Voyons. Je suis parti si je me souviens bien huit jours après que tu aies reçu ta blessure. Je dois avouer que j’étais un peu inquiet de te laisser seul ainsi, bien inutilement visiblement. Je quittais la ville par la sortie sud, celle de la route du désert.
Le ciel était clair, mais le vent était froid et le soleil ne me réchauffait pas. Souhaitant revoir au plus tôt la mer, je m’engageai rapidement dans un sentier menant au nord, et je contournais la ville, à quelques miles de celle-ci. Ce fut peut-être une erreur de quitter la route principale, et ma progression fut lente. J’arrivai devant l’océan peu avant que le soleil n’atteigne son zénith.
L’étendue maritime était calme, seules quelques vagues troublaient l’immensité de l’eau, le vent m’apportait l’odeur de l’iode et de rares embruns. Je restais longtemps sur la plage, assis sur les galets, à contempler l’eau, égarant mon regard dans les innombrables reflets qui s’offraient à moi.
L’après-midi était fort avancé quand je repartis. Je longeais l’océan, progressant vers l’ouest. Alors que je marchais, ni la plage ni l’océan ne semblait avancer. Comme dans un rêve, je progressais dans un paysage idyllique, mais immobile, un décor fixe dont j’étais le centre, où que je j’aille. Cette sensation s’estompa avec la nuit. Dans l’obscurité, la plaine à ma gauche disparut, ne laissant que quelques ombres d’arbres massifs au loin, ou de rochers imposants. La mer se changea d’une immensité bleue à une immensité noire, jusqu’au levé de lune.
Quand je pense que pendant les trois ans que j’aie passé en ville, je n’ai presque jamais regardé le ciel nocturne. La lune fut magnifique ce soir-là. Immense quand elle dépassa l’horizon, éclairant l’océan, éclipsant les étoiles. Je m’endormis devant cette vision, appuyé contre un tronc à terre, un peu à l’écart de la grève.
Le lendemain et les jours qui suivirent, je continuais de marcher le long de l’océan. Le temps se gâta peu à peu, et la pluie devint courante. Heureusement, la température remonta également, et le temps fut doux malgré les averses. Je me mit à perdre mes rythmes, marchant de jour comme de nuit, m’arrêtant n’importe où, contemplant toujours le monde qui m’entourait. Je ne sais comment j’ai pu m’enterrer ainsi à Exech. Je ne peux pas dire que je le regrette, et pourtant j’ai perdu tant de temps.
Au bout d’une semaine environ, le désir de revoir le désert se fit plus fort, et je pensais reprendre un itinéraire plus rapide. En une semaine, j’avais bien progressé, mais en suivant le littoral le chemin était bien plus long. Avant de quitter l’océan, je décidai de passer une dernière journée et une dernière nuit près de l’eau.
Ce jour-là je n’avançais quasiment pas, explorant dans les moindres détails la plage, les rochers effleurant la surface, m’aventurant parfois dans l’eau, ou attendant juste que le soleil avance dans le ciel. Le temps était alors splendide, l’air était frais et le soleil chaud, le ciel limpide, seul quelques légers nuages au loin étant visibles.
Comme le soir approchait, je me remis en route à la recherche d’un abris pour la nuit. Je marchais sur quelques miles, puis j’aperçus une sorte de grotte, dans un promontoire rocheux surplombant l’océan. C’était une sorte de colline s’avançant sur la mer, rongé par la houle, dégarni, le roc à nu ; et à sa base, près de l’océan, s’ouvrait une cavité. À marée haute, l’eau devait atteindre l’entrée, et elle semblait s’enfoncer assez loin. Je décidais de m’installer là pour la nuit. Je déposais mes affaires, et retournais me baigner une dernière fois.
Je n’explorais pas la grotte, mais me contentais de m’installer un peu en rentrait de l’entrée. Je m’endormis rapidement. Un souvenir étrange me reste de cette nuit, quelques images de mes rêves, qui me laissèrent non pas une impression de chaos et d’irréalisme, de rêve finalement, mais plus comme l’aperçu d’une autre vie, d’un monde dans lequel j’aurais vécu en l’espace d’une nuit.
Je me réveillais tôt, bien avant l’aube. Je sortis du souterrain, pour m’apercevoir qu’en effet, l’océan atteignait l’entrée de la grotte. La marée avait laissé une flaque devant l’entrée où se reflétait la lune. La vision de l’astre prisonnier de ce miroir improvisé m’absorba. Je ne sais combien de temps je détaillais ainsi dans cette mare les innombrables cratères, les mers, et l’ombre qui noyait la moitié du globe.
Quand je pus m’arracher à cette image, je retournais dans la grotte. Là, posée sur mes affaires, se trouvait une aldryde qui me salua. Je la saluai sans réfléchir, totalement abasourdi. Je restai pétrifié, ne sachant que faire. Les aldrydes étaient pour moi des créatures de légendes, sujet de contes pour enfant. Pourtant, l’être qui se trouvait devant moi semblait bien réel, et correspondait aux descriptions que j’avais entendu : deux ailes blanches de plumes, de la taille d’un lutin, les oreilles en spirale.
Comme je ne réagissais pas, l’aldryde m’invita à m’asseoir, puis se présenta sous le nom d’Alizé. Je m’asseyais, essayant de reprendre mes esprits. Je finis par lui demander la raison de sa présence. Après réflexion, ce n’était ni poli ni tout à fait approprié. Elle ne sembla cependant pas s’en formaliser. Sa réponse fut que cette grotte était son royaume. Je lui demandai des explications, et visiblement heureuse d’avoir un auditoire, elle me proposa de me faire un récit complet de sa vie. J’acceptai, curieux d’entendre son récit.
Je ne peux redire tel qu’elle me la raconta son histoire. Elle me parla longtemps. Je ne sais combien de temps je restais assis, dans l’ombre du souterrain, en face de cette créature totalement inconnu. Son récit m’emporta, et me laissa une impression de rêve, l’impression d’avoir assisté à sa vie. Je ne ressortis de la grotte qu’un soir. Je suppose que je ne l’ai écouté qu’une journée, mais cela aurait pu aussi bien être une semaine.
Elle me raconta ses plus anciens souvenirs, sa jeunesse parmi les siens. Elle vivait dans un arbre, avec son peuple, paisiblement. Les aldrydes ont d’étranges coutumes, que j’appris partiellement. Elle me narra comment elle apprit à trouver de la nourriture, fabriquer les vêtements traditionnels de son peuple, s’occuper des cocons…
Elle me raconta ses premières excursions en dehors de l’arbre, sa première vision du monde. Ensuite vint son adolescence, le développement de ses ailes, et la découverte de sa magie. Elle me raconta son premier vol et sa première chute, elle me raconta comment un de ses amis, un mâle, fut congelé comme tous les mâles de son espèce. Je garde peu de mots de ce premier récit, seulement quelques impressions, quelques sentiments qu’elle a réussis à me transmettre.
À son entrée dans âge adulte, comme toutes celles de son peuple, elle eut droit à une fête, et à son premier vol nuptial. Ce souvenir-là cependant, elle le garda pour elle. Je ne connais que la suite : elle ne donna aucun cocon. Pendant un an, elle se désespéra, ne vivant que pour le souvenir de son premier et unique vol nuptial.
Puis elle quitta son foyer et son peuple, fuyant son malheur. Si elle n’avait appris des aldrydes qu’une sorte de magie, permettant de congeler les mâles, elle s’en découvrit une autre. Au cours de ses voyages, elle devint capable de voler les songes. Elle se mit à errer de village en village, s’introduisant la nuit dans les maisons, et cherchant un rêve heureux. Sa magie se développa, et, peu à peu, elle n’eut plus aucun contact avec des êtres vivants conscients. Elle ne vivait plus que dans les rêves des autres. Elle progressa, ne volant plus, mais sélectionnant les rêves des dormeurs, leurs en suggérant, chassant les terreurs nocturnes.
Elle se mit à la recherche de songes rares, épiques ou tragiques, elle apprit à tisser des phantasmes, et continua toujours ses voyages. Je n puis raconter tous ce dont je me souviens, et je ne me souviens pas de tout ce qu’elle m’a raconté. Ses récits n’avaient aucune ligne directrice, changeant selon l’esprit visité. Elle vécut ainsi pendant je ne sais combien d’année. Elle-même avait perdu le compte.
Après quelques centaines d’année, elle se lassa de cette existence. Elle avait parcouru le monde, et l’imagination humaine commençait à la lasser. Ne souhaitant pas revenir parmi les siens après tout ce temps, elle s’installa dans cette grotte. Elle avait cherché en vain un arbres à sa convenance, et ne voulait plus voyager.
En ce lieu, elle conçut un enchantement, une illusion de vie. Elle y construisit son royaume. Elle supposait qu’un dieu l’avait aidée dans sa tâche, car le résultat fut au-dessus de ses espérances. Elle se perdit elle-même dans son rêve, altesse d’un royaume d’aldrydes. Ce royaume vécut heureux pendant bien des années, mais le pouvoir absolu d’Alysé sur son peuple onirique la dénatura. Elle devint tyran, opprimant son peuple, et fut maudite. Son royaume se dissipa, et elle resta prisonnière du souterrain.
Cette punition me parut terrible pour un tel crime, imaginaire. Comme je demandais plus de détails, elle m’affirma que la peine était à la hauteur du crime, mais refusa de me donner plus de détails. Plus tard, elle me fit remarquer que ce sont les choix de chacun qui sont jugés, et non les conséquences.
À la fin de son récit, le silence nous enveloppa. Perdu dans mes pensées, j’essayais de faire le point sur tout ce que j’avais entendu. Après quelques temps, je me relevai et sortais de la grotte. Je m’assis sur la plage, et regardais le soleil sombrer derrière l’horizon. L’aldryde m’avait transmis une sorte de tristesse, de regret du monde extérieur, sa mélancolie. Après que la lune se soit élevée dans le ciel, je retournais dans la grotte. Une dernière surprise m’attendait : l’aldryde m’accueilli par ces mots :
Et toi, jeune mage, que fais-tu en mon royaume ?
Je lui parlais de mon enfance, du désert, de ma fuite vers Exech, de toi, Togar. Et je lui parlais de mon désir de revoir le désert, et de l’amour de la mer qui m’avait mené ici. Mon récit fut bien plus court que le sien, mais elle s’en contenta. Enfin, je lui demandai pourquoi m’appelait-elle mage.
Elle me répondit que la plupart des mages sont capables comme elle de reconnaître un être qui possède des fluides, surtout quand celui-ci ne les dissimule pas. Devant ma perplexité, elle m’expliqua que la source de toute magie se trouve dans les fluides, dons divins fait aux mages. Elle me raconta les histoires qu’elle connaissait sur les mages, les légendes sur les fluides temporels. Je ne m’étais jamais considéré comme un mage. J’appris plus cette nuit-là sur les mages que dans toute ma vie.
Quand plus aucun de nous ne pu trouver d’autre histoire à raconter, je m’allongeais et m’endormis d’un sommeil sans rêve.
Je restais plus d’une semaine dans cette grotte. Chaque jour, Alysé trouvait un autre récit, un détails de sa vie à me raconter, une légende qu’elle avait entendue. Elle restait dans son souterrain, son royaume, et je partais me promener dans les alentours quand le besoin d’air frais et de soleil se faisait trop fort.
Le troisième jour après notre rencontre, elle me proposa de m’aider à développer ma magie. Elle me fit évoquer tant d’eau que je restais des heures effondré sur le sol, épuisé. Puis, chaque jour, lorsque la marée haute apportait de l’eau jusqu’à l’entrée de la grotte, elle me surveillait et me conseillait dans mes tentatives de contrôler l’élément liquide. Mes premiers efforts furent risibles.
Autant j’étais capable d’invoquer de l’eau sans y penser, presque aussi simplement que je ne respire, autant j’étais incapable de faire frémir un verre d’eau. Alysé m’avait affirmé qu’un des sorts les pus simple et les plus instinctifs à maîtriser pour les aquamancien était de modeler l’élément liquide. Pendant trois jours, je perdis mon temps. Je ne ressentais rien, pas un seul progrès.
Puis, le sixième jour après notre rencontre, Alysé me conseilla d’utiliser ma haine, ma colère. Non pas essayer de se faire mouvoir de l’eau, mais d’essayer de la propulser pour détruire. Elle m’affirma que la haine était un des plus fort sentiment humain, et que le premier pas en magie pouvait parfois se faire ainsi. Cette méthode ne me tentait guère. Un point de vue aussi pessimiste sur l’homme ne me plaisait pas, mais en désespoir de cause j’essayais. J’attisais ma haine, retrouvant en moi toutes les raisons que j’avais de détester ce monde. La rage s’empara de moi, et dans la dernière maîtrise de mon esprit qu’il me restait, je tentais de soulever l’eau, de la libérer, pour que sa colère éclate aussi.
Je réussis. Je sentis la magie me traverser, et l’eau de l’océan qui se trouvait à mes pieds s’éleva, puis explosa en embruns. La rage me quitta, remplacé par l’épuisement. Et, à terre, je maudissais cette haine redécouverte, cette nature profonde qui ne souhaite que la destruction. L’enseignement fut double. J’arrivai à utiliser les fluides qui étaient en moi, et cela avait aussi était un avertissement, le rappel que la maîtrise de soi est plus nécessaire que celle de sa magie.
Alysé m’affirma que je serais capable par la suite de progresser seul. En matière de magie, le premier pas est le plus souvent inné. Le second est laborieux, mais les suivants se contentent de reproduire le second.
[suite : message suivant]
_________________ Wethrin, humain du peuple des dunes [désert de l'ouest], mage
Dernière édition par Wethrin le Jeu 15 Avr 2010 17:50, édité 1 fois.
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