À mes suites arrivèrent encore bien d’autres personnes, plus incongrues les unes que les autres dans une ville comme Kendra Kâr, malgré que la capitale blanche soit connue pour être cosmopolite. Ainsi, une jeune femme à la peau immaculée arriva, dardant chacun de ses inquiétants yeux rouge vif. Rouge qui était d’ailleurs associé à l’animal qui l’accompagnait, et dont la vision me valut un moment d’égarement surpris : un loup au pela de la couleur du sang. Niant toutes les personnes présentes, elle répondit à son tour par la positive au défi lancé par les gargouilles, et s’apprêta, non sans un certain empressement, à me passer devant les pieds sans s’excuser pour s’avancer vers la porte. Car oui, j’étais toujours devant les gargouilles.
Elle fut suivie par un shaakt terriblement sombre, doté d’une armure impressionnante et de lames noires certainement redoutables. Il émanait de cet être une puissance innée qui terrassa mes pensées. Un danger en perspective, même en tant qu’allié. Son apparence en disait long sur son expérience, et son regard violet se posa sur le loup rouge, sans la moindre peur. Il était accompagné d’un homme à la coupe pour le moins originale, sobrement vêtu d’habits bruns sans grande qualité. Son serviteur, peut-être. Son esclave, sans doute. Je n’étais pas sans ignorer les coutumes de ce peuple de l’ombre concernant l’asservissement des autres races vivantes… Pourtant, il releva le défi en son nom, comme s’il n’avait aucun lien avec l’elfe noir, et complimenta l’animal de la peau blanche.
Mais je n’eus le temps de m’appesantir sur leur observation : un nouveau shaakt venait d’arriver, recouvert de loques insalubres. Un clochard, à n’en pas douter, un débris de son espèce, qui contrastait énormément avec son pair en armure. Deux faces du même monde… Toutes les sociétés étaient semblables, malgré leurs différences. Et chez toutes, l’argent était le nerf de a guerre. L’argent et la puissance. Les deux objectifs qui étaient les miens.
La dernière à arriver fut une jeune demoiselle aux charmes ostentatoires. Une ténébreuse beauté qui ne semblait pas vouloir dissimuler ses attributs féminins, dont je la suspectai aussitôt de se servir comme d’une arme. Métaphoriquement, bien sûr.
Et c’est alors que les gargouilles répondirent à toutes les questions qui leur avaient été posées. Elles se présentèrent sous les noms de Sia et Mois. Une corneille noire s’installa sur le crâne des deux gardiens de pierre, mais d’une manière telle qu’elle sembla passer inaperçue auprès d’une majorité des personnes présentes. Les gargouilles répondirent qu’outre l’admiration et la fierté, une lourde somme d’argent était disponible à la clé, ainsi que tous les objets présents dans la maisonnée qu’il nous serait donné de prendre. Un mince sourire plein d’avidité se colla sur ma face, alors que j’avançai la main vers la corneille, lentement, comme pour l’inviter à y monter.
Sur ces entrefaites, deux nouvelles personnes arrivèrent : une barde musicienne aux cheveux clairs, et un humain dont l’apparence était plus que banale, si l’on exceptait ses yeux dorés inquiétants. Ils restèrent tous les deux assez discrets, l’homme ne parlant pas, et la musicienne proposant simplement ses chants, comme une mendiante viendrait demander des piécettes. À l’inverse, la peau-blanche s’avéra être une bavarde expérimentée, commentant tout ce qu’elle pensait en déroulant un flot de parole continu et sans intérêt. Il en fut de même pour le shaakt puissant, qui s’avéra quelque peu cavalier à l’encontre de la jeune femme aux yeux rouges, ainsi qu’avec la musicienne. Intérieurement, je dédaignais cette propension à vouloir se montrer trop amical envers tout un chacun sans même connaître le fond de tous. Trop en dévoiler n’était jamais bon. Et jouer les phénomènes sociaux ne relevait que de la bêtise.
Ainsi, je me permis seulement de commenter une remarque, pertinente, elle, de l’autre individu encapuchonné, qui arguait qu’il serait bon de connaître ses futurs éventuels compagnons nocturnes.
« Sachez pour ma part que je me nomme Selen, et que je ne serai utile qu’à ceux qui ne se mettront pas en travers de mon chemin… »
Je dardai d’un regard insondable la peau-blanche, mais ma voix s’était élevée pour que chacun m’entende… Tout aussitôt, mon attention se porta à nouveau sur la corneille…
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- Selen Adhenor -
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