Dragon Fantôme - Chapitre XIXLe Grand Bleu
Chapitre I
Après leur départ de Lebher, l'ambiance dans la Rascasse Volante avait radicalement changé. Bien que tous avaient fini par savoir plus ou moins directement la dangerosité toute particulière de ce nouveau trajet, l'équipage entier paraissait plus apaisé, plus discipliné et plus amical.
Il n'y avait eu aucune bagarre ni même aucune dispute à signaler. Même les tensions entre Samrik et Mythanorië semblaient s'être détendues. Bon, Samrik restait Samrik, toujours majoritairement muet et à tirer une tronche de trois pieds de longs comme si on venait de lui couper la langue et les testicules, mais il commençait à se résigner à l'idée qu'il finisse par se dérider un peu.
Le soir après leur départ de Lebher, la prêtresse de Moura profita de la quiétude du repas du soir, si rare dans cet équipage souvent dispersé et bruyant à ces heures, pour chanter les origines de leur destination, l'île du serpent. Une bien belle histoire de guerrier divins chassant un serpent géant pour s'attirer l'affection de la déesse mais dont le reptile eût fini piégé par un sang-pourpre, l'obligeant à se réfugier dans les entrailles de l'île pour ne plus jamais en sortir.
Récit sublimé par la voix de la prêtresse et la poésie de cette légende qu'elle termina par un avertissement, la seule loi sur cette île était celle du sang et de l'épée, suivi d'une bénédiction à l'équipage. Puis elle s'éclipsa aussitôt dans sa cabine, laissant l'équipage dans un silence gêné et légèrement effrayé qui ne réussit finalement à être désamorcé que par un petit discours de motivation de la capitaine, qui profitait de ce moment pour pousser Samrik à enfin remplir son office de maître d'arme.
L'humoran commençait un peu à se demander si ce n'était pas un genre d'étrange amour naissant et très vache qui s'installait petit à petit entre la capitaine et le maître d'arme, une pensée qui l'amusait.
Pour ce qui était des matelots, on sentait ainsi toujours, derrière la franche camaraderie apparente, une angoisse commune enfouie sur la finalité de ce périple, où l'on se parlait parfois tout bas de ses craintes mais où personne ne contestait vraiment.
Mercurio, quant à lui, se préparait. La mer était aussi paisible que l'équipage, ainsi il n'y avait pas souvent vraiment besoin de sa présence sur le pont. Et lorsqu'il ne devait pas s'occuper de la bobologie relative aux entraînement maintenant prodigués par Samrik aux plus grands bras cassés de l'équipage tel Taloc, il profitait de ces instants pour préparer toute sa pharmacie avec les produits achetés chez le vieux Toki, profitant des moments d'oisiveté de la cantinière pour avoir un peu d'aide.
Outre les potions de soin qu'ils avaient dilués pour en augmenter le nombre et qui restaient un remède généraliste très efficace et polyvalent, tout bon guérisseur se devait d'être doté d'alternatives qui avaient fait leurs preuves.
Le galbanum et le sagapénum étaient finement découpés avant de finir dans un mélange végétal qui finissait soit dans des fioles qu'ils remplissaient ensuite de quelques gouttes de potion de soin et de rhum avant de laisser le tout macérer, ce qui leur donnaient une couleur olive peu ragoûtante mais qui en feraient un bon remède pour les problèmes de digestion, soit dans une petite caisse, car, mélangé dans de l'eau chaude, elle pourrait aussi être utile en inhalation ou en infusion pour les affections respiratoires.
Un mélange plus délicat à produire à base d'eau, de potion de soin, d'essence de lavande et de bergamote ferait quand à lui un excellent antalgique en ingestion et antiseptique en application cutanée... et même si c'était totalement superflu, Mercurio décida de rajouter du rhum dans cette recette aussi, il trouvait que ça ne pouvait pas faire de mal..
Le reste de l'essence de lavande avait fini mélangé à une pinte d'onguent à la purée de châtaigne pour améliorer la cicatrisation en cas de mauvaises plaies.
La seconde pinte d'onguent à la purée de châtaigne, quant à elle, finissait petit à petit dans l'estomac du félin alors qu'il en mangeait comme un gosse avec une cuillère en bois qu'il avait piqué en cuisine et qu'il trimbalait partout avec lui, ce qui ne l'empêchait pas de regretter que ce ne fût pas de la cerise.
A côté de cela, il s'était préparé tout un attirail de secours d'urgence, bricolé comme il le pouvait à partir de morceaux de bois, de tissus et de cuir qu'il avait consciencieusement conditionné pour pouvoir servir de compresses, de bandages, de garrots, d'attelles ou de mors.
Il avait ainsi disposé toute une pile de petites caisses contenant tout ce qu'il fallait pour palier à la plupart des problèmes.
Se rappelant encore de son incapacité temporaire à utiliser la magie de lumière, il préférait prévenir que guérir. Si jamais cela devait se reproduire pour une raison ou pour une autre, au moins cette fois-ci ne serait-il pas totalement impuissant ou à devoir improviser dans la panique.
Pour palier à ce problème, il préféra d'ailleurs ingurgiter le fluide de lumière à sa disposition qui ne manquerait pas d'être utile pour la suite.
Il profita aussi d'enfin pouvoir se pencher sur le cas d'Eliwin.
Maintenant pourvu d'une mâchoire utilisable, il était temps de soulager l'handicap de se malheureux.
Mercurio, étant plus imbibé de purée de châtaigne que d'alcool depuis Lebher, fit alors preuve d'une étonnante inventivité. En examinant les bords de la gorge béante, il s'empara d'un morceau de cuir souple qu'il découpa minutieusement et sur laquelle il fixa à l'aide de gomme la mandibule et, gavant son patient du mélange antalgique, entailla les rebords des morceaux de peau qui pendouillaient jusqu'alors dans le vide et, grâce à sa magie de soin, fit ainsi en quelque sorte fusionner le cuir à sa peau. Eliwin retrouva ainsi un visage plus humain et, sa langue ne pendant plus dans le vide, il retrouva plus de facilité à parler. Bien sûr, tout ceci n'était qu'une improvisation, le marin n'ayant plus aucun muscle à ce niveau, sa bouche était condamnée à rester entrouverte et il ne pouvait toujours pas mastiquer... Mais autant au niveau esthétique que pour la communication orale, il y avait du mieux. Et beaucoup moins de risques infectieux. Il devait cependant continuer à l'examiner régulièrement.
Les jours s’enchaînèrent ainsi tranquillement jusqu'à ce que Lydia, à la vigie, s'écria
"Terre !", ce qui provoqua l'agitation soudaine de l'équipage. Un bout de terre était visible bien au loin mais ils ne purent profiter longtemps de cette vision, un épais brouillard marin s'installant à cette heure crépusculaire.
Malgré l'humiliation de Li Nasakura au port de Lebher, sans que Mercurio l'ait su, la capitaine le força tout de même à prendre place parmi l'équipage. Le bosco ne voyait pas l'intérêt d'avoir ce pleutre dans le navire et son intuition s'était affirmé alors que celui-ci avait surtout passé ces jours à se faire oublier dans les parties les plus calmes du bateau et en s'abstenant d'adresser la parole à qui que ce soit depuis. A part à dilapider une ration de nourriture et d'eau en plus, il se révélait donc d'une inutilité inouï.
Toujours était-il qu'une fois enfoncé dans la brume, sa lâcheté le fit sortir de son mutisme, parlant d'un navire aux voiles rouges qui ferait des ravages les jours de brouillards, suppliant de faire demi-tour.
Forcément, les sangs-pourpres n'allaient pas laisser des étrangers accoster ainsi sur les côtes de leur île sacrée. Ni lui ni la capitaine ni qui que ce soit n'eût le temps de rajouter quoi que ce soit que la prêtresse de Moura prit spontanément le commandement, ordonnant d'initier une navigation erratique pour que leur position dans le brouillard ne soit pas découverte. C'était intelligent. En d'autres circonstances, il aurait pris ça pour un affront mais là, fait était de constater que Leyna était dans son élément. Mytha envoya Ranos à Mercurio pour lui dire d'envoyer chacun à son poste et de faire un silence absolu.
Ce qui fût vite fait, cela s'imposant logiquement aux matelots dans ces circonstances. Croisant brièvement Li et craignant une idiotie de sa part sur le pont, il lui ordonna d'aller se réfugier avec la cantinière et son fils et de ne pas sortir de là-dessous jusqu'à nouvel ordre.
L'humoran ouvrit alors la cache d'arme, apportant sabres à ceux qui en étaient encore dépourvus et sa baliste à Lydia. Il récupéra à son tour ses katars et coordonna la synchronisation entre la barre, que la capitaine avait tenu à gérer, et la voile.
[Ingestion de Fluide de Lumière (1/4)]Le Grand Bleu - Chapitre II