La réponse des deux hommes – ou plutôt de l'homme, vu que le semi-elfe se contente de petites interventions ponctuelles - est à la hauteur de mes attentes : absolument surréaliste. Ils disent être là depuis plus de deux milles ans, c'est à dire avant même le crépuscule des Dieux. Avant l'arrivée des élémentaires. Si personne ne leur a expliqué l'état du monde depuis, ils ne savent probablement rien de celui-ci. Ils ont d'ailleurs été enfermés dans cette bouteille par une Déesse, Merïarvi, à qui ils avaient volés un trésor. Des pirates, donc. Mais être prisonniers d'une bouteille pour l'éternité pour un simple vol, voilà un châtiment bien cruel. Je commence à comprendre, si ces Dieux sont si puérils, pourquoi ils ont fini par disparaître. Et tout ceci parce qu'elle avait besoin d'un bateau, et qu'elle avait vu là l'opportunité d'en avoir un portatif, avec l'équipage qui va avec. Je dois reconnaître que l'idée est tentante. Mais je ne suis pas une divinité, je ne dois de magnanimité à personne. Surtout pas à des pirates.
Ce qui n'a pas l'air d'être l'avis de Faëlis, qui, après avoir entendu que le propriétaire de la bouteille pouvait faire ce qu'il voulait d'eux, cherche immédiatement un moyen de les libérer de leur sort... et leur révèle que nous n'avons pas le bouchon qui pourrait les faire prisonnier de nouveau. Quel... connard... de putain de débile profond. J'aimerais m'entendre avec lui, vraiment, maintenant que je l'ai dans les pattes, et après que l'on est combattu ensemble, je reconnais qu'il est difficile de vouloir le voir mort. Mais il ne loupe vraiment pas une occasion de fermer sa gueule. On dirait qu'il ne réfléchit jamais avant de parler. Ca sort comme ça, sans filtre, sans qu'il ne se rende compte des idioties qu'il peut nous pondre.
Car nous ne savons pour l'instant rien des pouvoirs de cette bouteille, ni de ce que peuvent ou ne peuvent faire ces pirates. Je suppose que le lien les empêche de me faire du mal, car si leur soumission n'était due qu'à la menace de retourner dans leur prison de verre, la situation serait dangereuse en haute mer, lorsqu'exécuter cette menace reviendrait à mourir noyer. Ceci dit, nous ne savons de tout ceci que ce que eux nous ont dit. Et l'honnêteté est rarement une vertu dont les pirates s'encombrent. Autrement dit, tant que nous n'avons pas testé leur dévotion à notre égard, j'aurais aimé pouvoir les tenir en laisse sous la menace de les ranger dans leur bouteille. Mais il a fallu que cet imbécile ouvre sa grande gueule. Rhaaa, ce qu'il m'énerve.
On dirait que je vais devoir mentir pour le moment. Au moins le temps d'être sûre. Mais je ne compte pas passer à côté de l'occasion d'avoir tout un équipage, et le navire qui va avec, par simple bonté d'âme.
« Faëlis, tu peux me remettre en état ? » demandé-je à l'Hinïon, qui semble m'avoir complètement oubliée.
A quoi est-ce que ça sert d'avoir un guérisseur avec moi s'il oublie de me soigner quand j'en ai besoin ? Enfin bref, j'essaye d'avoir l'air naturelle, de simplement vouloir être capable de marcher de nouveau, mais la vérité c'est que je veux être en mesure de me défendre si ces deux drôles d'oiseaux ont décidés de récupérer leur liberté de force.
« Vous deux, » fais-je ensuite aux pirates, « je vais devoir vous mettre à contribution. Vous êtes à mon service ? Alors toi, Khayr ad-Din, tu vas aller chercher le bouchon de la bouteille dans les décombres de la maison. Et toi, Aleyn, tu vas répondre à mes questions. »
Le choix n'est pas anodin. Déjà, je n'aime pas trop l'autre mec bizarre, et, ensuite, celui-ci semble plus fier, et donc plus prompt à refuser mes ordres s'ils sont dégradants.
« Déjà, je veux connaître les propriétés de la bouteille, » continué-je. « Est-ce que si je la ferme alors que je suis très loin de vous, vous êtes aspirés, ou y a-t-il une distance maximale à ne pas dépasser ? Et surtout, quand vous dites que vous êtes à mon service, est-ce que ça veut dire que vous ne pouvez pas me blesser, et est-ce que ça veut dire que vous devez répondre à tous mes ordres, quels qu'ils soient ? Si oui... »
Je prends une petite inspiration. Il ne va pas aimer ça. Et au cas où mes craintes concernant d'éventuels mensonges seraient fondées, je préfère faire une petite aparté, pour atténuer mes propos, avant de continuer cette phrase. Après tout, je ne sais pas non plus à quel point il est doué. Mais il n'a pas l'air d'une petite frappe, c'est certain. Et si ce qu'ils disent est vrai, ils ont tout un équipage pour les aider en cas de pépin.
« Qu'on soit bien d'accord, » reprends-je, « je ne compte pas vous garder éternellement. Je ne fais même pas parti de ce monde. Mais vous devez comprendre que je ne peux pas vous faire confiance comme ça. Je ne sais pas si on vous l'a dit, mais les Dieux sont morts, et actuellement Elysian est sur le déclin. Nous sommes là pour sauver votre monde. Quand ce sera fait, je partirai de ce monde pour rejoindre le mien. Mais avant, je promets de vous libérer de ce sort, si tant est que c'est possible. »
S'ils ne comptent pas nous obéir au doigt et à l’œil, peut-être seront-ils au moins enclin à nous aider à sauver leur monde, ne serait-ce que pour sauver leur propre peau. Et maintenant, le morceau qui fera grincer le semi-elfe des dents.
« Donc, si vous devez à tout prix m'obéir, je veux que tu... fasses la roue ? En... en criant avec une voix aiguë que tu es une grande folle... »
Je ne suis que moyennement convaincue par ma demande, à vrai dire. Certes, c'est dégradant, certes, il a l'air fier, mais c'est peut être trop peu pour être certain qu'il ne joue pas la comédie. Du coup, je continue :
« Puis que tu te frappes le visage contre la coque du bateau. Fort. Heu... désolée d'avance, » ajouté-je.
(((1024 mots)))
_________________
Merci à Dame Itsvara pour la signature