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Certains passages de ce texte peuvent heurter la sensibilité.
Nous sommes restés un moment devant la charpie de garzok. J'étais plongée dans une délectation malsaine de ce spectacle morbide. J'avais fait ça. Je peinais presque à le réaliser.
Le lieutenant, finalement, ordonna au garde à l'entrée de nous débarrasser du corps et mit ainsi fin à cette contemplation. Le subalterne disparut immédiatement pour revenir, une quinzaine de minutes plus tard, accompagné de trois collègues. Il faut dire que le tas de viande était gros.
Pendant notre attente, le lieutenant, qui s'amusait sans aucun doute de la situation, nettoya le pic tout en s'approchant des survivants. Je pense l'avoir estomaqué après cet accès de rage. Lui qui me voyait, avant notre départ, comme une petite noble gourde, me découvrait sous un tout autre angle. Il leur demanda si, eux-mêmes, s'attendaient à une proie aussi revêche. Et, là, pensant nous provoquer, l'abruti bavard répondit qu'ils me savaient être une mauvaise cryomancienne. Après cette révélation, le lieutenant s'est retourné vers moi, narquois.
"Je pense que nous avons là la confirmation." me lança-t-il enjoué.
Il avait raison. S'il doutait, lors de la première révélation, de la véracité des propos du garzok, cette nouvelle annonce renforçait un peu plus la conviction que j'avais.
Une fois débarrassés du corps, le lieutenant revint s'assoir à côté de moi. Nous étions, l'un et l'autre, captivés par le spectacle qu'offraient les deux prisonniers éveillés. Ils s'engueulaient, sans aucun doute. Le lieutenant essayait de capter quelques mots mais il soupira, nos deux énervés parlaient bien trop vite et mangeaient leurs mots sous le coup de la colère.
Enfin, mon accompagnateur engagea assez abruptement la conversation. Ça ressemblait à un truc du genre :
"Vous aimez ça, non ?"J'avais parfaitement compris son propos, mais je préférai m'en assurer et lui demandai d'expliciter.
"Vous avez aimé torturer ce type. Et, même avant, vous nous regardiez avec envie. On aurait dit un gosse devant une confiserie."Je n'étais pas bien à l'aise. Tant par le sujet que par le fait qu'il ait percé ce que je pensais avoir caché.
"Vous voulez quelques conseils ?"Il avait l'air si sérieux avec cette demande pourtant faite d'un ton léger !
"Nan, parce que, la magie c'est bien, mais ça vous fatigue. Et, vous enflammer comme vous l'avez fait avec l'autre, ça vous fatigue aussi et ça ne sert pas à grand-chose… à part vous défouler, bien évidemment."Je le fixais, cherchant à déterminer à quel point il me faisait marcher. Mais il me fixait aussi, sans ciller, il m'apparut honnête, serviable.
"Nous avons quelques outils et techniques pour torturer efficacement. Et, quand on aime le faire, c'est encore mieux."Je préférais ne rien dire, j'attendais je-ne-sais-trop-quoi. Peut-être qu'il se décide à rentrer dans le vif du sujet. Il a dû le comprendre, puisqu'il fit signe au garde et, tous les deux, ils s'emparèrent du garzok inconscient pour le traîner sur la table et l'y attacher.
Là, le lieutenant commença par m'expliquer quelques points vitaux et sensibles ; les yeux, les ongles, les tempes, la jugulaire, la pomme d'adam, les articulations d'une manière générale, les reins, le tendon d'achille… Sans avoir reçu cette leçon, je connaissais déjà tout cela ; pensez seulement à la douleur ressentie quand on tape un coin de meuble ou qu'on a une poussière dans l'œil, et vous comprendrez ce que je vous dis là.
La seconde partie devint plus intéressante et, surtout, instructive : Une démonstration des différents outils sur le garzok, encore inconscient au début. Le lieutenant m'avait prévenue :
"Je ne vous montre que les outils les plus courants et pratiques. Une sorte de sélection des indispensables pour bien commencer. Libre à vous de développer vos affinités par la suite." Vraiment un homme bien, ce lieutenant.
Je ne saurais plus vous dire exactement tout ce qu'il m'a montré ni dans quel ordre. Je peux, par contre, vous raconter ce qui m'a le plus marquée. Tout d'abord, je n'aime pas la force brute, elle m'épuise et je la pratique assez mal. Ensuite, j'adore amputer des petits bouts du corps, mais il faut un matériel adapté et de qualité. Enfin, les poisons sont fascinants.
Un autre point m'a fascinée, l'utilisation du temps pour faire souffrir. J'ai, par exemple, découvert les bienfaits du miel enduit sur un corps étendu à l'extérieur. Les fourmis et autres insectes font un travail de nettoyage admirable. Il y avait aussi ce collier constitué de pics, empêchant le porteur de bouger, de manger ou de s'endormir, sous peine de se condamner lui-même. Dans le genre, il y avait aussi un autre collier avec une tige dont une extrémité pointait sous le menton et l'autre au niveau du sternum. S'endormir signifie aussi la mort. J'ai trouvé ça malsain… et, de toute façon, je préfère être active.
Nous avons donc eu le loisir de tester quelques outils sur l'endormi. Puisqu'ils avaient déjà utilisé le pelage de peau et d'ongle, agrémenté de sel, nous nous en sommes dispensés sur celui-ci. J'ai essayé d'arracher une dent, ce qui a réveillé bien vite notre sujet d'expérimentation.
Il est très difficile d'arracher une dent. Déjà, il faut pouvoir maintenir la bouche ouverte, ensuite, il faut une bonne prise. J'ai dû lui éclater plusieurs fois les lèvres avant de comprendre la technique : placer la pince sur la gencive, pas sur la dent. Ensuite, il faut s'acharner au début, ne pas hésiter à tournicoter pour déchausser la racine, puis tirer d'un coup sec. Par contre, cela demande moins de force que je ne l'aurais cru. Ça saigne beaucoup, mais il paraît que ce n'est pas trop grave. Il faut juste prendre soin à ce que le torturé ne s'étouffe pas avec. Quant à ce que j'ai ressenti… j'avais des papillons dans le ventre.
Le lieutenant m'a aussi appris à extirper les intestins, il avait même un petit appareil avec une manivelle pour pouvoir le faire plus facilement et d'une manière moins salissante. La mort est, malheureusement, survenue quelques heures plus tard et il ne nous restait donc plus que deux prisonniers : le défiguré et le bavard.