Une heure avant l’aube sur Kendrâ Kar…Dernier moment de grâce dans la grande cité encore endormie qui frissonne dans cette fraicheur teintée d’obscurité, avant le grand recommencement de chaque matin où la vie reprend ces droits.
C’est dans la petite boutique tenue par Sven, le Nain cultivateur de champignon, que débute cette histoire. Au premier étage, au haut des escaliers de bois, dans une des trois chambres de la maison, s’éveille le fils aîné de la famille, Svengar, tout juste sortie de l’adolescence du haut de ces 60 ans.
A peine éveillé, les yeux encore bouffi de sommeil, qu’il saute du lit, s’habille dans le noir le plus total puis ouvre les battants et volets de l’unique fenêtre de sa chambre, afin de laisser entrer l’air encore froid de l’instant précédant la venue de l’astre solaire. Il se remplit les poumons de cet air vivifiant, humide de rosée, légèrement salé des embruns de l’océan tout proche, et, en un instant, les dernières traces de torpeur qui l’engourdissaient encore s’évaporèrent. Laissant place net à ses nouvelles forces pour une belle matinée ensoleillée, s’il en juge par le ciel bleu sombre, vierge de nuage, piqueté de milliers d’étoiles.
(Aaaaaaah il va faire beau aujourd’hui ! Dommage que ce soit le jour où je travaille à l’entrepôt…Bon, trêve de rêvasserie…la flotte…le bois…ma hache).Une fois les fenêtres refermées, il se dirigea vers la porte qu’il ouvrit précautionneusement, elle avait tendance à grincer et il savait que sa sœur avait un sommeil un peu moins lourd qu’une enclume.
Sa chambre donnait, à gauche, sur un petit couloir. En premier se trouvait la chambre de sa sœur puis celle de ses parents. Le couloir se terminait par une petite fenêtre, donnant sur une ruelle, avec en dessous une petite commode sur laquelle une plante en pot ravivait la décoration simplement constituée de tableaux de champignons accrochés sur le mur opposé aux chambres.
Juste en face de la sienne se trouvait la porte menant à l’escalier sur la gauche ou tout droit dans le salon et la cuisine qui ne formait qu’une seule grande pièce afin de profiter de la chaleur dégagée par le fourneau. Il n’eut qu’à faire deux pas et franchir cette porte pour ne plus avoir à faire attention aux bruits qu’il faisait aussi tôt le matin. Sa sœur avait certes un sommeil plus léger qu’une enclume mais enfin…une enclume restait une enclume…
Il descendit au rez-de-chaussée, où se trouvait la boutique que tenait son père. L’odeur de champignon était assez timide, sa mère dépensant des fortunes en filtre odorant afin de masquer ces odeurs.
Le bas de l’escalier était perpendiculaire à un petit couloir partant sur la gauche et, à droite, se trouvait la pièce d’accueil et de vente de la boutique. Un petit comptoir à hauteur d’homme avec un petit et un grand tabouret. Le premier pour grimper sur le second bien sur. Contre les murs, des étagères pleines de pots bien rangés et bien étiquetés, transparentes ou opaques, des cageots avec des champignons en vrac à peine recouverts d’une serviette, et une grosse jarre contenant le terreau produit par les champignons qu’il fallait évacuer régulièrement pour être sur que ces derniers poussent sur la roche et non dans la terre. Enfin ça, c’est son père qui le disait.
Directement en face de l’escalier se trouvait une porte derrière laquelle était entreposé le bois de chauffage, les stocks de nourriture et de bière et nombres d’ustensiles et de produits ménagers plus ou moins utile.
Au fond du couloir se trouvait une porte menant à la salle de bain et aux toilettes. Sven y avait installé en hauteur un grand baquet d’eau qui, à travers un embout d’arrosoir pouvait se vider en une petite pluie fine afin de se laver plus aisément.
Directement à gauche du bas de l’escalier se trouvait une dernière pièce fermée d’une porte en chêne bien différente de toutes les autres portes de la maison. Plus massive, barrée de fer, munie de deux serrures et de trois cadenas particulièrement peu silencieux, qui gardait l’entrée vers le trésor de son père : l’accès aux grottes où il faisait pousser ces champignons.
Cette pièce contenait donc une petite plateforme en bois qui, à l’aide d’un système de levage à quatre poulies et d’une manivelle permettait de descendre et remonter une charge équivalente à deux personnes bien nourrie. S’y trouvait également des cageots de terreau, d’ustensiles divers nécessaires à la culture des champignons en grotte, notamment des racloirs, des petites pelles, une pioche et des masques faciaux pour ne pas respirer les spores en suspensions.
Svengar entra dans la pièce de stockage et en ressortit avec deux énormes seaux à arceau ainsi qu’avec une perche en bois dur d’un mètre cinquante. Toujours dans une épaisse obscurité, il se saisit des clés de la boutique puis sortit en prenant soin de verrouiller à nouveau derrière lui.
Dix minutes plus tard il revint avec la perche sur les épaules et les deux seaux, rempli à ras bord d’eau puisé à la fontaine, pendouillant au bout. Il en laissa un en bas et alla mettre le second dans la cuisine puis monta du bois qu’il déposa près de la cuisinière à taille naine.
Une fois ces tâches accomplis, il retourna dans sa chambre, accompagné par la clarté encore blafarde du petit matin. Il saisit sa hache, qui reposait contre l’armoire, et commença d’accomplir des gestes d’assauts au ralentit, apprit lors de ses cours à l’école de la guerre de Mertar. Il fit le vide en lui et se représenta une bougie allumée, la lumière qu’elle émettait représentait sa volonté, sans cesse au bord d’être happé par la pénombre de la déconcentration.
Il exécuta encore et encore les mêmes gestes pour en imprimer le plus petit mouvement, la moindre sensation dans son esprit pour qu’un jour il puisse les reproduire de manière inconsciente, par réflexe, donc avec une vitesse d’exécution beaucoup plus importante.
Il entendit la porte de la chambre de sa sœur se refermer, puis celle du couloir, et enfin celle de la boutique, sans arrêter son entrainement, alternant parfois seulement les postures offensives des défensives du combat à la hache.
C’est seulement au bout d’une demi-heure, lorsqu’il entendit la porte de la boutique se refermer, qu’il s’arrêta. Il se lava rapidement avec l’eau claire d’un petit seau prévu à cet effet puis rejoignit sa sœur dans la cuisine.
« Salut frangine, bien dormi ?»«Moui, ça peut aller. Tu veux du lait et du pain ce matin ou bien tu entames directement à la bière ?»«Grmblbl, non, je vais bosser aux entrepôts aujourd’hui, donc de la bière oui, mais ce soir en rentrant !»«Roooooh mais la plupart des ouvriers qui bossent la bas ont un coup dans le nez en arrivant et cela ne va pas en s’arrangeant avec la journée… »Elle disait cela tout en remplissant un boc de bière fraîche pour le petit déjeuner de leur parent.
« Ouiiiii mais ce n’est pas une raison pour nous faire passer pour des barriques de bière toujours pleines…Ce n’est déjà pas facile d’habitude avec les humains alors si je n’arrive pas à contrôler ce que je leur dis parce que je suis un peu éméché…»«Ooooh ça va, ça va, je te taquinais…C’est pour ça que je t’ai ramené une belle miche et un beau morceau de jambon pour ce matin. »Après un petit instant d’hésitation, et après qu’elle lui montra le dit jambon, Svengar sourit largement…
«Frangine, je t’aime !»«Arrête de dire des âneries et mange, tu vas te mettre en retard.» Joignant alors le geste à une parole non prononcée, il grommela un bon coup en s’installant à table et dévora son petit déjeuner sans un autre mot à sa sœur qui préparait le feu dans la cuisinière.
Son jambon et sa miche de pain engloutit, il se leva, rangea rapidement son couteau et sa chope sale puis descendit avec un dernier :
«Bon, j’y vais, à ce soir. Passe le bonjour aux parents.»A l’adresse de sa sœur.
<Vers les rues de KK>