Le Grand Bleu - Chapitre VLe Grand Bleu
Chapitre VI
L'humoran ferma les yeux quelques secondes en grimaçant, tellement il craignait de faire la pire connerie de sa vie. Et s'il se transformait en pigeon lui-même ?
Lorsqu'il rouvrit les yeux et que les runes s'effritaient d'elles-même entre ses mains, il fût un instant troublé. Restant mécaniquement figé sur place, les bras tendus, il fixait le navire des sang-pourpre continuer à tranquillement avancer. Qu'est-ce que... Ça n'avait eu aucun effet ? Qu'est-ce que c'est que cette magie de merde ? Ah, il le savait que c'était des bobards et qu'il en faisait un de beau, lui, de pigeon ! Il perdait rien pour attendre le vieux qui... que... Qu'est-ce que c'était que ce bordel ? Sa vision commençait à déconner, comme si tout se mettait à vibrer. Quoi ? Non, ce n'était pas ses yeux. C'était le brouillard qui s'était mis à bouger. Mais il n'y avait aucun vent, c'était impossible. Il se demandait. C'était lié à l'usage des runes ou c'était une forme de magie sang-pourpre ? Son interrogation ne dura pas longtemps car un son se fit entendre. Le son le plus étrange qu'il avait jamais entendu. Un son éthéré, sans origine palpable, comme s'il n'existait que dans sa tête... Comme le chant du vent dans les tuiles, la douloureuse mélopée d'un mastodonte invisible... La brume semblait se rassembler, s'épaissir tout autour de lui, les vibrations de l'air humide battant à l'unisson avec les battements de son cœur.
On ne pouvait pas dire de Mercurio qu'il avait l'âme poétique d'un esthète contemplatif mais il lui aurait été là difficile de penser autrement.
La tournure des événements était d'une confusion magnifique. Il ne savait s'il devait craindre pour sa vie ou pleurer de joie et ce fut finalement son corps qui décida pour lui, se laissant tomber le cul par terre en regardant au-dessus de lui, la bouche restant entrouverte dans un grand sourire devant cette merveilleuse scène onirique.
Les mouvements de la brume finirent par cesser, l'enfermant dans une purée de pois telle qu'il ne pouvait même plus y voir la rambarde de la Rascasse. Puis, la brume se mit à s’élever, émettant le son ralenti de l'envol d'un oiseau gigantesque et... un roucoulement grave. Ce... C'était bien les runes. Ce... C'était pas du tout le but mais... C'était lui. Il avait créé ça.
La brume finit par disparaître totalement, laissant place à un éclat du jour qui semblait soudainement aveuglant. La créature -s'il pouvait l'appeler ainsi- continua son ascension céleste, se relevant être un titanesque oiseau de matière nuageuse rejoignant les siens.
Il la regardait s'éloigner tranquillement, subjugué, réalisant qu'il venait d'assister là à une naissance et il en était pour ainsi dire... le père ?
Y avait pas à dire, il faisait tout mieux que tout le monde. Son marmot, c'était pas un chiard gluant sorti d'une catin en sueur et le cigare aux lèvres accompagné de son pote le placenta dégueulasse avant d'hurler à t'en vriller les tympans. Non, ça, ça avait quand même plus de gueule. Entre ça et son histoire avec le dragon d'Oaxaca, il avait pas fini de soûler tout le monde.
Ça lui rappelait quand il était un petit con qui squattait les tabourets de taverne de Dahràm pour écouter les pirates raconter leurs folles aventures en mer. Ah ! Il était en admiration devant eux mais maintenant, face à lui, ils sont tellement devenus des petits branleurs ! Il en avait lui aussi, des histoires à raconter, maintenant ! Des biens plus épiques ! Et du totalement authentique ! Merde, il en était à se demander s'il devrait pas trouver un barde pour lui faire raconter son histoire ! Ouais, ça serait...
"Mercu !", lança Lydia depuis sa vigie, rappelant l'humoran à la réalité.
Oh putain oui. Il était parti loin dans son délire là, il en avait même totalement oublié qu'il était dans une bataille navale et qu'il risquait fortement de crever avant d'aller pouvoir se la péter auprès des mioches et des filles de joie de Dahràm. Il mit quelques secondes à émerger de sa rêverie. Maintenant que la brume avait disparu, d'autres navires de guerre sang-pourpre étaient visibles, s'approchant. Et une île se dessinait au loin, sans doute la fameuse île du serpent.
L'intrus était toujours à bord, la prêtresse, la main en sang, se ruant vers lui telle une enragée. La capitaine hurlait de son côté, provoquant l'ennemi et ordonnant au timonier de foncer tout droit vers l'île. Il n'eût pas le temps de réfléchir à ce que tout cela impliquait que Lydia réitéra son appel :
"Mercu putain, magne-toi le cul de monter !"Il s’exécuta sans question, escaladant rapidement, et la vit, sa tunique déchirée sur une vilaine plaie sur le dessus de l'épaule.
"C'est pas trop tôt merde ! Soigne-moi ça vite fait, c'est rien de grave mais je peux pas bien utiliser mon arbalète avec l'épaule dans cet état."(((utilisation du sort "Lumière régénératrice" sur Lydia)))
Le Grand Bleu - Chapitre VII
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Playlist de Mercurio
A propos, j'ai trouvé la morale de la fable que ton grand père racontait,
celle du petit oiseau que la vache avait recouvert de merde pour le tenir au chaud et que le coyote a sorti et croqué...
C'est la morale des temps nouveaux.
Ceux qui te mettent dans la merde, ne le font pas toujours pour ton malheur
et ceux qui t'en sortent ne le font pas toujours pour ton bonheur.
Mais surtout ceci, quand tu es dans la merde, tais-toi !
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Jack Beauregard (Henry Fonda), Mon nom est Personne, écrit par Sergio Leone, Fulvio Morsella et Ernesto Gastaldi