...PrécédentCe troisième interrogé venait d'admettre que leur objectif était notre groupe, et plus particulièrement ma personne. Le lieutenant avait beau me demander d'être calme et silencieuse, mon esprit s'agitait et retournait toutes les raisons possibles à une attaque du genre. Comment avaient-ils su pour ma présence au Domaine ? Voire même, plus incroyable, comment avaient-ils eu connaissance de ma présence dans cette excursion ?!
Le lieutenant, aussi, comprenait bien étrangeté de l'information ainsi délivrée. Mais, si lui n'accordait que peu de crédit à ces paroles, estimant qu'il s'agissait là d'une simple provocation, je ne partageais pas son avis. Mais rien, absolument rien, ne me permettait d'en obtenir la certitude. L'entretien prenait une tournure qui le rendait bien plus excitant et palpitant et je protestais lorsque le maître des lieux annonça une interruption de séance. Je fus conduite hors de la salle d'interrogatoire et menée à la salle de gardes, tandis que le lieutenant et l'autre gradé s'éloignaient en parlant à demie-voix. J'aurais juré qu'ils complotaient. J'étais persuadée que l'un ou l'autre, voire les deux, était la source des orcs. Tous les regards tournés vers moi, alors que je rejoignais le reste de la troupe, me semblaient être inquisiteurs, suspects, mesquins et belliqueux.
Ils ont dû me prendre pour une hystérique lorsque je leur ai hurlé de ne pas me regarder s'ils ne voulaient pas que j'en gèle un. Un silence de mort s'est imposé et on me laissa seule dans un coin de la pièce, d'où je scrutais chaque homme.
Je passai le reste de la journée isolée du groupe, par ma volonté propre. Pas un seul soldat n'osa s'approcher et je ne revis le lieutenant qu'au dîner. Je n'avais aucune idée de ce qu'il avait pu faire de son temps ; enfin, pour être exacte, j'avais moult idées sur ses occupations probables, mais aucune ne pouvait être vérifiée dans l'instant.
Il vint s'installer à ma table avec son écuelle chargée de l'immonde repas qu'on nous avait préparé. Je ne lui décrochai pas un mot ni même un regard. Je sentais mes fluides crépiter et me demandai si je devais, ou non, les retenir. Finalement, il brisa la glace.
"Ça vous dirait qu'on utilise un des prisonniers, histoire d'être sûrs des allégations du dernier ?"Je n'avais pas une once de confiance à placer dans cette proposition. Pourtant, avant ça, je l'aimais bien ce gaillard, du moins, je l'estimais un minimum. Mais, cette annonce alors qu'il pouvait très bien avoir fomenté un coup bas pendant toute la demi-journée, à cet instant précis, je doutais de tout et tout le monde.
"Vous me prenez pour une conne ?"Il me fixa avec incrédulité, j'enchaînai donc :
"Vous interrompez la séance alors qu'une révélation est faite sur mon compte, vous disparaissez pendant plusieurs heures, puis vous revenez avec une proposition du genre…? Vous pensez sérieusement que je n'ai pas de quoi douter de votre bonne foi ? Vous me répugnez, mais je ne peux pas me débarrasser de vous. J'ai besoin de votre aide pour rentrer au Domaine et, d'ici là, je suis bloquée, avec vous, dans ce trou à rats."Ma voix était montée dans les aigües et les soldats autour de nous s'étaient légèrement écartés. L'air était devenu glacial sans même que je m'en rende compte, le feu dans la cheminée non loin de nous crépitait avec rage, comme luttant pour sa survie. Le lieutenant n'avait pas bougé d'un iota, il me fixait et, après quelques secondes de silence me répondit d'une voix posée.
"Si nous avons coupé court à la séance, c'est justement pour ce qui se produit à l'instant. Vous vous emportez, sans même vous en rendre compte et, je ne sais pas si vous le remarquez mais vos humeurs influent sur l'atmosphère. Vous aviez déjà presque tué un garzok en le touchant, qu'en aurait-il été si vous nous aviez tous gelés ?
J'espérais vous revoir apaisée, ce n'est visiblement pas le cas."J'hésitais, mais mon esprit était bien trop tourmenté pour y voir clair. Je fus seulement capable de me calmer légèrement, en expirant lentement, en me concentrant sur mes fluides, jusqu'à les sentir couler paisiblement à travers mon corps. Enfin, je repris avec un chuchotement agacé :
"Je ne vois pas comment je pourrais vous faire confiance. Ce ne sont que des mots. Je veux des preuves. Menez-moi aux geôles, j'aviserai ensuite."Il haussa les épaules, engloutit son ragoût immonde et quitta la table. Je le suivis jusqu'au sous-sol. Nous n'étions qu'à deux, si on excepte le garde en poste et les quatre prisonniers.
"Et maintenant ? Vous comptez faire quoi ?""Lequel a parlé ? Je ne les reconnais pas, ils se ressemblent tous."Évidemment, je me doutais qu'il ne s'agissait pas du défiguré qui était toujours recroquevillé dans un coin de sa cellule, ni de celui qui partageait l'espace avec lui. Quant à l'autre geôle, un était intact, l'autre amoché… Ce devait donc être ce dernier et, en effet, c'est celui que le lieutenant me désigna d'un geste las de la main.
Je me souviens très bien qu'à ce moment, ma future victime eût un mouvement de recul. Quel plaisir ! Un garzok qui recule devant moi, la "grosse conne d'elfe". À nouveau ce frisson de domination me parcourut, on me craignait, on me fuyait… Non pour mon apparence, mais pour mes capacités. Je me sentais plus puissante que jamais et je comptais bien le démontrer.
Plus je m'approchais de la cellule, plus je ressentais la tension monter dans la pièce. Les quatre gros porcs me fixaient d'un regard mêlant défiance et provocation, sous mon masque, mon sourire s'agrandissait. Avant d'être devant les grilles, je me retournai vers le lieutenant et lui demandai si j'avais l'autorisation d'en faire ce que je voulais. Il acquiesça puis s'installa à table, bras croisés, tête légèrement penchée en arrière, comme une personne prenant place au théâtre pour une pièce qui s'annonce longue et pas forcément attrayante.
Sans même demander l'ouverture de la porte, je reproduisis le sort tant utilisé à l'entraînement avec les gardes. Vous savez, celui qui engourdissait lentement mais surement mes opposants. Je concentrai mes fluides sur le torse de celui qui n'avait pas encore participé à nos petits entretiens. Sa poitrine l'oppressait et, plus rapidement qu'escompté, il commençait à montrer des signes de faiblesse pour se tenir debout. Je le voyais s'appuyer au mur puis glisser jusqu'à se mettre assis. Ses yeux étincelaient de panique et d'incompréhension. Et, plus je voyais cela, plus mon cœur s'emballait de plaisir. Le teint verdâtre de ma cible virait peu à peu au blanchâtre, ou noirâtre, je ne me souviens plus bien. Mais, clairement, le but de ma petite manipulation était atteint, son cœur était affaibli et il finit par perdre connaissance. Je relâchai alors ma concentration et, toujours dans un silence oppressant, je rejoignis le lieutenant.
"La prochaine fois, je le tue. L'un de vous aurait quelque chose à me dire d'intéressant ou le sort de votre compagnon d'arme vous importe peu ?"