Les plus grosse bêtes ne furent pas les plus dangereuses
Après une nuit épuisante, la sieste prise en après-midi fut heureusement réparatrice. Je me sentais en pleine forme et c’était tant mieux puisque ce qui m’attendait dans les plaines au bas de ces montagnes n’allait pas être de tout repos.
Nous descendîmes donc les montagnes et Torti en profita pour se laisser porter par les vents descendants. De loin, je crus apercevoir un sol rouge semblable à celui de Bark’hane. En nous approchant un peu, je vis que la terre y était en fait plus foncée. Et lorsque je fus suffisamment près pour distinguer ce qui en était vraiment, je compris qu’il ne s’agissait point de terre, mais de notre plus précieux fluide vital : le sang. Une énorme mare de ce liquide carmin dans laquelle baignaient des dizaines de cadavres de grandes créatures ailées recouvrait la plaine jadis verte.
Horrifiée, je plissai les yeux afin de mieux discerner ces victimes. Ressemblant à des énormes chats, un épais collier de fourrure jaune, maculé de sang au trois quarts, entourait leur cou et rejoignait par derrière une longue et plate crête qui ornait le sommet de leur tête. Leurs ailes, dépourvues de plumes, ressemblaient à s’y méprendre, mais à une échelle beaucoup plus grande à celles des chauves-souris. L’odeur fade de fer envahissait mes sensibles narines et me leva le cœur. Mon petit déjeuner menaçait de remonter à tout moment. Mais malgré cette indisposition gastrique, je voulus m’approcher davantage afin d’essayer de comprendre ce qui était arrivé à ces animaux. S’étaient-ils entretués ? Un prédateur féroce les aurait-il éliminés un à un ? Ces bêtes sauvages munies de longues griffes et dont la mâchoire s’ornait d’énormes dents aiguisées n’avaient rien d’innocentes victimes. La chose qui les avait mises à mort, si elle existait, devait être effroyablement puissante et monstrueuse. Parcourue de frisson, je ne pouvais me détacher les yeux de cette macabre et mystérieuse scène. Au moment où je voulus m’en approcher davantage, un son aigu attira mon attention.
De la taille d’un aigle, mais affichant le comportement d’un vautour, deux hideuses bestioles volantes tournaient autour des cadavres tout en piaillant bruyamment. Arborant des pattes de grenouilles, une peau gluante, une queue de salamandre et des ailes de chauve-souris, l’une de ces choses tourna sa tête de poisson dans notre direction. Ses immenses oreilles de chiroptères l’avaient sans doute prévenue de notre présence. Elle ouvrit la bouche, piailla de plus belle, alertant ainsi sa congénère avant de filer tout droit sur nous. Une aura d’un gris terne les entouraient et plus, elles s’approchaient, plus je sentais un malaise grandir en moi. Torti qui semblait avoir flairé le danger s’agitait. Moi, horrifiée, je restai figée sur place.
Suivant son instinct de survie, Torti n’attendit pas mes directives. De son propre chef, il rebroussa chemin. Nous devions distancer ces deux affreux gros bétas. Malgré ma petite taille de lutine, et malgré les efforts du choucas pour prendre de la vitesse, les deux prédateurs nous rattrapaient. Je n’étais pas pesante, mais mon poids suffisait à ralentir ma monture. À défaut de pouvoir voler par moi-même, je me devais de nous défendre tous les deux. Je lâchai l’encolure de l’oiseau et tout en serrant mes jambes contre son corps afin de tenir en place, j’empoignai mon arbalète et fis une légère torsion du corps afin de voir à l’arrière. A ma surprise, Béta 1 nous talonnait. Je pris une grande inspiration puis la bloqua, j’armai mon arme, je visai rapidement, puis je laissai filer le carreau. Ce dernier fit mouche et se planta dans l’aile membraneuse du prédateur à notre droite. J’allais armer de nouveau mon arbalète lorsque le deuxième monstre, Béta 2, heurta le côté gauche de Torti. La secousse fortuite et puissante fut amplement suffisante pour me séparer de ma monture. Devenu plus léger, le choucas put enfin prendre de la vitesse et semer son assaillant. Pendant ce temps je tombais en chute libre d’une hauteur trop importante pour que je puisse amortir le choc. Le sol s’approchait trop rapidement et je ne voyais d’autres solutions que de me regrouper en petite boule, espérant rouler sur moi-même et éviter la mort.
(Donne-moi la force Yuimen ! )Et c’est à ce moment que je sentis quelque chose m’agripper par le carquois.
« Aïe ! »Béta 1 avait piqué du nez et était parvenue à me rattraper. Mon carquois dans sa gueule, elle battait énergiquement des ailes afin de reprendre de l’altitude. Mais il n’était pas question que je la laisse m’emporter dans son nid pour me donner en pâture à ses petits. Je me débattis donc de toutes mes forces donnant des coups de pieds dans le vide et agitant mes bras dans tous les sens. Mon agitation la déséquilibra à peine et ne lui fit pas lâcher prise. J’entrevis alors une autre solution : A deux mains j’empoignai la sangle de mon carquois et je passai ma tête en dessous afin de me libérer. Mon plan marcha. Bêta 1 n’avait plus qu’un carquois dans son hideuse gueule et moi j’étais libre et… je tombais vers un sol qui grossissait à vue d’œil. Ma liberté suicidaire ne dura guère longtemps puisque je fus rattrapée de nouveau. Cette fois, par contre, ce fut mon choucas qui était passé juste sous moi afin de m’accueillir sur son dos. À plat ventre sur le dos de Torti, je m’aidai de mes mains pour prendre une position plus confortable et ensuite guider l’oiseau. Ce faisant, je sentis un liquide chaud et visqueux répandu sur les plumes noires du choucas. Lors de la secousse qui m’avait fait tomber, Béta 2 avait apparemment mordu l’aile de Torti. Une fois bien assise, je lui fis perdre de l’altitude et l’éloigner de cette scène sanglante. Mais malheureusement, nos deux gros bétas avaient repris leur poursuite. Je ne pouvais les laisser s’approcher davantage et blesser de nouveau l’oiseau. Il n’y avait qu’une seule chose à faire et je le fis.
Après avoir fait descendre Torti de plusieurs mètres, je rejoignis mes deux jambes ensemble et je sautai. Que quelques mètres me séparaient alors du sol, je savais que je réussirais à amortir ma chute, mais surtout, je permettrais à mon protégé d’accélérer et de se sauver du duo monstrueux.
En lutine bien entraînée à sauter de branche en branche dans l’arbre familial, je me recroquevillai sur moi-même, mes bras relevés au-dessus de la tête afin de la protéger du choc. C’est en effectuant une roulade que j’atterris sur le sol, ou plutôt sur le ventre, heureusement non dépecé, de l’un des gros félins tué. Sans perdre une seconde, je me levai et ramassai mon arc d’ombre. Je tendis la corde et une sombre flèche se matérialisa. Je visai le béta 2 qui s’approchait dangereusement du choucas puis mes doigts laissèrent filer mon projectile qui se ficha dans l’avant-bras ailé de l’infâme bestiole qui vacilla. Je tendis de nouveau la corde de mon arc, et avant que le projectile ne puisse apparaître, quelque chose de dur me heurta l’arrière de la tête.
«Aie !»En déséquilibre et légèrement étourdie, je chancelai vers l’avant me retrouvant le nez contre la peau collante de l’animal décédé. Je me retournai vivement pour voir mon assaillant poursuivre sa route pendant quelques coups d’aile, mon carquois toujours dans sa gueule puante. Elle fit ensuite demi-tour, laissant tomber mon étui à flèches avant de foncer en rase-mottes dans ma direction. En colère, mes yeux noirs comme un choucas, mes bras gris cendré adoptant la consistance de la roche, je n’eus le temps de me relever qu’elle était sur moi. Lorsqu’elle arriva à proximité et qu’elle tenta de me happer, je tendis mes bras rocheux et de mes ongles de pierres précieuses et je la griffai. J’aurais voulu lui crever les yeux, mais ils n’étaient pas à ma portée, je pus seulement lui écorcher grièvement ce qui lui tenait lieu de mâchoire inférieure. Cette légère blessure ne la découragea guère. Après avoir effectué rapidement un demi-tour, elle revient à la charge. Mais cette fois, debout, les pieds bien campés sur le corps du cadavre, une épingle à chapeau dans ma main gauche, je l’attendais. Elle fonçait droit sur moi sans que je ne bronche d’un iota. Elle n’affrontait plus une petite lutine naïve, mais une sombre combattante bien décidée de remporter la partie. Au dernier moment, à celui précis où elle ouvrit sa perfide bouche remplie de dents pointues, je fis un pas de côté tout en lui plantant violemment mon arme dans son minuscule cœur. Elle parcourut quelques mètres avant que l’hémorragie interne n’eut raison d’elle. N’ayant pas le temps, ni l’intention de récupérer mon aiguille meurtrière, je descendis rapidement de mon perchoir, cherchant du regard mon petit protégé ailé.
Pendant que je combattais avec le monstre 1, le choucas s’était débrouillé dans un habile ballet aérien à semer son adversaire monstrueux qui était blessé plus sérieusement que lui. Bien déterminée à en finir avec ces vautours modifiés, je récupérai d’abord mon arbalète et mon carquois. Puis je mis un genou à terre et armai mon instrument, non pas d’un ou de deux carreaux, mais bien de trois. Dans cette position stable, je repérai d’abord ma cible, je bloquai ma respiration puis je lâchai mes trois projectiles. Ils filèrent tout droit vers le bêta 2 et transpercèrent simultanément son ventre protubérant. On vit d’abord les ailes cesser le battre avant que la bête pique du nez et s’écrase violemment au sol. La hauteur de la chute, la vitesse de descente et la force de l’impact ne laissèrent planer aucun doute, elle était décédée sur le coup.
Puis mon regard se porta sur Torti qui arrivait vers moins chancelant légèrement dû à son aile blessée.
(Je ne peux le laisser souffrir ainsi. )Je relevai mon arbalète, y déposa un carreau et pointai mon arme en direction du choucas. Aussitôt mon projectile prit une teinte dorée. Mes doigts actionnèrent le mécanisme et le carreau curatif se dirigea tout droit vers l’animal blessé. Une fois à destination, le projectile se transforma en aura lumineuse qui enveloppa le choucas. C’était bien la première fois que j’utilisais une arme pour guérir, et cela me procurait une sensation de bien-être.
Je récupérai mon carquois laissé par terre et je regardai autour de moi ces cadavres qui jonchaient le sol. Débarrassée des deux bétas, je pouvais enfin inspecter les cadavres et les lieux cherchant le moindre indice me permettant de comprendre ce qui s’était passé ici.
(((1758 mots)))
(-Utilisation de : CC secondaire droit au cœur, de CC tir multiple, de capacité tertiaire combat : trait d’esprit.
- inspection du cadavre et des lieux)