Je sentis une main se poser sur mon épaule, je reconnus Ardic penché sur moi. Je me redressai :

"Qu'est-ce qu'il y a ?"

"On doit partir, il est temps de se lever, la route est longue jusqu'au nord de l'Ynorie. Entre cinq et six jours suivant la vitesse de marche. Le village est au nord d'Oranan. Dépêche-toi, il faut qu'on y aille !"

Je me levai et m'habillai rapidement avant d'entrer dans la pièce principale. Une bonne odeur de nourriture arriva à mes narines. Je souris, mon ventre gargouillai, je m'installai à la table de chêne, le druide me servit une assiette remplie de fruits et un bol de gruau. Je mange sans un bruit en constatant que tous mes compagnons font de même. Un fois le ventre plein, le druide me tend mon sac en m'expliquant qu'il l'avait rempli de victuailles pour le voyage : pain, tourte, viande et fruits séchés. Je le passe en bandoulière et récupère mon épée. On est prêt à se mettre en route, le ventre plein et la besace qui craque presque, nous sommes huit à nous mettre en route pour Oranan, ensuite nous continuerons plus au nord en quête de ce village en difficulté.

suivant

Guasina obtempéra, elle avait aussi besoin de repos. Ils restèrent là un instant, bordé par le bruit des oiseaux qui cherchaient un nid pour la nuit, bercé par l'air frais. Sirat dans un premier temps ne pensait à rien, puis peu à peu un élément vint à le déranger. Un détail qui finit par occuper son esprit tout entier, rendant cet événement encore plus étrange. Ces guerriers squelettes ne parlent pas, ils sont capable de cri ou de hurlement, mais aucunement d'une réflexion organisée qui lui permettrait de proférer des menaces.

Sirat se releva, il fit signe à son amie. Elle l'accueillit avec un sourire et monta sur son épaule, délicate et légère. Le temps de leur séparation arrivait et bien qu'il soit soulagé pour la petite lutine, son cœur devenait lourd, car il allait se retrouver seul. Bien que s'éloigner de Guasina ne l'enchantait pas il ne le montra pas pendant le reste de la marche. Il préféra se concentrer sur son enquête.

Ils étaient maintenant au niveau des collines, ils arpentaient un sentier serpentant entre deux falaises. Si elle n'avait pas été là, il serait passé à côté de cet endroit. Le chemin caillouteux était apparu comme par magie, se créant dans ce décor, forgé par les éléments. Peu à peu les escarpements disparaissaient pour laisser place à une forêt émeraude, un à un les arbres apparaissent devenant plusieurs et imposant. Pour Sirat c'était comme de se retrouver devant un mur, infranchissable, mais la lutine guidée par son intuition, commença la traversée.

Deuxième chose qui choquait Sirat : les flammes, ce dernier élément finissait de convaincre l'enchanteur, on avait invoqué cet être pour le tuer. Ce qui le déstabilisait le plus, c'est que le commanditaire savait exactement sur quel chemin le couple d'aventurier se dirigeaient. Il l'avait appelé soldat du destin, cela faisait la deuxième fois qu'on l'associait à Zewen. La première était cet ermite dans la forêt de Cuilnen. Plus Sirat tentait d'analyser les différentes preuves, plus son cerveau se perdait dans de multiples questions et hypothèses. Il finit par arrêter quand ils arrivèrent enfin devant un petit corps de ferme, aux couleurs ocre et roussâtre, enclavé dans la forêt.

Guasina lui expliqua qu'ils étaient arrivés et qu'elle avait le sentiment d'être au bon endroit. Sirat opina du chef, il la déposa sur le pas de la porte et l'observa longuement. Le moment si redoutable de se quitter était enfin arrivé et c'est l'âme pesante que l'humoran l'admettait. Il soupira et s'accroupit devant la lutine.

"Nous y voilà, le moment de se dire adieu."

Tout au long du trajet, nous avions été silencieux. Sans nous l’avouer, nous savions tous les deux que le moment était venu de nous séparer. Mon rêve étrange, ma conviction de devoir me rendre à un endroit précis, allaient changer ma destinée et j’avais la conviction que pour une fois je devais accomplir seule une certaine tâche. Le plus perturbant, c’était que je n’avais aucune idée où cela pouvait me mener, ni ce que je devais accomplir, mais je m’y jetais tête baissée sans éprouver aucune crainte, ni hésitation.

Quant à Sirat, des changements s’étaient opéré en lui. Au tout début de notre rencontre, il ne pratiquait aucune magie alors que c’était à présent le cas. Et puis, il y avait ce cavalier squelette qui s’était adressé à lui en le nommant fils du destin. J’ignorais totalement le sens de cette appellation, mais je me doutais bien qu’il en était autrement pour l’humoran.

Bien que notre séparation s’avérait nécessaire, je ne la souhaitais guère. J’avais partagé beaucoup d’aventures avec ce guerrier pendant lesquelles j’avais appris à la connaître, à l’apprécier et surtout à mettre de côté mon appréhension envers les félins, pure race ou hybride.

Nous étions à présent sur le pas de la porte. Sirat me déposa délicatement sur le sol et m’observa longuement sans mot dire. Puis, après avoir lâché un grand soupir et s’être accroupi pour se placer à ma hauteur, il fut le premier à avoir le courage de prononcer les mots tant redoutés : voilà le moment de se dire adieu.

Je le regardai à mon tour, je le scrutai même avec une grande attention. Je voulais imprégner dans ma mémoire tous les traits de son visage mi-félin, je voulais emporter avec moi ce sourire enjôleur, ce regard brave et énigmatique. Puis, j’enlevai mon dé à coudre pour le ranger dans mon sac. J'arrachai ensuite une petite couette de ma chevelure rousse et à la hâte en fit une tresse.

Je m’approchai de sa chevelure garnie et noua ma tresse à la blonde qu’il possédait déjà. Je me tournai ensuite vers son gros nez pour lui appliquer un délicat baiser, puis me reculai d’un pas.

« Je vais m’ennuyer de toi ! »

Les yeux humides par l’émotion, la gorge nouée, je fus incapable de rajouter un mot.

Message PNJ.



Sirat n'était pas encore parti qu'un humain apparu, ouvrant la porte devant eux. L'homme, d'une âge indéfinissable, n'était pas spécialement grand. Il portait une lourde bure brune ainsi qu'une écharpe qui semblait faite de feuilles mortes. Il portait une large tonsure dans les cheveux.

"Je vous attendais, Guasina, entrez donc."

Son sourire se fige en regardant Sirat, il semble hésitant.

"Zewen vous protège et non Yuimen. Vous pouvez rester et manger avec nous, ou partir, comme vous le souhaitez, nous ne vous chasserons pas de ces lieux."

Sirat quant à lui doit certainement sentir un truc étrange... Cet humain n'a pas l'odeur d'un humain, son odeur n'est pas animale...

Elle l'observa, plongeant ses grands yeux émeraudes dans les siens. Le temps s'était arrêté dans cette clairière, bordé par la forêt, sur le seuil de cette maison fermière au toit en chaume. Guasina enleva son dé à coudre qui lui servait de casque. Elle tenta de se rapprocher de son visage et Sirat accompagna son geste, mettant un genou à terre. Il sentit son parfum, porté par sa chevelure maltaise, ses arômes printanier, boisé et sucré qu'il voulait capturer. Il inspira profondément, espérant enfermé en lui le souvenir de cette fragrance onirique.

Elle arracha alors une petite couette de sa chevelure et en fit à la hâte une petite tresse. Elle plongea dans la crinière de l'enchanteur et la noua au côté de la natte blonde tressé par Sybelle. Elle appliqua ensuite un doux et délicat baiser sur son nez, tandis que de sa main le géant ocre, passait un doigt dans son dos, se joignant à elle pour cette étreinte fugace. Elle recula et signifia qu'elle allait s'ennuyer du colosse. Il regarda son visage et esquissa un sourire, il essaya encore une fois de s'imprégner de cette gaîté, de cette simplicité et de cet amour dont débordait son amie, ranger cette image d'elle et la cacher au fond de son âme.

"Merci pour tout."

Il perçut le malaise de la jeune archère, il essaya alors de briser cette tristesse par un trait d'humour.

"Je vais devoir apprendre à râler seul."

Il sembla alors chercher quelque chose sur sa vieille tunique, palpant son torse, l'air perplexe. Soudainement son visage retrouva son contentement. Il tira de sa vieille chemise une petite épingle en argent. Le trou dans sa chemise reprit alors sa forme d'antan, usé et meurtri par les années. Il le jaugea avec une moue dépréciative.

"Je comptais me racheter une belle chemise de toute façon. Tiens prends cela."

Il lui tendit l'épingle qui pour Guasina avait la taille d'une épée à une main.

"Tu es très forte à distance, mais faut que tu penses à te protéger au corps à corps. Je la tiens d'Ania, c'est une catin, mais je la considère comme ma mère adoptive. Elle m'a recousu ma liquette il y a quelque temps, je suis étonné, que cela est tenu jusqu'ici."

Il agrémenta son cadeau d'un clin d'oeil affectueux. Un homme ouvrit alors la porte de la chaumière. Sirat n'arrivait pas à mettre un âge sur lui, de taille moyenne son visage oscillait entre sagesse et juvénilité. Coiffé comme un moine, habillé d'une bure et paradant d'une écharpe de feuille morte, aux couleurs chatoyante, il accueillit Guasina avec un sourire comme s'il la connaissait depuis toujours, l'appelant même par son prénom.
Sirat se rembrunit rapidement, ce nouveau venu finissait clairement les adieux et venait leur rappeler qu'il était temps d'y aller. Son regard tomba sur l'enchanteur et se figea. Cet homme dérangeait fortement l'humoran, aucune odeur n'émanait réellement de lui. Il n'arrivait pas à définir ses effluves et cela le dérangeait fortement. L'homme affirma que Sirat était protégé par Zewen et lui proposa même de rester manger.
Mais, cette idée ne lui traversa même pas l'esprit. La seule envie qui le torturait était de prendre la lutine et de s'enfuir avec elle. Mais, il voyait bien que le destin de celle-ci était de rester ici et il respectait la prédestination et le choix de son amie.

"Non, je vais y aller."

Il se pencha en avant et déposa un baiser sur le visage de Guasina, lui rendant le sien, effleurant sa minuscule joue de ses lèvres.

"À bientôt, petite sœur."

Lui susurrât-il, au creux de son oreille. Il se releva de tout son long faisant face à cet étrange druide.

"Prenez soins d'elle."

Sirat s'en alla alors, la toison virevoltant dans le vent, il n'osa pas se retourner, sa fierté l'empêchait de montrer ses sentiments et à cet instant il avait bien du mal à les réprimer. Il s'enroula alors dans sa cape ébène, retroussant sa capuche. Il finit par disparaître dans la pénombre des arbres.

Beaucoup de regards et peu de paroles. Les mots étaient inutiles, nous devinions ce que ressentait l’autre, il était temps pour nous de se quitter, mais nous ressentions du chagrin à le faire. Sirat me remercia de mon petit présent et tenta de me faire sourire en blaguant sur son caractère un peu bougon.

Il fouilla ensuite sa tunique et y détacha une épingle doré. Cette dernière servait à réparer temporairement sa chemise usée. Il me la tendit solennellement. Les yeux écarquillés devant un tel présent, je la pris de bon cœur et mes larmes s’écoulèrent sur mes joues. Incapable de prononcer un mot de plus, je lui fis un petit signe de tête en guise de remerciement.

J’examinais attentivement cette épingle qui me servira d’épée tout en écoutant les conseils de mon ami. Il avait raison, j’avais besoin d’une arme pour me défendre dans le corps à corps, puisqu’à proximité, mon arc était peu utile. Il me fit un chaleureux clin d’œil que je lui rendis aussitôt.

C’est dans ce moment d’intimité entre deux amis que la porte de la chaumière s’ouvrit. Au seuil de la porte se tenait un homme habillé d’une lourde bure brune agrémentée d’une écharpe couleur feuille d’automne. Ses cheveux attira mon attention, puisqu’ils étaient rasés au sommet de son crâne. Je fis tout de même attention pour ne pas le dévisager, je ne voulais en aucun cas lui faire un affront.

Arborant un sourire, m’interpellant par mon prénom comme s’il me connaissait, il me pria d’entrer, me précisant qu’il m’attendait. Je lui répondis par un sourire, puis me tournai vers l’humoran. Le nouveau venu l’invita à passer la nuit avec nous, mais Sirat déclina l’invitation. Ces deux hommes ne semblaient pas apprécier la présence de l’autre, mais ils semblaient tout de même se respecter mutuellement.

Mon ami se pencha vers mon visage et, avec toute la précaution du monde, déposa un délicat baiser sur ma joue mouillée. À mon tour, je lui rendis sa caresse en tendant ma petite main de lutine sur sa joue féline. Puis il me chuchota qu’on se reverrait, m’appelant affectueusement sa petite sœur.

Je pris enfin la parole pour lui répondre, la voix chargée d’émotion :

« Oui, à bientôt frérot ! »

Et c’est ainsi qu’il partit sans un regard à l’arrière. Pour ma part, je ne le quittai des yeux et j’attendis de ne plus le voir pour me retourner enfin vers mon hôte.

Du dos de ma main, j’essuyai ma joue, puis m’adressai à cet homme en habit de moine.

« Je vous remercie de votre patience. Je suis prête à vous suivre à l’intérieur et à écouter ce que vous avez à me racontrer. Je suppose que vous pourrez m’expliquer mon rêve et aussi ceci. » Lui dis-je en soulevant mon toupet pour dévoiler mon front, mais surtout le tatouage qui y prenait place depuis quelques heures seulement.

Message PNJ



Tu entres dans une pièce où rien ne semble adaptée à ta taille, à première vue du moins. Une table trop grande pour une lutine, des chaises, elles aussi trop grandes, un escalier avec des marches trop hautes pour toi,... Mais après un bref moment, tu te rends compte qu'en réalité, il y a des adaptations subtiles un peu partout.

Commençons par la porte au fond, que tu vois entre les pieds de la table. En plein milieu est découpée une porte, taille lutine, avec une poignée à ta hauteur. Pour la table, ce sont les pieds qui ont été transformé en échelle pour te permettre d'accéder en haut. Une chaise tout en hauteur est munie elle aussi d'une échelle, pour te permettre de t'attabler avec d'autres. Même l'escalier a été adapté avec des petites marches intermédiaires sur un peu moins d'un quart de sa largeur, te permettant d'accéder à l'étage sans devoir faire de l'escalade.



"Nous avons tenté d'adapter au mieux la pièce pour les êtres de petites tailles, mais difficile d'imaginer ce que ça fait."

La voix qui vient de t'accueillir est celle d'une jeune femme qui s'affaire dans l'espace qui sert de cuisine.

"Vous expliquer votre tatouage, ça je peux le faire; votre rêve, je peux juste vous donner les informations générales, ça dépend d'un rêve à l'autre. Mais passez donc à table, on discute toujours mieux autour d'un bon repas."

Mon aventure venait de se terminer avec Sirat, et une autre commençait dans ce lieu dont j’ignorais tout mais dont l’envie d’y aller dépasser toutes les craintes qu’il aurait pu susciter.

Je pénétrai donc dans cette pièce aux dimensions humaines, ce qui ne m’étonnait plus, puis que c’était mon quotidien depuis mon départ de mon petit village.
Or après un petit moment d’observation, je me rendis compte que cette pièce et ces meubles avaient subie de légères modifications afin de s’adapter aux êtres de petites tailles comme moi. C’était la première fois depuis le début de mes aventures qu’une telle attention était faite à mon égard, et je l’appréciais. Au fond de la pièce je pus voir une petite porte de lutin. Des échelles avaient été aménagées sur les tables et les chaises afin d’y facilité l’ascension.

Puis une dame aux cheveux bruns mi-long m’informa de toutes ces modifications, m’informant qu’ils avaient fait tout leur possible pour transformer cette pièce. Je me tournai donc vers elle tout sourire.

« C’est très gentil de votre part, je vous en remercie. »

Puis le moine me dit qu’il serait disposé à répondre à mes questions autour de la table tout en mangeant. Il m’invita ainsi à prendre place.

Heureuse et sereine dans cette maison où régnait une ambiance calme, je lui répondis.

« J’accepte votre invitation avec plaisir, j’ai l’estomac dans les talons. »

Je m’apprêtais à sauter sur la chaise, j’en avais l’habitude et l’agilité, mais je me retins. Il aurait été impoli de faire fi des installations qu’ils avaient mises en place à mon intention. Je fis donc mine de rien, puis grimpai la première échelle et puis la seconde me rendant ainsi sur la table.
Curieuse, j’observai attentivement mon hôte avant de le questionner de nouveau.
« Pardonnez-moi ma curiosité, mais j’aimerais bien savoir ce qui m’amène ici. » dis-je de bonne humeur et affamée.

Message PNJ



Les deux êtres s'attablent à leur tour, servant un repas copieux. Tout est préparé pour ta taille : assiettes, couverts, découpe de la viande et des légumes... Tout est fait pour que, malgré ta taille, tu te sentes ici chez toi.

"Ce que tu fais ici ? Tu as été choisi par Yuimen, le dieu de la terre et de la vie. Pourquoi toi et pas quelqu'un d'autre ? Je l'ignore, seul Yuimen le sait. Ton tatouage est d'ailleurs un signe de reconnaissance. Nous autres ses ermites, nous en portons tous un."

Les deux relèvent alors un peu leur manche, tu découvres un tatouage en forme de serpent qui s'enroule sur le poignet droit du druide et une simple feuille de saule à l'intérieur du poignet droit de la femme.

"Si ton ami humoran avait été là, il n'aurait rien vu de particulier. Les tatouages des ermites sont invisibles aux autres."

Yuimen, le dieu protecteur de la nature, le dieu pacifique serait apparu dans mon rêve à moi pour que je rejoigne ses fidèles. Je n’en croyais pas mes oreilles. Je n’étais qu’une petite lutine issue d’une humble famille. Comme tous ceux de ma race, j’aimais rire, m’amuser. Certes j’étais généreuse et détestais la violence, mais cela ne faisait pas de moi un être exceptionnel, je représentais tout ce qui avait de plus ordinaire pour une petite lutine. Pourquoi un Dieu tel que Yuimen voudrait de moi ?

« Je……. Vous …. Yuimen….. Les ermites ? »

Estomaquée, mais honorée par cette révélation que j’avais peine à digérer, j’en perdis mes moyens et balbutia une phrase sans queue ni tête.

Même si la nourriture était délicieuse, j’en perdis l’appétit. Je déposai le petit raisin que j’étais en train de déguster et j'examinai mes hôtes, un après l’autre très perplexe. Si je n’avais pas fait ce rêve ou que ce tatouage n'était pas apparu sur mon front, j’aurais conclu être victime d’un mauvais tour. Mais les faits étaient là et ces gens semblaient les plus sincères du monde.

Après m’être laissée quelques minutes pour digérer la nouvelle, je leur demandai enfin :

« Et quel est le rôle des ermites ? Y ai-je vraiment une place ? Je ne suis pas une combattante. Certes je sais tirer de l’arc, mais je m’en sers comme défense et non comme attaquer. »

Message PNJ



L'homme et sa fille laissèrent le temps à Guasina de digérer la nouvelle. Ils avaient vu assez de monde pour savoir que tous n'accueillent pas avec la même facilité le fait d'être choisi par Yuimen. A vrai dire la réaction de la petite était la plus classique, ils préféraient ça aux crises de colères qu'ils avaient connus chez d'autres plus colériques.


"Les ermites sont des protecteurs. Notre objectif est de protéger la foi de Yuimen, mais aussi et surtout la terre de Yuimen. Nous sommes les gardiens de l'équilibre..."

Il hésite sur la fin de sa phrase, c'est la jeune femme qui finit pour lui :

"Il arrive parfois que cela implique le meurtre. Mais dans une époque troublée comme la nôtre, les ermites sont surtout là pour aider les populations, toutes les populations, depuis les Lyikors et les Worans jusqu'aux petits peuples, dont tu fais partie."

"Le combat n'est qu'un moyen de protéger la terre de Yuimen, l'aide, la prise de contact et même le rire en est une autre. Tu dis que tu sais attaquer pour te défendre, c'est déjà pas mal."

"Et pour te trouver une place, tu en trouveras une. Vous êtes aussi utiles vous les petites races. Puis, à vrai dire ça tombe bien... Nous n'avions pas d'emissaire lutin à ma connaissance. Nous avons quelques aldérydes, mais pas de lutin."

Les deux ermites qui me faisaient face m’expliquèrent que leur rôle consistait essentiellement à la protection, qu’ils étaient les gardiens de l’équilibre. Ils étaient en fait fidèles aux préceptes de Yuimen.

Ce rôle était louable et me convenait. Ainsi rassurée, je me remis à déguster mon raisin sur lequel je rajoutai un petit morceau de fromage. Tout en mangeant, j’écoutais très attentivement les propos de mes vis-à-vis. Puis à un moment de son discours, l’homme sembla un peu troublé et c’est la femme qui prit la relève en précisant que parfois, malheureusement, le meurtre s’avérait nécessaire afin d’accomplir la mission de protection.

Je comprenais sa gêne, puisque j’éprouvais la même. Sur cette île flottante, j’avais dû malgré moi tirer quelques traits sur cette femme qui menaçait la survie de tous les habitants de l’île, j’avais posé un geste qui s’avérait contre mes principes, mais qui n’avait pu être évité.

Puis ils me rassurèrent quant à la légitimité de ma présence parmi eux en me précisant qu’il trouvait bien utiles d’avoir en leur sein des représentants de ma race.

Je souris à cette remarque et me décidai enfin à prendre la parole :

« C’est avec une joie immense que j’accepte de faire partie des vôtres. Je vais faire tout mon possible pour être à la hauteur. »

Je poursuivis alors mon repas, en reprenant une seconde part de ce fromage fin à la fine croute blanche avant de me servir un dernier petit verre de jus de fruits des champs. J’étais repu et toute heureuse d’avoir fait ce chemin pour me rendre ici. Les ermites étaient des gens biens, à la vocation noble. Je venais de trouver un but à ma petite vie et j’étais très satisfaite de mon sort.

Cependant la journée avait été longue et éprouvante, la fatigue m’envahissait peu à peu, mais je ne faisais mine de rien. Je devais faire des efforts considérables pour garder les yeux ouverts, car il aurait été impoli de m’endormir ainsi à la table.

Message PNJ



Tes hôtes remarquèrent la fatigue qui était tienne.

"Trève de discussion, papa. Cette lutine est épuisée, nous reprendrons cette discussion demain."

Puis se tournant vers toi, elle continue :
"Au fait, nous ne nous sommes pas présentés. Je m'appelle Saraki et voici mon père. Donnez-lui le nom que vous voulez. Chaque ermite l'appelle à sa manière, il trouve cela plus personnel."

Après que tu ais trouvé un nouveau nom à son père, Saraki se lève et te propose son épaule pour rejoindre l'abri qu'ils ont construit.

"Nous nous sommes dit qu'un lit fait pour un lyikor dans une immense chambre ne devait pas paraître accueillant pour une lutine. Nous avons donc fait une cabane dehors, à votre taille."

Vous sortez, Saraki se dirige alors vers un arbre creux, orné d'un escalier qui tourne autour du tronc jusqu'à une plateforme et un trou.

"Nous avons été aidé par des aldérydes pour l'aménagement intérieur, ça devrait vous plaire, j'espère."

A l'intérieur du trou se trouve des escaliers, mais aussi une mini-salle de bain et surtout une chambre avec un lit fait en poils tout doux qui invite au sommeil.

Bien que j’avais tenté d’être discrète, la femme qui se nommait Saraki s’était aperçu de ma grande fatigue. Elle proposa donc à son père de remettre la discussion au lendemain puis ils m’invitèrent alors à me reposer dans une chambre qu’ils avaient préparée à mon intention.
Avant se faire, je devais cependant trouver un patronyme pour l’homme, il trouvait plus personnel, au dire de sa fille, que chacun le prénomme à sa guise.

Je réfléchis un petit peu, puis le sourire aux lèvres, je lui annonçai son nouveau prénom.

"Je vous appellerai Mononcle. Je suis issue d'une famille nombreuse où chacun se préoccupe du bien-être de l'autre. Et depuis mon arrivée, vous vous occupez de moi aussi bien que mon oncle l'aurait fait."

Rassasiée, de bonne humeur, mais fatiguée, je suivis donc Mononcle vers la petite porte de sortie. Soucieux que je me sente à mon aise, ils avaient aménagé à l'extérieur, une petite maison à ma taille.

Je suivis donc Saraki qui m'amena vers un arbre creux sur lequel était disposé un escalier au bout du quel se trouvait un petit balcon ainsi que l'entrée de ma chambre.

Fatiguée, mais surtout curieuse, je lui fis un rapide remerciement, puis grimpai les marches et m'engouffra dans le trou.

C’est ainsi que j’entrai directement dans la chambre, sans passer par la salle de bain. Un petit lit à ma taille m’attendait, je me défis de tout mon attirail et m’étendis. Bien confortablement installée, je m’endormis aussitôt.

A peine entré-je dans la partie de forêt appartenant à l'ermitage, que Saraki vient me rejoindre. Je descends de ma monture pour prendre la jeune femme dans mes bras. Sans vraiment nous connaître, nous avons une réellement sympathie toutes les deux.

"Lothindil, quelle bonne nouvelle de te revoir !"
"Je suis contente aussi, Saraki. Comment va Nuilë ?"
"Entre et tu verras bien."

Nous menons Harniän vers le champs attenant à la maison et le le libérons de tous ses ornements pour qu'il puisse vagabonder à son aise. Cela fait, nous rentrons dans l'ermitage où Nuilë nous attends, entrain de touiller une soupe chaude dans un grand chaudron.

"Lothindil, quel plaisir de te revoir ici, Gardienne. Les oiseaux n'avaient pas mentie, tu es bien de retour à la maison."

Je me mets à l'aise, directement et ôte mes armures de mes bras et de mes jambes, ainsi que mon pourpoint de cuir vert. Il n'y a aucun risque ici, je suis en paix et ça fait du bien un peu de détente parfois.

"Oui, je suis de retour, même si à nouveau, je ne reste pas longtemps."

Je sors les fioles de mon sac et les dépose sur la table.

"Les fluides commandés."
"Nous n'avons commandé aucun fluide pourtant."

A cette affirmation Nuilë se retourne vivement et me saisit la main. Malgré son trop grand âge, il a gardé tout ses réflexes et sa vivacité. Il frotte son pouce sur ma main droite, celle non tatouée et souris. En pressant juste assez pour que ça soit désagréable et pas assez pour que ça soit douloureux, il me montre une forme sur ma peau.

"Comme tu as grandi ma petite elfe."

Son regard plonge dans le mien, il vient sonder mon âme, et ma dualité réagit très vivement, j'entends Astinor qui grogne, manifestement furieuse d'avoir été découverte si rapidement.

"L'élève a atteint le niveau du maître. Les temps qui viennent seront sombres, Guerrière de Yuimen. Cela fait plus de 3 millénaires qu'aucun gardien de Yuimen n'avait réussi l'épreuve du rituel. Trois millénaires que Yuimen n'avait pas requis la présence d'un guerrier spirituel de Yuimen. Tu es la troisième connue et je suis le premier. Rendrak de l'épine, le second est mort il y a plus d'une vie d'elfe déjà."
"Une vie d'elfe ? Seulement ?"

Le nom de guerrier spirituel m'évoque le dernier passage que j'ai lu dans le livre de Leona, quatre gardiens dont un guerrier spirituel. Il n'y a eu que trois gardiens, Nuilë, Rendrak et moi. Si Rendrak est mort voilà à peine trois milles ans, c'est que le guerrier spirituel du passage est Nuilë !

"Tu as connu Leona, n'est-ce pas ? Tu as connu Kouschuu quand il n'était qu'un enfant ! Tu étais le guerrier spirituel !"

Nuilë nous sert trois bols de soupe tandis que Saraki sort le pain et de quoi mettre dessus, avant de m'inviter à passer à table.

"Je l'étais, en effet. J'étais là à la dernière bataille."
"Tu sais donc pourquoi Leona a trahi ?" m'emporté-je, certaine de pouvoir avoir le fin mot de l'histoire pour enfin délivrer mon aïeule.
"Non, je l'ignore. J'ignore même comment elle y est parvenue. J'ignore même pourquoi Yuimen m'a sauvé ce jour-là."
"T'as sauvé ?"
"J'y suis mort en réalité. Et Yuimen m'a pris les souvenirs de ce combat pour me rendre la vie. Je me souviens juste que le groupe de treize est descendu dans l'ancienne Mertar. Je me suis réveillée, plusieurs mois plus tard, non loin de la ville."

Je manque d'avaler ma soupe de travers. C'est tellement simple d'oublier, est-ce Yuimen ou est-ce lui qui a décidé d'oublier comme moi je l'ai fait avec le rituel ? Et si ce combat cachait une réalité bien pire encore que celle connue ?

"Et si tu nous montrais à quoi ressemble l'esprit ?" demande soudain Saraki entre deux bouchées de pain frais.
"Je vous présente Astinor, donc."
"Et si j'ai pas envie ?"
"Je vois que tu as un esprit très collaboratif."
"Ouais, et je t'emmerde le vieux !"

(Astinor... Un peu de politesse à la fin !)
(Pas envie. Suis pas une bête de foire !)

"Je doute que ça soit possible. C'est une tête de mule..."
"Tu sais quoi de lui ?"

Je n'ai pas le temps de répondre que je sens Astinor qui me pousse littéralement pour prendre le devant de la scène. Le changement est rapide, ça gratte de partout à cause de ces foutus poils qui, étrangement, en font presque oublier le désagrément du changement de morphologie.

"D'elle ! Je suis une femme. Pas un mâle !"

(Ah bah tu vois quand tu veux.)
(Ta gueule...)

Astinor finit par se présenter et en profite pour puiser dans la charcuterie disponible à table. Etrangement, nos papilles ne réagissent pas non plus de la même manière. Celles d'Astinor parviennent à discerner des goûts bien plus variés dans les viandes et nettement moins dans les légumes. Je remarque ainsi qu'il m'est impossible quand elle prend contrôle du corps de discerner les différents légumes de la soupe, alors que j'y parvenais sans difficulté. De l'autre coté, le moindre petit changement dans la puissance ou dans l'arôme de la viande se répercute bien mieux.

A la fin du repas, Astinor devient presque polie, du moins arrête les insultes et finit par me rendre mon corps quand la discussion revient sur le sujet d'origine : les fluides achetés. Je note d'ailleurs qu'Anouar s'est tue, tout simplement, elle traîne là, mais sans se mêler de la discussion, se contentant de traduire de et vers l'Ynorien parlé par Saraki et son père adoptif.

"Tu devrais essayer de les absorber. Je pense que tu seras agréablement surprise."
"C'est à dire ?"
"Ta faera te les a fait acheté pour toi. En devenant guerrière spirituelle, ton corps s'est transformé. Ton potentiel magique va se développer, plus rapidement encore qu'auparavant. Et surtout, ta limite d'absorption de fluides s'est ouverte elle aussi."
"Jusqu'à quel point ?"
"Un fluide avant l'ordalie, un fluide après l'ordalie, un fluide après le rituel. C'est ce que Yuimen m'avait dit à l'époque. La trace noire sur ta main, c'est un second arbre, identique au précédent."
"On va voir ça alors !"

J'ouvre le fluide et sens immédiatement la répulsion d'Astinor pour ce genre de produits. Elle se crispe, grogne et parvient à me bloquer totalement la mâchoire. Je râle, je peste intérieurement et finit par me verser la bouteille sur les mains. Je l'ai déjà vu faire ainsi dans le temple de Yuimen. Si boire est une version classique, l'absorption par la peau, marche tout aussi bien. Je ferme les yeux et ignore les hurlements mentaux de mes deux compagnes d'aventure qui se chamaillent une fois de plus. Je calme ma respiration et laisse mon corps s'ouvrir et accepter cette dose supplémentaire de magie. Doucement, particule après particule, ma peau se teinte de verts, de bruns et de gris, signe de la pénétration du fluide. Je sens la vie qui fourmille en moi et se propage le long de mes muscles. C'est terrible et tellement magnifique. Mon corps répond à cet appel, je sens toutes ses fibres se contracter d'abord doucement, puis de plus en plus fort, jusqu'à m'en faire gémir tandis que mon esprit est calme, aussi détendue qu'une forêt automnale à l'aube d'un nouveau jour. Ce tourment de tension extrême du corps allié à la détente profonde de l'âme me laisse pantoise, fatiguée, mais tellement heureuse.

Nuilë me sourit, Saraki aussi, en rougissant, sans que je comprenne pourquoi. Le vieux gardien attrape ma main, plus besoin d'appuyer sur la peau pour voir un arbre, avec ses branches et ses feuilles sur son dos.

"Garde les autres pour plus tard. Trop de fluides d'un coup pourraient être dangereux malgré tout."

Je n'ai nul besoin de cet avertissement, la mésaventure au temple de Cuilnen est encore vive dans mon esprit, même si elle date de quelques années désormais. Ce fluide 1/2 m'avait plongé dans le coma durant plusieurs jours. Je n'ai ni le temps, ni l'envie de réitérer cette expérience, bien que je sois certaine qu'aujourd'hui mon corps est plus résistant.

"Tu disais que tu ne restais pas au fait ? Où vas-tu cette fois-ci ?"
"A Oranan. Yuimen m'a dit qu'on y aurait besoin de moi."
"Oui, il y a des rumeurs qui disent qu'Oranan cherche des mercenaires. A vrai dire, on n'en sait guère plus, finalement..."
"J'espérais avoir des nouvelles plus précises."
"Saraki fera un bout du trajet avec toi. Elle doit se rendre à l'Est du grand Lac. Tu trouveras sans doute un bateau de pêcheur pour te faire traverser le lac, tu y gagneras possiblement une bonne journée."
"Nous partons dans une heure, le temps que je prépare ce qu'il me faut."

Et effectivement, une heure plus tard, nous sommes sur le départ.