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L'interlocuteur d'Alistair ne semblait pas très réceptif à ses mises en garde, ce qui avait le don de profondément l'agacer. Le voleur avait un certain passif de menteur, de manipulateur, de crapule et d'à peu près n'importe quel crime imaginable si ce n'était le trafic d'être humain ou le viol, et jusqu'à présent ses mensonges avaient toujours fonctionnés comme il le voulait, et maintenant que sa stratégie d'argumentation se basait sur des faits qu'il pensait vrai et qu'il était tout à fait honnête, voilà que l'autre ne le croyait pas, c'était un comble qu'il n'appréciait pas vraiment.
Alistair secoua la tête, impuissant. Il était compliqué de convaincre son ennemi de lui faire confiance alors que tous les arguments qu'il avançait étaient rejetés en bloc sous prétexte de sa présumée mauvaise foi. L'assassin commença à faire les cent pas devant l'homme aux yeux bandés, pesant avec soin ses mots. Si ses arguments n'étaient pas entendus, il serait obligé de tenter quelque chose de plus radicale, mais s'il faisait cela, les discussions seraient terminés à jamais, il se devait donc de tenter ses derniers arguments avant de resortir ses lames.
« Vous ne me facilitez pas la tâche, » lâcha-t-il finalement. « Vous me demandez de vous convaincre mais chaque fois que je vous sors un argument vous le niez sur le compte de ma mauvaise foi. »
Il continuait à faire les cents pas tout en joignant ses doigts devant lui d'un air calme et pensif.
« Vous connaissez Oaxaca depuis peu, nous la pratiquons depuis des siècles en Yuimen. Certes, vous prenez mes propos pour des mensonges, mais je suis certain que des personnes dont vous avez plus confiance qu'en moi peuvent affirmer mes dires. En sept ans, depuis qu'elle est revenu, elle n'a pas tenté une seule fois de négocier ou de parlementer avec les forces alliés de notre monde. Vous avez l'impression d'être important pour elle, mais le fait est qu'elle vous demande gentiment de l'aider parce qu'elle a peur que vous vous retourniez contre elle. Quand il n'y aura plus personne pour vous offrir une alternative, qu'est-ce qui l'empêchera de prendre tout ce qu'elle veut par la force plutôt que de s'embêter à vous l'échanger ? Croyez-moi, dès qu'elle le pourra elle vous demandera de baisser votre culotte et tous les soldats d'ici à Omyre viendront vous enfiler un par un alors que vous regretterez de ne pas m'avoir écouté. Maintenant libre à vous de ne pas me croire, effectivement. Mais vous qui avez soif de connaissance, laissons le côté manichéen des choses de côté, laissons la malveillance évidente d'Oaxaca de côté et parlons entre hommes d'affaires : Gaïa est mille fois plus sage que votre déesse noire, son culte possède une bibliothèque aussi grande que celle de Kendra Kâr, qui est déjà plus grande que votre temple entier. Imaginez ces deux puits de science mélangés entre vos mains ? Il n'y a rien d'aussi valable à Omyre, à Omyre on ne connaît que le sang et la peur, les seules informations qui y sont valables sont celles que les assassins utilisent pour exécuter leurs contrats. Vous voulez faire affaire ? Au lieu d'accepter bêtement l'offre d'Oaxaca, demandez une contre-proposition à Fan-Ming, et jugez laquelle est la plus honnête. »
Alistair était assez fier de son petit monologue, il avait une fois de plus pointé l'évidence de la folie que représentait une alliance avec Oaxaca mais avait dérivé le sujet sur ce qui semblait réellement intéresser ses interlocuteurs : la connaissance.
Cependant, il lui restait une idée à creuser. Il était las de perdre son temps ici à discuter avec un imbécile, il était temps de tenter une dernière chose, et si ni sa conversation avec l'homme aux yeux bandés ni cela fonctionnait, il aviserait. Il se tourna alors vers l'être étrange qui flottait au fond de la pièce. Il sentait que la créature humanoïde était bien vivante, et non pas une simple apparition ou une statue, aussi s'adressa-t-il directement à lui.
« Je suppose que vous m'entendez ? Vous devez être un genre de déité, je suppose. Un dieu à la soif de connaissance au nom duquel vos gens tentent d'engranger le plus d'information possible ? »
Il lançait des suppositions dans le vent, et se sentait quelque peu idiot de parler ainsi à quelque chose qui semblait tout juste vivant. Mais c'était son dernier va-tout avant de devoir faire quelque chose d'incroyablement stupide.
« Ne sentez-vous pas la menace que représentent les armées d'Oaxaca ? Allez vous laisser vos suivants se faire réduire en esclavage pour une poignée de présumés renseignements ? Si ce temple se fait détruire et tous ses disciples avec vous n'aurez pas beaucoup l'occasion d'utiliser ces informations. Et qu'est-ce qu'une déité lorsque tous ses adorateurs sont contraints à prier une autre déesse ? »
Il avait basé son argumentation sur une supposition hasardeuse, mais plus ils attendaient, plus Oaxaca gagnait du terrain, et il était temps de faire bouger les choses plutôt que de rester éternellement dans cet édifice à discutailler avec une troupe d'idiots.
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