Je remet ma rapière à un des gardes du duché, indique mon nom et examine le contenu du présentoir. Mais je ne trouve pas de rapière, pas d'épée d'estoc, et je continue de chercher du regard quelques instant avant d'être interrompu par le sergent.
« Vous ne trouverez pas le même type d'arme ici. Si la rapière est une arme d'excellence pour un duel entre deux personnes expérimenté et sans armures, elle n'est pas à sa place dans un champ de bataille au milieu d'une vaste foule de gens en armures dont vous n'aurez pas le loisir d'admirer les défauts pour les exploiter. Elle vous servira a achever vos ennemis blessés. Même en technique de demi-épée pour lui donner plus de force, ce n'est pas une arme idéale. Et puis la mode est bien plus aux armes à deux mains pour le fantassin, le bouclier est une affaire de chevalier ou de pavisier spécialisé, je ne saurais le conseiller pour du corps-à-corps sans un entraînement approprié. Si vous souhaitez retrouver la polyvalence des coups d'estoc et de taille avec l'avantage de l'allonge modulable, je ne saurais vous conseiller que la flamberge, ou la hallebarde, vous m'avez l'air assez robuste pour les manier correctement, et ce sont des armes de fantassin léger, sans doute plus dans votre style qu'une pique maniable par le tout-venant mais qui ne permet pas grand chose, et vous avez sans doute le pécule pour pouvoir vous les fournir. Allez y dépêchez vous on a pas tout notre temps. »
Décontenancé, je n'ai pas le temps de réfléchir, et prends l'arme conseillée la plus proche, une hallebarde. Je la soupèse un instant. Elle doit peser un peu moins de deux kilos, c'est plus léger que ce que j'imaginais pour une arme plus haute que moi. La hampe fait un peu moins de ma taille, auxquels s'ajoutent une trentaine de centimètres de pointes, appareillé d'un fer de hache et d'un crochet. Alors que j'essaye différente prise de mains, je me retrouve plus confortable avec une main au talon de l'arme, et l'autre un mètre plus haut.
« C'est une bonne prise d'estoc, recrue d'Allarion, vous avez de l'intuition, et vous ça se voit que vous êtes entraîné pour trouver aussi rapidement ce point d'équilibre, mais il n'est pas le seul de la hallebarde, maintenant que vous êtes prêt allons y. »
Je me met en place, une jambe en avant, les appuis bas. Malgré ce que j'ai dit plus tôt, son poids reste non négligeable du fait de sa taille qui est encombrante, et je n'ai pas encore mis en mouvement cet outil. Il se passent quelques secondes sans que ni moi ni le sergent ne bougions. Sa prise de combat est basse, avec l'écu qui protège entièrement son corps, ce n'est pas une garde qui va être facile à percer.
Au bout d'un moment sans rien, il se met à sourire et entame son avancée. Il est a environ 3 mètres de moi. Dès que je ce pas, je m'élance, et après un pas rapide, enfonce mes appuis dans le sol, laisse la hallebarde filer dans ma main gauche, tandis que la main droite pousse le talon. La tête file droit le côté droit du sergent qui l'a découvert dans son pas en avant. Il le dévie du bouclier en pivotant sur ses talons. Je manque de perdre prise sur mon arme, mais arrive à la maintenir et la ramène vers moi. Je ne laisse pas un moment de répit au sergent, je ne connais pas du tout ses compétences martiales, mais je ne suis pas à l'aise avec les miennes vu que je manie une arme bien différente de la rapière. Les coups d'estocs fusent pour empêcher le sergent d'arriver en contact, mais tous rebondissent sur son bouclier. Il n'avance pas d'un pas pendant deux bonnes minutes, mais mes bras commencent à fatiguer.
L'allonge de l'arme, et le fait que je cherche à la maximiser, me force à camper sur mes positions si je veux bien la manier, je n'ai pas le loisir de reculer si je veux maintenir la pression sur le sergent qui commencent à avancer malgré mes coups répétés. Arrivé à un mètre de moi, il tente un coup d'estoc que j'esquive en décalant le buste. Pas le choix il me faut reculer à présent. Un défaut de mon arme que je viens de constater est l'inexistence de garde par rapport à la rapière. S'en servir pour parer est un mauvaise idée alors que je ne possède pas de gantelet, l'adversaire n'aura qu'à faire glisser sa lame le long du manche pour entamer mes doigts.
Je fais un saut en arrière, mais le peu de distance parcouru est instantanément rattrapée par le sergent qui lance son épée vers ma gorge. Je raccourcis subitement ma prise. Lâchant la main droite posé sur le talon de la hampe pour la rapprocher au maximum de la tête. J'élance le fer de hache à la rencontre de son épée. Mon arme a beau être plus lourde que la sienne, je sens la force du sergent supérieur à la mienne, et si je dévie efficacement le coup sur l'extérieur, tout en réussissant à ne pas me cogner avec la hampe, je ne réussis pas à ouvrir sa garde comme prévu. Et si je fais toucher terre à sa lame de la mienne, c'est au prix de mon équilibre. Le sergent exploite cette faille et d'un violent coup de bouclier me projette au sol.
J'arrive à mettre mon épaule gauche en opposition sur le coup, et n'ai que le souffle coupé par la chute ainsi qu'une vivre douleur, mais rien de cassé et je ne suis pas mis hors combat. Il n'a vraiment pas retenu son coup. J'ai réussi à maintenir la prise sur ma hallebarde de la main droite, que j'appuie au sol pour me relever rapidement. Il n'a pas choisi de couvrir la distance qu'il a crée, mais a resserré sa garde. Il profite pour souffler. L'effort de se battre en armure doit être important.
Moi aussi ça va me faire du bien de souffler, je prends appui sur ma hallebarde et me laisse réfléchir à comment je vais gagner. Nous nous battons avec des armes factices, et il est évident qu'il ne faut pas chercher à trop se blesser, mais ma fierté ne me laissera pas ménager le sergent. Après avoir échangé ces quelques coups, je sens son expérience, celle d'un vétéran qui a survécu à de multiples batailles. Sa maîtrise du bouclier est impeccable, et c'est sans doute grâce à ça qu'il est encore en vie aujourd'hui. La mode aux armes à deux mains qu'il disait... Il semble très bien s'en sortir avec son épée longue et son écu. Comment je vais faire ? La force brute, il en a plus que moi, et même si ce n'était pas le cas, sa technique est suffisante pour y parer, je l'ai vu dans le précédent affrontement. La finesse, je ne m'y risque pas, je ne connais pas assez mon arme pour espérer en faire quelque chose. Une arme que je reconnais utile, mais qui n'est pas ma rapière, il va sans doute me falloir un temps d'adaptation. Il va falloir ruser. Abuser du son armure. Son équilibre est sans doute solide, mais s'il vient à être rompu, il n'aura pas le temps de s'en remettre avant que je ne place ma lame sur sa gorge.
Qu'est-ce que mon environnement peut m'offrir ? Je me tiens actuellement sur une plaine verte, parsemée de cailloux, mais il ne trébuchera pas sur ceux la, le cercle formé par les gardes de son côté, et les potentiels recrue de l'autre, a une diamètre d'une dizaine de mètre environ. Le soleil couchant mordore les nuages qui obscurcissent grandement le terrain, mais la luminosité reste très bonne. Les gardes discutent d'ailleurs entre eux, à voix un peu basses. Leur sujet est, sans aucun doute, le combat en cours. Les recrues, elles, restent silencieuses, je n'ai pas le temps de bien voir, ne me permettant de les regarder que du coin de l’œil, mais je note que certaines sont étonnées du spectacle. Ils pensaient sans doute que je ferais aussi pitoyablement que le premier. Pff, ces gueux, ils n'y connaissent rien, je ne compte pas perdre, et je vais bien leur démontrer.
La table et le siège qui ont permis au sergent de faire signer les contrats sont toujours dans le cercle, mais de son côté, je ne pourrais sans doute pas m'en servir. Il y a une pierre enfoncé dans le sol plus grosse que les autres, sur laquelle on pourrait trébucher, mais l'arrête est de mon côté, inutilisable aussi. De toute façon je doute qu'avec cette armure l'on puisse trébucher ainsi, ou que je puisse tenter simplement de balayer ces jambes. Me jeter sur lui est inutile, il est en armure, et ma hallebarde perdra contre son épée si je suis trop proche, le long manche me handicaperai même si je raccourcissais ma prise, moins que je ne l'aurai pensé, mais ce n'est pas une arme indiqué pour un pur corps à corps, il est mieux d'être séparé d'au moins soixante-dix bon centimètres, et frapper à coup de pied ou de poing contre une armure serait d'une stupidité accablante. Si seulement je pouvais me débarrasser du bouclier. Ça devrait pouvoir se faire, oui ça se fera. La hallebarde n'est pas composé que d'un fer de hache et d'une pointe.
Je me remet en position, et je rassemble mes forces pour tenir mon arme haute, main gauche à vingt centimètres de l'acier, et main droite trente centimètre plus bas, lame pointé en diagonale descendante vers le sergent. Je laisse passer un petit instant, ressentant le poids de mon arme dans mes mains, je visualise le mouvement que je dois faire, tandis que la douce brise semble porter dans ses caresses des promesses de victoires, je peux le faire, je le sais.
Je lâche un cri magistrale, et m'élance en avant. Après deux pas, je plante mes appuis au sol et précipite mon arme vers lui d'une simple attaque de taille horizontale dans laquelle je met toute mes forces. Alors que son bouclier s'élance à la rencontre de mon arme, je change l'angle d'attaque, laisse filer arme plus loin que prévu, et la retourne. Le bois rentre en contact avec le bouclier, et la violence de ce choc se répercute dans mes bras mais je tient bon et tire de toute mes forces sur mon armes. Le crochet agrippe au bord du bouclier, et ma saccade surprends mon adversaire. Je tire plus fort encore et le sergent lâche son bouclier qui part s'envoler au loin sur notre gauche. Je n'ai pas le temps de goûter à la saveur de ce moment, à peine l'arme revenu vers moi, je l'élance de nouveau de toute mes forces en direction de la poitrine du sergent, assuré de ma victoire.
Le temps semble ralentir, et je vois une lueur s'allumer dans les yeux du sergent, mais elle ne signifie pas la colère, ou la tristesse de la défaite, elle semble amusée. Cette fraction de seconde me semble s'éterniser, mais je n'en ralentis pas pour autant la course de mon âme, je vais sans doute fracasser les côtes du sergent dans son armure, mais je lui apprendrais ainsi ma valeur.
Alors que je pense cela, faisant preuve d'une mobilité insoupçonnable dans un tel harnachement, le sergent dévie mon coup en appuyant son épée contre le fer de hache de ma hallebarde et s'enroule ensuite sur lui même en avançant vers moi, mon arme continuant sa course dans le vent sur la droite. Il attrape ensuite ma hallebarde de sa main gauche et appuie son épée contre ma gorge.
La scène reste figée pendant quelque seconde, seule le vent, et nos souffles courts, se font entendre, tandis qu'un sentiment horrible se répands dans tout mon être, celui de la défaite. J'ai perdu, j'ai été battu à plate couture alors que mon adversaire était loin de montrer toute l'étendue de son potentiel, son dernier mouvement est la démonstration de ce fait. Mon humiliation était inéluctable, et je serais furieux si je n'étais aussi dépité.
Des sifflements d'admirations se mettent alors à retentir, en provenances des gardes, ainsi que des encouragements dans le style du « Ça c'est notre sergent ! », mais le regard de Gavort reste figé sur moi, il lâche ma hallebarde, retire sa lame de ma gorge et la rentre dans son fourreau, puis il me dit, à voix très très basse, avec des lèvres qui ne bougent presque bas, de façon à ce que je sois le seul à entendre.
« Pas mal ! Pas mal du tout ! Réussir à m'arracher mon bouclier c'est un exploit dont je n'aurai pas cru capable un nobliau qui transpirait l'arrogance comme toi, mais il semblerait qu'elle ne soit pas si mal placée. T'as reçu un réel entraînement et t'en as tiré quelque chose, tu feras un bon mercenaire, mais n'oublie pas que maintenant tu fais partie de la compagnie et de l'unité. Tu sais lire, donc je suppose que tu as compris ce que signifiait l'engagement, ta façon de te battre respire la noblesse, mais ici elle n'a plus cours, il n'y aura pas de distinction sur le champ de bataille, autre que le fait que t'as peut-être le pécule pour commencer avec de meilleurs équipement. Je connais le style des gars comme toi, et c'est pas les plus sociaux, mais va falloir apprendre à compter sur le gars qui assure tes arrières, seul, c'est un sekteg qui te la mettras, alors réfléchis-y. T'as du potentiel, donc tu seras surveillé, si tu fais pas de faux pas, tu pourras vite prétendre à une double solde, et qui sait, si t'y survis, tu seras peut être appelé à commander, alors apprends bien et comporte-toi bien. »
Il se recule, tourne les talons, et va ramasser son bouclier. Il me laisse là, tandis que je ressasse son discours. Je ne sais par quel bout le prendre, et s'il s'agit d'un éloge ou d'une réprimande. J'ai été battu par cet homme et ai donc des choses à apprendre de lui, mais je n'aime pas du tout le ton qu'il emploie. Il en a les droits. Je ne suis pas un vassal de Luminion qui peux prétendre à être bien considéré tandis qu'il aide son duc à la guerre. Mais je refuse de me faire appeler d'un terme aussi vil que celui de mercenaire, même si c'est pour ça que j'ai signé.
_________________ Godric d'Allarion/guerrier/niveau 2
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