Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Azra se sentait mal à l'aise dans les catacombes. Voilà pourtant un environnement qui aurait dû lui convenir, quoique ça aurait été mieux s'il n'y avait pas eu quelqu'horreur avide de les exterminer.
L'escalier particulièrement étroit les mena à une première salle sans tombe. Taomar leur expliqua que c'était en principe une salle de recueillement où il fallait s'arrêter avant d'enterrer le défunt.
Les murs incrustés d'ossements supportaient des étagères portants des crânes et des fioles bizarres, sans doute le prêtre de Thimoros venait-il aussi par ici pour réaliser des expériences peu sympathiques...
Pas moins de cinq couloirs partaient de la salle, barrés par des portes durement misent à mal par l'humidité.
Taomar les conduisit à travers la porte d'en face et ils s'enfoncèrent dans les ténèbres...
Très vite, les choses se compliquèrent encore : Le tunnel se divisa en deux. Ils prirent le passage de droite, ce qui les mena à un croisement.
« Quelqu'un a un plan ? » demanda Azra.
Ce à quoi on lui répondit qu'un plan ne serait pas d'une grande aide dans un tel lieu où tout se ressemblait.
Toujours éclairés par la lueur vacillante de la torche, il continuèrent tout droit jusqu'à une salle où se trouvait les premières niches funéraires. À la lueur des flammes, l'endroit semblait si sombre et sinistre qu'il n'était pas étonnant que les adeptes de Thimoros soient parmi les seul à oser y descendre.
« Méfiance, signala Taomar,
c'est dans ce genre de salle que nous avons été attaqué. »« Ne pouvons-nous pas les éviter ? » demanda Tirassin.
« Non, il y en a partout, nous sommes dans des catacombes, je vous le rappelle... Mais qu'est-ce qu'il fait le gamin ? »Azra s'était approché d'une niche et avait pris un crâne pour le contempler d'un air curieux.
« Vous vous rendez compte ? fit-il remarquer.
On finit tous comme ça. On dirait un vulgaire caillou, c'est bête.... Vous pensez que c'était qui, lui ? »
« Qu'est-ce que j'en sais ? gémit Tirassin.
Filons, cet endroit me donne la chaire de poule ! »Sans s'occuper de lui, le jeune homme jeta le crâne par dessus son épaule et se déplaça de tombe en tombe :
« Et là, encore un caillou... et encore un... S'ils avaient vraiment compris qu'ils en seraient là aujourd'hui, auraient-ils vraiment vécu ? »« Qu'est-ce que tu fais ? Il faut continuer ! » s'énerva le fanatique de Thimoros.
Azra se tourna vers lui en jetant un dernier crâne à terre :
« Je n'ai pas envie qu'ils reviennent dans notre dos, alors, je les casse... »Taomar grommela des paroles incohérentes, mais il devait bien admettre que c'était une bonne idée. Tirassin, lui, semblait plus froid :
« C'est ça, le respect des morts, pour toi ? »Azra haussa les épaules avec un ricanement fataliste :
« Le respect des morts ? Ça leur fait une belle jambe ! Je préfère respecter les vivants... moi et ma vie en premier ! »Le mage ne trouvant rien à redire, il reprirent un couloir, en face, négligeant celui qui quittait la pièce par la gauche. Le couloir s'incurva doucement et ils arrivèrent à un embranchement. Taomar expliqua qu'ils était parti par le couloir de droite mais que la salle où ils avaient été attaqués serait vite rejoint en prenant tout droit.
Azra se sentait oppressé par cette ambiance, qui était bien pire que celle du cimetière des communs. Il n'était pas claustrophobe mais dans ce genre d'endroit, tout le monde devait l'être un peu. Si seulement il avait entendu les bruits de la rue, au dessus...
C'était bien la première fois qu'il regrettait le fait d'être loin de la civilisation... Allons, il allait falloir se reprendre ! Il était un homme après tout et... Ouille !
Ils débouchèrent dans une nouvelle salle, beaucoup plus vaste.
« C'était ici... » murmura Taomar, d'une voix sourde.
Il se retourna vers ses compagnons :
« Tenez-vous prêt, on ne sait jamais... pourquoi il boite le gamin ? »
« C'est rien, j'ai un peu mal aux jambes... » gémit Azra en se frottant les articulations.
Le fanatique secoua la tête d'un air désespéré.
« C'est pas vrai... On est sensé affronter la malédiction à trois, dont un avec des douleurs de croissance ? »Le garçon rougit et lui dédia un regard malveillant. S'il mourrait celui-là, ce ne serait pas une grosse perte ! Il préféra inspecter la salle plutôt que de répondre.
Elle était assez grande et s'étendait sur leur droite au point que la torche n'en éclairait que très faiblement le fond. Les murs étaient recouverts de niches funéraires mais un détail sautait tout de suite aux yeux : les tas d'ossements n'étaient pas dans les niches mais par terre, en vrac.
« Il n'y a aucune trace de vos compagnons, remarqua Tirassin.
Tous ces corps datent d'il y a longtemps. »Ce commentaire fit grimacer le fanatique de Thimoros.
« Je ne comprend pas... S'ils avaient réussi à s'échapper, ils seraient revenu au temple d'une manière ou d'une autre... Qu'est-ce que cela peu bien vouloir dire ? »
« Cela veut dire qu'on est dans la mouise... » répondit sobrement Azra, avant d'ajouter, plus grandiloquent :
« Bon, ce n'est pas que ce lieu de villégiature soit déplaisant, il y règne une agréable odeur qui présage de ce que nous deviendrons tous, mais personnellement je ne suis pas pressé d'en rejoindre les habitants... Alors pourrions nous continuer ? »Les autres hochèrent la tête, peu rassurés, et Azra les suivit en boitant et en maudissant l'adolescence.
Ils prirent donc le seul chemin pour sortir : le couloir d'en face. Très vite, il croisèrent une autre issu sur la droite et le couloir s'élargit brusquement. Cela faisait presque l'effet d'une bouffée d'air frais. Ils pouvaient presque se tenir à trois de front !
« Nous arrivons dans la zone que je n'ai jamais atteint... Il ne nous reste plus qu'à espérer que nous soyons prêt du but, sinon, même moi je ne pourrais pas vous ramener vers la surface ! »Il décidèrent de continuer tout droit dans l'espoir de retrouver plus facilement leur chemin.
Le couloir s'élargit encore avec un nouveau couloir incroyablement étroit sur le droite et, plus loin, un autre plus large sur leur gauche.
Plus loin, il y avait visiblement l'entrée d'une salle importante qui avait dû être fermée par une grille, mais ladite grille avait été retirée et posée contre le mur.
Ils se consultèrent du regard et décidèrent de continuer vers cette salle.
Un autre couloir apparut sur la droite, menant à un autre caveau que Tirassin se proposa d'explorer. Mais soudain, Chandakar intervint pour siffler :
(C'est tout prêt, juste en face de vous !)Azra se précipita en boitillant vers la salle en face d'eux. Se demandant à quoi rimait ce geste téméraire, les autres le suivirent en jurant et ils débouchèrent dans une pièce imposante qui avait sans doute été la tombe d'un important personnage. Quand à savoir pourquoi il avait été inhumé ici...
Il y avait un grand sarcophage au fond de la pièce, posé sur une margelle. L'intérieur semblait luir faiblement. Le mort avait-il pu conserver ses trésors tout ce temps ?
Ils fouillèrent l'obscurité à la lumière de leur torche mais celle-ci semblait soudain dérisoire. Il y avait comme une impression de présence...
Quelque chose bougea sur la margelle.
« Vous êtes arrivé jusqu'à moi... C'est sans importance... »Azra crut qu'il allait s'évanouir. La même voix qui semblait composée d'une multitude de sifflements glacés. Il semblait en émaner le mal à l'état pur. La haine et l'avidité. La souffrance et la folie.
Quelque chose qui ressemblait à un petit tas de serpents grouillants commença à se déplier devant le sarcophage.
« Vous êtes les premiers à comparaître devant votre roi... Bienvenu. »« Où êtes-vous ? » cria Tirassin.
Taomar, lui, était figé de terreur. Azra, pour sa part, regardait la chose, se demandant comment une telle horreur était possible. Sa raison vacilla tandis que le mage comprenait lui aussi peu à peu ce que cela signifiait.
« Je suis le roi ! gémit le pitoyable tas de détritus.
Bientôt cette ville sera à moi ! »« Des rats... » souffla Azra.
« PAS DES RATS ! hurla la créature.
LE ROI ! »Il leur fallut plusieurs secondes pour se remettre. Il parlait dans leurs esprits et son cri leur avait déchiré de cerveau. Après un silence estomaqué, Tirassin s'approcha doucement et murmura, les yeux baissés sur leur interlocuteur :
« Un roi des rats... Des rats accrochés par la queue... Mais pourquoi est-il capable de parler ? »« Je suis la colère des ténèbres... Je suis celui qui a été créé pour amener votre fin... Bientôt, cette ville toute entière sombrera dans le chaos. Le sang coulera à flot jusqu'à ma demeure pour nourrir les miens. Puis, des ténèbres encore plus grandes s'abattront et vous ne pourrez plus rien pour empêcher votre chute ! »« Omyre ! souffla le mage qui observait attentivement la chose.
Treize rats réunis pour un esprit multiplié treize fois par lui-même ! Treize... c'est bien la signature de la cité noire ! Cette chose a été envoyée pour semer le chaos dans la ville et affaiblir les Kendrans... La malédiction est tout simplement une attaque de la cité noire ! »L'être fut prit d'une violente crise de folie furieuse en entendant ça :
« Je me moque de la cité noire ! J'ai éliminé mon créateur et j'ai dévoré son pouvoir ! Vous le suivrez bientôt... Vous allez mourir ! Vous allez tous mourir ! Le monde m'appartiendra ! »(Tient, un concurrent ?) s'étonna Chandakar, visiblement à la fois amusé d'un tel rival et inquiet quand aux chances d'Azra contre lui.
Le garçon ne répondit rien, figé de terreur devant l'abomination. Une colonne ténébreuse monta en bouillonnant du nœud de queues des rats et une force irrépressible expédia les trois hommes contre le mur.
« Je vous ai offert le privilège de me contempler, maintenant MOURREZ ! »Taomar prit la fuite précipitamment tandis que Tirassin se relevait en criant :
« Va chercher des renforts, Azra ! Il faut à tout prix le détruire, mais nous n'y parviendront pas à deux ! Court ! Je vais le retenir ! »La magie se mit alors à gicler de toute part. Galvanisé par cette autorisation de fuir, Azra retourna précipitamment en arrière, laissant le mage seul face à son monstrueux adversaire, lançant boule de feu sur boule de feu. Hélas, son pouvoir s'éteignait, absorbé par la colossale puissance de l'esprit de treize rats réunis en un seul par les invocations d'un prêtre de Thimoros...
Tandis qu'il fuyait, Azra entendit derrière lui un hurlement d'agonie. Mais il avait déjà quitté la pièce. Le monde semblait être devenu fou, ses douleurs avaient disparues, il n'aspirait plus qu'à une chose : partir. Partir loin.
Il ne voyait plus rien, hormis une vague lueur sur la droite. Cet imbécile de Taomar fuyait par le mauvais tunnel ! Azra le suivit donc aussi vite qu'il le pouvait. Un squelette jaillit des ténèbres pour lui barrer la route mais il ne ralentit pas. Il percuta son ennemi de ses poings tendus en avant, brisant ses os, et fila à la suite du fanatique de Phaïtos.
Un hurlement retentit devant lui, il se précipita et déboucha bientôt dans une salle très différente des catacombes : il était arrivé en bordure des égouts.
Devant lui, il vit la silhouette de Taomar qui hurlait et frappait autour de lui avec sa torche. Une horde de rats féroces l'attaquait de toute part. Pour l'instant, aidé de sa magie, il les tenait à distance, mais il en arrivait toujours d'autre.
Entendant des claquements derrière lui, Azra devina que d'autres serviteurs mort-vivants du roi des rats approchaient. C'étaient sans doute eux qui avaient forcés Taomar à fuir par un autre chemin. Le roi des rats avait mis au point une parfaite souricière, sans doute avec l'aide des cadavres des fanatiques descendus précédemment.
Il allait falloir fuir au plus vite !
Il bondit dans la pièce et, d'un geste, arracha la torche des mains de Taomar tout en lui envoyant une bourrade de l'autre pour le jeter au milieu des rats. Ce lâche imbécile l'avait bien mérité !
Le jeune homme fuit en ignorant les hurlements de l'homme qui se faisait dévorer vivant. Au moins, il aurait servit à quelque chose !
Juste à côté de la sortie du passage par lequel il était arrivé, se trouvait un couloir partant sans doute plus ou moins dans la bonne direction. Il n'avait pas vraiment le choix, il s'y engagea donc.
Courant à en perdre haleine, il passa à côté de l'entrée d'un genre de caverne tandis que le couloir obliquait légèrement. Était-ce dans la bonne direction ? Impossible à dire... Sans doute à plus ou moins...
Azra arriva à un croisement. Cela lui rappela celui qu'ils avaient passé à l'allée. Il se força à s'arrêter et à réfléchir.
Voyons... Ils étaient arrivés dans la salle du sarcophage... il était reparti vers la droite... Donc s'il prenait vers la gauche et continuait tout droit... il devrait revenir en terrain connu.
S'il ne tombait pas sur un cul de sac.
Des bruissements inquiétants retentirent derrière lui. Des bruissements qu'il commençait à connaître et à détester : celui d'une multitude de rats en approche. Il se précipita donc en priant n'importe quel dieu qui pourrait avoir envie de lui rendre un service.
Il déboucha dans une salle, à bout de souffle. Il ne reconnaissait toujours rien dans ces lieux où, de toute façon, tout se ressemblait
(Mon vieux, c'est fini... Tu ne t'en sortiras pas, cette fois...)Il sentit des larmes lui monter aux yeux. Mais pourquoi s'était-il engagé là-dedans ? Il savait bien que c'était suicidaire ! Maintenant, il allait être condamné à la damnation éternel à cause d'un rat-gémeaux-multiple à tendance mégalomane...
Dire que pendant un instant, il avait cru qu'il pourrait devenir quelqu'un de célèbre et de puissant ! Il en rêvait mais il resterait à jamais le minable qu'il avait toujours été...
(Hé oh ! clama Chandakar.
Si tu veux de la damnation éternelle, c'est ton droit. Mais je te rappelle que ça arrivera à cause de moi et que je serais certainement emporté en même temps ! Tu n'as pas le droit de faire ça à ma sublime personne !)… d'ailleurs, en matière de mégalomanie, il était déjà bien servi... Allons, ce n'était pas un vulgaire tas de rongeurs qui allait l'avoir ! Du nerf ! Il sentit comme un feu brûler en lui. Était-ce un regain d'énergie issu de sa volonté ? Ou est-ce que cela émanait de la liche ? Qu'importe, il fallait fuir, ses poursuivants n'étaient plus très loin...
Il devait bien ça à Tirassin !
Il reprit sa course, passa devant un couloir perpendiculaire et déboucha dans une nouvelle pièce.
Son cœur fit un bond en voyant les ossements étalés par terre. C'était la première salle où ils avaient trouvé des ossements, ossements qu'il avait démoli par mesure de sécurité ! Il savait maintenant comment retrouver la sortie...
Le bruit se faisant pressant, il jeta un regard derrière lui et vit une multitude de formes enragées à la lisière de la lumière de la torche. A tout hasard, il tenta de lancer la vague de désespoir que lui avait enseigné Tirassin. Des ombres imparfaites crachotèrent depuis sa main et partirent vers les rats. Il était trop épuisé pour savoir s'il avait lancé la vague ou, par réflexe, un souffle de Thimoros.
Qu'importe, l'essentiel, c'était de gagner quelque secondes !
Il prit le couloir sortant de la salle par la droite, sachant que c'était de par-là qu'il venait. Bientôt, il aperçut une lueur devant lui : on avait allumé des torches dans la salle d'entrée !
Sentant un frôlement au niveau de ses pieds, il jeta sa propre torche derrière lui et entendit des couinements furieux.
Puis, les poumons au bord de l'explosion, il arriva à la salle où l'attendaient le prêtre de Thimoros et ses fanatiques qui avaient eu la bonne idée de venir se poster là en cas de problème. À peine était-il passé devant eux qu'ils lancèrent tout ce qu'ils pouvaient comme sortilèges pour éliminer les rats. Les couinements et les hurlements devinrent bientôt insoutenables. Malgré cela, Azra ne prit que quelques seconde pour récupérer son souffle et se précipita pour les aider à écraser du pied les rats qui déferlaient sur eux.
Bientôt, sans doute sur un ordre de leur 'roi', les rats firent demi-tour, abandonnant des centaines de cadavres derrière eux sans avoir pu faire plus que mordiller les jambes des fanatiques. Azra se laissa tomber contre un mur, épuisé.
(Bravo ! grinça Chandakar.
Tu as encore faillit nous faire tuer ! Vraiment, ce n'était pas une bonne idée d'élire domicile dans ton crâne !)Pendant ce temps, les cultistes de Thimoros se tournaient vers lui.
« Où est mon maître ? » siffla Aléria d'une voix menaçante.
« Mort, répondit Azra d'une voix enroué...
Tirassin aussi... Un rat... Un immonde paquet de rats doué de conscience... »Il leur raconta ce qu'il avait vu, se gardant bien de préciser que Taomar avait été dévoré par les rats parce qu'il l'y avait jeté. Aléria faillit quand-même se jeter sur lui et il parvint de justesse à l'esquiver en se laissant tomber sur le côté. Les autres la maîtrisèrent bien vite.
« Tu es responsable ! cria-t-elle.
Un jour tu paieras ce crime ! »Il n'aurait su dire pourquoi mais Azra se sentit plus touché qu'il n'aurait dû par ce commentaire. Il ne le montra pas, cependant, et se leva péniblement pour dire :
« Je vais tenter d'avertir des gens qui pourront nous aider, même si je ne sais pas trop qui... Il faut arrêter ce monstre. »Arrêter ce monstre... Une telle chose était-elle possible ? Tous les fanatiques le regardaient mais aucun n'osait prononcer un mot. Lui même ne savait pas quoi dire. Tout cela était trop. Trop pour un vulgaire gamin des rues. Il avait besoin de revenir à quelque chose de simple...
Prendre une bière à la taverne des sept sabres par exemple. Oui, c'était ce qu'il avait de mieux à faire, après, les choses seraient peut-être plus claires...
Il se dirigea aussitôt vers la sortie, sous le regard hostile des uns et amicale des autres... et indéchiffrable du prêtre.
La guerre est déclarée !