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Bouhen ! Arrivée à Bouhen d'ici quelques minutes ! Veillez à ne pas oublier vos effets à bord et préparez-vous à l'atterrissage ! Air Gris espère que vous avez fait bon voyage !", hurle une voix de géant, juste au-dessus de moi.
Mes spirales sifflent et ma mauvaise humeur me revient. Enfin, si elle m'a quitté ne serait-ce qu'une fois pendant ce fichu trajet !
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Ma tête... Foutus grands crétins bruyants ! )
À l'embarquement à Yarthiss, j'ai failli laisser quelques plumes sous un tonneau, quand l'un de ces imbéciles aux oreilles pointues a présumé de ses forces et l'a lâché sur la passerelle. Je ne dois qu'à un réflexe de m'en être écarté à temps. Cela m'apprendra à vouloir économiser mon énergie en marchant plutôt que volant ! Et malgré la présence de ma manche en cuir, j'ai eu droit à deux belles échardes dans le bras gauche en prime ! Si encore il n'y avait eu que cela, mais du coup ces crétins trop serviables n'ont pas cessé de s'intéresser à moi et de s'enquérir de mes besoins. Impossible de fermer l’œil sans qu'on me propose à boire ou qu'on cherche à se faire pardonner. Même en leur sifflant dessus, ils sont revenus à la charge jusqu'à ce que nous ayons atteint Tulorim ! Quels casse-pieds !
Sur place, j'ai du attendre hors du vaisseau une bonne demie-heure pendant qu'une équipe intervenait dans le nettoyage de l'appareil. Je n'ai appris que plus tard ce qui s'était passé. Une surprise à bord pour quelqu'un, de l'alcool qui coule à flot avant que les membres de la compagnie ne puissent intervenir. Et évidemment quand un tiers des passagers boit sans réfléchir, juste pour tromper leur peur des hauteurs voire leur mal de ce transport, cela ne peut pas finir autrement... Malgré les techniques employées, comme l'ajout d'un liquide floral pour masquer l'odeur, impossible là aussi de dormir tranquille. La puanteur entêtante des fleurs a presque réussi à me rendre nauséeux à mon tour.
Ce n'est qu'une fois à bord du navire volant partant pour Bouhen que j'ai réussi à m'endormir. Rien de reposant pour autant. Mon sommeil a été agité, soit parce que les passagers venaient un peu trop près de moi, dérangeant mon harney sous l'aile duquel j'étais abrité, soit parce que mon esprit s'amusait à me ramener l'image sanglante de la grotte. Je savais déjà que ce cauchemar éveillé allait pourrir mes heures de repos, mais cela ne m'empêche pas d'appréhender ce fait sans le moindre calme. Par mes ailes... J'en ai marre d'avoir toujours raison !
En bref, c'est presque plus épuisé qu'à mon départ que je parviens aux environs de Bouhen vers le début d'après-midi. Sur place, je tente de rassembler mes idées. L'aldryde que je veux retrouver est parti de Bouh-Chêne depuis un moment sans doute. Mais où s'est-il dirigé ? Cela m'énerve un peu plus, mais je n'ai pas vraiment d'autre chose à faire que de retourner vers le village des lutins. Mathurin a sans doute été aux premières loges pour le voir partir de son logis. Il saura m'indiquer ses projets, si ce lutin a assez de cervelle pour cela !
Après m'être éloigné de la place bien trop bourdonnante de créatures de grande taille, je partage quelques rations avec mon oiseau, histoire de donner un surplus d'énergie à mon corps. Quand je pense que je suis encore à au moins une journée du village, cela manque de peu me faire pousser un souffle énervé. Mais alors, la silhouette du brun me revient en mémoire, chassant quelque peu ma mauvaise humeur. Pas trop non plus. J'ai beau être maintenant
celui qui marche à l'aube et au crépuscule, je reste Nessandro, tout de même !
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J'espère que tu es en forme, toi.", fais-je à l'intention de mon oiseau juste avant de le chevaucher.
Le harney émet un son doux et vif avant d'étendre ses ailes. Je vais le faire progresser le plus possible pendant qu'il fait encore jour. Cela devrait m'amener assez loin en forêt pour être tranquille. Sauf contretemps fâcheux, je devrais pouvoir atteindre la cime du village demain, quelques temps après le zénith. Je sais que je dois faire vite. Dae'ron a beau ne pas avoir de monture, il est tout de même capable de voler aussi vite voire plus que Lyïl. Et s'il a une destination précise en tête, il n'en sera que plus vif, quand bien même être seul va l'obliger à la prudence.
Du moins, je l'espère.
[Suite]