Toujours adossé à son arbre, Zniitch était fier de son travail. Des plumes cassées et ensanglantées répandues partout autour de lui, il venait de déplumer intégralement la proie qu'il avait eu tant de mal à obtenir. Pendant toute la durée de son manège, le convoi s'était progressivement réveillé et ses membres s'étaient tous affairés à ranger le campement et à préparer les caravanes au départ. Tous sauf Zniitch. Et pourtant, le gobelin n'éprouvait pas une once de remord. A vrai dire, l'idée d'aider ces gens qu'il connaissait si peu ne lui avait même pas effleuré l’esprit. Un esprit trop occupé par son récent sentiment de honte et par la faim qui tiraillait son maigre estomac.
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Zniitch a encore bien le temps de se rassasier. ) Songea-t-il en abaissant le masque qui lui couvrait - comme toujours - le bas du visage, non sans s'être assuré que les alentours étaient déserts.
Sur ces pensées rassurantes, et gardant un œil ouvert sur le convoi, le gobelin entreprit de se repaitre de la chair tendre mais crue de l'oiseau inerte qu'il tenait entre ses petites mains griffues.
Bouchée après bouchée, recrachant os et résidus de plumes, Zniitch se régalait. Il en oublia presque la raison pour laquelle il était ici, sa destination, le convoi qui allait l'y mener, la brutale elfe qui l'accompagnait, ... Lorsque ses sens le ramenèrent brutalement à la réalité en l'avertissant d'un mouvement en approche. Un des humains qui accompagnaient le convoi avait quitté ce qu'il restait du camp et venait dans sa direction. Non, pas un humain. Une humaine. Lison, s'il se souvenait bien de son nom.
Sans même réfléchir, Zniitch posa son couteau sale au sol et releva brusquement son masque en dessous des yeux.
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Pourquoi une humaine vient-elle voire Zniitch ? ) Se questionnait-il en commençant à imaginer des scénarios catastrophes. Peut-être venait-elle le punir de ne pas participer au rangement du camp ? Ou allait-elle le réprimander pour s'être ainsi éloigner des caravanes ? Allait-elle aussi remémorer son réveil honteux et se moquer de lui ? Ou bien avait-elle seulement envie de le menacer comme l'avait fait l'elfe la veille ? Ils étaient tous deux hors de vue du reste des membres du convoi, et si l'humaine voulait le passer à tabac, rien n'allait l'en empêcher !
Inspirant profondément à l'approche de la gracile femme, Zniitch posa la main sur le manche de son katana, qu'il serrait si fort que ses paumes en étaient moites. A sa grande surprise, et à son soulagement aussi, elle ne lui fit qu'une remarque sur son repas, qu'il ne comprit qu'à moitié. Laissant alors passer un silence, le gobelin fixa le visage de l'humaine qui la dominait de toute sa hauteur et dont les cheveux blonds ondulaient doucement avec le souffle froid du vent, en tentant de la sonder. Il discernait bien là un ton de réprimande mais ne voyait pas ce que son interlocutrice avait à lui reprocher.
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Zniitch ne comprendra jamais les sous-entendus des humains ... ) Se désespéra-t-il, décidant de répondre littéralement et directement à la question, sachant qu'il risquait de passer pour un idiot.
«
Le repas d'hier a suffis à Zniitch, mais seulement pour hier. Zniitch ne sait pas comment fonctionne l'humaine, mais Zniitch mange tous les jours, et plusieurs fois par jours. » Laissa donc tomber le gobelin, de sa voix aigre et désagréable.
Il serait bien resté plus longtemps pour tenter d'analyser et de comprendre cette humaine, qui ne semblait pas lui vouloir tant de mal, en fin de compte. Mais le camp était enfin levé, et les caravanes reprenaient leur route, lente et secouée par le chemin chaotique et rocailleux.
De plus, Zniitch n'avait aucune envie de marcher toute la journée, avec cet abrupt relief. Il se précipita donc, en filant sous le nez de Lison, en direction de la caravane la plus proche : celle qui était remplie des caisses qui devaient transporter l'ensemble des marchandises dont lui avait parlé, la veille, le jeune homme qui la conduisait encore aujourd'hui.
Il s'assit sur la marche arrière du transport, place qu'il avait repéré depuis un moment. Rangeant les restes de la carcasse d'oiseau dans une des poches de sa robe, il ressortit son petit couteau à la lame déjà émoussée - à son goût - et couverte de plumes et de sang, qu'il entreprit de nettoyer et d'aiguiser.
La suite au village d'Alkil !