< précédentL’écho des gouttes ruisselantes se répercutait dans le tunnel, tel une litanie au rythme constant. Les pas des nains étaient le deuxième son perceptible, bien que moins régulier et plus bruyant. L’atmosphère globale restait pesante, alourdie par la pénombre dont la densité semblait s’accentuer. Les miliciens n’avaient aucun mal à se repérer dans cet environnement favorable. Par contre, les relents nauséabonds et la crainte d’une rencontre hostile ralentissaient la marche de la petite colonne. Les coudes à répétition maintenaient une tension permanente et Dolin ne se privait pas pour soupirer à chaque nouvelle bifurcation. Onor, toujours en queue de file, conceptualisait le sort qu’il apprenait et perfectionnait sa visualisation créatrice. Se faisant il alimentait ses propres fluides et parvenait à les maintenir en état de veille. Un atout indéniable si jamais une action rapide était nécessaire. Portant la main à sa hanche, il se rappela le coup de griffe reçu quelques minutes plus tôt. Rien de grave a priori si ce n’était les risques d’infection qui étaient très élevés. Fouillant dans son sac, il sortit un petit baume de sa conception et massa son flanc un instant. Borin s’arrêta, interloqué.
" Tu fais quoi là ? "
" Je me soigne ", répondit Onor d’une voix neutre.
" Tu sais ça d’où ? "
" J’ai appris l’art de guérir par un maître. Je peux être utile. "
Hurt, qui avait entendu le nain, se retourna.
" Si t’es pas un guerrier, tu resteras en arrière. Tu soigneras nos blessures si jamais on est touché mais prends pas de risques. J’ai pas envie d’avoir à te couvrir et j’ai pas envie qu’on prenne des risques pour toi, Onor le guérisseur ! "
Onor se renfrogna. On ne lui avait jamais parlé de la sorte et qui plus est, il savait se battre. L’injonction de l’instructeur de milice fut comme un coup de poignard planté dans son ego et il encaissa sans broncher l’avertissement. Le groupe se remit en marche dans la brume de l’obscurité. Finalement, l’étroit tunnel déboucha sur l’objectif du groupe : le miroir de la Grand’Place, à une centaine de mètres sous elle. La pièce qui s’offrait aux yeux des nains ne se décrivait que par un mot : imposante. L’immensité de la salle était telle que le plafond et les murs se perdaient dans les ténèbres. Des colonnes de taille irréaliste, taillées en forme conique, soutenaient les tonnes de pierre au dessus. Quatre rangées de colonnes étaient visibles, permettant d’évaluer la largeur de la pièce à une cinquantaine de mètres. La longueur, elle, n’était pas calculable à vue d’œil. Les quatre thorkins restèrent immobiles et interdits. Tant de beauté architecturale n’avait pas été donné d’être vue depuis longtemps. Onor tremblait d’émoi. Il savait la nation naine comme étant la plus grande et la plus majestueuse, et il en avait aujourd’hui une preuve de plus. Le clappement des gouttes avait cessé, laissant planer un silence hiératique de circonstance. Le côté plus déplaisant des lieux tenait dans une nouvelle exhalaison putride qui emplissait la salle et les narines des nains. Dolin ne put s’empêcher de commenter :
" Sacré nom d’un sekteg empalé, on n’échappera pas à ces pestilences ! "
Les thorkins s’avancèrent dans la pièce en économisant leur souffle car chaque inspiration provoquait une montée gastrique embarrassante. Prudents, les quatre compagnons évoluaient en rang serré, dans la tradition nanesque de la stratégie militaire. L’architecture du lieu se dévoilait lentement à leur avancée. Des renfoncements indiquaient la présence de pièces annexes à l’enceinte dans laquelle ils se trouvaient. Un tel gâchis d’espace et de beauté affectait beaucoup Onor, qui s’imaginait le lieu restauré et habité par des thorkins. La renaissance de la grande Mertar comme emblème d’espoir et d’avenir. Alors qu’ils avaient parcouru une vingtaine de mètres une lueur apparue dans un couloir au bout de la galerie. Des gargouillis inintelligibles semblaient accompagner la lumière voilée. Onor reconnu rapidement l’intonation et le rythme vocable comme étant celui de sektegs. Leur nombre était indéterminé mais deux choses étaient sûrs : les créatures étaient agités et elles se dirigeaient droit sur le groupe. Onor réfléchi à un moyen de se camoufler pour ne pas prendre trop de risques. Les pas se rapprochaient à grande vitesse. Hurt prit alors l’initiative que tout nain guerrier prend lors de telle occasion. Levant son marteau de guerre, il hurla :
" Pour Mertar ! "
L’instructeur de milice s’élança alors sur la petite meute qui venait d’apparaitre et comptant une dizaine de sektegs. Borin et Dolin lui emboitèrent le pas avec ferveur et détermination. Les gobelins eurent comme un choc lorsque le vétéran thorkin apparu : ils restèrent pantois et les yeux écarquillés. Le chef des miliciens profita de cet effet pour faucher d’un coup de marteau la tête d’un premier sekteg. Borin et Dolin enfoncèrent eux aussi les rangs gobeloïdes dont le voile de stupéfaction commençait à se défaire. Moins réactif, Onor chargea à son tour, sa mailloche en main et sa haine des sektegs comme stimulant. Déjà les créatures de l’ombre s’étaient ressaisies et s’évertuaient à organiser leur défense contre l’assaut des miliciens. Hurt avait le marteau fou et fauchait ses ennemis comme une tempête. Il occupait la majorité des sektegs par de grands moulinets les forçant à reculer sur la défensive. Borin et Dolin croisaient le fer autour de leur chef dans une formation triangulaire fermée. Lorsqu’Onor arriva à leur niveau, il fit face à un gobelin qui tentait de contourner la position des nains. La mailloche du guérisseur se heurta à la machette du sekteg. La répercussion des chocs avait rompu la calme de la salle souterraine. Désormais, une lutte féroce à la vie se jouait au sein de la ville morte.
Le sekteg qu’affrontait Onor semblait plus rusé que les autres. Il avait évité de faire face aux thorkins pour mieux les surprendre à revers. Une telle ébauche de stratégie avait de quoi surprendre. Portant un casque visiblement pas à sa taille, il arborait une petite tunique en cuir ayant dû appartenir à un nain. De plus, il maniait sa machette de manière prudente, jouant des angles pour tester les différentes parades d’Onor. Sans être bretteur de talent, Onor avait acquis des bases en s’entrainant avec son arme et pouvait tenir le duel contre le gobelin. Traçant un cercle dans l’air avec son arme, il offrit volontairement son torse au coupe-coupe de son ennemi. Le sekteg, voyant là une occasion de trancher, s’élança avec son arme sur le nain. Onor choisit le moment précis pour pivoter sur le côté en abattant sa mailloche verticalement. Entrainé dans son élan et réalisant son erreur, le sekteg eut la présence d’esprit de se jeter devant en se réceptionnant par une roulade sans grâce mais salvatrice. La mailloche d’Onor fendit l’air mais ne toucha pas l’être à la peau verte.
(Raté !)
Le sekteg s’était relevé à quelques mètres du guérisseur, prêt à reprendre le combat. Onor songea alors à user de sa magie et à retenter le sort qu’il n’avait pu concrétiser contre les traqueurs. Pointant sa mailloche en direction de son opposant, il se concentra sur ses fluides. L’activation lui demandait un peu de temps mais il allait pouvoir décharger son pouvoir plus vite, du moins l’espérait-il. La lumière qui l’habitait se vivifia, entrainant des fourmillements sur les membres supérieurs du guérisseur. Il devait faire le vide pour accueillir la substance éthérée qui lui permettrait de décharger le sort. Sa vision s’enivrait et son sang bouillait. Onor dû fermer les yeux pour mieux appréhender sa magie, la vivre entièrement. Comme pour tous ses sorts, Onor ritualisait la préparation avec une prière à son dieu.
(Valkyor ma lumière, assiste moi ! Le cœur rayonne, le mal s’étiole…)
Les mains du thorkin recommencèrent à luire, ce qui était le précurseur du déchainement arcanique. La joie envahit Onor devant la puissance qu’il sentait en lui et qu’il allait exposer à la vue de tous sous peu. Un choc violent à la tête l’interrompit. Le sekteg, ayant eut le temps d’analyser le thorkin et son curieux rituel, avait envoyé son casque sur le visage du nain pour faire échec à son action. Le lancé de casque fut un franc succès pour lui. Reculant, Onor moulinait de son arme pour empêcher l’éventuel charge qui suivrait. Voyant cela, le sekteg ne broncha pas et resta à bonne distance du nain. Autour d’eux le combat continuait avec une intensité redoublée. Hurt commençait à sentir le poids de son arme sur ses épaules. Il perdait en vivacité. Dolin et Borin arrivaient à compenser cela en accentuant la célérité de leur frappe. Les thorkins avaient l’avantage de la puissance et de la technique, les sektegs avaient celui de l’endurance et de l’usure. A terme, ces derniers pouvaient prendre le dessus. Trois morts et deux blessés au sol, il ne restait plus que sept sektegs valides en tout, en comptant l’adversaire d’Onor. Celui-ci fit d’ailleurs signe à un de ses compères pour prendre Onor à revers. Isolé des autres miliciens, le guérisseur sentit la colère et la peur monter comme un seul sentiment. Il se tourna de manière à pouvoir affronter ses deux adversaires de face, le rusé sur son flanc gauche et le nouveau sur son flanc droit. Cette fois, il allait devoir faire diversion et préparer son sort en même temps. Il opta pour un déplacement de ligne afin de garder constamment ses adversaires l’un derrière l’autre. Onor parvint ainsi à rester hors de portée d’un double assaut. Sa mailloche rencontra le bouclier du nouveau sekteg, avant de parer une attaque piquée de sa dague. Les coups s’échangeaient en un contre un, Onor s’efforçant de maintenir la ligne. Il ne jetait pas toutes ses forces dans le conflit physique afin d’en garder pour son attaque par sortilège. En même temps qu’il agitait son arme sur la ligne de vision du gobelin, le guérisseur chargeait son sort dans ses déplacements. Les fluides dansant au rythme de son corps, il se sentit bientôt envahi par une douce certitude. De nouveau des transformations biochimiques l’enfiévraient révélant le potentiel des fluides qui l’habitait. Pour la troisième tentative, Onor mit toutes ses facultés en branle. Une concentration extrême qu’il combinait avec une conscience du combat qu’il devait mener contre son assaillant. Troisième tentative, troisième espérance. Ses mains luisaient, annonçant la venue du sort tant désiré. Le plus roublard des sektegs perçu le danger, et voulant le contrer, se jeta sans retenue sur Onor. Mais cette fois il était trop tard, Onor avait pu gagner suffisamment de temps par ses déplacements stratégiques.
(Valkyor ma lumière, je suis toi ! Le cœur rayonne, le mal s’étiole !)
" Mertar, ma lumière ! "
Au cri d’Onor s’accompagna un geste d’élan de sa main ouverte, paume vers le sekteg. La lumière qui rayonnait de celle-ci s’intensifia en une fraction de seconde pour provoquer une fulguration intense qui illumina toute la pièce et frappa l’agresseur sekteg en pleine face. Atteint de cécité, il s’effondra en hurlant d’une force faisant trembler les hautes parois de la pièce. Le sort eut un autre effet bénéfique : il stupéfia les autres sektegs qui s’immobilisèrent. Voila bien longtemps qu’il n’avait plus vu de lumière aussi intense. Onor, sortant de son propre engourdissement, parvint à se jeter sur son second ennemi et à le plaquer au sol. Trop ébahi par ce qui venait de se passer, le sekteg n’arriva pas à opposer de réelle résistance à Onor. Le maintenant à une main, le thorkin lui assena plusieurs coups de mailloche au visage jusqu’à l’arrêt de toute gesticulation de la part de l’être verdâtre. A bout de souffle, Onor se retourna pour porter secours à ses compagnons. Un vertige le saisit presque immédiatement, le forçant à s’accroupir pour retrouver ses esprits. A côté de lui se trouvait le gobelin aveuglé. Ce dernier se roulait sur le sol sans cesser de hurler. Onor eut alors un rappel mémoriel pertinent : ils étaient en mission pour la milice, pas pour tuer des sektegs, mais pour obtenir des informations. Inspirant un grand bol d’air, le guérisseur se redressa sur ses deux jambes et marcha en direction de sa cible. Immobilisant fermement le sekteg, il lui garrotta les mains dans le dos et les pieds ensemble avec une cordelette. Satisfait, il put prendre conscience de la situation dans la grande salle majestueuse. Les sektegs restants avaient été tués par les nains ou avaient détalés. Les miliciens avaient pu profiter de l’effet du sort pour déstructurer le peu de structure de la défense gobeline. Les cadavres de sektegs se dénombraient à six désormais. Hurt alla achever les deux blessés. Le milicien ne montrait ni pitié ni remord devant le râle de ses victimes. Pour lui comme pour Onor, il s’agissait de purifier un lieu de la vermine. Et c’est ce qu’ils faisaient. Les quatre miliciens eurent un regard entendu. Ils se réunirent autour du prisonnier qui ne disait plus mot, la peur ayant anesthésié sa douleur. Le sort commençait petit à petit à s’estomper.
Le silence avait retrouvé ses droits dans le souterrain. Un silence de mort.