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Les uns après les autres, les aventuriers débauchés par cette reine de pureté et son général incestueux – si tant est que l’on considère le pouvoir et l’armée comme une grande famille – partent trouver, aux suites du même général, le confort de leur couchette de ce soir, comme une horde de touristes bovins suivant imbécilement un maître d’hôtel graveleux aux allures de groom de luxe pour fantaisistes amateurs. L’elfe loupiotte, le bleu des marais n’ayant sans doute en tête que m’arracher ma douce Ixtli, après s’être attiré les foudres flamboyantes de la flamme personnifiée de ce palais (je précise de ce palais, n’ayant aucune envie d’offusquer Lysis, ma flamme personnifiée personnelle), la jeune et sombre soubrette à l’arc, bien inutile jusqu’ici, si je dois me fier à ses seules paroles narrées : son nom et le désir non moins ardent que l’élémentaire de feu d’aller s’allonger dans une chambre pour la nuit. Navrant, en vérité. Quant à la petite rouquine et son ami aux yeux malsains, ils ont déjà quitté les lieux, accompagnés du plus boisé de nos hôtes. Même le géant gris foncé aux airs de brutasse se fait guimauve ramollie en baisant mièvrement la joue de la Nyixienne ayant apparemment troublé son âme ou son cœur. Ah elle a moins de crédibilité maintenant, la montagne de muscles balafrée, montrant à la dérobée un cœur tendre et sensible. J’en viens presque à plaindre Faëlis qui, tout guindé qu’il est, se bornera demain à tenir la chandelle de ces deux tourtereaux au romantisme précoce. Rôle qui, en d’autres occasions, lui aurait certes échu à merveille. Car je doute qu’il se rapproche d’une si sombre pureté, lui qui est pur dans l’aspect bien plus que dans le nom, si l’on en croit les ragots des cours elfiques sur ses aïeux libertins.
Ah, quelle chance toutefois d’être accueillis par plus fervente et courageuse compagnie que celle qui me suit depuis Tulorim. Les élémentaires, vifs et alertes, au lieu de se vautrer dans leurs matelas de plumes, vont se réunir maintenant pour faire l’inventaire des dégâts de l’explosion du volcan, tel que me l’informe ma douce ondine, non sans se munir d’un zeste fort désagréable de pessimisme morose m’indiquant à la fois la possible précipitation de son départ, et mon inutilité flagrante dans cette discussion qu’il m’aurait plu de suivre. Je lève un sourcil surpris. Plus il y a de monde, plus les solutions envisageables sont diverses, non ? En particulier quand le monde en question provient de région tellement éloignées qu’elles ne sont pas sur le même monde ! N’est-ce pas pour cette même raison qu’ils nous ont charriés jusqu’ici ? J’imagine que Jillian prendra la place de ce conseiller étranger à la sagesse exotique qui fait tout son charme. Enfin, pour ceux qui le trouvent exotiques, bien sûr. Pour moi, ce n’est qu’un humain banal de Tulorim ayant réussi son transfuge dans un autre monde, bien plus que son ancien comparse de bataille Estera. Ainsi, elle me balaie de sa soirée comme un débris encombrant, là où les tourtereaux des jardins rivalisent en attouchements ridicules. Effectivement, le présent est vite passé. Je n’en réponds pas moins avec un sourire à ses propos.
« Je compte sur toi. »
Et je me détourne sans plus un regard, laissant les experts disserter sur leurs problèmes internes. Un peu en retard sur les autres, je me joins toutefois aux coucheurs pour la visite guidée de nos appartements, menée de main de maître par Jillian Averosa, qui pourra dans ses proches vieux jours se recycler aisément en guide touristique pour tulorains curieux, ou en maître d’hôtel, quand nous aurons arrangé ici tout problème concernant la magie, et en bonus réglé toutes les tensions diplomatiques et politiques entres les peuples d’Elysian. La libéralisation des voyages planaires pourrait se faire ! Ainsi donc, je parcours d’un pas rapide la distance qui me sépare d’eux, non sans attarder mon regard sur le fessier gaillard et dodelinant de la dénommée Pureté, qui ne porte que très mal son nom, quand on sait les pensées libidineuses que sa démarche peut laisser. Et je le sais. Oh, pas de jaloux qui tienne, ceci-dit : les petites fesses de Faëlis sont aussi agréables à mater, mais comment rivaliser avec l’arrière-train marqué de hanches notables d’une femme ? Quelques Sylphes s’affairaient à réparer es dégâts causés par l’éruption volcanique, ramassant çà et là les objets tombés, et les bris de vases oblitérés. Soucieux de ne pas nous gêner, ils s’écartent poliment et avec une déférence exagérée sur notre passage. Je m’en sens limite mal, alors que c’est nous qui les dérangeons dans leur travail pour nous rendre, telles des larves paresseuses, dans notre chambrette confortable. Enfin les autres en tout cas, car il est désormais clair pour moi que je n’irai pas me coucher de sitôt. Au pire le simulerai-je pour conforter mes pairs dans le bienfondé de leur paresse nécessaire. Mais je me sens bien loin du sommeil, pour ma part, et l’excitation de parcourir un nouveau monde et des lieux inconnus me fait tressaillir et bouillir d’impatience. Le germe d’une idée opportuniste commence à murir dans mon esprit, non sans l’aide de cet engrais qui m’est si précieux ; Lysis.
(Une pensée opportuniste ? Les meilleures.)
Ainsi pour l’heure je me laisse guider à travers les couloirs immaculés. Tels des enfants sous la garde d’un maton, chacun est posé dans sa propre chambrée. Je salue mes alliés d’un signe de tête, et remercie même Jillian de sa prévenance à notre égard, avant de moi-même me laisser guider jusqu’à la chambrée qui m’est octroyée.
« Merci ! Et courage pour les longues heures de réunion à venir. »
Je les espère longues, oui, car j’aurai besoin de leur absence pour œuvrer confortablement. Mon œil attentif a déjà relevé l’absence totale de gardes au sein du palais. Quand le général honorifique affirmait que les élémentaires ne possédaient pas d’armée ou de milice avant son arrivée, il avait bien raison. Et même maintenant, ça diffère énormément de ce que je connais. Mes actes futurs seront une leçon que je compte bien enseigner à ces naïfs autochtones sur la rapacité des habitants de Yuimen, pour qui tout est synonyme de profit. Je le laisse donc repartir vers ses obligations, le gratifiant d’un dernier sourire poli avant de détailler l’endroit qui m’a été concédé. L’architecture et le mobilier sont raccords avec l’ensemble du palais des sylphes : à la fois sobre, classieux, pratique et confortable. Pas de décoration pompeuse surchargeant le décor, pas de meubles d’apparat lourds en détails et en dorures. Non, le bois brut est de rigueur, ici, dans des formes aériennes rappelant leur élément. Le côté pratique est clairement mis en avant : chaises, commode, table d’appoint où partager un repas improvisé et privé ou étaler sur de longues feuilles de vélin les mémoires de sa journée passée. Et puis un lit, bien sûr, à la fois grand et confortable, utile pour le repos d’une personne comme pour l’union de plusieurs.
Avoisinant la pièce principale, une salle plus petite semble faite pour les soins du corps, l’hygiène et le confort. D’une oreille distraite, j’ai entendu Jillian expliquer en détail à la demoiselle de notre groupe l’utilisation de cette cuve blanche à la tuyauterie étrange. Il a affirmé, à Faëlis, donc, que les deux mécanismes déversent respectivement de l’eau chaude et de l’eau froide, afin d’obtenir la température idéale de baignade. Le suprême pour se relaxer après une longue et dure journée d’aventure… Ou après une partie de jambe en l’air écumant de sueurs mêlées. Je laisse cependant ces conforts pour plus tard. Jillian est reparti, et je pose ici dans la chambre les choses dont je n’aurai pas besoin plus tard : gantelets, cape et rapière, je ne garde sur moi que mon armure, assez légère pour passer sans peine pour un vêtement, mes bottes bien sûr, et ma petite arme métamorphe, toujours utile en cas de pépin. Je n’ai de cesse de me rappeler cette soirée où, bien dépourvu, je me suis retrouvé quasiment nu à devoir combattre un quatuor d’assassins uniquement avec les moyens du bord. Un chandelier et quelques culbutes, en vérité, et l’intervention fort opportune de celle qui partage ma vie et mon esprit. Je note d’ailleurs ma propension à ne pas rester tranquille à ma place lors de mes premières nuits quelque part. Curieux et fouineur, coquin et rebelle, je n’aime pas me cantonner à ce qu’on attend de moi, fut-ce aussi agréable qu’un bon bain chaud et une nuit de repos dans un lit plus que confortable. Même si l’idée m’a traversé l’esprit. Mais non, je dois me tenir à ce que je me suis dit : agir tant que l’occasion se présente. Dès demain, je n’aurai plus tant d’opportunité d’en découvrir autant sur nos commanditaires. Surtout parce qu’ils se barrent tous, en vérité.
Aussi, ainsi débarrassé du superflu, je sors de ma chambrette pour me poster dans le couloir. Plusieurs sylphes sont en train de terminer de ramasser les débris d’une vasque fendue, avant sans doute de s’en aller dormir à leur tour. Je les salue poliment d’un signe de tête, et m’assois sur un banc en bois blanc du couloir, farfouillant ma besace pour en sortir le livre que j’ai emprunté, sans qu’elle le sache, à la jolie ondine aux mœurs légères. Confortablement installé, je passe la main sur le titre du volume, d’une caresse légère qui en frôle le cuir fauve. L’Incarnation d’Aaria-Weïla. Ainsi donc, j’espère au sein de ses pages en apprendre davantage sur celle qui nous a accueillis comme des héros avant l’heure, plaçant en notre compagnie les espoirs de tout un peuple. Sagesse ou folie, elle n’en a pas moins su faire approuver l’idée par tous ses semblables, et doit donc faire figure de sagacité parmi les élémentaires. Ces éléments, je compte bien les prouver par cette lecture signée par Megantareon IV de Valmarin, une personnalité m’étant complètement inconnue. Valmarin… une cité humaine, très certainement, et donc un regard critique probablement négatif sur la Reine des élémentaires. Une lecture à apprécier avec un regard reculé prenant cette information en compte. Ce que j’y lirai sera sans doute très peu pertinent, et très orienté politiquement. Sauf si Megichou quatrième du nom est plus malin que ses confrères à la vie si courte.
Tout en me plongeant dans la lecture, je garde un regard attentif à ce qui se passe autour de moi, les allez et venues, l’occurrence des passages. SI j’avais voulu juste lire, bien entendu j’aurais été plus confortablement mis dans ma chambrée, allongé sur mon lit ou affalé sur une chaise. Mais… La lecture n’est qu’un outil, et non un but en soi, même si le contenu du récit m’intéresse au plus haut point.
Ainsi, entre ces lignes teintées de subjectivité détractrice, entre les rumeurs et commérages de bas étages indiquant Aaria comme la réincarnation d’une déesse, ou un être au passé antédiluvien aux pouvoirs vampiriques se nourrissant de la puissance et de la force des autres pour survivre, ce qui consiste effectivement en une accusation abrutie de bas étage sur un être qui a tout mon respect jusqu’ici, je n’apprends rien de plus pertinent que l’avis propre de l’auteur, égocentrique dans l’âme qui étale ses songes sur parchemin comme un gosse de cinq an dessinerait à son tuteur sévère et d’un trait maladroit le contenu léger de sa fin de semaine ludique. Ainsi, donc, le postulat de cet écrivain banlieusard à l’intellect sans doute bouffé par les poissons-limaces qui entourent son île de consanguins sanguins – que de préjugés, que je préjugés – est que les élémentaires sont des imposteurs qui se gaussent de leur action salvatrice lors du crépuscule des dieux (un autre tome en vente dans toutes les bonnes librairies) sans avoir jamais été confrontés pour la véracité de leur action, ni n’ayant jamais dû prouver leurs pouvoirs. Accusation culotée de la part d’un type qui, en plus de n’avoir certainement pas été présent lors des événements, n’y aurait sans doute rien foutu, comme tous les siens, à part crever la bouche ouverte et les yeux éplorés emplis de panique. Ainsi, à grands coups d’arguments d’autorité moisis et caricaturaux, il tente de faire passer les élémentaires en général, et Aaria en particulier, comme des voleurs de magie, des suceurs de fluides, des pingres du pouvoir occulte. Et puis, l’auteur perd lui-même le fil de ses pensées en associant la Reine des Sylphes à la réincarnation de la déesse défunte ayant donné sa vie pour créer les élémentaires et maintenir l’équilibre sur le monde avant de s’auto-contredire en affirmant en conclusion que ça n’était finalement que de vils racontars.
Perplexe sur l’utilité et la pertinence d’une telle lecture, je referme le volume en restant un moment silencieux, interdit et pensif.
(Et si ça avait un fond de vérité ?)
(Même la plus grosse des âneries a toujours un fond de vérité. Reste à savoir lequel, dans ce ramassis de racontars d’ivrogne de coin de bar.)
Je vois que ma chère faera partage les mêmes doutes que moi sur la pertinence des propos lus. Surtout qu’ils se brisent eux-mêmes comme l’écume d’une vague puissante sur un roc sédentaire en s’éparpillant dans tous les sens avec des hypothèses foireuses qui se contredisent. Comment différencier, dès lors, le faux du vrai ? Ah, s’il est encore vivant, j’aurai deux ou trois mots à redire sur sa verve littéraire, à ce royal limité du bulbe. On discutera art et lettres, que je lui fasse comprendre la ponctuation à grands coups de points.
Pourtant, le plus intéressant de l’œuvre n’est pas l’écriture elle-même. Je distingue, en marge du récit, sur une feuille volante, un mot rédigé dans une écriture assez similaire à celle des listes trouvées sur la table de la milice de Tulorim. Celle de Jillian, sans aucun doute. Un mot adressé à Aaria, qui la presse à révéler à ces sagouins ignorants la vérité de son être. Et sur une seconde note, la réponse de la reine émettant des doutes à mon avis fondés sur leur intérêt général de la vérité. Elle préfère, s’explique-t-elle, se murer dans un silence pudique que de se confronter une nouvelle fois à leur ire. Bien faire, et laisser dire. Une philosophie à laquelle j’adhère en tout point. Mais ça signifie aussi et surtout une chose : je ne sais rien sur elle, et elle a bien un secret enfoui, qu’elle garde jalousement.
Enfin, bon, je note tout de même que pendant ma lecture, le couloir s’est drôlement calmé, et que plus personne n’est passé ici depuis belle lurette. Seul, enfin, et donc libre d’œuvrer à ma guise, selon mon bon vouloir, dans le dos de mes alliés (et Zewen sait qu’on peut faire de nombreuses choses, dans le dos d’autrui). Aussi ne prends-je pas le temps de m’inquiéter de l’absence notable de Kerenn dans sa chambre, c’est un grand garçon qui sait se débrouiller, le bougre, et je m’en vais moi-même à mes propres explorations nocturnes.
(Huhuhu… Ahahah !)
Ainsi donc, et sans plus tarder puisque le temps m’est compté, je prends nonchalamment la direction de ce que je pense être les chambrées des diplomates élémentaires, afin de faire une petite inspection surprise de leur paquetage, voir si je ne peux y découvrir quelque indice sur leurs habitudes cachées, leur biographie de l’ombre, leurs secrets enfouis. Au bout du couloir, je bifurque à gauche, et avise une première porte qui se présente à moi. Jetant un regard circonspect et circulaire autour de moi afin de m’assurer de n’être pas observé, je teste la poignée, qui cède à mes avances sans résister, la coquine, et je pénètre la chambre après en avoir ouvert sans pudeur l’entrée. À l’intérieur, c’est le chaos. Enfin… pas tant que ça, mais un désordre ambiant dénote d’une nonchalance certaine de son propriétaire, et d’une certaine propension à laisser les choses traîner partout sans organisations. Aux habits ainsi étalés, masculins et de grande taille, je conclus rapidement que le locataire temporaire de cette chambrée mal rangée n’est autre que le grand rouge avec une barbe noire : Malakbël. Bon, l’endroit ne lui appartient pas, c’est un fait : ça reste une chambre d’invité dans le même style que celles dont on est pourvu. Aussi manque-t-elle un peu, il fallait s’y attendre, de la personnalité endiablée de ce géant carmin certainement prompt à s’enflammer. Je farfouille rapidement ses affaires, dont le plus gros malgré tout déborde d’une malle à l’image de la chambre : désordonnée. Habits et autres objets divers de voyage. Rien de bien particulier, si ce n’est l’arme de ce grand cornu. Et quelle arme ! Une épée monumentale, qui peut vu son apparence faire autant de dégâts par son poids que par son apparence. Un style de combat bourrin et sans finesse, qui correspond sans doute à un caractère direct et bourru, non dénué de courage. Et peut-être un petit truc à compenser. L’acier dans laquelle elle est forgée, je n’en ai jamais vu de tel : noir aux reflets rouges. Plutôt stylé, en vérité, et si je n’avais pas moi-même été paré d’équipements épiques et aussi rares que précieux, j’aurais sans doute bavé devant la facture de l’objet.
J’ai finalement assez vite fait le tour de cette pièce, et les conclusions que je peux en tirer manquent d’éléments solides pour être étayées. Au moins ai-je eu un bref aperçu de son style de combat, car l’épée n’était clairement pas d’apparat. Ça peut être utile, à l’occasion. Et au moins ici, mon intervention passera totalement inaperçue, vu le bordel qui traîne partout. Je quitte l’endroit sans plus tarder, fort aise d’avoir eu la chance de commencer par sa chambre à lui. J’aurais sans doute eu plus de difficulté à m’expliquer avec lui qu’avec ses consœurs. J’ai toujours eu un contact plus aisé avec la gent féminine. Même si dans les faits… elles peuvent se montrer bien plus vindicatives que les mâles de différentes espèces humanoïdes.
En parlant de femme, d’ailleurs, j’entre rapidement dans la suivante. Enfin. Dans la chambre suivante, celle d’une femme, bien sûr, qu’allez-vous vous imaginer là. Le fait qu’elle soit féminine ne fait aucun doute : un parfum floral baigne l’air, et tout y est davantage rangé. Sur la commode, ouverte sans que rien n’en dépasse, une boite à maquillage côtoie un petit coffre à bijoux. C’est bien chez une coquette que je suis maintenant, que je valide automatiquement comme étant la sulfureuse Marikani. La proximité de la chambrée de Malakbël est un indice trop évident pour le laisser de côté. Ainsi donc, la demoiselle de feu aime à se pomponner, et prendre soin de ses affaires. Un bref regard dans sa malle entrouverte m’assure qu’elle aime les frusques et les habits. Pour un voyage où son semblable n’a apporté que quelques vêtements de rechange, on dirait qu’elle a déplacé l’intégralité de sa garde-robe : petites robes sexy, tenues plus officielles, vêtements de voyage plus confortable côtoient bottes, escarpins haut perchés et sous-vêtements affriolants. À croire que son fessier ne déroge pas au reste de sa peau chaleureuse : elle a le feu au cul, cette petite. Et je l’en sais gré. Il n’y a de piment dans une vie que si l’on en met ! Sur les draps bien pliés repose, prêt à l’emploi, un joli déshabillé, petite nuisette foncée, à la fois subtilement transparente et satinée. Comme il doit être agréable de s’y glisser ! Et là encore, je parle de l’habit. Quoique.
Elle aussi possède une paire d’armes de la même qualité que celle de Malakbël, faite dans le même acier noir aux reflets rougeoyants. Mais ici, plus d’épée démesurée : c’est d’une paire de saïs dont il s’agit, cette arme utilisée par les guerriers de l’ombre d’Oranan, les ninjas aux armures légères et aux gestes vifs et rapides, souples et agiles. La maîtrise d’un tel armement nécessite plus de rigueur et de précision que l’escrime classique, et le maniement d’armes lourdes et dévastatrices. Ici, il faut frapper droit au cœur, sans s’embrocher soi-même un œil. Une rigueur dont elle est capable, donc.
Une petite boite contient plusieurs flacons contenant différentes essences parfumées, qu’elle mélange sûrement quotidiennement au gré de ses humeurs et de ses souhaits. Je vois en elle, soudainement, une séductrice experte à la coquetterie notable, et à la vie toutefois bien organisée. Propre sur elle, sans défaillance visible, elle est sans doute une professionnelle de la dissimulation et du jeu d’acteur. De là à dire qu’il faut s’en méfier, il n’a qu’un pas… Que je ne franchis pas pour l’instant, lui laissant à la fois le bénéfice du doute et la présomption d’innocence. Après tout, ça n’est pas parce qu’on est capable de mentir et de dissimuler qu’on s’en sert forcément, ni qu’on est d’office irrévérencieux et mauvais. Je suis bien placé pour le dire. Quoique, encore.
(Oui. Toi tu mens et te dissimules pour cacher ce qui ne peut être su : ton ralliement aux ennemis officiels de tes alliés proclamés.)
C’est pas faux, en vérité. Mais ce sont là des considérations qui ne doivent pas entrer en ligne de compte sur ce monde. Enfin jusqu’à maintenant, en tout cas. Et ça n’est pas ma petite visite nocturne qui prouve le contraire : je suis un fouineur curieux, mais ni voleur, ni mal intentionné. Et de ceux que je visite, je n’en retire pas ma confiance. Je m’assure juste d’apprendre à les connaître tels qu’ils ne se présentent pas forcément.
(C’est la seule excuse que tu as trouvé pour ne pas te sentir coupable ?)
(Oui. Et je la trouve tout à fait fondée ! Ça marche plutôt bien.)
(Alors je t’encourage à poursuivre. Quoiqu’il serait plaisant d’attendre ici le retour de la belle, histoire de lui montrer toi aussi ce que jusqu’ici tu lui as caché.)
La perspective n’est pas déplaisante, en vérité, mais je vois là comme une malveillante initiative de Lysis pour me détourner de l’aigail.
(Nooon, du tout. Comme si c’était mon genre.)
Et c’aurait pu marcher, mais… non. Ixtli occupe toujours mes pensées, et je suis déjà impatient de croiser ses propres dessous. Enfin. Ses… sa… bref. De fouiller ses biens privés. Aussi, je prends le parti de sortir de la chambrée sans regret. Nombreuses seront les semaines de présence sur Elysian. Et autant les possibilités et occasions de la recroiser plus avant pour faire plus ample connaissance. Si j’ai l’opportunité de réduire à néant les difficultés diplomatiques entre le feu et l’eau dans une réunion pléniaire des deux essences, je m’y emploierai corps et âme !
(Corps, surtout. Tu n’as pas d’âme.)
(Allons, allons, point de blasphème, nous sommes tous égaux devant Phaïtos.)
(Oui enfin… Sauf toi qu’il a laissé partir vif de ses Enfers.)
(Je sais oui. Le commentaire n’était pas innocent.)
(Je sais aussi. Mais prends garde à l’incident diplomatique, en faisant de telles expériences. Qui joue avec le feu s’expose à l’ire de l’eau.)
Tempétueuse Ixtli, comme il me plairait de voir la fougue inonder ton regard comme plus tôt dans la soirée. Si je n’y retrouve pas le désir, au moins j’aurai la colère pour me consoler, et me perdre à nouveau dans l’ambre de son regard.
Aussi sans plus tarder, je passe à la porte suivante, qui n’est pas celle de mon aimée.
(QUOI !?)
(Quoi, quoi ? Rholala, c’est un abus de langage, sans doute, rien de plus. Et puis je l’apprécie, c’est un fait. Tu me sais maladroit, sur ce domaine auquel j’ignore tout.)
(Mouais. Je te rappelle quand même que l’amour t’est interdit, joli cœur. L’attachement n’est pas pour toi, privateur de liberté.)
(Oui, ma malédiction.)
(Ta vie. Elle vaut bien plus que toutes ces fadaises mielleuses.)
Sans doute a-t-elle raison. Mais de là à se murer dans une telle extrême exclusive de tout attachement ? SI j’en étais persuadé, je commence à en douter. Mais n’y connaissant rien, et sincère envers moi-même dans cette ignorance, je préfère ne pas relever davantage : les arguments me manqueraient vite.
D’ailleurs, en entrant dans la chambrée suivante, que j’associe vite à Yuralria, je suis pris d’une soudaine et inexplicable crainte d’interrompre une douce mélopée d’un Kerenn des bois aux abois criant, verve à la main, en bas de son balcon, sa sérénade à la niyxienne, ou susurrant à genoux devant elle en lui cherchant des poux dans la tonsure. Elle s’en va vite, bien sûr, puisque je me rappelle de l’occurrence de la présence de la loupiotte clignotante binaire à la réunion des élémentaires, où elle doit avoir un rôle majeur, sa cité étant sans doute particulièrement exposée (et j’ai failli riper et dire explosée) à l’éruption du volcan. La chambre, désertée de toute présence, donc, sauf si Kerenn se cache sous le lit, auquel cas je verrais ses grands petons dépasser, s’offre à moi, assez semblable dans sa composition aux précédentes que j’ai visitées. Une chambre d’invitée temporaire, et non de résidente sédentaire. Encore que, pour l’occasion, elle semble plus installée que les autres. De nombreux objets, aussi hétéroclites qu’étranges, parcourent l’endroit. Le genre de trucs magiques auxquels je ne pige pas grand-chose, si ce n’est que je ne ferais mieux pas d’y toucher si je ne veux pas commettre une nouvelle catastrophe. Sait-on jamais qu’elle ait avec elle un générateur de lave infinie, un simulateur de Big Bang (l’autre nom, secret, de Zewen), ou une parcelle de fin du monde apocalyptique en puzzle. Je n’ai jamais aimé la magie, les sciences occultes et ces pouvoirs que je ne possède pas. Ça a quelque chose de contre nature qui me rebute au plus haut point.
(Et pourtant, j’en manie.)
(Oui… mais toi c’est différent. Le feu, aussi destructeur soit-il, est un élément que je conçois, que je comprends.)
Car oui, la magie que je déteste le plus est celle de l’esprit, de l’illusion, de la manipulation mentale, de la lecture de pensée, de la détection de mensonge. Ah, quelle plaie que ces pouvoirs réduisant drastiquement toute liberté, faits et usés pour le contrôle et l’affichage arbitraire de vérités cachées. Ces colliers, par exemple, dont je garde le stigmate éternel autour du cou, qui nous donnaient des ordres sans qu’on puisse s’y soustraire à moins de devoir céder à d’autres plus crapuleux encore. Une honte, un débris d’esprit tordu. Hors de question que je me laisse encore piéger par ce genre de truc immonde. Je préfère faire un câlin à un argus rampant que de me laisser violer l’esprit à nouveau de la sorte. DONC, malgré l’exposition alléchante de pierres runiques, cristaux mystérieux aux reflets mouvants, appareils d’alchimie, lunettes de vision cuivrées aux rebords renforcés et aux verres teintés, je ne touche à rien. Pas même lorsqu’un détail me rappelle assez bien une possession qui est mienne : L’Appareil Poly-Harmonisateur d’Ondes Transmises par des Organismes. Il y a un objet semblable, dans le fouilli de sa collection. Même si les différences sont notables : une manivelle occasionne sur le côté une capture sans doute continue des images, qui sont envoyées non pas sur du papier brillant, mais sur une double-bobine qui se déroule à mesure qu’on tourne la manivelle. Je ne comprends pas bien le principe, mais… ça m’évoque clairement ma possession étrange. Je préfère ne pas rester plus longtemps dans cette pièce, par contre, redoutant la catastrophe.
Et puis, depuis peu, je n’arrive pas à me tirer de la tête les derniers mots lus écrits de la main de la Reine : sa chambre sera ma prochaine étape. Je dois en apprendre davantage. Aussi, je quitte les lieux sans plus m’attarder. La chambre de la reine n’est pas dans ce couloir, en tout cas. Et je parcoure pendant plusieurs longues minutes les couloirs avant de trouver, dans une autre aile du palais, quelque chose qui s’en rapproche fortement. Les appartements sont ici bien plus vastes et luxueux que ceux des invités. Je tombe sur une première, et ne peux empêcher un fin sifflement filtrer de mes lèvres, impressionné par le faste des lieux.
(Hé ben. Ils se font pas chier ici.)
Spacieux, aérée, grande en largeur comme en hauteur, les appartements où j’entre sont composés de plusieurs pièces : un coin salon confortable, une chambre au lit monstrueusement grand, de quoi faire pâlir d’envie ceux plus petits des diplomates, et une salle de bain deux fois plus vaste que la nôtre. Les teintes de l’endroit sont un panel allant du blanc au doré en passant par divers nuances d’ocre. Une bibliothèque orne l’un des murs, et un bref regard sur les titres m’en fait tirer la conclusion qu’il s’agit certainement de la chambre du général Averosa. Manuels de stratégie militaire, « Comment former un soldat en dix leçons », « le guide de survie du bon officier », « l’armée pour les nuls » et autres références notables dans le domaine. Il n’y a que lui, si j’ai bien compris, à avoir ici un esprit si belliciste. La collection d’armes, toutes plus exotiques et impressionnantes les unes que les autres, qui peuple l’endroit en lui décernant une décoration toute martiale, confirme ma pensée. De simple pion de la milice, aux envies héroïques, il su creuser son trou, le salaud ! Comme quoi, ça peut avoir du bon d’avoir les élémentaires à la bonne. Et sa proximité avec Aaria me fait dire qu’il n’y a pas quand dans le palais qu’il a creusé son trou, le vil coquin.
Sur une table, plusieurs feuillets sont étalés. Curieux, je m’en approche pour en lire le contenu, mais… la langue décrite m’est incompréhensible. Illisible, ces pages ne me servent à rien. Je passe bien plusieurs minutes pour tenter de décrypter un code, mais n’y parviens guère, pas même avec l’aide de Lysis, qui pas plus que moi ne connait ce langage. Il faudra quand même que je tire ça au clair, un de ces jours. Je n’aime pas laisser ce genre de détails derrière moi sans plus m’y intéresser. Mais je n’ai pas grand-chose de plus à faire ici, et le temps passe. Ne voulant pas être pris en flagrant délit de farfouillage, je quitte les appartements du général en chef, avec la conviction que ceux de la reine, étonnamment, ne sont plus très loin.
Comme je l’imaginais, la porte suivante m’y fait pénétrer. Et là encore, je ne peux retenir un sifflement admiratif. De la même proportion que ceux de Jillian, ils semblent néanmoins plus grands encore. Les teintes ici vacillent entre le bleu et le blanc. Le lit, je n’en ai jamais vu de pareil. On pourrait s’y loger à cinq sans se toucher. Et ça serait dommage de ne pas le faire sur un tel matelas. J’aurais presque envie de m’installer là en attendant la reine pour lui demander en personne les informations que je suis venu chercher ici. Mais… je gage qu’elle pourrait le prendre mal, et qu’après une discussion sur les catastrophes d’Elysian, elle aura sans doute envie de dormir, pas de ressasser son passé avec un inconnu, même s’il est d’une grande qualité comme moi.
(Hem…)
Des meubles de bois foncé ornent la pièce, peu nombreux en vérité face à l’espace à remplir ici. Une fois encore, je me retrouve confronté à une grande bibliothèque aux nombreux volumes chargés d’histoires. Jillian avait témoigné de la propension d’Aaria à s’intéresser aux contes et légendes, hé bien ça confirme ses dires. De nombreux tomes recensant des légendes originaires tant d’Elysian que de Yuimen alourdissent les étagères en les faisant presque ployer sous le poids des livres. Un titre, en particulier, attire mon regard car je l’ai déjà lu ailleurs, ce soir : Le crépuscule des Dieux. Le tirant de la bibliothèque, je constate qu’Aaria en est la rédactrice. Bien ! Voilà un volume qui me semble plus pertinent pour en apprendre long sur la Reine des Sylphes, et les événements survenus il y a 1800ans. Ce qui… signifie presque assurément qu’elle en a été contemporaine. Créée par la déesse mourante pleurant son mari défunt, elle a été la première. L’alpha des élémentaires, tel qu’elle l’a affirmé à notre petite assemblée. Le livre, je le glisse aux côtés de l’autre, dans ma besace. Il sera pertinent de le lire plus tard : présentement, je n’en ai plus vraiment le temps. Les propriétaires fourbus des chambres risquent d’y revenir d’un instant à l’autre.
Je m’en vais pour quitter la pièce quand un petit tas de papiers semblables à ceux trouvés chez Jillian attire mon regard. Je m’en approche, et m’empare du premier… Encore une correspondance codée, ou au langage inconnu. Peu pertinent. Mais entre deux autres feuillets, je perçois des lettres qui me sont plus familières, des mots que je comprends. Aussi, alors que je m’attendais à ne plus rien trouver, je m’empare de la missive, assez longue, et commence à la lire d’un œil distrait.
(…)
Très vite, cet œil distrait prend l’intégralité de la part de mon attention. Cette missive est rédigée de la main d’Aaria en personne. Une histoire, son histoire… Qui commence comme une genèse.
« Au commencement, il y avait le Néant. Celui qui fut, est et sera, Artisan du Vide, Créateur de ce qui Est. Au commencement, Il créa les fluides, et les façonna jusqu’à ce qu’ils deviennent les planètes qui en seraient les réceptacles. Alors, Il créa les étoiles, pour mieux les contempler. »
Absorbé complètement par ma lecture, mes yeux s’écarquillent de plus en plus à mesure que les révélations pleuvent et tombent comme des couperets glacés sur la toile bien terne de la réalité jusqu’ici adoptée. Ô humains, poussières infimes, comment avez-vous pu juger une telle entité ? Leur imagination n’a pas assez d’expansion pour ne fut-ce que penser à un centième de la vérité. Ils sont complètement à côté de la plaque, ces détracteurs puérils à l’existence équivalant à moins qu’un battement de cil. Et bien en deçà de ce qu’Aaria est réellement. À la lecture, mes mâchoires se crispent, ma respiration se bloque, mes sourcils se froncent d’eux-même. Je sens mes paumes, qui tiennent ce papier en essayant de ne pas trembler, s’humecter et devenir moites. Plusieurs fois, je déglutis, regard dur et sévère, mais non empreint d’une admiration grandissant à chaque mot.
« Mes pensées naissantes n’étaient que de vagues courants fluctuant au gré des marées et mon nom encore qu’un murmure, un songe emporté par le vent. »
Car voilà même l’essence originelle de son être, la pureté absolue, l’innocence et la liberté incarnée, une page vierge qui a tout inscrit d’elle-même de par sa propre observation. Depuis la nuit des temps, jusqu’à son incarnation. Comme tout semble misérable, vain et futile à côté d’un tel récit, d’une telle expérience.
« Mais mon ascension cessa brusquement alors que les liens qui me retenaient à Elysian me rappelaient à eux. »
Et là, mes yeux se brouillent, la pression de mes doigts sur le parchemin fait blanchir leur extrémité. Je sens les larmes abonder sans couler dans mon regard noir. Prisonnière. Douleur injuste. Liberté illusoire, dont la pureté parfaite a été domptée par plus puissant. Supplice. Le temps n’a plus part, et n’est que souffrance répétée. Puis un éveil, une conscience nouvelle… un aveu de faiblesse, pour celle qui de loin m’apparait comme la plus forte. La plus légitime. La seule. Le personnage d’Aaria se construit dans mon esprit à la lecture de ces mots purs. Un personnage dont je n’aurais jamais pu suspecter l’existence. Je ne sais que penser de tout ça, alors qu’une larme perle et glisse sur ma joue à la lecture des derniers mots, écrits par une autre personne.
« Et la suite ? Ne t’arrête pas là… »
J’ai presque honte, finalement, d’avoir violé cette intimité. Mais cela n’a pas été vain. Au contraire, car maintenant je suis apte à comprendre. À cerner. Je pose le papier sur le lit, bien en vue. Je ne compte pas cacher ma découverte de celui-ci, ma lecture de ces mots. Quitte à encourir sa colère. De mon poignet, un bouton de rose pousse, pousse et fleurit. Je le coupe après plus de vingt centimètres de tige, et pose la fleur aux pétales carmin sur le parchemin.
Tout est trouble dans mes pensées, je ne sais vers où les diriger. Est-ce de l’admiration ? De la ferveur ? De la Foi ? De l’amour, peut-être ? Et là, même Lysis ne se permet aucun commentaire. Je me sens tourneboulé, déboussolé. Comme si toutes mes réalités venaient de prendre une nouvelle dimension. Ce qui est certain, c’est que je n’ai plus rien à faire là. Mon intrusion a suffisamment duré, et je ne veux pas qu’elle soit plus perçue comme une insulte. Je laisse la preuve de mon passage, tant par la rose que par l’absence du livre. Demain, quand tout le monde sera parti, j’irai trouver celle pour qui… celle pour qui mes sentiments se sont sublimés, dans un rare accès de perfection. De là à remettre en cause les fondements même de ma propre existence, cette fierté si souvent mise en avant, cette auto suffisance. Face à elle, moi aussi je ne suis qu’une poussière, qu’un faible sans expérience. Et je lui dois tout, même si elle n’est à l’origine de rien. Et son côté humble prend un tout autre aspect : car pourquoi se vanter auprès d’êtres qui ne représentent rien ? Ou qui importent, mais qui ne sont pas capables de comprendre.
Oui, Jillian a bien fait d’insister pour qu’elle révèle tout ça. Mais ça dépasse l’inimaginable et l’entendement de beaucoup, sans en douter. Aussi elle a eu également raison d’émettre des réserves.
Sans plus traîner, je rejoins mes propres quartiers, démarche rapide et air absent, ne me souciant plus même des volutes éthérées qui changent mon corps alors que je me meus. Arrivé dans ma chambre, je me déshabille totalement, posant sur mon oreiller le livre titré « Le crépuscule des dieux ». Une lecture plus que de rigueur, je le sens. Et qu’il ne tarde de parcourir. Mais avant, je dois prendre un bain.
Suivant les indications de Jillian, je tempère l’eau bouillante avec l’eau fraiche pour arriver à une température idéale, assez chaude pour me relaxer, presque trop, pour me sentir vivre, mais suffisamment pour ne pas me brûler. Je reste là plus d’une heure, abandonné aux caresses de l’eau, et à celle de Lysis, qui sous sa forme humanoïde brulante me masse pour dissiper toute tension, sans un mot. Les yeux fermés, je la laisse faire, des nœuds musculaires de mes épaules jusqu’aux tensions plus passionnées nées en début de soirée, qu’elle apaise de sa langue habile aux milles vertus. Quand elle intègre à nouveau mon esprit, je me sens vidé, éreinté. Je quitte le bain et m’enveloppe dans une serviette propre. Mes vêtements jonchent le sol. Tant pis pour leur propreté promise, au pire irai-je nu, demain. Je n’ai rien à cacher, plus rien. Plus de mensonge ni de secret. Car plus que quiconque, elle mérite la vérité. Et pendant que les gouttes de ce bain agréable sèchent sur ma peau d’argent, je parcoure de mes yeux fatigués, et néanmoins avides, les lignes du livre emprunté à Aaria’Weïla, Reine de mes pensées, de mes songes.
Et je me laisse glisser dans l’inconstance d’un sommeil en proie ni aux rêves, ni aux cauchemars, mais à ces visions de la perfection que des mots, de simples mots, m’ont laissé entrevoir, ce soir.
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