Ziresh s'en était allé tôt, de façon à ne pas croiser sa famille de substitution. Incapable de faire ses adieux comme un homme le ferait, il préférait agir de la sorte. Mais en arrivant sur le port, sous un torrent de pluie, il ne s'attendait pas à voir ce qu'il allait rencontrer juste là. Pas le navire, pas la mer qu'il n'avait jamais connue, ni d'armée de mercenaires. Non... Kâhra, Xavir et Erin. Ils étaient tous là, le père croisant les bras d'un air satisfait. Honteux de sa lâcheté, le jeune liykor argenté s'avança sans oser croiser ce regard qui le toisait. Le museau tourné vers les flaques d'eau, il était complètement penaud, alors que son lutinora, lui, s'en donnait à cœur joie en profitant allègrement de la météo.
"Tu comptais partir en catimini?" fit Xavir, amusé.
"On savait bien que tu n'oserais pas partir aussi facilement en nous disant adieu. Mais on savait aussi que tu ne serais pas capable de franchir le pas seul." renchérit Erin.
"Je... Je ne sais pas quoi dire... Je n'en ai aucune idée..."
"Dis juste "au revoir"." répondit franchement Xavir en enlaçant son fils. Cette embrassade dura un long moment, et tout l'aspect menaçant de la tempête qui se levait était bien loin, alors. "Tu me manqueras."
Toute la pudeur de Ziresh sombra alors, pour le laisser faire couler de grosses larmes chaudes le long de ses joues velues. Malgré la pluie qui frappait sa gueule, on pouvait le voir sans peine sa tristesse. Même pour un humain qui ne côtoyait pas les liykors, c'était évident.
"Tu vas tellement me manquer à moi aussi!" ses pleurs avaient éclaté avec force, et ses sanglots ne furent plus retenus une seule seconde.
Puis ce fut au tour d'Erin de l'enlacer avec bienveillance.
"Fais bien attention à toi, d'accord Ziresh? Garde tes principes, mais ne fais rien d'insensé..."
Encore une fois, Ziresh pleura tout en les remerciant tous, pour leur bienveillance, leur gentillesse et tout ce qu'ils leur avaient apporté. A cet instant, il s'en voulait d'ailleurs (bêtement, peut-être) de n'avoir jamais accordé d'intérêt à l'apprentissage d'Erin, sur les plantes. Puis, enfin, c'est Kâhra qu'il embrassa. Elle ne dit alors mot, mais se contenta simplement de ce geste, et surtout, d'un baiser. Chez les bratiens, il ne s'agissait que de poser son museau sur celui du compagnon, mais c'était équivalent à un véritable baiser d'humain. Après tout, les bratiens étaient aussi connus pour leur pudeur excessive. Les larmes de Ziresh s'atténuèrent alors, puis tout en caressant la joue de celle qu'il aimait, il parla en signant avec franchise.
"Je t'aime. Sois heureuse."
"Je le serais toujours pour toi."
Encore une fois, ils s'embrassèrent sous les regards gênés des deux parents. Puis Kâhra se dégagea timidement, sans oser montrer ne serait-ce qu'une once de tristesse. Elle lui tendit alors simplement un paquet assez gros.
"Mets ça dans ton sac. Jure moi de ne l'ouvrir que lorsque tu seras à Lebher. D'accord?"
Ziresh acquiesça, puis le hérault cria de nouveau, l'arrachant cruellement de cet instant pour lui imposer la réalité monstrueuse: cette mission qu'il se devait d'effectuer. Vite, il fourra le paquet dans son sac et emboîta le pas, dans un soupir mélancolique. Il aurait pu conclure son entrevue avec sa famille ainsi, mais Xavir le rappela à l'ordre, lui mettant un peu plus de baume au cœur.
"Ce n'est pas un adieu, Ziresh. Alors vas y le cœur battant, fort de ta détermination."
Le jeune liykor argenté sourit timidement, avant de monter sur le pont, sous les yeux interrogateurs des quelques moussaillons présents, mais aussi du héraut. Forcément, il était rare de voir un Liykor bratien voyageant, ces derniers étant particulièrement affiliés à leur clan. Mais déjà, certains de ces regards s'étaient tournés vers le trio sur le port, apportant alors un semblant de réponse à la question qu'ils devaient sans doute se poser: "Comment a-t-il fait pour partir seul?"
"Je viens pour l'annonce de Lebher." fit-il au héraut qui le toisait du regard.
"Nom?"
"Je suis Ziresh, du clan de Liykkendra." L'homme écrivit alors le prénom du concerné sur ce qui semblait être une liste (ce qui était une performance miraculeuse, puisqu'il pleuvait averse).
"Bien, bienvenue sur la Veuve des Mers! Tu ferais bien de rencontrer tes futurs collègues, vous aurez besoin de coopérer pour ce qui vous attend. Si tu veux, on doit avoir du savon quelque part dans la cale. Ce serait bien pour toi, à moins que tu veuilles garder une odeur de chien mouillé."
"Heu...? Merci, hein..."
Gêné, il signa en portant la main à sa gueule tout en souriant (à contrecœur), puis il s'engagea alors un peu plus sur le pont, incapable d'identifier les mercenaires des matelots. Il s'apprêta alors à descendre dans la cale, mais avant de le faire, son regard se tourna de nouveau vers le port. Kâhra, Xavir et Erin s'en allaient. Ils avaient eux aussi porté un dernier regard par dessus l'épaule, et en avaient profité pour agiter le bras. Un dernier au revoir. Ziresh ne pouvait alors s'empêcher d'espérer qu'il ne soit pas le seul à pleurer. Que simplement, d'aussi loin, il ne pouvait pas voir à quel point eux aussi étaient tristes. Finalement, il pénétra alors dans la cale pour voir les cellules disponibles, toujours accompagné de son lutinora qui profitait cette fois-ci du pelage mouillé du liykor. Il ne vit toujours pas de mercenaires, mais il trouva une cellule qui lui convint parfaitement: un lit, une table avec un tabouret. Quelque chose de simple et de sobre, donc, mais rien qui ne soit en rapport avec la toilette. Peu importe: il trouverait le moyen de se laver comme cela pouvait convenir aux humains plus tard. Pour l'heure il se contenta de s'allonger sur le lit, sans vraiment chercher à dormir. Il n'allait que réfléchir, pour l'instant. Peut-être aussi, espérait-il que l'un des mercenaires ne vienne faire connaissance avec lui, sans être trop rebuté par son aspect animal.
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