>> Dans l'ombre de RocheSiehst du den Mond über Soho ? ...Neeeeh
Une brise rafraîchissante sur son visage perlé de transpiration l'accueillit au terme de ces rudes efforts. Fermant les yeux de plaisir, Haple avala par saccades plusieurs profondes goulées d'air pur et un sourire de soulagement étira ses lèvres sèches. Une odeur prégnante de résine embaumait l'air. Une odeur revigorante à laquelle elle n'avait pas prêté attention plus tôt sous l'effet du stress. (
C'est bon...). Lorsque finalement Haple eut retrouvé une partie de ses moyens, elle se résolut sans grand enthousiasme à chercher du regard celle qui l'avait poussée à ce point dans ses retranchements. La nuit lui parut particulièrement claire par contraste avec la dernière demi-heure passée sous le couvert des conifères, son infravision elfique ne lui étant ici même pas nécessaire pour y voir. Et c'est sans peine qu'elle repéra sa guide posant son sac au sol sur un rocher en hauteur. Haple l'y rejoignit en traînant des pieds et s'assit lourdement, laissant pendre ses jambes fatiguées dans le vide, le long de la pierre. De là où elles se trouvaient, leur regard effleuraient la cime des arbres et le bourg qu'elles venaient de quitter apparaissait de l'autre côté de l'étroite bande forestière. Sans un mot, Roche s'assit à ses côtés se joignant dans la contemplation rêveuse des ruelles désertes de la ville, éclairées par la lune de sa lumière mélancolique. Quelques minutes passèrent ainsi dans un silence confortable, ou bien quelques dizaines... Haple n'aurait su dire. Seuls d’occasionnels battements d'ailes d'oiseaux nocturnes venaient ponctuer la course du temps. Jusqu'à ce que finalement sa voisine émette un profond soupir et ne lâche dans la nuit … :
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Amaranthe... Le nom de la ville que tu me demandais tout à l'heure... Amaranthe.Haple détourna son regard absent des toits de chaumes pour observer une Roche étonnamment nostalgique.
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Combien de fois n'ai je pas quitté ces ruelles sinueuses et ces ponts élancés en me demandant s'il me serait donné de les revoir, poursuivit-elle en secouant la tête un rictus au coin des lèvres.
Le changement de ton de la montagnarde était surprenant. La voilà qui sonnait de nouveau fraternelle et... humaine. Et Haple ne savait si elle pouvait lui faire confiance pour rester longtemps dans cet état d'esprit plaisant. Si elle pouvait de nouveau se laisser aller à la mettre sur un piédestal après la rudesse que celle-là avait démontré lors de la sortie du bourg. Dans le doute, elle lui laissa donc la parole de crainte de la contrarier pour quelque raison qui lui échappait toujours.
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La première fois que j'ai quitté ces pics rocheux, je devais être guère plus âgée que toi... Tu sais Haple, je crois bien que Bharf ne m'a pas dit ce qui t'avais amenée sur les routes ?-
C'est compliqué... marmonna vaguement l'enfant.
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Com-pli-qué, répéta Roche avec ironie,
naturellement. Et bien moi c'est très simple. Je suis née dans une famille d'agriculteurs et nous exportions certains produits dans les duchés voisins. A cette période de l'année, mes parents m'auraient envoyée livrer nos meilleures grappes pour les vendanges de Blanchefort. Leurs fûts de chêne sont de bonne facture, je leur donne ça, mais le raisin le plus sucré venait de chez nous, y a pas à chipoter ! s'exclama-t-elle avec la fierté de ceux qui travaillent la terre.
Ce qu'ils n'avaient pas vu venir par contre, mes parents je veux dire, précisa-t-elle, c'était qu'après avoir aperçu ce que le monde recelait de trépidant, plus rien ne sut me retenir à Amaranthe. Et je suis partie de plus en plus loin, au départ avec pour prétexte d'aller apprendre de nouvelles techniques agraires, puis avec le temps j’abandonnai les faux-semblants et avouait que j'étais devenue enchanteresse de grands chemins. La tête de mon père lorsque je lui mis entre les mains un bâton semoir impregné de fluides terrestres ! Paix à son âme.-
Et votre mère … ? hasarda Haple avec une pensée pour sa propre histoire familiale.
La montagnarde secoua sèchement la tête.
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Je n'ai jamais eu l'occasion de lui dire. Un jour que je revenais d'un voyage à l'académie kendranne, j'ai trouvé mon père apportant des fleurs sur sa tombe. Et il m'a fait promettre de prendre le relais lorsque lui-même aurait rejoint la terre. Et voilà que je trahi sa confiance aujourd'hui pour un ami poilu sortant sans prévenir des fantômes de mon passé. Il voit quelque chose en toi je crois... Et ce n'est pas le seul à s'intéresser à toi apparemment. Cette dernière phrase n'avait aucun sens pour Haple. A deux reprise déjà, l'aventurière avait laisser entendre que l'enfant elfe était susceptible d'attiser la curiosité de certaines personnes. Mais les seules auxquelles la petite pouvait penser étaient les membres de sa fratrie... Peut-être avaient-ils finalement regretté leur décision d'avoir fait preuve de clémence à son égard et la pourchassaient-ils pour la traduire en justice ? Ou bien se pouvait-il au contraire qu'ils lui aient pardonné la mort de leur mère et souhaitaient la ramener au bercail ? Haple n'y croyait guère et elle ne voulait pas revenir sur le passé de toute façon. Et quand bien même ce fut d'eux qu'ils étaient question, en quoi le Fujonien se sentait-il concerné et qu'est-ce qui justifiait de telles précautions de la part de l'enchanteresse? Plus la petite y songeait, et plus elle pensait que sa guide était tout simplement dérangée : rien ne semblait justifier ses sautes d'humeur ou ses simagrées paranoïaques. Rien jusqu'à présent...
Haple sentit la blonde à ses côtés se raidir soudainement. Elle avait le visage figé vers l'entrée de la ville, le souffle coupé et le cœur, semblait-il, à l'arrêt. Un éclair de panique traversa ses pupilles dilatées et Haple suivi son regard pour identifier la cause de son émoi. Une silhouette se détachait de la sombre grisaille du pont. Bien en évidence, immobile dans la lumière lunaire, l'inconnu semblait perdu dans une contemplation rêveuse du flanc de montagne au dessus de leurs têtes.
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Lève-toi, rapidement, siffla Roche en donnant l'exemple.
L'enfant la regarda avec lassitude. Quel besoin y avait-il de se cacher d'un villageois insomniaque ?
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J'ai mal à la cheville... se plaignit l'elfe en se remettant sur pied dans l'indifférence complète de son aînée.
Celle-ci harnachait déjà son sac tout en gardant ses yeux inquiets rivés sur le pont.
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Par tous les dieux ! s'exclama l'aventurière dans un hoquet de surprise.
Il nous observe !-
Et alors ?-
Alors il vient vers nous petite, il vient pour toi ! rétorqua-t-elle vivement.
Haple plissa des yeux pour constater par elle-même : effectivement, il ne s'agissait pas d'un promeneur mais d'un voyageur de grand chemin équipé d'un long manteau et d'un bâton de marche. Et il avançait vers le bois qui les séparaient. Rien n'indiquait cependant qu'il représentât une menace. Il était certes étrange de voyager de nuit mais cela valait aussi pour elles après tout. Peut-être souhaitait-il faire une partie du chemin en leur compagnie ? Et quand bien même le voyageur la cherchait, à en croire Roche ce qui n'allait pas présentement de soi pour l'enfant malmenée, peut-être n'avait-elle rien à craindre de lui ? Peut-être c'était des intentions cachées de cette femme et de ce Bharf qu'elle devrait se méfier ? Quoiqu'il en soit elle voulait des réponses ! Et c'est dans une attitude de défi qu'elle répéta :
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Et alors ?Roche la dévisagea, interdite. Puis, sa respiration s'accéléra alors qu'elle se léchait les lèvres comme pour préparer une tirade enflammée.
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Alors... amorça-t-elle avant d'être aussitôt interrompue par les protestations de la petite.
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Peut-être que je vais aller à sa rencontre ! Et peut-être qu'il ne me traitera pas comme une gamine, lui ! Qu'il me dira ce qu'il me veut, et alors, si ses intentions sont mauvaises, je lui montrerai de quel bois je me chauffe ! Bien sûr, c'est seulement si toutes ces histoires ne sont pas que les agitations d'une enchanteresse retraitée en mal d'aventure.Et la réaction de Roche ne se fit pas attendre. Son poing fendit l'air et s'écrasa durement contre la tempe de l'insolente. Et avant que Haple n'ait pu donner voix à la vague de douleur qui submergea son crâne, la montagnarde fit un bond en avant et saisit la petite par la nuque, l'enfermant dans l'étreinte de son bras musclé, une main lui baillonant la bouche.
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Petite sotte ! lui cracha-t-elle dans le creux de l'oreille.
Tu ne sais encore rien du monde, des viles créatures qui rampent à sa surface putride. L'ordre des choses se disloque et de ce chaos émerge une foule de truands, de violeurs, de bouilleurs d'enfants, de tortionnaires, de sadiques en tout genre. Ils n'ont pas besoin de raisons pour s'adonner à leurs plaisirs malsains et ce n'est pas tes fluides maigrelets qui s'interposeront entre leurs sombres pulsions et ta délicieuse chair de pucelle. Et dans ton cas, il n'est pas dit qu'il s'agisse de quelconques criminels. Bharf m'avait prévenue qu'on te repérerait tôt ou tard et il avait l'air terrifié que tu tombes entre leur mains... ce qui, connaissant l'étendue de sa sagesse et de sa puissance, fait naître en moi, l'enchanteresse retraitée, une peur sans nom, oui.Relâchant son emprise, Roche poussa la petite loin d'elle comme pour éviter de se laisser emporter à nouveau et de lui en coller une pour la route. De son côté, Haple ne bougeait pas : le regard figé sur le sol devant elle, elle se mordait la joue pour se contenir. De la tirade horrifique, elle n'avait rien retenu. En effet, le coup de poing l'avait choqué, la propulsant dans un premier temps dans un univers de douleurs lancinantes et de scintillements éblouissants où les bruits du monde extérieur se mêlaient aux sifflement de ses oreilles et battements de cœur affolés. Puis à partir du moment où le Fujonien fut évoqué, les explications de la montagnarde se noyèrent dans les (
Vengeance) (
Vengeance) (
Vengeance) à la manière du goût ferreux de son sang qui suintait dans sa bouche se joignant à l'amertume de l'humiliation. Mais le nom du Fujonien lui rappela également son aventure dans la Grotte de Faiblesse, et bien qu'elle avait du mal à l'admettre, Bharf avait vu juste sur le fait que laisser éclater sa colère était l’apanage des faibles et des enfants. Et cela l'avait desservi à de nombreuses reprises déjà. Alors Haple ne desserrait pas les dents quitte à s'entailler l'intérieur des joues pour endiguer la vague de fureur qui menaçait de prendre le meilleur d'elle et se jura de lui rendre la pareille au moment opportun. (
Avec les intérêts).
Lorsque l'elfe se fut enfin recomposée un visage relativement neutre et se retourna, elle découvrit Roche la tête levée vers la montagne. Une voie pavée prenait le relais du chemin qui les avait conduites jusqu'ici. Et peu après une bifurcation donnait naissance à un chemin de terre qui sinuait vers les hauteurs tandis que la route principale poursuivait à moyenne altitude et se perdait dans l'horizon obscur au détour d'une montagne. A en juger par la direction du regard de la blonde, elle avait l'intention de prendre la voie la plus difficile...
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Oui, la route du temple... marmonna-t-elle pour elle même.
Avec les rumeurs qui circulent, n'importe qui ferait le détour par Beauclair, sauf s'ils avaient une bonne raison... comme de nous suivre à la trace. Oui... on sera fixé. Puis sèchement, à Haple :
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On marchera toute la nuit et on se reposera ensuite. Suis moi.>> Dans l'ombre des dieux