26 157PNT, Treizième jour de Lothla.
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« Quand une femme a tort, il faut commencer par lui demander pardon. »
La sensation prenante d’étouffer, l’obscurité encore, les frottements du lin sur mon visage, les odeurs ô combien délicieuses malgré le filtre entravant ma respiration. Toutes ces nouveautés je les savourais avec délice, fussent-elles plus désagréables encore que mon incarcération. Car depuis près d’un quart d’heure, je marchais. Je n’étais pas libre, mains attachées dans le dos avec une corde fine tellement serrée que ça m’en irritait les poignets, mais je marchais. J’étais sorti de cette cellule que j’avais presque fini par considérer comme mon mausolée. L’endroit où je vivrais mes derniers jours, en compagnie d’Almavendë. Mais non. Elle marchait à côté de moi, j’en étais persuadé, elle aussi ligotée et la tête recouverte d’un sac de jute lié autour du cou. Nous étions entourés de gardes, dont le cliquetis des armures au rythme de nos pas m’assurait leur présence.
Et notre présence à nous, j’avais encore du mal à l’expliquer. Le matin même, j’avais été éveillé par un petit tapotement sur le mur contre lequel j’étais appuyé. Dans les vapes, je ne m’étais rendu compte que trop tard qu’il s’agissait de ma voisine de cellule, celle avec qui j’avais communiqué une fois sur l’entièreté de mon séjour ici, sans plus que nous nous contactions. Je m’étais approché, encore groggy de sommeil, du trou dans le mur séparant nos cellules, et y avais glissé l’oreille. Les mots qu’elle avait prononcés me frappèrent de perplexité. Là encore, ils résonnaient dans mon esprit, à mesure que nous avancions.
« Merci. Merci d’avoir égayé mes derniers instants. Merci d’avoir fait luire d’espoir un cœur qui ne broyait que du noir. »
Ces paroles, je ne les avais pas comprises alors, même si depuis l’idée avait fait son chemin. Je n’y avais rien répondu, et le regrettais encore amèrement maintenant. Car le bruit d’une geôle qui s’ouvre avait suivi, très vite, cette intervention. La sienne. Et je sus que des gardes étaient venus la chercher. Les mots s’étaient alors répétés, avec une connotation bien plus tragique que celle avec laquelle je les avais initialement entendus. Derniers instants. Espoir d’un cœur qui broie du noir. Je compris alors ce qui s’était passé. L’accidentelle meurtrière avait fini par être jugée, et condamnée à mourir. Elle avait assisté à mes retrouvailles, à mes conversations avec ma fille d’alors, à mes délires sur la théorie du Sang Ancien. Les dernières paroles qu’elle entendit furent celles qui lui promettaient la rédemption et, si elle était une âme ancienne, la réincarnation. Un espoir de fou… mais un espoir, qui valait mieux que rien du tout.
Quelques heures étaient passées, et cette fois, ce fut chez nous que le geôlier arriva. Ils nous passèrent les liens aux bras, et la capuche sur la tête. Interloqué, paniqué même, un peu, je leur demandai des explications… Et je les reçus avec le cœur serré d’émoi.
La condamnée, avant de passer de vie à trépas, avait eu droit, dans l’immense magnanimité elfique, à une dernière volonté. Celle-ci, elle me l’accorda, du plus beau cadeau qu’elle pouvait me donner. Elle demanda à ce qu’Almavendë et moi soyons reçus par l’éminente Reine hiniönne pour une demande de grâce. Celle-là que j’avais espéré provenir de ma fille, c’est elle qui me l’offrait. Sans qu’elle ait vu mon visage, ces traits burinés. Sans que j’aie même été courtois ou particulièrement sympathique avec. Un don qui sacrifiait son dernier plaisir sur terre. Un don qui faisait d’elle une héroïne, qui resterait de tous méconnue, mais qui dans mon cœur trouverait grâce. La grâce d’un acte de bonté. La grâce d’un acte de foi.
Et c’était plein d’émoi, et fort d’une conviction inébranlable, que je traversai maintenant sans les voir les hauts couloirs de l’Aratmen, le palais Royal de Cuilnen. Je pouvais entendre, à travers la toile, les bruissements des feuilles emportées par le vent s’infiltrant dans les nombreuses ouvertures dans les murs du palais. Et dans mes souvenirs, je tachai de m’en remémorer l’apparence, haute et fière. Les grandes façades blanches et dorées, ornées de verdure en doses élégantes. Tout avait un parfum de liberté, même lorsque nos meneurs nous rudoyèrent pour nous agenouiller, et violemment retirer les sacs de nos têtes.
La lumière frappa ma pupille depuis trop longtemps coutumière à l’obscurité. Je fus aveuglé par la clarté environnante, sans pouvoir me cacher les yeux de mes mains liées. Et je devais faire bonne figure, car sans la voir encore, je le savais, devant moi, sise sur son trône d’or, s’élevait Thelhenwen, Reine d’Anorfain. Je baissai la tête en signe de respect, mais me tus. Il fallait, avec les elfes plus qu’avec n’importe quel autre peuple, savoir faire preuve de patience. Voilà de nombreux siècles que cette grande dame de lumière siégeait sur son trône. Jamais empressement n’avait conduit à la grâce. On l’avait sans doute informée de nos chefs d’inculpation, à Almavendë et moi. Contrebande pour elle, approche trop invasive de la secrète cité pour moi, en mon état de semi-shaakt semi-garzok, ennemi prétendu des elfes et de leur majesté. C’est prostré dans mon respect, pourtant, que j’attendis pour parler qu’on m’en donne le droit.
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