Et sur ces mots, elle se tait. Elle lève les mains vers le plafond, et tout d’un coup, le cercle noir s’enflamme entièrement, jetant vers le plafond des flammes de plus de deux mètres de haut, qui ne semblent pas vouloir se tarir de sitôt. Je me retrouve encerclé de flambeaux, comme je peux le constater en me retournant vivement de tous les côtés. Pris au piège par le feu.
Je sens la panique poindre en moi. Qu’attend-elle que je fasse au milieu de ce cercle flamboyant ? Je regarde en tous sens pour espérer voir un indice apparaitre, mais je ne perçois que sa silhouette gracile remuer derrière les flammes, dans une chorégraphie étrange et mystérieuse qui pourrait évoquer une incantation magique, pour peu qu’on y connaisse quelque chose en la matière. Et je n’y connais absolument rien. Je me fixe comme en dernier ressors sur les gestes lents de ses bras et de ses mains. La chaleur est intense, et mes doigts sont crispés sur la garde de mon arme. Dans quoi me suis-je encore embarqué comme histoire ? Tout ça pour me débarrasser de cette maudite lame maléfique.
Et puis, assez rapidement si l’on excepte l’impatience qui me brule la peau, une boule d’une dizaine de centimètres de diamètres arrive dans le cercle à vitesse modérée. Elle est lumineuse et incandescente, comme si un petit soleil venait de débarquer à mes côtés. Et cette boule semble vouloir s’approcher de moi. Sur la défensive, je me mets en position de combat, campé sur mes deux jambes de manière souple, la gauche en arrière et le droite en avant, toutes deux légèrement pliées, pour me donner plus de souplesse. Mon bras est dressé pour former une barrière entre la boule et moi. Je me sens un peu pathétique d’avoir peur ainsi d’une boule de feu statique, mais je ne sais vraiment pas à quoi m’attendre ici, donc je reste prudent. Mais rien ne se passe.
Alors, je me redresse et fixe la boule sans bouger, sans comprendre ce que je dois faire. C’est l’instant que celle-ci choisit pour me bondir dessus à toute vitesse, pour me percuter le buste avec violence… Heureusement, la boule ne semble ni totalement de feu, ni matérielle. Donc si le choc est une chaleur assez désagréable, il n’est en rien comparable à c que m’aurait fait un objet de cette forme lancé à une telle vitesse contre mon poitrail.
Néanmoins, il est désormais temps de me remettre en mode de combat, histoire que ce malheureux incident ne se reproduise plus. Je reste toutefois campé en défense. La boule est de nouveau là, devant moi, flottant à un mètre du sol, comme pour me narguer. Et à nouveau, elle bondit sur moi. Je tente de l’éviter, mais une fois de plus, elle me cogne les côtes. Nouvelle sensation de brulure… Je sens la colère monter en moi, et parcourir l’arme que je tiens dans une vibration malsaine. Pour dégager cette colère montante, je frappe en direction de la boule… qui évite mon coup sans le moindre problème. À la place, je sens une vive douleur serrer mon poignet porteur, et meurtrir toute mon âme. Négligeant l’avertissement, je retente aussitôt ma chance, et manque une nouvelle fois ma cible. Une nouvelle fois, une fulgurante douleur m’envahit de la tête aux pieds, et je suis contraint de mettre un genou à terre pour la supporter.
Mais très vite, pour éviter que la boule ne m’attaque à nouveau, je me relève et me remets en position de garde. La transpiration me coule le long du dos et des tempes, et je suis à cours d’haleine. Les sourcils froncés, le regard fixé sur mon étrange adversaire, j’attends une nouvelle attaque. Et celle-ci ne manque pas d’arriver au plus vite : la boule me fonce à nouveau dessus. La voyant venir, je tente de parer l’assaut en interposant ma lame dans sa course, mais elle fait un curieux rebond imprévisible, et passe outre mon arme pour me percuter le bas du visage, cette fois. Je recule sous le choc. Pas un choc physique, mais le choc d’une brulure au visage… Et je manque de tomber dans le cercle de feu. Ma chevelure ne doit sa survie qu’à une prise de conscience qui me fait rétablir mon équilibre.
Je suis hors de moi. Je tremble tant d’énervement que de crainte de périr face à cette boule mystérieuse et bouillante. Je me sens trépigner à l’intérieur de moi-même, et la haine que me procure la malédiction n’en est que décuplée. Ma mâchoire est serrée si fort que je sens de la douleur dans mes molaires. Je grogne de rage.
Et j’expulse celle-ci en hurlant, en me jetant dans un nouvel assaut. Une fois de plus, ma lame ne rencontre que l’air, et une nouvelle fois, une douleur saillante m’assaille. Je m’effondre à genoux, mais me redresse aussitôt, complètement enragé. Le visage déformé par la colère, je fais encore plusieurs gestes frénétiques et vains d’attaque en direction de la sphère, qui les évite tous habilement.
Et la vague de souffrance qui m’accapare alors est pire que toutes les autres. Je croule sous l’affliction cuisante qui m’accable. Mes doigts n’ayant pas voulu lâcher la garde de mon arme, ils rencontrent le sol et s’y écorchent encore plus douloureusement. C’est insupportable, et malgré moi, mes yeux pleurent leurs larmes salées, alors qu’une respiration essoufflée et saccadée sort de mes lèvres. Je me traîne au sol, roulant sur le dos, et voyant la boule me narguer au dessus de moi. Je suis littéralement cloué sur le pavage de pierre, souffrant comme un martyr. Et alors je comprends d’où me vient ce mal… L’épée. Il s’agit d’une buveuse d’âmes. Et comme je ne touche pas mon adversaire, c’est de mon âme qu’elle se repait petit à petit. Une horreur sans nom s’empare de mon être lorsque j’en prends conscience. Je ne vois d’autre issue possible à ce combat que ma propre mort. Si ce n’est pas la boule qui me tuera avec ses assauts brulants, c’est mon arme qui s’en chargera, en aspirant jusqu’à la plus petite parcelle de mon âme, de ma vie, pour ne plus laisser qu’une carcasse vide. Je ne peux l’accepter, mais ne peux non plus m’y soustraire.
Alors, dans un ultime effort pour préserver ma vie, et sauver mon être, je me relève, titubant, pour faire face à mon adversaire sphérique. Je ne peux fuir, mais je peux toujours l’éviter. Ma tête tourne, et je me sens faible… si faible. Pourtant, l’énergie du désespoir est bien là, et lorsque je vois un nouvel assaut contre moi, je parviens à me soustraire à celui-ci en bondissant sur le côté. Hélas, mon adversaire est particulièrement rapide, et me percute dans le dos, cette fois. Je hurle sous le coup de chaud, et me tourne à nouveau vers la boule. J’ai le cœur au bord des lèvres. La nausée me prend, et mes vertiges s’empirent encore. Je dois m’appuyer sur mon arme pour espérer tenir debout. Je n’ai plus la force d’éviter une nouvelle charge de mon ennemi, qui me fonce droit sur le bras. Je ne ressens presque plus la douleur. Juste la mort glaciale qui me tend les bras. Lentement, je me laisse couler vers elle, abandonnant ma conscience à son pouvoir d’attraction. Ma pire peur, mon pire cauchemar est finalement la solution de facilité. La vie m’est précieuse, mais pas dans l’état dans lequel je me trouve actuellement. Je ferme les yeux et…
(Bats-toi !!)
Lysis m’interpelle violemment. Ça me fait comme un choc électrique dans tout le corps. J’ouvre à nouveau les yeux pour voir fondre sur moi la sphère incandescente. Je me jette à plat ventre sur le sol, évitant le choc, mais dans le même mouvement, je me retourne sur moi-même pour donner un coup puissant et rotatif dans mon dos, devinant l’attaque qui va sans doute arriver. Et je ne me trompe pas. Fidèle à son habitude, ça m’attaque par derrière. Et ma lame rencontre le feu et la lumière. Cette fois, le choc est bien là. J’ai l’impression que la boule explose en une multitude de gouttelettes, alors que je lâche mon arme sous la puissance du coup.
Mais très vite, les gouttelettes se rejoignent pour reformer un être à part entière. Et à nouveau, cet être me fonce dessus. À l’impact, je perds conscience de toute notion terrestre. Mes yeux se voilent d’une chape noire, et je sombre dans l’inconscience la plus profonde… Plus rien n’existe. Ni la douleur, ni la chaleur, ni la peur. Je ne suis juste plus. Et pourtant, malgré mon incapacité à répondre, j’entends Lysis me soutenir.
(Ne t’inquiète pas, tout va mieux aller, maintenant. Tu as été courageux. Très courageux, mon amour.)
Je ne suis pas inquiet…
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