Après un bon petit déjeuner, je rejoins dehors l’elfe gris, faisant raisonner sans mon esprit ses paroles. Un elfe gris, elfe de vision, enfant de Sithi, qui affirme être capable de détecter des fluides chez les gens sans être mage, ni vouloir m’en dire plus. Des secrets : je n’aime pas ça. Surtout lorsqu’ils sont utilisés sur moi sans qu’on ne veuille m’en dire davantage. Et pourtant, tout donne envie de le croire, quand il affirme que j’ai des fluides de terre. Il l’a juré sur sa déesse-mère. Je décide de taire, d’enfouir ce constat pour le moment. Constat rassurant, car je ne serais pas mêlé à une malédiction, mais inquiétant aussi pour ce qu’il adviendra de moi dans l’avenir. Dois-je apprendre à les maîtriser ? Y-a-t-il un moyen de m’en débarrasser ? Qui m’aidera à comprendre tout ça ? Pas Tanaëth, ni aucun des trois de mon escorte, ça c’est un fait.
Lorsque j’arrive au dehors, ébloui douloureusement par l’astre solaire reflétant rudement sur la neige vierge et neuve, il me faut un temps pour m’acclimater plus ou moins. Plus ou moins, car les nains ne sont guère habiles, en plein soleil, trop habitués à creuser les profondeurs de la terre. Mon peuple n’est pas un peuple voyageur, et chaque journée passée dehors lui est douloureuse. Même si j’ai bourlingué plus que n’importe lequel des miens, je n’y suis pas habitué. J’en devine cependant suffisamment pour comprendre que l’elfe a profité de notre repas pour jouer avec son bestiau, le défouler. L’elfe me dit être prêt, alors que son fauve lui grignote toujours une main. Je souris, en tirant la bride de mon paisible bouc, un peu nerveux ceci dit de la présence si proche d’un prédateur de son espèce. Plus loin, déjà prêts à partir, mon escorte m’attend. Je les sens froids et distants, bougons. Je lâche un soupir, jetant une œillade désolée à l’elfe gris.
« Hm. Un instant. »
Je me dirige vers ces trois sbires si typiques de mon peuple. Ils me voient arriver avec méfiance : la seule proximité d’un elfe les rend nerveux, et mon acoquinement avec celui-ci me fait presque passer dans le camp de l’ennemi. Mais je n’en ai cure, et je vais leur faire savoir. D’une voix ferme, quoiqu’éraillée par la vieillesse, je m’adresse à eux.
« Il suffit. Vous êtes tous trois décevants et ridiculement bornés. Alors je vous donne le choix : soit vous vous comportez cordialement avec notre nouveau compagnon de route, soit vous retournez d’où l’on vient. »
Mes mots ne souffrent d’aucune remise en question, et ils le savent. S’ils sont bornés, je n’en suis pas moins buté. Un vieux nain, il n’y a rien de pire, pour ça. Réactionnaire, Rinn est la première à réagir, m’envoyant un regard rempli de reproches, et tirant la bride de sa monture pour retourner vers Stanrock, sans un mot. Son aîné, Durak, met un peu plus de temps à se décider. Il me regarde longuement, puis l’elfe, et enfin Rinn qui s’en va, seule. Il secoue la tête avant de se tourner vers moi, contrit.
« Puissiez-vous, ser, ne pas faire erreur en lui faisant confiance. Moi, vous l’avez compris : je ne le peux. Aussi vais-je saisir l’opportunité que vous nous offrez. Bonne route, et bonne chance pour votre mission. Puisse-t-elle être couronnée de succès, et ces elfes matés une bonne fois pour toutes. »
Puis, dans un dernier regard de défi à l’attention de Tanaëth Ithil, il s’en va rejoindre Rinn. Kazad est le dernier à rester, silencieux. Prostré, même. Il me regarde, à travers son heaume impénétrable. Il hésite, bien sûr, entre son honneur de mener la mission à bien et celui de ne pas laisser ses compagnons sans lui. Je l’aide à prendre une décision, lui mettant une main sur la cuirasse.
« Allons, n’ais crainte. Je ne risque rien avec cet elfe et son fauve à mes côtés. Ce n’est pas un ennemi. Va les rejoindre : vous avez mené votre mission à bien en m’escortant jusqu’ici sans incident. »
Il met à son tour une main sur mon épaule et me salue d’un signe de tête, sans un mot, soulagé sans doute que je lui enlève le fardeau de ce choix drastique. Je les regarde un instant s’éloigner avant de retourner vers Tanaëth, qui aura sans doute compris la situation, mais je lui en fais néanmoins une brève conclusion.
« Voilà, ser sindel. Nous sommes seuls, désormais, pour poursuivre ce voyage jusqu’à Mertar. Allons-y sans plus trainer, si vous voulez bien. »
Et nous reprenons bien vite la route, mon monté sur le bouc que m’a confié le général des troupes de Stanrock, donc je devrai sans doute me débarrasser pour qu’il retourne parmi les siens, une fois à Mertar, et l’elfe marchant à mon côté, accompagné de son… animal.