamboyantes qui me fixent au travers des feuillages denses! Et vu leur écartement et la hauteur à laquelle elles se trouvent, je ne doute pas un instant de me trouver face à l'auteur des empreintes aperçues! Et merde, c'est bien ma veine, ça! Je recule plus lentement, sans les quitter des yeux, les genoux légèrement fléchis, prêt à en découdre si cette saleté faisait l'erreur de me considérer comme son menu. Les yeux disparaissent, sans le moindre bruit, ce qui n'est pas pour me tranquilliser, j'aimais autant savoir où elle était! Bon, direction la plus proche zone dégagée, et fissa, la densité de la végétation alentour commence à m'oppresser sérieusement...
Une puissante forme sombre jaillit soudain sur ma gauche, se ruant droit sur moi! Saleté, elle est plus furtive qu'un serpent cette bestiole! Je bondis précipitamment en avant pour l'éviter, y parvenant de justesse, puis je pivote pour lui faire face, mâchoires serrées et poignard souplement collé contre mon avant bras, prêt à le lui enfoncer jusqu'à la garde dans la viande si elle s'approche à nouveau. Mais la vision de la créature me glace les sangs, par les tripes puantes de l'araignée maudite c'est quoi ce monstre?! Sa taille avoisine celle d'un cheval, mais en bien plus massive! Par Meno, elle serait assez puissante pour me servir de destrier!! Son corps évoque celui d'une panthère monstrueuse, mais sa tête est allongée comme celle d'un chien, ou d'un loup, pourvue de puissantes mâchoires garnies de crocs capables sans le moindre doute d'arracher d'un seul coup le bras ou la jambe d'un Sindel! Son pelage est d'un fauve rayé de noir, très semblable à celui d'un tigre il la dissimule à merveille dans les ombres des bois. Elle se déplace de biais sans le moindre bruit malgré sa corpulence, babines retroussées en un rictus mauvais, oreilles baissées, visiblement déterminée à goûter de l'elfe dans les plus brefs délais!

Je la fixe d'un air tout aussi mauvais, je suis peut-être incapable de définir mes émotions face à une Ishtar, paumé dans les méandres de pensées inconnues face à des sentiments jamais éprouvés, mais pour ce qui est d'en remontrer à une foutue bestiole qui me prend pour son repas, là je sais encore parfaitement qui est le prédateur ultime entre les deux! Je gronde entre mes dents serrées:
"Allez pauvre cruche, fous le camp, j'ai pas besoin d'une pelisse pour le moment..."Mais ça ne l'impressionne pas, visiblement elle n'a pas l'air franchement d'accord avec ma vision de la chaîne alimentaire car après m'avoir tourné un peu autour la voilà qui bondit à nouveau, avec une vélocité tout à fait désagréable! Je tente d'esquiver une nouvelle fois d'un bon latéral, levant instinctivement mon bras gauche protégé par mon épais bracelet d'Olath pour me protéger de sa gueule écumante, mais je ne suis pas assez rapide et sa mâchoire claque sinistrement sur le métal avec une force indécente! J'ai beau être plutôt costaud, elle l'est clairement plus que moi, et je me sens littéralement décoller du sol, balloté comme si je ne pesais pas plus lourd qu'un mioche de dix printemps quand elle secoue hargneusement la tête pour déchiqueter ce qui se trouve entre ses crocs! Je sens une vive douleur dans l'épaule à son mouvement brutal, bon sang elle va m'arracher le bras simplement en s'excitant sur ma protection!
(Attends un peu grognasse, moi aussi j'peux t'faire mal si c'est ça qu'tu veux!)Je lui balance mon poing droit en pleine truffe, de toutes mes forces, elle a beau être énorme ça n'est jamais qu'une sorte de clébard, et des clébards hargneux ce n'est pas ce qui manque à Raynna, pas le premier que je moucherai! Elle me lâche en couinant comme un chiot, mais si j'espérais que ça suffirait à la calmer j'en suis pour mes frais! Elle feule de rage et me balance aussitôt un vicieux coup de patte à hauteur de genou, toutes griffes dehors! J'esquive en catastrophe, vu les poignards qu'elle se paie en guise d'ongles elle n'aura pas besoin de s'y reprendre à deux fois pour m'entailler jusqu'à l'os! Je frôle le désastre d'ailleurs, ses tranchoirs fendent mon pantalon presque neuf, mais même si c'est le seul que je possède, mieux vaut ça que ma peau! Mais, vive comme l'éclair, la voilà qui bondit à nouveau sur moi, pour me renverser cette fois! Je réagis à l'instinct, plongeant à terre pour passer sous elle alors qu'elle est en l'air, avec un succès un peu plus franc cette fois. Je me relève au terme d'une roulade plus ou moins acceptable, et me précipite vers l'arbre le plus proche pour mettre un obstacle entre nous alors qu'elle atterrit quelques mètres plus loin et se retourne pour me charger à nouveau.
Mon pied bute contre une branche morte du diamètre de mon poignet, je me baisse pour la ramasser rapidement, l'allonge de mon poignard n'est pas suffisante pour me permettre de la maintenir à distance, j'aurais un peu plus de chances avec ça. La bestiole semble un peu frustrée par le tronc qui l'empêche de m'atteindre directement, elle se dresse contre et tente de me gifler de part et d'autre du fût de ses pattes antérieures avec une sauvagerie à faire froid dans le dos! Pas le choix, je bondis en arrière, cela me protège de ses baffes mortelles, mais j'y perds la protection de l'arbre, forcé de m'en éloigner que je suis. Elle semble d'ailleurs très bien le comprendre car immédiatement elle abandonne sa posture dressée pour le contourner. J'en profite pour tenter de lui balancer à la volée mon arme improvisée dans le museau, mais elle chasse mon bâton d'une patte colérique, avec une force telle qu'elle me l'arrache de la main! Je la sens mal sur ce coup là! Mais elle ne me laisse pas le temps de divaguer, fondant sur moi en grondant sauvagement toutes griffes sorties! Sa patte droite fend les airs pour me déchiqueter le bras qui tenait le bâton, trop vive pour que je l'évite. Je pivote brutalement pour parer les rasoirs avec mon bracelet d'obscurité, rassemblant mon énergie interne dans le but de lui porter une contre-attaque vigoureuse de ma main droite, munie de mon bien maigre poignard, si je parviens à contrer son attaque. Ma parade est bonne, mais la force de l'impact me remonte douloureusement dans le bras! Qu'importe, je riposte en plongeant entre ses griffes, m'efforçant de lui planter jusqu'à la garde ma lame dans le cou, une frappe que j'espère meurtrière, sans quoi ma position sera pour le moins risquée. Mon poignard s'enfonce bel et bien dans sa chair, mais je le sens dévier contre un os, malédiction! La créature se contorsionne violemment sous la douleur, m'infligeant un monumental coup de tête en pleine poitrine en voulant se dégager!
Et pour dégager, elle dégage. Je m'envole comme un fétu de paille au vent, pour aller m'écraser rudement dos au sol quelques mètres plus loin, souffle coupé, sonné comme rarement je me souviens l'avoir été! Si je n'ai pas quelques côtes fêlées sur ce coup, c'est qu'il y a encore un dieu pour les Sindeldi sur ce monde...
La bête pousse un profond rugissement de pure sauvagerie qui me noue les tripes et galope sur moi comme une furie, le manche de mon poignard saillant toujours de son cou! Même pas la peine d'espérer me relever, je n'ai pas la moindre chance de la prendre de vitesse, secoué comme je suis. Frénétique, je tente de reculer en bataillant des talons et des mains pour me mettre à l'abri sous un arbre à moitié couché, mais en vain, il ne lui faut que deux petits bonds pour parcourir la distance, elle est sur moi avant que j'aie fait deux mètres! Sa gueule infernale fond vers ma gorge pour la mise à mort, et je ne dois qu'à mon instinct de survie le plus profond de parvenir à lui enfoncer une nouvelle fois mon unique protection entre les crocs! Poussé par l'énergie du désespoir, je puise une nouvelle fois dans mon Ki pour tenter de lui envoyer une violente série de coups dans les parties les plus sensibles à ma portée. Le premier claque rudement sur son oreille, ce qui me vaut d'être rageusement soulevé de terre par le poignet qu'elle tient entre ses dents, puis aussitôt à nouveau projeté au sol sans douceur, cette charogne refuse de me lâcher! Le deuxième coup que je parviens à porter chasse sa patte antérieure, mais elle en a trois autres bien ancrées au sol et cela ne fait que l'obliger à répartir autrement son poids, ce qui me tord douloureusement le bras emprisonné dans l'étau inébranlable de sa mâchoire. J'enchaîne d'un brutal balayage de la jambe pour faucher sa patte arrière, du même côté que celle que je viens de réussir à bousculer, et cette fois elle chute!
Oui, elle chute, mais elle ne relâche pas sa maudite prise pour autant! Elle roule sur elle-même, m'entraînant dans son mouvement nerveux de félin déséquilibré, et je me retrouve littéralement embarqué dans un corps à corps déchaîné avec ce foutu fauve! Secoué comme une brindille, je me retrouve pendant un bref instant sur son dos, et réalisant que je tiens peut-être là ma meilleure chance de survie, je me colle à elle, enlaçant puissamment son poitrail de mes jambes, et j'entoure son cou de mon bras libre, serrant comme un damné sa gorge pour la contraindre à me lâcher enfin! Et le miracle se produit, je ne sais pas sur quel muscle ou nerf j'ai appuyé, mais la herse s'entrouvre juste assez pour que j'en extirpe mon membre malmené! Sans relâcher ma prise sur sa gorge, je le projette aussitôt ma main libérée vers le manche de mon arme, grimaçant de douleur à ce geste, mais la frénésie du combat me permet d'ignorer la souffrance et je parviens à mon but, forçant sur la poignée pour fouailler la plaie avec une sauvagerie qui n'est pas loin d'égaler celle de mon adversaire. La créature rugit de rage, se débattant de plus belle pour échapper à la lame qui la taraude autant qu'à mon étreinte forcenée, mais je suis bien placé et je tiens bon, sans parvenir pour autant à dégager mon arme pour lui porter un nouveau coup.
Je ne sais pas combien de temps dure cette espèce de cavalcade démente, nous roulons au sol, fouettés par les branches qui m'aveuglent et me lacèrent, je me retrouve par instants, brefs heureusement, écrasé sous elle, incapable de respirer, elle doit bien peser autant qu'un canasson! Nous sommes deux fauves, égaux en sauvagerie, luttant de toutes nos forces pour notre seule survie, féroces et déchaînés. Mais une rage abyssale m'embrase, qui me permet de maintenir ma prise verrouillée malgré les violents chocs que je subis, je ne crèverai pas, pas maintenant, pas sans avoir replongé mon regard dans les univers ambrés que je viens de découvrir! Et peu à peu, inexorable et lent déclin, la créature faiblit, perdant copieusement son sang, asphyxiée par mon bras devenu de pierre, ou de plomb, si douloureux que j'ai le sentiment qu'il est en fusion.
Enfin elle s'immobilise, langue pendante, vidée de toute force, et moi je lui inflige de brutales saccades dans le vain espoir de lui briser la nuque, ce dont je suis incapable, ma force même intacte n'y suffirait sans doute pas et je suis épuisé, en lui grondant rageusement d'une voix hargneuse autant qu'épuisée:
"Tu te calmes bordel! Tu te calmes saloperie! T'entends?"Est-ce cette intention? Le souvenir vivace de Yuralria qui m'a permis de survivre à ce combat de titans? Le trouble profond de ces dernières heures qui m'a privé de l'envie, du besoin impératif de mettre à mort sans absolue nécessité? Je ne sais pas, mais à mon plus grand étonnement les filaments de lumières qui parsèment mes volutes obscures semblent se rassembler et s'insinuer dans le crâne du fauve, de manière minime au début, puis de plus en plus intensément. Et la bête semble bel et bien se calmer, progressivement, jusqu'à laisser échapper un étrange petit jappement qui sonne à mes oreilles comme une espèce de soumission. Prudemment, je relâche progressivement l'étouffante pression que j'exerce sur sa gorge, prêt à la resserrer au moindre signe d'agressivité. Mais rien, le fauve se tient tranquille à ma plus grande stupéfaction! Là encore, je ne sais pas combien de temps dure cette étrange latence, mais au bout d'un moment sans doute assez conséquent, je finis par libérer totalement son cou. Et même à cet instant, la bête ne bronche pas, se contentant de reprendre son souffle en haletant péniblement. Une chance, parce que de toute manière je n'aurais pas pu maintenir ma prise beaucoup plus longtemps, je me sens vidé, en proie à un léger vertige d'épuisement. Remettant mon destin entre les mains de Dame Chance, ironiquement, je roule sur le dos aux côtés de l'énorme félin, appuyé contre lui, un bras toujours passé autour de son encolure. Un rire raque et croassant s'échappe de mes lèvres, incongru, et je fais remarquer à la créature:
"On a l'air fins, tous les deux, hein?"Les prunelles dorées mouchetées de vert se posent sur moi, avec une expression...confiante?! Je me redresse péniblement sur un coude, incrédule, ne pouvant croire que je lis correctement dans ses yeux, mais je n'ai rien vu encore: le monstre me gratifie d'un coup de langue râpeuse en pleine bouille! J'ai d'abord un mouvement de recul, pas vraiment tranquille à la proximité dérangeante des crocs avec mon visage...Mais le fauve après m'avoir ainsi léché entreprend d'administrer le même traitement à la plaie de son cou d'où émerge toujours mon poignard ensanglanté, au risque de se couper la langue, tout en poussant un profond soupir! Je grimace, mi figue-mi-raisin, marmonnant:
"Ah. On est copains, maintenant, c'est ça? Ben c'était pas la peine d'essayer de m'étriper, fallait commencer par là, mon gros. Bon...attends un peu..."Délicatement, je retire mon arme de sa plaie, vigilant quand même, incertain de sa réaction. Il frissonne, mais sans la moindre agressivité, et reprend simplement son léchage dans le but de soigner sa blessure comme le font tous les animaux blessés. Je m'allonge enfin, songeant bêtement que c'était bien la peine de prendre un bain pour me retrouver dans un état aussi lamentable aussitôt après. Un léger rire, alors que j'imagine la tête que ferait la jeune Ishtar si elle me voyait maintenant! Puis je cède à la monumentale fatigue qui m'envahit et je m'endors là, blotti de la plus impensable manière contre un terrifiant prédateur inconnu d'Elysian, à même le sol inconfortable d'une forêt tout aussi inconnue et ceci à quelques pas d'une chambre princière dans un palais féérique. La vie est vraiment étrange, parfois.
L'aube point tout juste à l'horizon lorsque je me réveille, toujours appuyé contre le fauve. Un léger contact contre ma jambe me fait sursauter, et je découvre avec stupéfaction trois répliques miniatures du monstre! Par Meno, c'est une mère! Je comprends mieux qu'elle se soit ainsi attaquée à moi, sans doute ai-je par trop approché de sa progéniture. Je me lève en douceur, sous le regard légèrement inquiet de la féline, puis m'écarte de quelques pas en l'observant pensivement. Il est temps pour moi de me diriger vers le pont afin de rejoindre ceux qui doivent aller comme moi à Niyx, aussi je me baisse une dernière fois pour flatter la bête entre les oreilles, un peu triste à l'idée de la quitter ainsi. Aurait-elle été solitaire que j'aurais peut-être tenté de la dresser pour m'en faire un redoutable compagnon, mais la présence des petits ne le permet pas, elle ne les abandonnerait certainement sous aucun prétexte. Un dernier regard, puis je me détourne et gagne la rive du lac, m'y rinçant rapidement avant de gagner, d'un pas quelque peu ralenti par les contusions et la fatigue, le pont sur lequel j'ai rendez-vous.
(Tentative d'apprentissage du sort évolutif de lumière: calme animal)