Les traces que laissait l'armée étaient aussi faciles à découvrir (et donc suivre) qu'une cité dans une plaine. Il fallait être prudent, néanmoins : peut-être avaient-ils déjà installé leur campement et posté, en conséquence, des gardes sur lesquels elle ferait mieux de ne pas tomber. Ah, mais, pourquoi s'inquiéter : sa magie la dissimulerait aux yeux de tous. Ou, à défaut, la sauverait. Pourquoi trembler quand on était une mage destinée à un destin exceptionnel ? Une mage suffisamment forte, en plus, pour qu'elle sût être précautionneuse ; Ædräs marchait avec circonspection, lentement, à demie courbée, tous ses sens aux aguets. Elle n'entendait encore aucun bruit : le campement ne devait pas être tout à fait ici. Elle s'y voyait déjà, s'avancer en rampant entre les deux tentes, puis coller son oreille à celle du commandant et tout apprendre. Ensuite, elle n'aurait plus qu'à revenir à Kendra Kâr pour rapporter à la milice tout de... Eh bien, tout des manigances de... Euh... Ce n'était pas important. Pas pour le moment.
(Ou alors, ils ne se sont pas du tout arrêtés.)
C'était une autre solution et un vrai problème. Ædräs se releva et fit craquer sa colonne vertébrale. Pourquoi les espions devaient-ils toujours faire leur affaire cassés en deux ? Ça faisait un mal de chien et en plus de cela, ça n'avait strictement aucun intérêt ! Mais oui, si on y réfléchissait bien : pliés ou non, si quelqu'un regardait, il ne pourrait manquer de nous voir ! Vraiment aucun intérêt. Et pour revenir à son problème : de surcroît, cela la ralentissait. La jeune femme s'appuya contre un arbre pour s'offrir un moment de réflexion tout à son aise. Que devait-elle faire ? Il était impératif qu'elle rattrapât l'armée au plus vite si elle voulait pouvoir l'espionner et être de retour à leur campement dans un laps de temps assez bref pour n'éveiller aucun soupçon. Prendre le risque de courir ? C'était, assurément, le meilleur moyen pour être repérée.
(Je pourrais toujours inventer une excuse. Ce n'est pas parce que je suis à côté d'eux que ça veut obligatoirement dire que je les espionne.)
La kendrane fut soudainement dérangée dans ses pensées par des chants. Elle redressa aussitôt la tête en direction des voix qui résonnaient, surprise par les mélodies qui, somme toute, n'avaient aucune raison de retentir dans cette forêt et encore moins à cette heure plus que tardive. Le bruit martelant des sabots et la hauteur des chants lui apprit de quoi il en retournait bien avant qu'elle ne vît la troupe en question. En fait de troupe, c'était plutôt un groupe. Et composé exclusivement de femmes. Parmi elles, Ædräs en reconnut de ses concitoyennes ou plutôt : qui portaient des caractéristiques et des vêtements propres aux humains de Kendra Kâr. Pour les autres, n'étant jamais sortie de sa ville, elle ne pouvait par conséquent avoir de certitudes et prit le parti de croire qu'elles étaient ynoriennes (elles avaient en outre un certain air de ressemblance avec Saraki). Elles n'étaient pas très chaudement vêtues, mais, la jeune mage ne l'étant pas plus elle-même, elle n'y prêta pas attention. En revanche, elle tiqua sur le fait que les femmes portaient des outres.
(Viendraient-elles... pour ravitailler l'armée ?)
Quel extraordinaire hasard ce serait ! Un fin sourire se dessina sur le visage d'Ædräs. Peut-être qu'elle n'aurait pas à ramper sur le sol, finalement (tant mieux, c'était salissant). Elle se décolla du tronc contre lequel elle avait pris appuis et fit un pas sur le chemin, assez pour ne pas passer inaperçue et pas assez pour être écrasée sous les sabots des chevaux si tel était cependant le cas. Puis elle s'arma de son sourire le plus innocent et son visage le plus aimable.
"Bonsoir !" s'écria-t-elle quand les femmes arrivèrent à sa hauteur.
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