Une agréable routine s'installa durant les jours qui suivirent. Le woran neige profitait pleinement de sa nouvelle liberté et le revendiquait auprès de son père et de Waor. Sous les conseils de l'Ancien, il se forçait chaque jours à méditer quelque peu pour développer son instinct. A l'aube, et plus rarement au crépuscule, il se rendait à la petite clairière pour s'agenouillait et écouter le chant de l'oiseau. Il arrivait que le volatile soit absent. Alors s'engageait un exercice de patiente qui consistait, pour le woran, à attendre le moment propice pour faire "vibrer sa ligne mentale". Une seule fois le succès avait été au rendez-vous.
Aussi, Aztai s'était mis en tête d'aller prier Meno deux fois par jour. Dès le réveil, juste avant de s'enfoncer dans la forêt pour aller méditer, et le soir, plus rarement l'après-midi...
L'Ancien semblait plus distant depuis qu'Aztai lui avait posé la fameuse question. Il s'en voulait de ne pas avoir su tenir sa langue. Au fond, il savait que le woran noir ne lui en voulait pas, mais un fossé semblait s'être creusé... Et puis, un matin, l'Ancien s'était pointé pendant une séance de méditation.
-Je savais que je te trouverais ici, Aztai au Sang Chaud. Aztai se contenta de sourire... Il observa l'Ancien cassé deux branches d'un arbre. Longues chacune d'un bon mètre, il en tendit une à Aztai qui la saisit. Il devinait déjà la suite des évènements...
-Voyons voir... fit malicieusement l'Ancien.
Tu vas essayer une chose. Je vais te porter des coups "d'épées". Tu vas devoir faire tout ton possible pour éviter le coup. Un exercice des plus basiques...
-Attention! S'exclama le woran noir en voyant son regard soulagé.
J'ai dit "éviter" et non "parer". -Dans ce cas à quoi me sert cette branche si je ne peux m'en servir? Demanda Aztai perplexe.
-A quoi sert une arme à ton avis?-Heu... Se défendre? Tenta Aztai.
-C'est ce que tu penses? Crois-tu que tous ces outils de guerre furent créés pour se défendre? Fut-il leur but premier?-Non, répondit le jeune woran après une courte réflexion.
Ils servent à tuer.-Exact! S'égaya le woran noir.
Donc tu vas devoir tuer avec! Je te demande d'éviter mes coups, car si tu pares à l'aide de cette "épée", elle perd sa fonction première: attaquer et détruire. Si tu veux interrompre les coups de ton adversaire munis-toi d'un bouclier, pas d'une lame.-Mais il n'est pas exclu de pouvoir tuer avec un bouclier, minauda Aztai.
L'Ancien éclata de rire.
-A toi de juger de la fonction des armes que tu as en main... N'oublies pas que nous somme là pour développer ton instinct. Par ailleurs seule la façon dont tu vas anticiper mes coups va compter.Ainsi ils s'élancèrent. Lors de leur première séance Aztai dû avouer que la pratique était plus difficile qu'elle ne le paraissait. Il comparait les coups du woran aux cris stridents de l'oiseau. Il arrivait même parfois que, après avoir esquivé avec succès une tentative, il contre machinalement et touche son adversaire. Dans ces rares moments de contre l'Ancien s'extasiait et ses yeux verts clairs pétillaient à nouveau de malice.
Quelques fois, Waor ou Rudy venaient assister à l'apprentissage de leur jeune semblable, se régalant des affrontements qui avaient lieu entre le "jeune" et le "vieux". Et Aztai ne ratait plus un matin pour venir méditer et ne faire qu'un avec son oiseau chanteur. Il prenait aussi un grand plaisir à prier Meno, abandonnant son esprit entre les mains du Père de la Flamme.
Il en appris un peu plus sur la vie à Ambervalle. Par exemple les worans de la forêt élaboraient eux-même des armes pour le moins originales. Alors qu'il s'était attardé devant la forge pour examiner la précision du travail effectué, l'un des frères Jagd (les maîtres forgerons) l'avait interpelé. C'était l'aîné, il s'appelait Dorsa. Ses deux frères, des worans tigrés comme lui, s'appelaient Alhi et Helje. Alhi était le plus jeune et apparemment le plus bavard des trois. C'est lui qui lui avait présenté quelques modèles d'armes "typiques d'Ambervalle" avait-il dit avec fierté. Il avait exposé devant un Aztai très intéressé une série de couteaux étranges. Avec un pommeau semblables à tous les couteaux, la lame sortait, elle, de l'ordinaire. Lorsque l'on forgeait un poignard il était normal de renforcer la partie métallique qui rattachait la lame au pommeau, histoire qu'il n'y ait aucune rupture. Ici, la base était beaucoup plus fine et deux fois moins large que le reste de la partie tranchante. Aztai avait manifesté son point de vue, exprimant que le moindre coup briserait l'arme à coup sûr. Alhi avait rit en entendant cela.
-Cette arme nécessite un peu d'entrainement, avait-il dit.
Vois-tu, on ne peut pas trancher avec sinon la lame se brise, comme tu l'as justement indiqué tout à l'heure. Mais imagine que tu poignardes ton adversaire (il avait imité le geste en abattant son poing dans le vide).
La lame ne se brise pas puisque la pression n'est pas exercée sur son côté. Ton ennemi se retrouve donc avec un couteau en lui, scène basique. Et là! (il avait presque crié)
d'un coup de poignet tu brises le tourmenteur (le nom du couteau),
séparant le pommeau de la partie mortelle.-Et il se retrouve avec un morceau de métal coincé dans le corps... avait conclut Aztai.
Ainsi le plus jeune des frères Jagd lui avait parlé un moment des techniques de forges primordiales pour transformer le métal en arme redoutable. Il lui avait aussi montré de quoi éliminer des ennemis dans un silence total. Le
troka était d'une simplicité effrayante. Constitué d'une cordelette ou d'un fil de fer relié à deux poignées, il consistait à surprendre son ennemi par derrière. On croisait le
troka autour du cou et tirait violemment sur les poignées. Avec une cordelette il broyait la trachée, promettant une agonie silencieuse. Avec un fil de fer il décapitait littéralement l'ennemi. Alhi justifia l'utilisation de telles armes: des garzorks d'Omyre arpentaient parfois la forêt. Lorsqu'ils plantaient leur campement, les worans en profitaient pour mener un assaut. La nuit, les
trokas étaient d'une utilité incomparable.
Une autre chose, la plus étonnante, qu'Aztai apprit les premiers jours, des mages vivaient parmi eux. L'Ancien lui-même l'avait mis au courant sur leur existence. A Ambervalle, être né avec les facultés de manier les éléments était un don. Le woran en question, après avoir suivi un entrainement rigoureux, pouvait entrer dans ce qu'ils appelaient la
Corporation . Aujourd'hui, la Corporation devait compter une quinzaine de membres: des alliés inestimables dans la défense d'Ambervalle. A leur tête trônait fièrement Gaora, une puissante pyromanciène. Bien sûr, la faculté de manier le feu relevait directement du miracle pour les autres, comme si Meno était intervenu personnellement pour doter la woranne de son don.
Un matin, Rudy assistait à une séance entre l'Ancien et son fils. Aztai commençait vraiment à utiliser son instinct. Coups après coups il tentait de faire de son mieux pour éviter la branche du vieux woran. Celui-ci était fier d'Aztai, et il lui avait dit. Arrivés au zénith les trois worans décidèrent de s'en retourner vers la clairière principale pour se restaurer. Rudy avait pris la tête du groupe, longeant un sentier qu'Aztai aurait pu faire les yeux fermés. Le woran neige prenait toujours plaisir à circuler parmi les arbres qu'il reconnaissait, particulièrement à cet endroit. Et puis, sans un bruit, son père s'était rapidement retourné, surprenant son fils. Il avait propulsé à pleine puissance son poing en direction de l'abdomen d'Aztai. La haine lui déformant le visage il aurait effrayé une colonie entière de dragons. Réagissant (par instinct?), Aztai s'était jeté sur sa gauche, les griffes de son père lui frôlant le flanc.
-Formidable! Avait jubilé l'Ancien.
Aztai était par terre, Rudy avait perdu l'équilibre, s'écrasant à son tour dans la poussière.
-Vous l'avez bien formé, s'était exclamé son père.
-Oh on est loin d'avoir terminé mais le plus dur est fait. Après tant d'heure de méditation Aztai au Sang Chaud peut être fier de lui.Toujours haletant le woran neige se releva, persuadé que la chance y était grandement pour quelque chose...
-Et je ne veux pas t'entendre dire que la chance y est pour quelque chose jeune woran! Avait dit l'Ancien par dessus son épaule, ouvrant à son tour la marche.
Fin du Chapitre 3