Ce jour-là pour le deuxième jour, les héros de la série Purulente la vie s’étaient installés sur la Grande Place devant le château. Quand j’avais entendu la nouvelle de leur arrivée, je m’étais aussitôt frottée les mains. Vous pensez bien, une foule de fans hystériques, des badauds qui se pressent en tout sens, des marchands ambulants et des artistes de tout poil venus pour tenter de gagner quelques pièces, tout ça rien que pour moi ! Avec une telle foule les agissements d’une voleuse habile passeraient facilement inaperçus.
J’étais venue reconnaître les lieux dès le premier jour. Il me fallait savoir où seraient exactement placés les acteurs, comment seraient organisées les dédicaces, s’il y avait des hommes du Guet et si oui combien. Enfin bref, je devais m’organiser pour faire un maximum de profit en un minimum de temps et de préférence sans me faire prendre.
Comme d’habitude, j’avais pour pouvoir faire mes prospections le déguisement idéal. Personne ne trouva suspect de rencontrer dans cette foule bigarrée une saltimbanque de plus. Tout en dansant je pus donc repérer les lieux. Pour ne pas gêner l’entrée vers le château et la circulation dans la Grand Rue, l’estrade sur laquelle se trouvaient les invités de marques avait été placée un peu en retrait dans un angle de la place. Ils étaient bien en vue certes, mais cette disposition avait pour avantage que les gardes chargés de surveiller la porte du château ne pouvaient pas surveiller correctement le bon déroulement des dédicaces. Toutefois Brav Bikk (ou Bébé comme j’aime à l’appeler) et Chat-qui-râle (la bien nommée) étaient tous deux venus avec leur propre service d’ordre. Je notais donc de me méfier d’eux tout en ne m’en faisant pas trop puisque je pensais officier dans la foule loin de la scène.
C’était sans compter sur l’un des nombreux caprices de notre chère diva. En effet celle-ci avait décrété que sa divine personne avait besoin de poses régulières toutes les demi-heures afin de se restaurer et de se remettre du stress et de l’émotion causés par la rencontre de ses fans. Elle avait pour se faire fait installer une tente immense, chatoyante, tapageuse (hideuse) de l’auuuuuuuuuuuuuutre côté de la place ce qui contraignait son service d’ordre à fendre et à dégager la foule en délire à chacun de ses passages dans un sens et dans l’autre. Jusque là me direz-vous, les seuls embêtés étaient ses pauvres fans et ses gardes du corps plus malheureux encore. Ce n’était en aucun cas mon problème.
Et je pensais comme vous, mais vous connaissez le talent de Chat-qui-râle pour (passez moi l’expression) faire chier le monde ! En effet il se trouve que le chemin qu’empruntait la merveilleuse actrice passait juste devant l’endroit où je dansais. La demoiselle ne dut pas apprécier que quelques uns de mes spectateurs ne se retournent pas pour l’admirer, mais continuent à regarder mon numéro. Elle décréta donc qu’en fait elle devait passer non pas à côté de moi, mais exactement là où je me trouvais. Elle ordonna alors à son service d’ordre de faire place.
"Qui est cette mendiante sur mon passage? Faites là partir et faites attentions à ce qu’elle ne me touche pas. Elle risque de salir ma robe en plume d’autruche. Et puis pourquoi est-ce qu’elle est là ? Les gens ne sont pas venus pour voir une sale petite danseuse ! Ils sont là pour moi ! Et j’exige que mon public puisse m’accorder toute son attention !"
Je ne montrais sur l’instant qu’un minimum de résistance, car à la seconde où j’aperçus son regard méprisant et son air hautain il me vint l’envie irrésistible de la faire descendre, pardon, dégringoler de son piédestal. Je lui concoctais donc un plan dont vous me direz des nouvelles.
Il faut dire que j’étais vexée. Non mais, pour qui elle se prenait celle-là ! Etait-ce de ma faute si certaines personnes préféraient regarder une véritable artiste, plutôt qu’une Bimbo artificiellement gonflée et qui avait sûrement eu recours autant à la magie noire qu’à la promotion canapé pour en arriver là où elle en était ! Elle allait voir ce qu’elle allait voir… On ne marche pas impunément sur les plates-bandes d’Odalie Landois.
Je revins donc le lendemain et me plaçais un peu différemment, plus près de l’estrade, mais encore à quelques mètres de celle-ci. Mon poste de la veille était encore trop près de la porte de château et pour la réussite de mon plan les gardes ne devaient pas arriver trop vite. Cette fois je ne dansais pas et j’évitais soigneusement de me faire repérer.
Il faisait un temps exécrable. Depuis le matin, il pleuvait averse et un léger vent froid faisait trembler les curieux qui s’étaient amassés-là pour le deuxième jour consécutif. Les stars étaient quand à elles réfugiées sous un épais dais imperméable dont le luxe n’était égalé que par le mauvais goût : celui-ci affichait les couleurs de la série, un bleu criard, un vert fluo, un jaune bouton d’or et un rouge pétant. De plus, au cas où certains auraient oublié qui se trouvait là, des portraits géants de Bébé et de Barbie trônaient en plein milieu. Ils y affichaient leur sourire plus blanc que nature, leur teint parfait travailler à grand coup de vacances bien méritées à Toutoun et leur chevelure parfaite parce qu’ils le valent bien.
La mauvaise météo avait quelque peu entamée l’entrain des camelots et des troubadours. En fait, presque rien ne venait plus distraire la multitude grouillante de sa longue et pénible attente. Pourtant, comme la veille, les deux files s’étendaient d’un bout à l’autre de la Grande Place. Car si l’on voulait obtenir la griffe des deux acteurs, il fallait faire la queue deux fois ! Ces conditions détestables étaient une aubaine pour la suite de mon fourbe dessein…
Je restais là plus d’une heure grelottante sous mon maigre manteau à écouter patiemment les discussions des fans et à les observer. Tandis que je rêvais d’une bonne boisson chaude devant un feu de bois, je parvins à me placer en un point stratégique que je nommais « C’était-presque-mon-tour ! ». En effet à partir de là, les fans qui faisaient la queue étaient suffisamment près de l’estrade pour espérer atteindre enfin leur idole. Alors quand venait le moment de LA POSE de la seniora, près d’une personne sur deux s’acclamait : « C’était-presque-mot-tour ! ». Et l’on voyait la tension monter à vue d’œil, la fatigue de l’attente se faisait plus perceptible et la nervosité se le disputait avec une certaine exaspération. Cela d’autant plus que Brav Bikk, qui n’avait pas voulu laisser l’exclusivité de la bêtise à sa consœur, avait lui aussi déclaré qu’il ferait désormais une pose toute les trente minutes. Pour quiconque aurait voulu déclencher une émeute générale c’était l’endroit parfait…
Par ailleurs ma patiente attente m’avais permis d’écouter les rumeurs qui agitaient les fans. La plus persistante et la plus inquiétante d’entre elles étant l’éviction prochaine de se pauvre Brav Bikk dont le personnage devait bientôt mourir dans un tragique accident !
Je ne m’étais donc pas ennuyée tant que cela et la distraction que me fournissaient ceux et celles qui m’entouraient m’avait presque fait oublier la pluie. De plus la joie que je prenais par avance à l’idée de mon futur méfait suffisait amplement à me donner la patience et le courage nécessaires en attendant le moment opportun.
Celui-ci vint bientôt puisque réglée comme une horloge, Chat-qui-râle se leva et commença à se mettre en route pour sa loge, aussitôt imitée par le mouton bien nommé. De mon côté tout était fin prêt. Ses cinq gardes du corps, chargés comme des mules, l’entouraient de près. L’un tenait le parapluie de l’idole. Parapluie indispensable pour ne pas abîmer son brushing. L’autre portait le sac dans lequel était réfugié Mamour le pékinois. Le troisième était chargé du cousin fétiche qui était le seul à pouvoir recevoir l’auguste postérieur. Le quatrième était encombré par le nécessaire de beauté au cas où il aurait fallu rénover le masque de plâtre de la star. Quant au dernier, eh bien il avait les mains libres : question de sécurité vous comprenez. Ainsi embarrassés, ils commencèrent cahin-caha à écarter la foule pour laisser s’avancer la belle. Aux quelques modestes protestations qui commençaient à s’élever, elle répondit :
« Je sais, je sais mes fans adorés. Ce n’est pas de gaieté de cœur de je vous laisse ainsi, mais il est indispensable pour une grande artiste telle que moi de ménager sa santé afin de pouvoir continuer à illuminé le quotidien des masses laborieuses et incultes que vous êtes. »
Sur ce j’entendis dans la foule un jeune homme moins décérébré que les autres dire :
« Non mais pour qui elle se prend celle-là. Ca fait des heures qu’on attend et elle voudrait qu’on prenne ça avec le sourire ! T’es sûre que tu le veux cet autographe ? » ajouta-t-il à l’adresse de celle qui était visiblement sa petite amie.
« Ooooooooh s’il te plaît chouchou ! Maintenant que j’ai l’autographe de Brav Bikk (il est TROOOOOOOOP génial !), il ne me manque plus que le sien et ma collec. sera complète. C’est vrai que c’est une peste, mais bon. »
Vous imaginez bien que je sautais sur l’occasion. Prudemment enveloppée dans ma cape elfique d’invisibilité, je lançais alors :
« En plus c’est à cause de cette garce qu’il va devoir quitter la série. Elle couche avec le producteur et elle lui a demandé de le virer parce qu’elle ne supporte pas qu’il l’ait quittée pour Manon Chauds-nibards ! »
« Quoi ?! C’est vrai ?! J’ai toujours su que c’était une salope cette fille ! »
« Ouais, c’est vrai ! Et même que quand ils étaient ensemble elle l’a trompé avec Pom Louze ! »
Et un coup de poings à mon voisin de droite.
« C’est toi qui m’a frappé ! »
« Mais non, c’est pas moi imbécile ! »
Je vais te faire voir qui c’est l’imbécile triple andouille !
Et je tire les cheveux à la demoiselle devant moi (ce qui me permet en même temps de la faire dégager du passage).
« Eh ! Mais t’arrête de me tirer les cheveux sale pimbêche ! Et puis d’abord tu racontes que des conneries. Chat-qui-râle c’est la meilleure et la plus belle ! »
« C’est pas moi qui t’ai tiré les cheveux mocheté ! J’oserais pas, j’aurais trop peur de choper des poux ! »
Ni une ni deux, voilà le service d’ordre (qui n’est pas très efficace il faut bien le dire) débordé. Entre ceux qui veulent se jeter à la tête de l’actrice pour lui arracher les yeux, ceux qui veulent venir à son secours, ceux qui en profitent pour essayer de la peloter, ceux qui veulent « juste lui parler », les gardes du corps ne savent plus où donner de la tête. C’est la confusion totale, le chaos absolu, l’émeute généralisée. Quoi que à écouter Chat-qui-râle c’était encore bien plus que cela : c’était la révolution, c’était la fin du monde !
"Mon dieu ! Sauvez-moi ! Regardez ses sauvages ! Et vous faites attention à Mamours espèces d’idiot ! Protégez le de tous ces bandits. Oh ! Au secours ! A l’aide ! On veut m’enlever ! on veut m’assassiner ! Tout est de ta faute espèce de nul ! Si tu ne m’avais pas quitté pour cette bécasse ! Qu’est-ce que vous attendez pour libérez le passage, hein !? Qu’ils m’aient défigurée !? C’est ça que vous voulez !? Tout le monde me déteste ! je suis une incomprise !" hurlait-elle tantôt s’évanouissant, tantôt attaquant ses propres gardes du corps, tantôt tentant d’éborgner son ex à grand coups de griffes.
Moi je t’aime Chat-qui-râle ! JE T’AAAAAAAAAAAAIME !
Sans perdre de temps et avant que les hommes du Guet ne se réveillent, je m’approche tant bien que mal de ma cible. Heureusement que je m’étais bien placée, sans cela je ne l’aurais jamais atteinte. Je marche sur quelques pieds, on marche sur les miens (aïe !).Je donne deux ou trois coups de coups de-ci de-là. Eeeeeeeet ça y est ! Enfin j’y suis ! Je vérifie une dernière fois, que ma cape est bien en place et je sors mon petit poignard de son étui…
D’un geste sec et adroit, je tranche une longue et épaisse mèche de ses beaux cheveux peroxydés et parfumés au lilas. Vous pensiez que j’allais la tuer ! Allons, je suis voleuse pas assassin. Et puis si elle a mérité une bonne leçon, il me semble que la mort c’est un peu fort tout de même. D’ailleurs puisqu’on parle de voleur… Je laisse les cheveux coupés tombés par terre. Déjà quelques fans aperçoivent le précieux butin et se jette dessus. Quant à moi, avant de m’éloigner je glisse d’un geste souple ma main dans son superbe sac à main en croc, cousu main et doré à la feuille s’il vous plaît. L’actrice qui se pâme en tenant sa main gauche sur son front et en tendant sa main droite derrière elle tient l’estimable butin juste à portée de mes doigts. Le temps d'en extirper mon agile menotte et de m’en aller, l’exécution de mon œuvre m’aura pris moins d’une minute.
Que vais-je en sortir ? Vais-je m’en sortir ? Vous voudriez bien le savoir... Eh bien il faudra attendre. Ce ne serait pas drôle si je vous racontais tout d’un coup.
_________________ Odalie Landois, Kendrane, Voleuse.
A quinze ans, on s'est demandé ce qu'on allait foutre dans la vie. Les uns pensaient voleurs, les autres commerçants, puisque les commerçants sont des voleurs qui ont le droit de l'être. (Coluche)
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