Rythme effréné, souffle coupé. Le cœur battant comme jamais, alors que ses jambes continuaient, sans jamais s’arrêter. Naori n’avait jamais autant courut de toute sa vie ; c’était un exercice des plus éprouvants. Elle courrait, encore et encore, ne s’arrêtant pour rien, si ce n’était de temps à autre pour reprendre son souffle. Toutefois, après un certain temps, elle devinait qu’elle devait être assez loin du village pour être en sécurité ; elle n’entendait plus les cris et les lames. Ce ne fut qu’à ce moment qu’elle se décida enfin à réellement s’arrêter. À bout de souffle, elle s’immobilisa puis, après quelques instants, se laissa tomber sur ses genoux. Ce n’était pas un marathon mais, aux yeux de Naori, c’était presque la même chose. Non pas qu’elle n’avait pas l’habitude de courir mais, pas sur des distances aussi longues. Sa poitrine se gonflait et se dégonflait lourdement, tentant de reprendre ce souffle si durement arraché de ses poumons sur les derniers instants de sa course. Mais la voilà, à présent, qu’elle était en relative sécurité.

La jeune fille était muette, à terre sur ses genoux, et les mains plaquées au sol. Elle dut attendre de longues minutes avant de pouvoir reprendre un rythme cardiaque normal, pour pouvoir ainsi raisonner de manière plus logique. Car si elle avait maintenant fuit Ishikawa, le plus dur restait à venir ; se rendre à Tulorim. Qu’est-ce qui l’attendait, une fois là-bas ? Elle se posait tout un tas de questions, mais n’avait bien entendu aucune réponse. Quand elle fut un peu plus en état, Naori se releva, se hissant sur ses jambes non sans une certaine douleur. Les muscles ayant été fortement sollicités, un soudain arrêt causait de l’effort causait d’atroces douleurs musculaires, certes passagères et sans conséquences, si ce n’était qu’elles étaient entravant. Naori gémit face à cette douleur, mais se hissa quand même, bien décidée à scruter les environs. Sa tête tourna à droite et à gauche, son regard balayant le décor peu visible, car plongé dans la pénombre nocturne. Mais en tournant sur elle-même, ses yeux lui donnèrent l’information qu’elle devait se trouver dans les collines, situées après les zones agricoles de la capitale.

Une région verte et assez découverte par endroit. Peu idéal pour se cacher, mais avec la nuit, ça devait le faire. Toutefois, Naori ne cherchait nullement à se cacher. Maintenant qu'elle était assez loin, elle allait pouvoir repenser à ce qui venait de se passer. Tout avait été si vite … Maître Agawa, la Horde Écarlate … Naori prit son visage entre ses mains et l'essuya. (Je vous rendrai justice, Maître.) Pensa-t-elle alors, avant de ressasser la Horde Écarlate. Ces gens, ce groupe était censé n'être qu'un mythe parmi tant d'autre. Encore que la jeune femme n'avait rien vu, si ce n'était qu'elle avait entendu des bruits. Mais de ce qu'elle savait, la Horde Ecarlate étaient des cavaliers sanguinaires, vêtus d'armures et armes écarlates. L'on dit que cette couleur est due à l'abondance du sang de leur victime. La Horde, selon le mythe, avait pour but de détruire le culte de Rana, qu'ils jugeaient … Faux. Moyennement crimes, raids, pillages et autres actes de barbaries, la Horde n'avait aucune limite en ce qui concernait la violence envers toute forme de représentation du culte. Passant des simples paysans croyant en Rana, aux grands prêtres. Mais, leur véritable idéal était encore plus salace.

Naori repensait donc à ce mythe qui lui avait été conté de si nombreuses fois ; surtout quand elle était enfant, afin de lui faire peur pour qu'elle obéisse. (Dors Naori, ou les méchants Écarlates viendront voler ton sommeil à jamais. Mange, ou ils te mangeront …) Pensa la jeune femme, repensant à toutes ces sornettes que lui avait sorti ses parents. Sornettes qui s'avéraient plus vraies que vraies, visiblement, même si l'usage de la Horde Écarlate était exagéré. Ce qui était sûr, était que Naori allait devoir se renseigner sur eux, une fois à Tulorim. Une fois qu'elle en aurait fini avec le contact de son maître. Pour le moment, elle se ressaisit puis soupira un coup, levant les yeux vers le ciel pour y voir qu'il y faisait encore bien nuit, et que le jour n'était pas encore prêt à se lever. C'était bon pour elle car la pénombre allait cacher ses pas, mais elle dissimulait aussi celles des autres. Elle en prit conscience quand un bruit de brindille se cassant vint à ses oreilles. « Hm ? » Réagit-elle, fronçant ses sourcils. Quelque chose était là. Ce n'était pas le vent … Rana ne l'avait pas levé cette nuit-ci. Par prudence, Naori dirigea sa main vers son dos et dégaina lentement son Katana d'entrainement, ses yeux étant en alerte. Ils tentèrent de regarder en direction du bruit, mais à ce moment, ils virent deux yeux jaunes.

(Un loup … Ce n'était pas le moment !) Se dit-elle, alors que sa mine se fit prendre d'effroi en voyant la bête sortir des feuillages de son buisson. Crocs acérés, grimaces menaçantes … Mais il était seul. Ce n'était pas le chef de la meute, mais surement un égaré qui avait visiblement très faim. Naori brandit son katana droit devant elle, prenant une pose de défense en raffermissant son emprise sur le manche de son arme. « Aller, finissons-en. C'est toi ou moi ! » Dit-elle alors toute seule, attendant d'un instant à l'autre à ce que le loup se jette finalement sur elle. Jamais Naori n'avait eut à affronter une bête sauvage de cet acabit, ses seuls adversaires s'étant résumés à des mannequins d'entrainement et son mentor, maître Usune.

Le sang qui affluait, l’adrénaline montante et déferlant dans ses muscles et dans son cœur. Chaque tissu se contractait, alors que sa pompe sanguine s’emballait, la maintenant dans un état d’alerte constant. La bête au pelage gris, aux crocs acérées et aux rugissements menaçants finit par s’élancer vers elle, bondissant comme le chasseur qu’il était sur sa potentielle proie. Proie qui n’avait qu’un katana sommaire pour se défendre, et sa bonne étoile. C’était le moment de savoir si même une situation critique, où elle venait d’échapper à une bande de criminels en laissant son maître derrière, Naori était capable de se concentrer et d’affronter un danger. Ce loup avait tout l’air d’être une bête des plus agressives. Quand il se jeta sur son être, se catapultant avec ses pattes arrières, la guerrière écarquilla les yeux un moment puis tenta d’esquiver, en se mouvant sur la droite. Naori aurait été déjà plus à l’aise si le loup avait lui aussi une épée … Mais le bougre, il n’avait que ses crocs et ses griffes, et c’était déjà assez dangereux.

Naori voulut donc esquiver mais fut trop lente, pas assez réactive pour complètement épargner son armure sommaire. Pire même ; ce ne fut pas tant son armure qui fut égratignée, mais le kimino noir qu’elle portait en dessous. Les griffes du loup s’étaient plantées durant un moment dedans, et quand il eut fini sa course, il en arracha un morceau, saignant au passage Naori qui poussa un râle soudain de douleur. Premier avantage pour cette sale bestiole, dont l’odeur du sang ne faisait qu’attiser sa hargne et sa faim. Naori, ressentant une vive mais supportable douleur jeta un rapide coup d’œil sur son bras, à l’endroit où le loup avait frappé. Une entaille certes pas franchement grave, mais du sang se mettait lentement à couler de celle-ci. Le tissu était déchiré, et elle avait mal. Heureusement que ce n’était pas le bras avec lequel elle manipulait sa lame. « Ressaisis-toi Naori … » Se dit-elle à soi, finissant par faire tournoyer son katana. Affectée par la douleur, la guerrière savait qu’elle allait devoir riposter et vite. Elle n’avait clairement pas le temps de faire quoique ce soit pour sa blessure, si ce n’était d’étouffer de force ses gémissements. Ses sourcils se froncèrent, son souffle se fit plus fort. Cette fois-ci elle n’allait pas attendre de simplement se défendre. Si le loup lui avait porté le premier coup, c’était elle qui allait porter le deuxième.

Elle n’attendit donc nullement son adversaire pour foncer vers lui, katana prêt à frapper. L’animal, bien qu’étant prêt à bondir de nouveau ne s’attendit guère à ce que sa proie réagisse aussi spontanément. D’ordinaire, les chevreuils et les cerfs étaient inoffensifs et dès qu’ils étaient touchés, ils fuyaient ou se laissaient faire. Mais, cette humaine, non. Fonçant vers le loup, Naori courut et leva son arme, optant pour une frappe large et généreuse. Un coup de lame qu’elle avait appris, et qui avait la particularité d’être si violent, qu’il pouvait être apte à trancher un membre s’il venait à être parfaitement réussit. Ses muscles se tendirent, ses bras se levèrent alors que ses jambes continuaient à se précipiter, dans l’espoir de couper l’herbe sous les pieds, ou les pattes, du loup. « RHAAA ! » Grogna alors Naori, abattant son katana de toutes ses forces alors qu’elle fut à portée de son adversaire. L’animal rugit mais brutalement, tenta de pousser sur ses pattes pour se dégager sur le côté mais du fait que Naori l’avait pris de court, il fut touché.

Pas au point de se faire trancher en deux, mais Naori parvint à lui causer une belle entaille au niveau de son torse, moyennant fatigue car elle avait mis toute sa force dans ses bras pour abattre ce coup. Le loup, blessé et en sang, se mit à gémir mais rugit de plus belle, semblant plus que jamais en rage. La guerrière, sentant sa propre blessure la lancer sans cesse, crispa des dents et tenta de décharger sa douleur en serrant plus fort le manche de son katana. Une réaction spontanée, qui n’aidait que psychologiquement. Le loup fut certes affaibli, mais pas assez pour que Naori l’achève. La jeune femme ne lâcha guère du regard l’animal, s’attendant à sa riposte d’un instant à l’autre. La bête semblait méfiante, mais son regard de braise, ses crocs … Elle désirait tuer Naori en bonne et due forme. Prenant trop de temps, la guerrière finit par donner un violent coup au sol, devant elle, avec son pied pour intimider le loup. L’intimider, ou bien l’inciter à attaquer. Naori appréhendait beaucoup la réaction de l’animal ; elle était à la fois déterminée et effrayée. Comment ne pas l’être face à un tel prédateur ? Surtout quand on était blessé. Respirant lourdement, l’appréhension au ventre, Naori déglutit et se tint prête au moment où son ennemi réagit à son coup au sol, croyant qu’elle allait de nouveau foncer vers lui. Il s’élança, sauf que cette fois-ci, elle avait normalement tout le temps nécessaire pour se dégager sur le côté. C’était sans compter sur un violent relent de douleur qui la saisit, l’empêchant de mener parfaitement son geste. Elle se dégagea, mais pas assez rapidement pour profiter d’une belle fenêtre de riposte. « Argh ! » Gémit-elle, sentant son bras lui faire plus mal que jamais.

L’entaille que lui avait fait le loup devait être sérieuse. Elle serra ses dents puis observa la bête rater son atterrissage s’écrasant dans l’herbe un peu plus loin. Rassemblant ses dernières forces, Naori fonça une dernière fois vers lui, un brin trop tard. Si ses pas la menèrent à bon port, le loup était déjà revenu sur ses pattes et faisait face à la jeune femme, qui n’en prit pas compte. Cette bestiole lui donnait déjà assez de fil à retordre, il fallait qu’elle en finisse vite ! Prenant son katana d’une main, elle tenta un coup d’estoc simple, frontale, mais en feintant. Ses muscles furent sollicités pour mimer un grand coup venant de la droite, alors qu’elle changea brusquement au beau milieu de son geste, faisant une petite feinte à la bête pour lui donner un coup sur la gauche. Il fut à nouveau touché, son sang gicla. La lame du katana s’enfonça plus profondément dans sa chair, et il rugit de douleur. Naori s’écarta rapidement, ne lâchant son ennemi des yeux.

« Il n’y avait pas d’autre solution … Pardonnez-moi, Rana. » Dit-elle en fermant les yeux, soupirant, déçue d’elle-même. Le loup agonisa donc, se vidant de son sang, finissant par s’écrouler au sol. Naori tendit son bras et rangea ainsi son arme dans son fourreau, sur son dos. Elle gémit, son visage se crispa alors qu’elle finit par appuyer sur sa blessure. Elle saignait, mais elle n’était pas encore bien grave. Naori, malgré le fait qu’elle était venue à bout du loup, était déçue d’elle-même ; ce loup faisait partie de la nature, et même si elle fut en danger à cause de lui, elle avait tué un élément de la nature. Pour une fidèle de Rana, c’était une très mauvaise chose que de nuire à la nature. Car l’Homme devait être en harmonie avec … C’était du moins ce qu’avait compris Naori de ce culte. Elle se laissa tomber sur ses genoux, prise soudainement d’un grand coup de fatigue ; après tout, elle avait été réveillée au beau milieu de la nuit, déjà qu’elle s’était endormie tardivement. Cette course, ce loup, la Horde Ecarlate … Tout cela l’avait épuisé, et elle tomba ainsi raide, ses yeux se fermant petit à petit.

Fatiguée, qu’elle était …

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Les premiers rayons de soleil commençaient à cajoler les terres cultivées. Des terres vastes, véritables greniers pour le royaume d’Oranan. À quelques kilomètres à la ronde, l’on voyait la vie humaine s’éveiller ; les fermiers se mettant au travail, préparant leurs outils ou autre. En ces terres, il y avait surtout des cultures, et peu de gens civilisés, si l’on mettait le paisible village d’Ishikawa de côté. Paisible … Le mot semblait bien superflu après les évènements de la veille. Des évènements qui s’étaient déroulés bien trop rapidement aux yeux de Naori. Démunie et seule qu’elle était à présent, elle n’avait eu autre choix que d’obéir à son maître. L’avait-elle livré à la mort ? Etait-il mort, d’ailleurs ? Naori doutait, à présent que le calme était revenu dans sa tête, qu’elle aurait pu faire grand-chose contre la Horde Ecarlate. Ces hommes étaient forts, lourdement armés et entrainés, spécialistes de la traque et des massacres. Qu’est-ce qu’une pauvre apprentie guerrière comme elle aurait bien pu faire … Si ce n’est d’ajouter une tête de plus à leur palmarès morbide.

Mais, cela n’empêcha guère sa conscience de la harceler à ce sujet. La jeune femme était déjà épuisée avant de s’endormir, et à son réveil ce n’était plus la fatigue le problème ; c’était le mal de crâne. Dans beaucoup de cas dormir à la belle étoile n’avait rien de beau, contrairement à ce que l’on pouvait penser. Naori en avait fait les frais. Elle se réveilla dans un piètre état, après avoir passé les quelques dernières heures à faire d’interminables cauchemars sur cette terrible nuit. Tout était allé si vite … Comment oublier cela. Elle émergea, se redressant en grimaçant. La tête lourde, elle prit son visage entre ses mains et l’essuya, avant de frotter ses yeux. Nul doute qu’elle allait encore cauchemarder pendant les jours à venir. De belles nuits en perspective, de quoi lui redonner le sourire jusqu’aux oreilles, si l’on voulait être sarcastique. Toujours aussi silencieuse, elle se releva puis soupira, prenant un grand bol d’air frais, avant d’ouvrir ses yeux sur les grandes étendues vertes devant elle. Un paysage magnifique, comme l’on en retrouvait partout en Ynorie. Mais, même avec la beauté d’un tel relief, Naori ne parvenait guère à retrouver le sourire, et encore moins le moral.

Toutefois, elle savait ce qu’elle avait à faire dorénavant. Partir pour Tulorim, et retrouver le mystérieux correspondant de son maître. Tout ce qu’elle savait était le code, que Agawa lui avait donné afin de mettre en confiance le contact. Naori avait retenu cette petite phrase par cœur et heureusement. Il aurait été dommage qu’elle en oublie ne serait-ce qu’un morceau.

« L'arbre ne tremble pas, et le roseau pli … » Répéta ainsi la jeune femme, afin de se rappeler le code. C'était une manière qu'elle avait trouvée pour retenir les choses importantes. Les répéter ponctuellement, tout simplement. Cela avait plutôt l’air de marcher, d’ailleurs. Elle soupira une dernière fois, puis décida de se mettre en route. Elle se faisait son trajet en tête, du moins, une approximation de celui-ci. Pour rallier Tulorim, Naori allait d’abord avoir besoin de rejoindre Kendra-Kâr, puis de là, plusieurs options allaient s’offrir à elle.

(Le plus vite j’y serai, le mieux ça sera. Pas une minute à perdre Naori !) Pensa-t-elle, considérant grandement l’idée de voyager par la voie des airs. Cela serait quelque onéreux, mais elle en avait juste les moyens. Ainsi donc, Naori se mit en route vers la zone d’embarcation d’Oranan, espérant y trouver une correspondance pour la grande et célèbre Kendra-Kâr.