Je restai là un moment, observant l'immensité bleue et m'imaginant sur un navire, naviguant sur les flots. J'étais un matelot sur un navire marchand, juché en haut du grand mât, j'observais l'horizon tandis que le bateau effleurait fièrement les vagues. Puis j'étais un pirate sans merci, et accroché à une corde, une dague entre les dents, je me balançais vers un navire ennemi en criant : "A l'abordage !". Puis j'étais le capitaine d'un immense galion de guerre dans la flotte Kendrane, j'étais à la barre et hurlais des ordres, sortant ma longue-vue pour observer le pavillon d'un bâtiment au loin ...
J'avais froid. Je sortis les pieds de l'eau et remis mes bottes. Puis, auscultant le sol, je cherchai des galets assez plats pour faire des ricochets. J'aimais bien m'adonner à ce jeu lorsque, lutillon, je m'éloignais assez du village pour m'aventurer jusqu'à la rivière. La plupart des galets étaient trop gros pour moi, un humain ou tout autre grand dadais aurait facilement pu les utiliser, mais à mon échelle, ils étaient presque aussi longs que mes jambes ! J'en trouvai finalement deux, recouverts sable et d'algues. Je les nettoyai promptement, les lissant d'une douce caresse.
J'observai brièvement la mer, et lui jetai la première pierre. D'un mouvement ample et rapide, je lui donnai de l'effet pour qu'elle tourne sur elle-même. La pierre alla chatouiller la surface de l'eau en un premier ricochet, puis fut engloutie par une vague. Frustré, j'empoignai la pierre restante et la lança plus fort. Elle plongea dans l'eau sans même rebondir une seule fois.
"Crotte ! Na !" dis-je, fendant l'air de mon poing.
Je me mis alors en quête de nouveaux galets. Plus aucun. Sauf ... Là ! Il y en avait, ils étaient coincés sous un gros galet qui faisait la moitié de ma taille. J'encerclai le rocher - car c'est comme cela qu'on pouvait l'appeler vu sa taille - avec mes bras et tentai de le soulever, émettant un :
"Gnnnnnnnnn" de concentration et tirant la langue. Le galet décolla enfin, mais alors que je le ramenai vers mon torse pour le déplacer, le rocher qui était presque aussi lourd que moi, me fit perdre l'équilibre. Je m'étalai sur le dos, et la masse rocailleuse vint m'écraser l'abdomen.
J'étais coincé. Je me démena tant bien que mal, essayant de pousser le gros cailloux sur le côté, mais rien n'y fit. Je finis par frapper de mes poings le rocher en hurlant :
"Mais tu vas bouger espèce de gros tas de roche ! Na ! Allez ! Bouge ! Na !" Alors que je m'excitais, le crabe que j'avais réveillé en lui soustrayant son abri de fortune (à savoir, le gros cailloux), apparut à coté de moi. C'était un gros crabe orange dont on m'avait déjà parlé. Il me dévisagea (si l'on peut dire), se déplaçant légèrement de droite à gauche de façon latérale.
"Hé toi ! Viens m'aider tu veux ? Na !" Le crabe ne réagit pas.
"Tu vois pas que je suis coincé ? Na ! Viens me décoincer ! Si t'arrives à passer dessous, c'est que tu peux l'bouger. Na !"L'animal marin disparut de l'autre coté de la pierre, là où je ne pouvais le voir. Il réapparut au-dessus de ma tête sur le galet. Je sentis le poids m'écraser encore un peu plus et moi, de hurler après le crustacé :
"Crétin sans cervelle ! Na ! Je te promets que je vais t'en faire voir de toutes les couleurs, nom de Ci... Glups !" Je ravalai ma langue, ayant failli révéler mon nom à cet animal stupide.
Il se déplaçait sur le galet, faisant claquer ses pinces et bavant une mousse blanche et gluante pour tenter de m'impressionner. Je ne bronchai pas. Finalement, il disparut à nouveau derrière le galet et réapparut sur son côté. A l'aide de sa carapace, il réussit à pousser le rocher avec une force incroyable pour un si petit être. Le cailloux roula sur le coté, le long de mon corps, non sans m'infliger encore quelques douleurs, mais je fus enfin libéré. Je me relevai tant bien que mal sur mes deux jambes. Quand je fud debout, le crustacé s'était déjà enfoui sous le galet. Je grognai et lui lançai :
"C'est ça, cache toi ! Irruption cutanée de la mer ! Résidu de cervelle de Débilapin cramoisi ! Na !" Je marquai une pose.
"Enfin merci quand même ! Hein ! Na !" concluais-je en montrant mon postérieur au galet et me frappant d'une main.
Puis je m'en allai, trottinant et riant aux éclats. J'avais encore beaucoup de choses à découvrir et je voulais voir les bateaux, des bateaux en vrai, pas ceux des dessins.
> Les portes de Bouhen.