Dirigé pour Eiko

Les dames continuent à glousser et la rousse te fait un petit clin d’œil. Le chien finit par comprendre que tu ne lui donneras pas la roche, il semblait prêt à partir, mais se met à renifler l’air. Lorsque tu pars avec la roche dans tes poches, celle-ci devient silencieuse.
Derrière toi, le chien qui a cessé d’humer l’air, bondit sur la boîte de bois, et tu peux voir une petite lutine en sortir. Habile et rapide, cette dernière court à en perdre haleine, elle vous rejoint et même te dépasse légèrement. En fait, elle grimpe sur le mur de pierre d’une maison et reste là, à mi-chemin, tentant apparemment de s’infiltrer par une saillie entre deux pierres. Elle n’est vraiment pas loin de vous, et à peu près à la hauteur de tes yeux. Le chien la rejoint assez rapidement et à présent sur deux pattes, il tente de l’atteindre.



C’est là que la roche intervient, toute essoufflée :


« Aide cette mignonnette, je t’en prie, elle pourrait nous être utile pour conjurer le sort du sorcier. »



Elle reprend son souffle et reprend de plus belle :« J’étais une fillette trop gourmande. J’ai volé un gâteau à un sorcier qui pour me punir m’a transformé en roche. Pour conjurer le sort, je dois trouver un gâteau, l’offrir à un lutin, sans en prendre une petite part, pas même le sentir... Cette punition semble très faible, mais c’est que je n’ai pas de bras moi, pas de jambe… je ne peux conjurer ce sort. Aide-moi ! »

La roche se remet aussitôt à pleurer sous les yeux ahuris de la lutine.

D’une petite voix charmante, la lutine te demande :

« Vous pleurez monsieur ? »

Derrière moi, les gloussements que produisent les deux femmes continuent. Elles se paient ma tête j’en suis certain. Quand je tourne la tête dans leur direction, je vois que celle aux cheveux couleur de feu me fait un clin d’œil. Je la regarde avec un œil mauvais, je ne suis pas là pour plaire à celles qui se moque de moi dans mon dos et sans aucune gêne. Je les laisse faire malgré tout et laisse échapper un long soupire avant de commencer à avancer. La pierre blanche dans ma poche n’émet plus aucun son, ce qui me réjouis, ses pleurs commençait à m’agacer.

Je n’ai pas fais trois pas que derrière moi le chien saute sur la boîte de bois. En me retournant à cause du bruit, j’écarquille grands les yeux. Une toute petite femme vêtue de vert et de jaune sort de la boîte en courant. Je n’ai jamais vu de si petite créature, mais assez souvent entendu parler d’elle pour savoir qu’il s’agit d’une lutine. Elle fait aller ses petites jambes si vite qu’elle me dépasse sur la route et grimpe adroitement sur le mur d’une maison. Elle reste cependant au milieu de la cloison, je la regarde incrédule quand elle essaie de passer entre deux pierres qui ressortent légèrement plus que les autres qui constituent le mur. Le chien qui l’a poursuit essaie lui aussi d’atteindre les pierres, mais dans le but d’attraper la petite créature. Je ne peux pas le laisser la dévorer, la pierre dans le fond de ma poche m’en prit également. Elle semble comme la lutine essoufflée, mais reprend son souffle et m’explique la raison de sa malédiction. Une fillette trop gourmande changée en pierre par un sorcier, ce sorcier doit aimer les gâteaux autant que cette petite pour lui imposer une telle punition. Une sombre idée me parvient à l’esprit, rencontrer ce sorcier peut être intéressant pour apprendre de nouvelles choses sur ma magie, mais je doute qu’une fois libéré la gamine veule me conduire à lui. Ses pleurs agaçant recommencent une fois qu’elle a terminée ses explications, elle est vraiment désespérée.

Je m’approche du chien avant qu’il parvienne à attraper la lutine et lui somme de s’éloigner. Je sais qu’il aime les cailloux, alors j’en ramasse un par terre et le lance plus loin, espérant qu’il aille le chercher. Je lève ensuite les yeux sur la lutine posée sur le mur. Elle est vraiment minuscule et me regarde aussi bizarrement que moi je l’observe. Sa petite voix fluette me fait arrêter de la dévisager et je reprends un air sérieux. Sa question me rappelle que la roche se morfond au fond de ma veste et je la sors de là.

« J’ai l’air de pleurer? »

Plus un sarcasme qu’une question, je lui montre la pierre qui se lamente.

« C’est elle qui pleur comme ça et elle m’a dit que tu nous serais utile. »

Un autre sourire malicieux illumine mon visage, j’ai des intentions qui risquent de ne pas plaire à ma futur otage. Enfin, otage n’est peut-être pas le bon mot pour dire que je vais prendre cette lutine avec nous sans son accord. Je tends le bras et avec le pouce et l’index, j’attrape la petite créature par le tissu de sa robe verte, faisant bien attention de ne pas la serrer trop fort et risquer de l’écraser, cette créature me semble si fragile. Je la tiens près de mon visage et lui fais un sourire se voulant charmeur, mais qui tire d’avantage sur l’espièglerie.

« Tu m’aide à libérer cette petite fille de sa prison? »

La petite gourmande a donc la réponse à si je lui apporte mon aide. Je serais incapable de la laisser sous cette apparence, même si elle l’aurait mérité.

Trop surprise, ne s’attendant apparemment pas que tu la prennes ainsi, elle ne résiste pas.
Lorsque tu la mets devant ton visage, elle semble un moment dans un autre monde, enfin c’est ce qu’on peut en déduire en regardant son visage béat d’admiration. Puis se ressaisissant, elle prend une moue boudeuse avant de te répondre :

« Et pourquoi je vous aiderais ? » Elle te fixa un petit moment, puis reprit de plus belle.

« Et je ne vois aucune fillette à aider, vous n’avez qu’une roche blanche et plate entre les mains. »

La petite femme ne se débat pas quand je la tiens du bout des doigts à une hauteur gigantesque du sol pour elle. Elle n’est pas effrayée, cela m’étonne, j’aurais cru qu’elle se débatte plus que ça. Les petites personnes n’aiment généralement pas se faire prendre. Elle me regarde le regard vide et un sourire heureux aux lèvres, elle semble impressionnée. J’attends qu’elle réponde l’observant de plus près. Les traits minuscules de son visage adoptent une mine boudeuse et la lutine me fait part de ses observations.

« Bien sûr qu’il n’y a pas de petite fille visible, puisqu’elle est enfermée dans cette pierre blanche. »

J’essaie de garder le sourire, mais le ton de la petite créature m’irrite. Cependant selon, la petite, (je devrais songer à lui demander son nom) nous avons besoin de cet être miniature pour la libérer.

« Tu ne laisserais pas une fillette qui a besoin de ton aide? Oui? »

J’ouvre grand les yeux et prend une expression de surprise puis de désappointement. Je ne lui laisse pas le temps de répondre et en la reposant doucement sur le rempart de mur je reprends :
« Tant pis, nous trouverons un autre lutin pour nous aider à conjurer le sort. »

Je lui tourne le dos et fais mine de m’éloigner, je veux qu’elle soit prise avec sa conscience et décide de nous apporter son aide de son plein gré. Cette lutine a l’air bien gentille avec ses petits traits et sa délicatesse.

(Un.) Je compte le temps que met la lutine à revoir mon offre dans ma tête. (Deux.) J’entends les pattes du chien graffigner le mur de pierre sur lequel j’ai déposé la créature lilliputienne. (Trois.) Il essaie de l’attraper, mais n’y parvient toujours pas. Heureusement, car nous n’aurions plus de lutin et moi j’aurais le décès d’une mignonne créature sur la conscience. (Quat…) La petite voix coquette de la lutine m’interpelle, elle accepte de nous aider. La satisfaction se lit sur mes lèvres, mais quand je me retourne vers la minuscule femme, je le remplace par un sourire aimable. Je ne veux pas qu’elle pense que je suis un manipulateur qui profite d’une situation pour arriver à ses fins. Cependant, c’est ce qui vient de se produire.

Sans un mot, je repousse une nouvelle fois le vilain toutou dévoreur de lutine et tends la main à la petite créature. Elle me fait les beaux yeux, sûrement pour que je ne la laisse pas là et m’empresse de la saisir pour qu’elle ne soit pas le nouveau jouet favori du cabot. Cette fois je ne la saisis pas par le tissu de sa robe, mais lui offre de grimper sur mon bras. Une lutine de sa taille ne doit pas être pesante à transporter, je ne m’épuiserai pas trop et se sera plus confortable pour elle, que suspendu dans les airs. Une fois celle-ci confortablement installée, je me présente à elle ainsi qu’à la pierre dont j’ignore encore le nom.

« Je me nomme Eiko, mesdemoiselles. Pourrai-je connaître le nom de mes nouvelles petites amies? »

De l’humour, ou plutôt de l’ironie face à leurs tailles, j’espère qu’elles ne vont pas mal le prendre. Je ne sais jamais quoi dire ou faire et si c’est correct ou pas. Une des raisons qui m’a valu bien des ennuis et qui m’en vaudra encore je le crains.

Le chien penaud quitte les lieux.

La petite lutine te laisse la prendre et la déposer sur ton épaule. Elle semble plutôt satisfaite en fait d’être ainsi assise sur ton épaule.

« Enchantée Eiko, moi je m’appelle Duenda et dis-moi ce que je peux faire pour t’être utile ? »

La petite lutine te sourit, elle a déjà oublié le vilain cabot.

La roche quant à elle demeure silencieuse.

Le chien, en manque de victime à pourchasser, quitte la rue. La lutine semble soulagée d’être assise en sécurité sur mon épaule. Elle me dévoile son prénom, Duenda, et me demande comment elle peut m’être utile. Prenant l’air de réfléchir un instant je lui réponds gentiment.

« Et bien, c’est plutôt la petite que tu peux aider. »

La pierre ne daigne pas me donner son nom et elle ne parle plus depuis que Duenda est présente, j’espère que je n’ai pas imaginé tout ça. Sans quoi je vais avoir du mal à l’expliquer à la lutine.

« Elle est victime d’un mauvais sort et elle doit t’offrir un gâteau. Seulement, c’est une pierre… bouger d’elle-même lui est impossible. C’est donc moi qui suis ses jambes et ses bras. »

Pour libérer la fillette de sa prison, j’ai déjà deux des trois éléments requis, il ne manque que le gâteau. Tout en lui expliquant cela, je me dirige là où on peut trouver des pâtisseries. Cette mission semble assez simple, mais rend un immense service à la gamine. J’espère qu’elle appréciera mon aide, je ne la donne pas à n’importe qui.

La lutine te regarde avec son petit sourire espiègle et te répond :

« Tu crois à ça, toi, des roches qui parlent ? Et bien moi pas ! »
Son sourire s’élargit davantage et dévoile ses belles petites dents blanches.

« Mais puisqu’il me suffit de manger du gâteau, alors je veux bien !»
Alors que vous approchez d’une boulangerie, une femme est affairée à faire refroidir quelques pains qui sans aucun doute viennent tout juste sortir du four.
Avec l’air un peu soupçonneux, mais tout de même aimable, cette ronde dame d’un certain âge te demande ce qu’elle peut faire pour toi et ta petite compagne.

La petite femme semble me prendre pour un simplet avec son sourire et ses petits yeux espiègles fixés sur moi. Elle ne croit pas que ma pierre puisse me communiquer, pourtant c’est la vérité je ne suis pas fou. Je souris à sa remarque, la lutine s’avère gourmande, son ventre l’a trahie elle et veut bien se faire offrir un gâteau.

« Alors, allons à la recherche d’un gâteau, direction la boulangerie. »

Avec Duenda sur mon épaule et la pierre dans une main, je me mets à marcher en direction d’une boulangerie. Trouver cette échoppe n’est pas compliqué, l’odeur de petits pains fraîchement sorties du four flotte dans l’air des rues plus loin. Dès qu’une parcelle de cette odeur me parvient au nez, je la suis et me retrouve en quelques minutes devant la boutique que nous cherchons. Une femme rondelette s’occupe de ses pâtisseries. Je jette un coup d’œil sur les étalages devant moi en ne pensant qu’à trouver un gâteau. J’ignore s’il doit avoir des critères spécifiques, j’espère que non, la roche ne m’en a rien dit. Me sortant de ma contemplation de la nappe blanche à carreaux rouges sur laquelle les multiples pâtisseries sont déposées, la dame âgée vient vers moi et me demande si elle peut nous aider. La dame semble se méfier de nous, sourire gentiment peut la mettre en confiance. Je m’efforce donc de lui faire un sourire qui se veut chaleureux.

« Euh… Oui, nous cherchons un gâteau à offrir, pourriez-vous nous aider ? »

Contente d’avoir un éventuel client, la marchande te montre un petit gâteau rond saupoudré de sucre.

« Vous êtes chanceux, celui-ci n’est pas réservé. »

Elle le ramassa, et l’entoura d’un petit linge blanc propre avant de te le tendre.

«Ce sera un yus !. Il est très petit, il suffira à peine à combler la fin de la petite demoiselle. Si vous voulez entrer dans la boutique, mon mari est sur le point d’en sortir d’autres du four. »

La petite lutine, les yeux tout ronds, fixe le gâteau avec envie.

Je n’aime pas la façon qu’elle a de se méfier, mais la femme se montre plus enthousiasme quand je lui demande un gâteau. Le client est roi, me dit une partie de mon esprit. Elle me montre une pâtisserie en me disant que j’ai de la chance, car celui-ci est disponible. J‘examine attentivement ce qu’elle me montre, c’est un tout petit gâteau rond et recouvert de minuscules cristaux de sucre. Il semble appétissant, à voir avec quel yeux Duenda le regarde. La lutine en salive déjà, j’en ai aucun doute. J’espère seulement qu’il fera l’affaire pour rompre le mauvais sort.

« Oui, il sera parfait. » Je souris à la dame et ajoute d’une voix presque inaudible : « Enfin je l’espère… »

Elle prend la pâtisserie et l’enveloppe dans un linge blanc immaculé. Je prends le paquet qu’elle me tend de ma main libre. La pâtissière me donne la note et m’invite à entrer dans la boutique. Son mari sortirait d’autres petits gâteaux du four dans quelques instants, mais nous n’avons besoin que d’un seul gâteau. Je refuse poliment son offre et dépose le paquet sur comptoir afin d’atteindre ma bourse, puis je lui donne le yus nécessaire en la remerciant.

La commerçante ramasse son dû et te souhaite bonne journée.

La petite lutine ne dit mot et attend poliment que tu lui offres le gâteau. Tu peux par contre remarquer sa grande gourmandise. Elle a tellement de mal à se contenir qu'elle en tremble.

De son côté, la roche demeure une fois de plus muette.

La dame prend ce qui lui revient et me souhaite de passer une bonne journée. En y réfléchissant bien je ne suis pas sûr qu’elle soit si bonne. Aider les gens n’est pas dans ma nature, je ne sais pas ce qui m’a pris d’aider cette pierre. D’ailleurs, depuis que Duenda est avec nous, elle ne parle plus. Nous ignore-t-elle? Elle n’en a pas intérêt, je lui apporte mon aide après tout. Je juge qu’il est préférable de s’éloigner de la boulangerie, je ne veux pas que la vieille femme me prenne pour un fou. En m’éloignant je remarque que la lutine gigote sur mon épaule. Elle a visiblement du mal à contenir sa gourmandise, mais avant de lui donner le gâteau, je dois trouver un endroit plus discret.

C’est dans une rue tranquille, voir déserte que je m’arrête. Il n’y a personne en vue, tant mieux. Je repère un tonneau près d’un mur et me dirige vers lui, il est parfait pour servir de table improvisée. J’y dépose le gâteau et la pierre immaculée. J’invite la lutine à descendre les rejoindre, mon bras est tendu et accoté sur le rebord du tonneau, ça lui permettra de descendre.

« Et maintenant? »

Une question dans le vide adresser à la pierre muette plus qu’à la lutine. C’est la roche qui doit donner le gâteau, pas moi. J’espère que la petite va retrouver sa langue. Duenda a du mal à se contenir je le ressens encore par ses gestes. Je regarde chacune les questionnant des yeux.

Duenda bien assise sur le tonneau regarde tour à tour le gâteau, la roche, et toi. Elle semble hésiter, réfléchir puis enfin elle te dit tout doucement.

« Je crois que soit cette roche ne parle pas et que tu es en train de me jouer un vilain tour ou bien,soit qu'elle est trop timide. »

Elle te fait ensuite un gentil clin d’œil, baisse sa tête après l’avoir tournée de l’autre côté. Peut-être pense-t-elle que si la roche ne se sent pas regardé qu’elle pourra parler.
C’est alors qu’on entend la petite voix de la roche :

« Merci Eiko »

La voix se tait pour se reprendre de nouveau.

« Petite lutine du nom de Duenda Rosin, je t’offre ce petit gâteau de bon cœur, qu’il puisse être très savoureux. »

La voix se tait et la petite Duenda se lève la tête et le sourire aux lèvres et les mains tremblantes, s’empare du gâteau, et le mange goulument. Après quelques petites minutes, il ne reste plus rien de ce petit gâteau tout rond. Duenda n’en laisse pas une miette, mais la roche est toujours une roche.