Tachée de sang et affamée, Sibelle emboîta le pas de la ravissante propriétaire à la fine silhouette sitôt que Selen lui fit signe qu’il l’attendrait. La dénommée Tina, tout aussi charmante que son mari avec ses jolis yeux noisette, emprunta le large escalier de bois et conduisit Sibelle au dernier étage.

« Vous y serez plus tranquille pour jouir d’une bonne nuit de repos. » Dit-elle aimablement.

Visiblement fière de son établissement rustique, sobre, mais d’une propreté exemplaire, la femme ouvrit tout grand la porte de la chambre à l’extrémité du corridor et invita Sibelle à y entrer, attendant ses commentaires.

« Ça m’ira parfaitement ! » déclara Sibelle qui venait d’entrer dans la pièce. Un lit, une commode, et un grand bain en bois situé dans le coin de la chambre, la guerrière n’en demanda pas plus.

La femme repartit prestement à peine quelques minutes avant de revenir aidée de quelques femmes de chambre portant plusieurs chaudières remplies d’eau chaude. Certes, le bain ne serait pas plein, mais la rouquine s’en contenterait. Elle ne demandait pas à être immergée sous l’eau, mais seulement pouvoir retirer toute la saleté accumulée.
Quelques minutes plus tard, propre et habillée de vêtements de rechange, portant à nouveau son bustier à présent étincelant, Sibelle regagna le rez-de-chaussée.
Un rapide coup d’œil circulaire lui permit de repérer rapidement son récent compagnon d’armes. Même si ce dernier l’avait plus ou moins nié, la guerrière considérait qu’il lui avait épargné de graves blessures. Sans son intervention, la guerrière ne serait peut-être pas en état de déguster un bon repas.

Sans perdre une seconde de plus, elle alla le retrouver pour prendre place à ses côtés. Elle eut à peine le temps de s’asseoir que le séduisant Sam arriva avec deux assiettées appétissantes contenant viande rouge et abondance de légumes, sans oublier de beaux gros morceaux de patates bien dorées. Après avoir empli de vin le godet de Sibelle, l’aubergiste s’en retourna.

N’étant pas très habile à entretenir la conversation, la rouquine ne trouva rien de mieux que de reparler de leur combat commun afin de rompre le silence.

" Ce fut un plaisir pour moi de combattre à vos côtés" Dit-elle tout en levant son godet.

Elle ne tarda pas à revenir de son bain, de bien plus belle allure qu’à son entrée dans l’auberge. Pour ma part, ne m’étant pas changé, j’avais toujours l’air de sortir d’une bagarre de rue. Ce qui en soit était l’exacte vérité. Parfois, les apparences ne sont pas trompeuses. À peine se fut-elle assise que le patron, respectant ma demande au pied de la lettre, apporta de quoi nous sustenter. Une assiette fumante contenant légumes, patates et viande rouge fut glissée devant chacun de nous, et je profitai de l’occasion pour commander une autre boisson, le vin qu’il avait pris pour l’apéritif, un blanc sucré des coteaux de Shory, ne convenait pas vraiment pour le plat qu’ils allaient dévorer. Il apporta un rouge sombre des Dûchés, dont les vignobles, non loin d’Amaranthe, étaient exposés au soleil des montagnes, dans un climat à la fois rude et propice à la pousse des pieds de vigne.

Avant d’entamer ne fut-ce que la première bouchée, la demoiselle elfe au bustier étincelant avoua le plaisir qu’elle avait ressenti à se battre à mon côté. Je levai mon verre pour trinquer, et lui répondis d’une voix désengagée.

« Nous faisons une bonne équipe, nos vies sauves en témoignent. »

Et je pris une rasade de vin avant de me mettre à trancher un morceau de ma viande. Avant de l’engloutir, je questionnai ma compagne de tablée :

« Vous arrive-t-il souvent d’être confrontée à… ce genre de difficulté ? »

Je faisais référence non seulement à la bagarre en ville, mais aussi au manoir où ils avaient été enfermés. J’avais de bonnes raisons de penser que sur ce monde, certains individus avaient une forte propension à se retrouver dans des situations abracadabrantesques assez facilement. C’était mon cas, et toujours je m’en étais tiré. C’était peut-être aussi le sien. Et celui de bien d’autres. Mais tous ceux-là, j’en avais l’intime conviction, étaient au-delà des considérations des simples mortels. Et la mémoire collective ne se souvenait que des plus grands, laissant dans l’oubli ceux qui finissaient par périr lors de ces dangereuses pérégrinations. Je voulais être des vainqueurs. Pas pour la postérité, mais pour vivre. Et pour ça, je me devais d’être fort, puissant et malin. Rusé et à l’affut de la moindre opportunité. Je voyais en elle l’une d’elles. Son épée à mon côté ne saurait qu’être une bénédiction pour ce que j’entreprendrais.

J’engouffrai une bouchée de viande, arrosée de son jus, et l’accompagnai d’une cuillerée de légumes, avant de boire une nouvelle rasade de bon vin. L’alcool que j’avais déjà ingurgité commençait à engourdir un peu mes bras, fourbus de ces aventures sans repos. J’aspirais au sommeil, mais ne le trouverais qu’à la fin de ce repas, et pas avant d’avoir conclu cette discussion.

Affamée, la guerrière se trancha un assez gros morceau de viande, l’enfourna dans sa bouche et le mangea tout en écoutant les propos de Selen. Ce dernier mentionna qu’ils faisaient une bonne équipe et que cela leur avait valu la vie sauve. La rouquine fronça alors les sourcils… une équipe, elle en faisait rarement partie, enfin rarement avec la même personne, elle avait trop mauvais caractère. Elle ne dit donc mot et s’attaqua aux carottes, avant de prendre à son tour une bonne gorgée de ce succulent vin rouge sombre que son compagnon avait demandé au tenancier de l’auberge. Tout en poursuivant la discussion, Selen lui demanda si elle était souvent confrontée à ce genre de difficulté.

« Oh que oui ! » S’empressa-t-elle de répondre.

« Trop souvent même !» Malgré ses dires, ses yeux étincelaient juste à l’idée de parler de combat. Sibelle était de celles qui ne pouvaient cacher ce qu’elle ressentait. Combattre n’était pas seulement un gagne-pain pour la guerrière, mais un moyen de dépenser et canaliser toute cette énergie qui la rendait parfois trop impulsive.

« Mais la plupart du temps, je suis seule… ou rarement deux fois avec le même coéquipier ! » Rajouta-elle sans aucun regret dans la voix.

La guerrière n’en dit pas plus, il était assez facile de deviner que son impétuosité était en quelque sorte responsable de sa difficulté à se trouver des compagnons de combat.

L’elfe annonça fébrilement qu’il lui arrivait régulièrement d’avoir ce genre de problèmes impromptus en tous genres, et se plaignit même de leur occurrence trop forte. J’ignorais, en réalité, tout d’elle. Y compris son âge, ce qui dans mon jugement, devant être pris en compte. Était-elle lasse de toutes ces aventures, ou les cherchait-elle malgré tout, peut être inconsciemment ? Laissait-elle derrière elle un lourd passé d’aventurière, ou n’était-elle finalement qu’une néophyte. Débutante complète, elle ne l’était certes pas. J’avais pu le constater en la voyant combattre. Certaines de ses capacités hors du commun m’avaient d’ailleurs fort étonné.

Elle précisa qu’elle était généralement solitaire, dans ses aventures. Ou si accompagnée, seulement sur un temps court. J’acquiesçai lentement du chef, tout en mâchant de nouvelles portions de mon assiette. Une fois la bouchée avalée, je commentai :

« J’œuvre également en solitaire. Il est rare de rencontrer des personnes sur qui on peut vraiment compter. »

Elle était peut-être de ceux-là, mais il était encore trop tôt pour le déterminer. Au moins, dans mes mots, j’avançais le fait qu’elle l’était peut-être pour moi. Une sorte de compliment habilement amené, en quelque sorte. Je sirotai une gorgée de mon vin avant de poursuivre.

« Hm. Vous avez fait preuve d’une force colossale en soulevant à vous seule ce charriot, tout à l’heure. D’où vous vient cette puissance inhabituelle ? »

Pour le coup, ça avait été vraiment impressionnant, de la voir désarçonner ainsi l’elfe juchée sur le toit de la charrette. Même moi, qui avais des muscles plus épais qu’elle, n’y serais pas arrivé. Pour ne pas paraître curieux mal à propos, j’accompagnai cependant ma question d’une précision.

« De telles capacités ne devraient pas être tues. Vous avez un grand potentiel. »

Je gardai, tout le long de mon discours, un air détaché et neutre. Comme à mon habitude, aucune émotion ne ressortait de mes yeux d’émeraude ou de mes expressions. Je m’arrêtai là pour l’instant, reprenant une gorgée en attendant sa réponse. Mais je n’avais pas encore tout dit. Rien ne servait de cracher tout le morceau en une fois. Les relations sociales m’avaient au moins appris une chose : tout vient à point à qui sait attendre le bon moment.

La discussion se poursuivit entre deux bouchées et une gorgée de vin. Selen confessa qu’il œuvrait souvent en solitaire également, prétextant qu’il n’était pas évident de trouver un partenaire sur qui compter. Un partenaire…. Sibelle avait bien trouvé Azalée, une combattante émérite, beaucoup plus calme et posée. C’était la seule qui à ce jour avait su tempérer la fougue de Sibelle. Mais cette amie était partie à la recherche de Fenouil, ce petit gobelin naïf et idiot. La guerrière le détestait ... ou plutôt le jalousait en fait.
Puis tout en terminant de manger sa pomme de terre dorée, elle releva la tête et aperçut le nain, celui-là même qui lui avait manqué de respect, faire un pas dans sa direction. Elle lui offrit son regard le plus noir et cela sembla faire son effet, puisqu’il s’arrêta et fit promptement demi-tour. Satisfaite de sa réaction, sans pour autant le faire paraître, elle termina sa dernière bouchée.

Sans être prétentieuse, Sibelle n’était pas de nature modeste. Si elle possédait un talent quelconque, elle ne voyait pas pourquoi elle devait le nier. Ainsi lorsque Selen fit allusion à sa capacité de soulever le chariot bardé de fer, elle répondit tout simplement.

« Je possède en effet une puissance musculaire supérieure à la majorité des femmes de ma taille. C’est héréditaire, je tiens ça du côté de ma mère, paraît-il. »

Cependant ,le regard de la belle se durcit lorsque le demi-elfe mentionna qu’elle ne devait pas taire ce talent.
«Je ne suis pas une bête de foire ! » Dit-elle d’une voix légèrement irritée, sans pour autant lever le ton.

Puis après avoir pris une grande respiration, elle reprit plus calmement.

« Au contraire, je profite souvent de l’effet de surprise lors des combats, surtout contre les hommes. Sans être menue, je ne suis pas d’une taille imposante, ils ont alors tendance à sous-estimer mes talents. Ils baissent alors leur garde, ce qui me donne un certain avantage. »

Ayant terminé son repas, Sibelle repoussa son assiette. Cette action ne passa pas inaperçue du regard attentif de Sam qui vint aussitôt ramasser la gamelle vide.
La rouquine prit une autre gorgée du succulent vin et tout en regardant son compagnon, se décida à son tour de le questionner.
« En parlant de capacité » Dit-elle tout en montrant du menton, les mains de l’homme par lesquelles, elle avait vu surgir de la lumière, « J’ai cru remarquer que vous n’en êtes pas dénués, votre présence doit être apprécié au sein d’une équipe. »

Cette remarque avait surtout pour but de faire dévier la conversation, elle n’aimait pas vraiment parler d’elle. En fait, nullement très habile dans les relations sociales, Sibelle n’entretenait jamais de longues conversations. D’ailleurs, le sommeil commençant à la gagner, elle réprima poliment un bâillement.

Elle confirma sa force colossale, mais sembla mal prendre que je veuille en faire l’étalage, arguant qu’elle n’était pas une bête de foire, non sans une irritation ostensible. Elle précisa ensuite, plus calmement, qu’elle préférait en faire la surprise lors des combats, les ennemis ne s’attendant pas à une telle démonstration de puissance physique. Elle m’expliqua en détail la stratégie qu’elle aimait à user contre eux, les surprenant pour les faire baisser leur garde. Je commentai sobrement :

« Je gage, après vous avoir vu combattre, que vous n’avez pas forcément besoin de tels stratagèmes pour vous débarrasser de vos ennemis. Vous semblez habile de vos lames. »

Et pour éviter tout malentendu, je précisai :

« Quant à évoquer vos talents cachés, je ne le signifiais qu’envers vos alliés, afin qu’ils ne soient pas aussi surpris que vos adversaires lors de telles démonstrations. Pas pour faire de vous un spectacle ambulant. »

Farouche, la guerrière dévoilait petit à petit son caractère. Un manque de sang-froid notable, qui pourrait bien le servir dans sa quête. Mais elle détourna la discussion avant que je puisse embrayer sur le sujet de Brytha sur la magie dont j’avais fait preuve dans le combat et à l’auberge, en rentrant. Cette magie que je détestais autant qu’elle m’était utile. J’abhorrais la montrer, en faire spectacle. Sans la nommer directement, je sus que c’était à elle qu’elle faisait référence. Mes yeux d’émeraude percèrent les siens, d’un brun profond.

« Rares pourtant sont les groupes qui ont apprécié ma présence, quels que soient mes pouvoirs. »

Solitaire, je l’étais bel et bien. Et égoïste aussi, à bien des égards. Je n’aidais pour ainsi dire les autres que s’il était utile pour moi de les aider. Simple question de rentabilité. La vie était trop courte, même pour un mi-elfe, pour s’appesantir sur les besoins des autres. Ma quête de puissance ne passait pas par l’altruisme. Ma vision des autres devait sans doute jouer sur cette décision dure. Et le mépris que j’entretenais pour nombre des abrutis peuplant cette planète n’aidait sans doute pas à me rendre moins misanthrope. Je détournai à mon tour la discussion, sans m’appesantir plus avant sur mes pouvoirs lumineux.

« Avez-vous déjà entendu parler de Brytha, cette déesse mystérieuse et impérieuse prônant l’équilibre parfait entre les choses ? »

Sans lui laisser l’occasion de répondre, je poursuivis mon discours.

« Je suis actuellement en quête de ses origines, et de ses suivants. Depuis son apparition, aux alentours de Yarthiss, on n’en fait plus référence nulle part… Mon but, si je n’avais été retardé par ce manoir maudit, était de retrouver sa trace. M’accompagneriez-vous, si je vous le demandais ? »

Direct, franc, j’aimais mettre les pieds dans le plat sans tourner autour du pot. Et à propos de ça, d’ailleurs, j’avais fini mon assiette, et vidai mon godet de vin pour le remplir à nouveau, laissant l’alcool faire ses premiers effets sur mon organisme ; langue et lèvres légèrement engourdies, moins nette perception de moi-même et de mes mouvements…

Contrairement à la guerrière, Selen demeurait calme et posé durant toute la conversation, ne laissant jamais voir ses sentiments ou impressions. Sobrement, il expliqua son point de vue. D’après lui et après avoir vu la guerrière combattre, il considérait que la stratégie de surprise n’était point nécessaire, qu’elle maniait suffisamment bien les lames. Et probablement afin d’éviter tout malentendu, suite à la réaction vive de la belle, il précisa que sa force serait un atout pour ses alliés, et non pas pour un spectacle ambulant.

Puis, tout en fixant Sibelle de ses yeux d’un bleu pénétrant, il ajouta que rares étaient les groupes qui avaient apprécié sa présence peu importait ses pouvoirs. La guerrière soutenu le regard de l’homme sans broncher. Si différent d’elle qu’il pouvait être, il semblait tout de même aussi solitaire.

Mais avant que la rouquine n’émette le moindre commentaire, son vis-à-vis changea radicalement le sujet de la conversation en demandant à la rouquine si elle avait déjà entendu parler de Bryta, une déesse qui prônerait l’équilibre parfait entre les choses. La guerrière allait répondre que non, mais Selen ne lui en laissa pas l’occasion enchaînant immédiatement sur les explications de son enquête sur la dénommée Bryta. Elle aurait apparu dans les alentours de Yarthiss, sans être jamais revue depuis. Il avait pour but de retrouver sa trace. Il termina son discours en demandant directement sans détour si elle souhaiterait l’accompagner.

La belle ne répondit pas immédiatement bien que sa décision était déjà prise. Elle se savait incapable d’être inactive, elle avait besoin de combattre, d’explorer et même d’enquêter. Elle fixa le jeune homme encore quelques secondes puis elle remplit à son tour son godet de vin. Après avoir pris une bonne gorgée, elle lui donna enfin sa réponse.

«Je n’ai aucune quête ou mission en cours et il n’est pas question que je stagne ici sans rien faire, je veux donc vous accompagner volontiers. »

Elle ouvrit la bouche avec l’intention de le prévenir de son mauvais caractère, mais elle n’en fit rien, et la referma aussitôt. L’homme n’était pas idiot, il avait sûrement remarqué l’impétuosité de la belle.

Elle réprima un second bâillement. Ne supportant pas très bien l’alcool, elle sentait ses jambes molles et voulait attendre que les effets se dissipent un peu avant de regagner sa chambre. Elle déposa son verre presque vide sur la table avec la résolution de ne plus le porter à sa bouche.

Me dirigeant tranquillement vers la première auberge sur ma liste, je me rends compte que le soleil a déjà entamé sa descente depuis quelques heures maintenant et je ne pouvais pas rêver mieux. S'il y a bien une période de la journée où j'ai le plus de chance de trouver des aventuriers épuisés par une folle aventure dans un manoir maudit, c'est le soir.

Passant derrière le Temple des Plaisirs, je continue tranquillement ma route sans me presser, profitant du calme des rues Kendrannes qui s'installe petit à petit. Profitant de la petite brise fraîche qui vient de se lever. Les bâtiments défilent les uns après les autres, des habitations, le clocher de la ville et finalement, celui que je convoite finit par faire son apparition. Un beau et grand bâtiment de trois étages, aussi accueillant qu'une auberge Kendranne se doit de l'être. L'auberge de la Tortue Guerrière, un nom des plus étranges s'il en est. D'ailleurs quand j'aurais le temps et que la situation le permettra, il faudra que je demande au gérant d'où vient ce nom. Les origines et les histoires qui entourent ce dernier doivent être passionnantes, où tout du moins relativement amusantes. Mais ce n'est clairement pas le moment. Dame Pulinn m'a confié une autre mission. De moindre importance certes, mais je ne peux pas la décevoir, je n'en ai pas le droit.

Poussant la porte de l'auberge, je suis frappé par l'ambiance chaleureuse qui règne en ces lieux. Une ambiance chaleureuse, joyeuse qui vous fait vous sentir bien dès l'instant où vous entrez. Si je n'avais pas le Temple des Plaisirs, il est certain que cette auberge serait devenu mon point de chute, mais je suis pas là pour me reposer. Je reste donc là, sur le pas de la porte, ignorant les regards se posant sur mon immense personne et je cherche dans la salle une possible tête connue, un des aventuriers du manoir...et la chance doit être avec moi, car un peu plus loin, assit a une table se tient Selen, un des aventuriers avec lequel j'ai fait un bout de chemin dans la demeure hantée. Je ne pouvais pas rêver de meilleure rencontre dans l'immédiat.

Alors que je m'approche de sa table, je me rends compte que l'homme est en charmante compagnie. Une elfe à la chevelure flamboyante, guerrière si j'en crois on bustier et ses deux épées, se tient face à lui. Je n'ai pas le souvenirs de l'avoir croisée dans le manoir, j'en déduis donc que c'est une connaissances de Sire Selen. Une fois arrivé à leur hauteur, je mets une main sur mon ventre et m'incline légèrement.

« Sire Selen, c'est une joie de pouvoir croiser votre route de nouveau. J'espère ne pas vous déranger. »

Me tournant ensuite vers la guerrière, je m'incline une nouvelle fois.

« Pardonnez mon impolitesse. Je m'appelle Duncan. Ravi de faire votre connaissance. »

Les présentations sont faites et je résiste à l'idée d'assaillir le semi-elfe de questions comme à mon habitude, attendant tranquillement, debout à côté de lui et de son amie.

Sans palabre ni longueur, l’elfe accepta de se joindre à ma compagnie pour enquêter sur la Déesse Brytha. Je ne sus quel était son intérêt pour le sujet de cette quête, mais elle donna lieu à penser qu’elle s’ joignait uniquement pour ne pas avoir à s’ennuyer. Je saurais néanmoins m’en contenter. Aventureuse, elle l’était sans aucun doute. Et je lui proposais une aventure. Cela semblait se suffire à lui-même.

La conversation tirait sur la fin, tout comme notre repas. Et je n’eus plus fait long feu ce soir, si l’arrivée impromptue d’un être que je ne m’attendais plus à voir n’avait pas fait rejaillir les flammes de ma curiosité. Car oui, de l’entrée une rumeur était montée, un nouvel arrivant s’était présenté, attirant les regards de sa taille haute. Duncan, ce grand guerrier blond disparu dans les méandres du manoir, laissé par mes soins dans un état second proche de l’inconscience, refaisait surface.

Sans l’ombre d’une hésitation, il s’avança vers notre tablée, et nous salua poliment, se présentant à l’elfe. Je fronçai les sourcils, curieux de cette arrivée impromptue.

« Vous ne dérangez nullement. Mais… Comment vous êtes-vous sorti du manoir ? Que vous est-il arrivé, entre ses murs maudits ? »

Il savait à quoi je faisais référence. Inutile d’en informer Sibelle. Je laissai l’elfe à ses présentations, et le nouveau venu à ses explications.

Peu de sommeil suffisait pour remettre Sibelle en forme, mais il en fallait tout de même un minimum. L’épreuve dans le manoir, puis le combat l’avait épuisée, il était plus que temps qu’elle aille se reposer quelques petites heures.

Au moment où elle s’apprêtait à prendre congé de son nouveau compagnon, un très grand humain blond s’approcha de leur table. Possédant de bonnes manières, il s’adressa tout d’abord à Selen lui manifestant sa joie de le retrouver. Bien qu’elle ne l’avait vu qu’assoupi et n’avait pas alors remarqué l’absence de son œil gauche, Sibelle le reconnut aussitôt. Il s’agissait de l’un des hommes inconscients sur les marches du balcon du manoir maudit.
Réservé et poli, il se tourna vers Sibelle et se présenta. D’après les commentaires de Selen, cet homme avait accompagné ce dernier lors des épreuves du manoir. La rouquine le salua à son tour.

« Je suis Sibelle ! Mais ce n’est pas la première fois que je vous vois. Tout comme votre ami Selen, vous étiez assoupi dans la cour du manoir. Mais je n’ai pas réussi à vous réveiller et ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé. Même l’eau de la fontaine n’a pas eu raison de votre sommeil apparemment artificiel. »

La rouquine avait dévoilé son action, sans honte ni remords. Certes, elle avait utilisé les bottes de l’homme et l’avait aspergé de l’eau froide de la fontaine, mais son but honorable de tenter de le ranimer justifiait amplement, selon elle, le moyen employé.

Les présentations faites, elle se tut. Elle était curieuse d’entendre l’homme raconter comment il s’était retrouvé là.

J'apprends donc que l'elfe rousse s'appelle Sibelle et que c'est elle qui est à l'origine de l'eau dans une de mes bottes et sur mes cheveux, confirmant une tentative de me sortir de mon inconscience. Cette information me fait sourire et intérieurement, je remercie cette elfe d'avoir essayé, à sa manière, de e porter secours. Mais c'est les questions de Selen qui accapare mon esprit. Que m'est-il arrivé dans le manoir et comment j'en suis sorti. Je n'en ai toujours aucun souvenir et j'espérais justement que le semi elfe puisse m'apporter les réponses. C'est avec une légère pointe de déception que je lui réponds.

" C'est justement ce que je m'apprêtais à vous demander. Je ne me souviens de rien de ce qui suis notre rencontre avec un de ces êtres fantomatiques, jusqu'à mon réveil à l'extérieur du manoir. C'est à la recherche d'aventuriers ayant plus d'informations sur ce manoir que je suis venu ici."

Me grattant l'arrière de la tête naïvement, je décide de prendre congé à ma manière, ne souhaitant pas déranger plus longtemps les deux comparses.

"Mais si vous ne pouvez pas me renseigner, ce n'est pas grave. Cela n'a que peu d'importance et j'ai d'autres projets dans l'immédiat"

Je ne souhaite pas en dire plus et à vrai dire, je ne sais pas si je peux me le permettre. Peu importe le respect que je porte à Sire Selen, je ne peux pas lui réveler ma future destination aussi facilement.

A son tour, l’elfe blanche fit noter au géant borgne le récit de leur dernière rencontre, quant elle lui versa de l’eau sur le visage sans la moindre réaction de sa part. Duncan se concentre néanmoins sur moi, affirmant qu’il n’a plus aucun souvenir de ce qui s’est passé après notre rencontre avec l’être fantômatique. Il avait été comme absorbé dans un état second, physiquement conscient mais absent en même temps. Je fis mine de réfléchir un instant. Les souvenirs de ce manoir s’étiolaient en moi comme si je voulais les masquer de ma mémoire. Je n’avais su placer aucune explication logique derrière ces événements, et encore maintenant, je n’avais aucune connaissance du pourquoi de notre survie.

« J’ai rencontré plusieurs fantômes. Ils avaient apparemment des problèmes personnels à régler pour être libérés de ce manoir où, tout comme nous, ils étaient enfermés. Mais… je n’en sais guère plus. Je n’ai pu apporter l’aide demandée, et je suis quand même sorti. Peut-être Sibelle ici présente saura-t-elle nous en dire plus sur le sujet ? »

Je le tournai vers l’elfe. Je ne lui avais pas demandé ce qui s’était passé. Cela relevait de l’incongru, de toute façon, pour ma part. J’étais juste content d’avoir quitté cet endroit maudit. Mais c’est vrai qu’en apprendre plus pouvait être utile, si jamais ma route m’amenait à croiser de nouvelles créatures touchées par un malédiction semblable.

Il avait des projets à régler, autres que la compréhension de cette aventure biscornue. Je lui fis part des nôtres.

« Mais je ne voudrais pas vous faire perdre plus de temps sur vos projets. Il se fait tard, et nous-même partons dès demain pour Yarthiss, sur l’Imiftil. Nous aimerions être reposés pour le voyage. »

Je n’avais encore guère parlé du départ avec Sibelle… Voilà qui était fait. De manière un peu abrupte peut-être, mais il était selon moi inutile de faire traîner les choses. Le but de ce voyage, je le tus tout de même à Duncan. Cela ne le concernait en rien, sans doute.

Le dénommé Duncan n’apporta aucune réponse tangible aux questions de Selen. En fait, c’était dans le but d’en savoir plus sur le bâtiment hanté qu’il les avait abordés. Incapable de fournir davantage d’information, le compagnon de table de Sibelle quitta son regard sur le grand blond, toujours debout, pour le porter sur elle l’invitant à éclairer leur lanterne.

L’homme balafré ne se faisait pas insistant et s’apprêtait même à leur fausser compagnie, avant que la guerrière rousse ne prenne la parole. Celle-ci passa en revue l’équipement de l’homme, réflexe de guerrier, avant de se décider à satisfaire sa curiosité. Elle était consciente de la confusion qui pouvait régner dans son esprit, suite à un réveil inopiné dans un endroit inattendu. C’est donc de bon cœur qu’elle résuma la situation en racontant la même histoire une seconde fois.

«Après avoir surmonté des épreuves ridicules et posé maintes questions, nous avons pu découvrir la soi-disant injustice dont les mauvais esprits étaient apparemment victime. Ce Jack à la face de clown, ainsi que les deux fillettes ne méritaient point le salut, condamnés à hanter le manoir était à mon avis une sentence raisonnable, mais les libérer était la seule façon de quitter ce lieu maudit. Donc, une fois les esprits partis, le maître des lieux est apparu. Il s’agissait de l’un des treize, un puissant nécromant qui contrôle les âmes mortes, un dénommé Tal’Raban. Bref, nous ne sommes que trois à être sortis conscients de ce lugubre manoir. Moi, un blond beau parleur et une elfe grise très susceptible. Si personne n’avait trouvé le fin mot de l’histoire, nous serions sûrement encore enfermés dans ce manoir hanté. À présent, comme vous l’avez sûrement remarqué, il a une tout autre allure et ne fera plus de victimes.»

Une fois que Sibelle eut terminé son bref résumé, Selen tenta de prendre congé de Duncan, lui annonçant du coup que lui et Sibelle partiraient dès l’aube afin de se rendre à Yarthiss. Bien qu’étonnée que le départ fût si hâtif, la belle ne s’en plaignit point. Elle n’avait aucunement l’intention de jouer les touristes dans la cité blanche, malgré toutes les diversions que cette ville aurait pu lui apporter. Elle était au contraire satisfaite de se remettre à l’action si rapidement.

Je refermai la porte précipitamment si bien que les regards se tournèrent vers moi. Tous sauf trois individus au fond de la salle, trop absorbés par leur conversation.
Le contre-coup de ma course frappa, m'obligeant à poser les mains sur mes genoux pour reprendre mon souffle.
L'homme derrière le comptoir sur ma gauche réagit rapidement pour ne pas laisser le silence s'installer, on sentait l'expérience du gérant malgré son apparent jeune âge :

"Eh bien eh bien ! Encore un qui a flairé les patates de ma Tina !"

L'alcool aidant à cette heure, l'assemblée éclata de rire. J'esquissai moi-même un sourire malgré l'adrénaline encore très présente. Alors que les gens retournaient à leurs discussions, je me redressai et marchai vers le bar. L'air était réconfortant dans cet endroit. La collection de bouteilles derrière mon hôte me parut impressionnante, j'étais relativement ignorant en ce qui concernait l'alcool mais j'avais sans nul doute besoin d'un remontant.

"Votre auberge vient de me sauver la vie jeune humain. Auriez-vous quelque chose à boire pour un novice en boissons comme moi ?"

Prenant un air grave, il se pencha légèrement.
"Franchement l'ami, je connais un paquet de gens dans le coin qui tuerait pour un mouchoir fait dans votre cape. Je visualise sans mal la balade que ça a dû être pour arriver ici. Pas très prudent si vous voulez mon avis. Je suppose qu'une chambre ne serait pas de trop, je vais demander à Tina de vous porter un bon repas et un peu d'eau chaude histoire de vous coucher plus propre. On verra demain pour le règlement." Et il reprit un sourire commercial.

Très heureux de ne pas avoir à réfléchir par moi-même, je laissai mes jambes m'emmener vers l'escalier au fond de la salle. Une bribe de conversation à propos d'un manoir me parvint, alors que je montais doucement les marches.
Les chambres du premier étage étaient ouvertes pour la plupart, j'en choisis une au hasard. Les quelques bougies disséminées éclairaient un lit élémentaire, une petite table ronde accompagnée d'une chaise, une cheminée très simple et une armoire sans fioritures.
Bien loin du confort des mes appartements de la veille. Parfait.
J'avais à peine remarqué la femme qui était passée très rapidement, déposant avec fluidité mon repas sur la table et une bassine d'eau fumante devant la cheminée.
Je profitai sommairement de ces quelques réconforts matériels et m'écroulai sur le lit, sombrant à nouveau dans le dédale de ruelles...

Dame Sibelle m'explique alors ce qui s'est passé dans le manoir. La libération des fantômes qui nous tourmentaient, mais surtout...l'apparition de Tal'Raban, l'un des Lieutenants nécromants de la fille de Thimoros. Voilà une information qui intéressera sans aucun doute Dame Pulinn, mais ce qui m'interpelle plus sur le moment, ce sont les propos de Sire Selen. L'elfe rousse et lui comptent aussi se rendre à Yarthiss et je me demande si je vais oser...Si je vais oser leur proposer de les accompagner. Il n'auront peut-être pas envie de voyager à mes côtés, mais au final, qui ne tente rien n'a rien. Mais tout d'abord, faisons preuve de politesse et remercions les comme ils se doit pour les renseignements.

" Merci pour ces renseignements, je comprends un peu mieux."

Me grattant l'arrière de la tête, ne pouvant réprimer un air légèrement gêné, je décide de poursuivre et de ne plus cacher plus longtemps le but de mon voyage. Peut-être cela les décidera à accepter le fait que je me joigne à eux.

" Et étrange coïncidence, il s'avère que je me rends moi aussi vers Yarthiss pour enquêter sur l'apparition de Brytha. Je serai honoré si vous acceptiez que je vous accompagne."