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Auparavant~
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Immobile contre moi, l'ynorien se lance dans des explications. Sa voix est loin d'être aussi posée qu'à l'accoutumée, preuve que ce qu'il m'annonce le trouble.
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Je n'ai pas le droit de dévoiler des détails. Affaire difficile, vous comprenez ?"
J'acquiesce, continuant de faire circuler mes fluides lumineux en moi. Entrouvrant les lèvres, je m'empresse de faire le mouvement inverse quand le milicien reprend la parole de lui-même.
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Junji et moi allons devoir infiltrer un réseau. L'un des nôtres fait déjà partie du groupe ennemi depuis plusieurs mois, mais il ne peut pas faire grand-chose de plus seul. Apparemment, les activités sont divisées en une pluralité de branches. S'il agissait plus qu'il ne le fait déjà, il serait rapidement découvert."
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Je suppose que c'est là que vous intervenez."
Je perçois un faible mouvement m'indiquant qu'il hoche la tête.
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Nous devons être mis en contact avec eux, nous faire accepter et rassembler suffisamment d'informations pour pouvoir ensuite les frapper efficacement..."
Je demeure silencieux. Je me sais incapable de mentir. Ce genre de missions serait donc délicate à mener si j'en faisais partie, à moins de me faire passer pour quelqu'un de muet. Toutefois, malgré les explications du jeune homme, je ne vois pas réellement où se situe la difficulté. Certes, il y a un risque d'être en sous-nombre important, mais si le milicien sur le terrain a bien préparé leur arrivée, il devrait être minime.
Intrigué, je tente de pousser Genji à reprendre la parole.
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Cela n'a pas l'air facile, mais je ne comprends pas vraiment votre réticence."
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Vous n'étiez pas là lors des explications du sergent... "
La présence de l'humain se fait plus forte contre mon dos. Il doit sans doute avoir resserré sa prise sur ses membres. Sa voix se fait presque distante, amère même.
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Nous avons le droit... Non... Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour nous faire accepter dans le réseau. "
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Comment cela, tout ? "
Un rire sec lui échappe. Je sais qu'il bouge légèrement, mais je m'abstiens de me retourner. Ce n'est pas l'envie qui me manque, mais je redoute qu'il se taise si je le fais. Néanmoins, je me fais du souci. Plus ses mots sortent et plus son humeur et son calme faiblissent. Il faut qu'il se reprenne, qu'il regagne cette confiance en lui dont il s'est servi pour me soutenir le jour où j'ai du prendre une vie. Mais comment y parvenir ? C'est en apercevant la lueur de ma magie que je songe tenter d'en faire usage.
Si la lumière peut prévenir les blessures, peut-être peut-elle dissiper les ténèbres rongeant le coeur de mon ami. Car oui, l'entendre se confier de cette façon m'indique qu'il a confiance en moi. La réciproque étant vraie, j'estime ne pas me tromper en le considérant ainsi. Il n'y a que ce vouvoiement qui laisse planer un doute. L'important est que je parvienne à lui redonner courage, et le plus tôt sera le mieux. Je me concentre donc, cherchant à altérer ma lumière pour qu'elle soulage l'esprit plutôt que le corps. La chose n'est pas facile, car visualiser la guérison d'une plaie est plus simple que celle de sentiments.
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Il a utilisé un exemple simple. Si l'un des dirigeants de branche nous amène un otage, qu'il s'agisse d'une femme ou d'un enfant, en nous ordonnant de l'exécuter... Nous devons obéir sans un mot."
Ma concentration m'échappe brutalement quand je réalise la portée de ces paroles. Le réseau visé est-il si dangereux qu'il faille envisager la mise à mort d'innocents ? Je perçois mieux le trouble de l'oranien, dans le sens où mon propre coeur se serre à cette idée. Quand bien même je comprends où nos supérieurs veulent en venir, l'épreuve peut s'avérer difficile. Apposant la main à ruban contre mon torse, je cherche à retrouver mon calme. J'ai beau éprouver de la sympathie pour le malaise de Genji, si mon esprit est troublé, il ne me sera pas possible de l'aider.
Plissant les yeux, je recommence à concentrer ma magie, tentant de la charger d'une chaleur semblable à celle de mon anneau doré. Je veux lui offrir une certaine sérénité, pour que ses pensées se fassent plus claires, et qu'il puisse retrouver son sang-froid et sa confiance. Progressivement, je rassemble cette énergie à la hauteur de mon sternum, la concentrant. Si je me rappelle bien de mes tentatives pour le halo de pacifisme, je dois créer une source lumineuse unique qui servira de point de départ à ma magie.
Priant Gaïa, je m'efforce de rassembler des pensées contenant la chaleur que je souhaite lui faire ressentir. Je songe à mon oncle, mais aussi à ce repas que nous avons partagé, et au lien qui nous unit un peu plus étroitement. La lueur chargée de ce bienfait, j'ai un soudain doute sur la façon de la déployer. Dois-je le faire comme un soin ou comme le halo ? Je perds de nouveau ma concentration quand le jeune homme reprend la parole.
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Et si jamais je dois combattre Junji ? Est-ce que je serai seulement à la hauteur ? Jusqu'à maintenant, nos missions se sont toujours déroulées au sein d'une petite troupe. Mais cette fois..."
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Il faut vous reprendre, Genji."
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Ah ! Si c'était aussi simple, je l'aurai déjà fait ! "
Son ton se charge soudain d'agressivité.
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Vous êtes capable de guérir et connaissez les plantes, non ? Qu'attendez-vous pour me donner l'une de vos drogues miracles, histoire que je puisse massacrer sans retenue ?"
Dans mon dos, je sens que le jeune homme a changé de position, et le son brutal que je viens de percevoir doit être celui de son poing cognant le sol. Un souffle agacé lui échappe. Délaissant la manipulation de mon fluide, je bascule sur le côté, quelque peu blessé par la remarque somme toute vindicative à mon égard. Mon regard m'apporte la vision du jeune homme se tenant le poing, la peau de sa main droite légèrement éraflée par l'impact.
Brièvement, il me jette un coup d'oeil. Je dois sans doute avoir une expression quelque peu peinée, car sa hargne se dissipe aussitôt.
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Je suis désolé. Je ne comprends pas pourquoi... Finalement, je n'agis guère mieux que le gamin de tout à l'heure. Veuillez accepter mes excuses."
Conservant mon mutisme, j'incite mon interlocuteur à me montrer sa main. L'ynorien obtempère, passant ses yeux sombres de sa peau à mon visage. Attrapant ses doigts, j'étire légèrement l'épiderme, jugeant que ce n'est guère plus qu'une égratignure. Prenant sur moi malgré la pique douloureuse que son commentaire a engendré, j'esquisse un sourire.
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Je vous pardonne, mais à condition de mettre un terme à ce vouvoiement."
Je décèle une légère surprise sur le faciès de mon camarade. Petit à petit, il s'apaise, m'offrant une expression difficile à déchiffrer. Il a l'air ravi, mais en même temps embarrassé et intimidé. Pourtant, il acquiesce à plusieurs reprises et je vois ses lèvres former le pronom "tu" sans qu'il ne l'énonce. Pendant qu'il s'exerce, et tout en gardant contact avec lui, je m'efforce de rassembler mes fluides de lumière. J'ai découvert quelque chose pendant ce petit laps de temps. Si je traite cette lueur de confort comme un soin, c'est à dire une boule de lumière simplement chargée d'énergie curative, elle perd sa capacité à aider l'esprit.
J'ai le sentiment que ce n'est pas à la lumière de remonter le moral de mon ami, mais à moi. Mon fluide ne me sert que de passerelle entre mes émotions et les siennes. Une nouvelle fois, je songe à tous les moments agréables passés en la compagnie de mes proches, mais je revois aussi leur force. Junji et ses lancers de dagues, Hidate et ses découpes de mannequins de paille, mais aussi Genji et son agilité féline lors de l'embuscade.
Je crois en leur force, et c'est cela que je veux faire passer. Un vieux dicton ynorien nous rappelle que, parfois, un acte vaut mille mots. C'est sans doute vrai, et c'est dans cet esprit que je tente de lancer ce sort. Tout autour de moi, je diffuse une clarté douce, offrant une expression encourageante à mon interlocuteur. La magie n'est pas très importante puisque résultant d'une multitude de balbutiements. Toutefois, elle suffit à aider la cicatrisation et à ramener un semblant de calme sur le visage de Genji.
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Voilà qui est mieux. Tu dois te faire confiance et croire en tes capacités. Je te sais compétent, réfléchi et véritable ynorien. Rappelle-toi que tu n'es jamais seul, mais surtout reste toi-même. Après tout, qui d'autre que toi possède la patience et la réactivité nécessaires pour remettre les idées de Junji en place ?"
À mes mots, l'ynorien esquisse un sourire. En un clin d'oeil, son bras est passé dans mon dos, ou plus précisément contre mon omoplate, m'attirant à lui dans une accolade. Mon coeur rate un battement face à cette réaction si soudaine qu'elle m'a prise de court. Il me faut quelques secondes pour me ressaisir, et une poignée d'autres pour répondre à son geste par de petites tapes amicales sur son épaule. Ce n'est vraiment pas dans les habitudes des habitants de la République de se conduire ainsi, mais je suppose que ce contact est un passage obligé pour qu'il récupère entièrement.
Peu après, un léger son à la porte nous informe qu'un autre groupe de croyants vient prier la déesse. Prestement, je récupère mes affaires, mais ne proteste pas lorsque l'humain qui m'accompagne décide d'attacher ma chevelure avec mon ruban doré. A la sortie du temple, je note la persistance du regard de celui-ci. J'ignore à quoi il pense, mais je le devine bien plus confiant et motivé qu'auparavant.
Je prie avec ferveur et en silence pour que tout se passe bien pour eux, mais aussi pour moi. Après tout, demain, je reprends également du service à la milice.
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Tentative d'apprentissage du sort de prêtre : Bénédiction concentrique.]